Chapitre 44 : Roman

La brise de vent s'engouffra dans ma veste pour me glacer un peu plus. J'étais frigorifié, les mains tremblantes et les dents qui claquaient. Quelle idée de se donner rendez-vous au parc ! Il faisait moins vingt !

Depuis qu'on était séparé, Jay ne cessait de me bombarder de messages, son obstination était féroce. Chacun d'entre eux trahissait ses émotions telles que la tristesse, le désespoir, le regret et le remords et parfois des soupçons de colère. Je lisais chacun de ses textos, le cœur pincé.

J'avais accepté de le voir parce que Jay était têtu, il n'abandonnait pas facilement et j'avais besoin qu'il m'abandonne. Qu'il me laisse tranquille. Sa trahison était difficile à gérer au quotidien, voir son nom s'afficher sur mon téléphone plusieurs fois par jours ne faisait que me faire plus de mal.

Dans ma tête, ma décision était prise, je ne reculerai pas parce que je savais que parfois, dans la vie, être raisonnable valait mieux qu'écouter son cœur. Ce n'était peut-être pas romantique ou intéressant, mais cela permettait d'éviter des peines au cœur. J'aurais dû écouter ma tête depuis le début de cette histoire.

Ma conscience avait eu raison, tout comme mon moi profond lorsqu'il me disait que je m'embarquais dans quelque chose de compliqué et de risqué. Mon attirance et mes sentiments m'avaient détourné de l'évidence. Mon histoire avec Jay était vouée à l'échec, nous n'avions pas la même maturité.

Jay était dévasté, ce qui me bouleversait en retour, en revanche, je savais qu'il saurait rebondir. Il était jeune, encore naïf. Je ne m'attendais pas à ce qu'il comprenne mon choix, je priais simplement pour que sa fougue et sa vitalité lui permette de se remettre rapidement de ce chagrin.

Un autre frisson et mon corps trembla de toute part. Malgré le soleil haut dans le ciel, le mois de février était polaire. À midi, le gel sur l'herbe du parc n'avait même pas encore fondu.

Mon attention fut happée par un mouvement sur ma droite. Une silhouette floue et lointaine, mais qui capta toutefois mon regard parce que je savais. Je le reconnaissais avant même de l'apercevoir vraiment.

Oh bordel, ce serait si compliqué.

Jay approchait d'un pas rapide. Habillé d'un sweat noir à capuche, je ne distinguais pas sa tignasse blonde, sa doudoune tombait sur un jean brut, et ses baskets blanches foulaient le sol avec empressement. D'après son expression, il était résolu. Je n'en attendais pas moins de lui, en fin de compte. 

Théo m'avait prévenu, Jay était du genre déterminé et il reviendrait vers moi. Il avait eu raison. Insistant encore et encore jusqu'à ce qu'il trouve le moyen de me faire plier.

Quelque part, j'avais espéré qu'il se montre déterminé. Qu'il me prouve que notre rupture lui faisait mal parce que notre histoire comptait. Quand bien même, il m'avait trahi, savoir qu'il se démenait pour me récupérer m'aidait à penser que peut-être, il avait des sentiments pour moi. Des sentiments aussi forts que les miens.

Mon cœur m'imposait un déferlement de tambours dans ma poitrine, les émotions me traversaient de part en part. Dévasté par ses mensonges, heureux de le voir après tout ce temps, triste de ne pouvoir le prendre dans mes bras.

Une fois à la hauteur de la table de pique-nique où j'étais installé, Jay s'immobilisa, le regard vif et lumineux. Ce moment de flottement pendant lequel nous nous observâmes s'interrompit lorsqu'il se plaça sur le banc face à moi.

Des familles, des mères avec leurs bambins, des joggeurs, des groupes d'amis ou des personnes promenant leur chien. La seule catégorie de personnes que je m'efforçais de ne pas remarquer était les couples, ceux qui roucoulaient, le sourire aux lèvres et se tenant la main. Ceux-là, je ne voulais pas les voir. 

