Chapitre 42 : Roman

Un long silence suivit ma conclusion et je ne fis rien pour y remédier. Je fixai simplement la télé à l'écran noir tout en buvant ma bière. La douleur dans ma main me tirait des grimaces régulières, je m'étais salement amoché. J'espérais ne pas avoir besoin de points de suture.

— Il a tout dit sur ce qui s'était passé, exposa doucement Théo au bout d'un moment.

— Je sais, il m'a écrit des textos pour me tenir au courant.

— Donc tu dois savoir à quel point il a été secoué.

— Sans blague. C'est moi qui l'ai récupéré devant ce putain de club, tremblant et complètement sonné, répliquai-je, amer.

— Oui... c'est toi qu'il a appelé. Et mes parents sont... confus, mais ils te sont reconnaissants d'avoir pris soin de lui cette nuit-là.

Je serrai la mâchoire avec force. Ils étaient si reconnaissants qu'ils m'avaient demandé de licencier Jay. Alors ouais, on m'avait remercié d'avoir été présent, mais ils étaient loin de s'imaginer pourquoi, moi, j'avais été là pour Jay. Pourquoi il m'avait appelé, moi, et pas quelqu'un d'autre. Ils pensaient que j'étais son modèle, un mentor qui avait gagné sa confiance, d'après les propos de sa mère.

Ça m'avait écœuré d'entendre ça. Je n'étais pas un mentor, putain, j'étais son...

Les mots avaient conforté mon idée, ils ne comprendraient jamais, personne ne comprendrait ma relation avec Jay. Elle était vouée à l'échec. Et c'était fini.

L'adrénaline dans mon corps avait disparu, laissant juste le vide. La colère avait été drainée et à présent me voilà face à mes souffrances. Ça faisait mal, j'avais oublié à quel point. Que ce soit la rupture ou la trahison. Le schéma se répétait pour moi. Devais-je en rire ou en pleurer ?

J'avais craint la trahison depuis le début et je m'étais pensé stupide d'imaginer que j'allais encore vivre une telle chose, que Jay ne serait pas comme Thomas. Je m'étais trompé. Même lorsque l'on croit connaître une personne, ce n'est qu'illusion. Chaque être est secret, il y a toujours une partie qui reste dans l'ombre, qui est tue.

— Tu savais qu'il travaillait dans ce club, annonça Théo, avec ce même ton de reproche.

Cela me fit sortir de mes pensées. Je rivai mes yeux sur lui, le visage neutre.

— Pourquoi tu ne m'as rien dit ? Dès le départ, tu as caché la vérité, tu m'as menti, je ne comprends pas pourquoi.

Mes pensées s'agitaient en tous sens pour me délivrer la vérité pure et brutale. Je mis deux secondes à me décider, et finalement, je pris la décision que je n'avais plus rien à perdre. Autant dire ce que j'avais sur le cœur.

— Parce que tu n'aurais pas compris. Tu l'aurais jugé pour ses choix et je sais ce que ça fait.

— Difficile de ne pas juger son choix, non ? Il faisait strip-teaseur ! C'était dangereux et toi, au lieu de me le dire, tu l'as couvert.

— Je n'ai rien couvert du tout, j'ai bataillé pour qu'il quitte ce travail parce que je savais que c'était dangereux et inapproprié. J'ai trouvé une solution pour lui, ça s'arrête là.

— Ouais et c'était gentil de ta part, mais ça n'explique pas pourquoi tu ne m'as rien dit. Tu aurais pu proposer ce taf tout en disant la vérité à ton ami, tu ne crois pas ?

Je poussai un soupir terriblement long. Cette nuit ne finirait-elle donc jamais ?

— Si je te l'avais dit, il aurait été puni et ma proposition de travail aurait été refusée. Jay a fait tout ça pour son avenir, pour se payer des études qui le passionnent alors j'ai préféré simplement agir pour le sortir de là sans inquiéter tout le monde. Et je ne voulais pas qu'il soit jugé, il a été naïf, mais pour lui ce n'était que de la danse. Un moyen de s'exprimer vraiment. D'être lui sans avoir honte.

— Tu dis ça comme si j'étais du genre à juger facilement, intervint Théo.

Un rire mauvais m'échappa. Et j'étais presque sûr que mes prunelles s'étaient assombries.

— Mais Théo, c'est ce que tu fais. Tu juges de manière insidieuse. C'est ce que tu as fait avec moi pendant le lycée et après. Tu n'avais aucun problème avec mon homosexualité, mais tu en avais clairement un avec mes choix, lâchai-je finalement.

À son tour, il plissa les yeux, perplexe par mes mots et cette fausse confusion m'horripila. Je me redressai, prêt à tout divulguer de ce qui m'avait tant blessé étant jeune.

— Tu ne dis jamais rien, tu te contentes de répliques par-ci par-là, sur le ton de l'humour sans te rendre compte que c'est déplacé et blessant. Tu ne sais pas ce que c'est d'être gay et de l'assumer aussi jeune. Il faut du courage, mais il faut aussi faire des compromis sur tout. Difficile de trouver un mec gay qui s'assume aussi au lycée et s'il y en a, il faut aussi qu'il te plaise, tu vois, parce qu'on n'est pas juste attiré par tout ce qui bouge ! Mais si par chance quelqu'un nous plaît, il faut être prêt à ce que ça implique, être moqué à longueur de journée, pointé du doigt. C'était facile pour toi, quand les hormones ont explosé et que tu voulais baiser, tu sortais avec une fille sympa et tu couchais si elle le voulait. Tu avais largement le choix, pas vrai ? Mais tu t'es demandé ce que c'était pour quelqu'un qui n'a pas de choix ? Qui ne trouve pas de parfait petit copain ? Ou qui n'ont pas le courage d'être toujours regardé et jugé au grand jour ? Certains se complaisent dans le fait qu'ils n