— Tu ne veux pas essayer de me pardonner ? demanda Jay, brisant notre bulle de silence.

La question me désarma tant elle était directe et offensive.

— C'est plus facile à dire qu'à faire, fis-je remarquer, en me frottant les yeux.

— Qu'est-ce que tu as à la main ? s'inquiéta Jay en saisissant ma main dans les siennes pour inspecter mon bandage blanc.

Je récupérai ma main, peu désireux d'initier un contact physique, qui à coup sûr raviverait des douleurs émotionnelles.

Hors de question qu'on initie un contact physique, il était déjà très difficile d'être près de lui et de résister, mais si, en plus, il me touchait...

— Je me suis coupé, c'est tout.

L'insistance de Jay me rendait nerveux. Il me regardait avec ce regard inquiet et presque paniqué. C'était inutile de lui expliquer la vérité, ça ne ferait que nous écarter du sujet qu'il nous fallait aborder. Je rangeai donc ma main dans la poche de ma grosse veste, en espérant qu'il oublie cette blessure.

Finalement, les coupures avaient été plus profondes qu'escomptées et j'avais eu droit à quelques points de suture. Quoi qu'on en dise, cet acte de violence m'avait apaisé, au moins cette pourriture avait eu mal et cela me réconfortait.

Et je devenais un connard.

— Je suis désolé, Roman, si tu savais à quel point, je regrette. Ça ne compte pas ?

Le visage de Jay s'affaissa sous la tristesse. Mon pincement au cœur s'accentua. Voir son beau visage, ses yeux si expressifs... il me manquait.

Entendre ses excuses de vive voix faisait quelque chose. Entendre sa voix brisée par les regrets, l'émotion accrochée aux mots... à ma grande honte, tout cela me soulageait. Mais au moins, j'y croyais. Cette intonation, ces larmes, ce ne pouvait être feint, pas vrai ?

— Si, admis-je.

Jay relâcha un soupir tremblant et sa poitrine s'affaissa.

— Mais ça ne suffit pas, Jay, expliquai-je d'une petite voix. J'avais confiance en toi. Et tu as brisé cette confiance. Sur plusieurs points. Tu as menti, bafouant ta promesse, ce qui me blesse vraiment, mais en plus de ça, j'ai compris que tu ne considérais pas notre relation comme moi. Le fait que tu penses à l'argent en priorité n'est pas si grave en soi, ce qui me déplaît, c'est de constater qu'à aucun moment tu ne t'es dit que danser à poil pour ce mec serait... me tromper.

L'admettre à voix haute me brisa le cœur. Il n'y eut aucun soulagement à l'horizon, j'avais simplement mal. Peut-être que la tromperie n'était pas vraiment physique, mais c'était déjà hors limite. Je ne pouvais concevoir que mon homme se retrouve dans une telle position pour quelqu'un d'autre. C'était sans doute excessif et exagéré, cependant, c'était ce que je ressentais.

— Ce n'était que de la danse pour moi Roman, ça ne signifiait rien. J'ai détesté chaque instant que j'aie passé avec lui parce que je savais que c'était mal. Je t'assure que j'ai pensé à toi, c'était simplement trop tard pour faire marche arrière, j'étais coincé et... j'ai été lâche. Trop têtu pour admettre que je me trompais, trop effrayé à l'idée de te perdre pour te dire la vérité, trop gourmand pour voir les conséquences.

Ses excuses effritaient ma fermeté, mes murs blindés. Il disait tout ce que je voulais entendre, il avouait avoir été trop têtu, trop stupide pour m'écouter, il acceptait avoir pensé à l'argent avant de réfléchir aux conséquences de ses actes. Et par-dessus tout, il reconnaissait sa trahison, ses fautes.

De nouveau, j'entrevis des larmes aux coins de ses yeux. Ses lèvres si douces car Jay les triturait implacablement de ses dents. Son visage était marqué de cernes qui me prouvaient à quel point il vivait mal notre séparation.

Je souffrais de le voir souffrir et je souffrais à cause de lui ! Quel bordel.

J'aurais préféré qu'il se taise, cependant, il continua à parler, délivrant tout ce qu'il avait sur le cœur, tout que ce que je lui avais empêché d'exprimer.

— Je sais que je m'excuse alors que j'ai aucune excuse, je sais que je t'ai trahi et menti, je regrette d'avoir agi comme un con. Je ferais tout pour me faire pardonner, je refuse de croire que notre histoire est finie. Je... J'ai pensé à toi à chaque seconde, tu me manques tellement et je... Je t'aime, Roman. J'ai besoin que tu me pardonnes.

Il m'aimait. Cette confession qui aspira tout l'air dans mes poumons. Il venait d'assumer et de clamer son amour pour moi. Cette réalisation me donnait des frissons. Jay était si courageux.

Un sentiment incroyable de soulagement investi chacun de mes muscles pour les délier. Je ne m'étais pas trompé sur ses sentiments, notre histoire comptait pour lui, comme pour moi. D'un côté, j'étais en proie à une joie intense de savoir que mes sentiments étaient réciproques, mais de l'autre, le fossé ne faisait que s'agrandir.

Jay m'aimait et pourtant, il n'avait pas hésité à me mentir pendant des mois.

— Jay... tentai-je avant de m'interrompre.

Que dire ? Mon cœur hurlait les mêmes sentiments. Cependant, à quoi cela servirait-il de les clamer ? L'espoir faisait mal. Mon amour pour Jay n'était pas suffisant. J'étais toujours convaincu qu'on ne pouvait pas être ensemble, que je ne parviendrais pas à concilier notre différence d'âge.

Ne pas lui retourner ses mots approfondirait son chagrin et je ne voulais pas le faire souffrir malgré ce qui s'était passé. Perdu, tiraillé, je mis trop longtemps à répondre et Jay changea de tête.

— Toi non, souffla-t-il.

— J'ai des sentiments pour toi, Jay, depuis un moment, avouai-je finalement pour dissiper son effondrement mental. Mais ça ne change rien.

— Comment ça, ça ne change rien ! Bien sûr que ça change les choses, on s'aime ! On peut pas se quitter si on s'aime ! 

La naïveté de ses paroles me fit grimacer.

— L'amour ne suffit pas toujours, Jay.

— Qu'est-ce que tu racontes ? murmura Jay, trahissant sa tristesse.

Même en ayant l'expression marquée par la fatigue et le chagrin, je le trouvais magnifique. L'ambre de ses yeux m'hypnotisait. Chaque cellule de mon corps me poussait vers lui, je voulais le prendre dans mes bras, le rassurer et l'aimer. J'en avais tellement envie que cela faisait mal.

Je fermai les yeux un instant et tous mes raisonnements au sujet de notre relation revinrent me souffler la réalité. J'avais cru en un couple qui n'était pas sur un pied d'égalité et cela ne pouvait pas fonctionner. Ce n'était pas la faute de Jay, ni la mienne, c'était simplement ainsi. Et je devais trouver les mots pour lui faire comprendre.

— Notre différence d'âge a toujours été un problème, je me suis simplement focalisé sur l'aspect du sexe, mais en réalité, il y a tellement plus que ça. 

Je dus m'interrompre afin de me racler la gorge et me débarrasser de la boule d'émotions qui m'étouffait.

— Nous sommes trop différents, dans des tranches d'âges trop importantes. Les années qui nous séparent sont cruciales dans le... développement personnel, expliquai-je prudemment. Nous n'évoluerons pas de la même manière, je ne peux pas attendre de toi que tu réagisses comme un adulte alors que tu n'as pas encore fait ce parcours tout seul. Tu dois grandir et...

Jay secoua la tête vivement. Son visage se durcit dans une expression d'animosité non dissimulée.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Je pensais que tu m'avais quitté parce que je t'avais menti et maintenant, tu me sors ces conneries ? 

— Ce ne sont pas des conneries. J'ai eu le temps de réfléchir et tes mensonges découlent de ton manque de maturité, c'est normal et je... je n'aurais pas dû croire que tu pourrais grandir avant l'heure. C'était stupide de ma part.

— Alors tu me quittes parce que je suis trop immature pour toi, c'est ça ?

— C'est un ensemble de choses, Jay, soupirai-je.

Le froid s'installa dans mes entrailles. Tout se resserra, ma gorge, mes poumons, mes tripes. J'eus mal dans chaque cellule de mon corps. Mon rejet se répercutait sur moi, comme si c'était moi que je rejetais. Cette sensation devint si grande, si puissante que je ne parvenais plus à la chasser ou l'ignorer.

— Je n'ai plus envie de mentir, je veux apprendre de mes erreurs, prouver que tu peux avoir confiance en moi. Qu'on peut construire quelque chose. Je suis majeur, j'ai le droit d'être avec qui je veux, tu ne risques rien et j'ai envie de vivre une relation avec toi au grand jour, sans avoir honte ou peur. Et toi, tu me dis que je suis trop immature pour toi ? Et qu'est-ce que tu fais de notre complicité ? De notre alchimie ?

Sa pause lui permit d'entailler sa lèvre inférieure, sans doute pour retenir l'afflux de ses larmes.

Je suffoquais littéralement. Mon esprit était sens dessus dessous, mon cœur pulsait si fort pour me faire savoir à quel point il souffrait. Lui aussi avait son mot à dire, lui aussi voulait s'exprimer. Ma tête me guidait, plus que de raison, parce que je l'avais trop mise à l'écart. Mon choix ne m'avait pas servi, bien au contraire. Cependant, à cet instant, la détresse de Jay faisait écho à la mienne.

— Dis-moi que tu m'aimes, Roman. Dis-moi que ça suffit, que tu peux me pardonner, que tu veux être avec moi.

Inspirant profondément, je tendis une main vers lui pour attraper l'une des siennes posée sur la table. Jay tressauta sous mon geste et le toucher me fit frémir.

— Je suis perdu, Jay. Et bien sûr que je t'aime-

— Alors...

— Attends, le coupai-je. Je ne veux plus écouter que mon cœur parce qu'il m'a conduit à faire les mauvais choix, à plusieurs reprises. Peut-être que je peux comprendre pourquoi tu as pris ces décisions, peut-être que je me rappelle très bien comment j'étais à ton âge et que ça me permet d'être plus... conciliant. Malgré tout, je me sens toujours autant trahi et blessé. Et le cœur du problème, c'est que tes erreurs découlent de ton âge, c'est comme je te le disais, tu grandis, tu évolues et tu te trompes. C'est normal, mais je n'ai pas envie de subir ça. Tu feras d'autres erreurs stupides sous le coup de l'impulsion et de l'avidité et moi, j'attends autre chose d'une relation amoureuse.

Je m'interrompis, le temps de reprendre mon souffle. Jay resta silencieux, le regard perdu, les joues rouges.

— Notre écart d'âge est trop grand, déclarai-je fermement. Dans une autre tranche de vie, ce serait moins embêtant, mais à notre niveau, ça crée un déséquilibre entre nous. Alors oui, tu me manques, oui je t'aime et oui j'ai envie de toi, mais non, je ne peux pas laisser ces sentiments me guider.

Quelques secondes passèrent après mon dernier mot. Sa main tremblait dans la mienne alors je la serrai avec plus de force.

— Je ne comprends rien, murmura-t-il. Je t'aime, Roman.

Sa main tremblait dans la mienne alors je la serrai avec plus de force.

— Parfois, l'amour ça ne suffit pas, Jay. J'ai cru en nous sans réaliser que l'aspect légal n'était pas le véritable problème. Ce qui nous empêche d'être ensemble, c'est cette différence d'âge. Tu es trop jeune pour moi et je suis trop vieux pour toi. C'est dans les deux sens que ça ne fonctionnera pas. J'ai l'impression que c'est nous le problème, Jay. C'est ce grand écart qui nous éloigne l'un de l'autre.

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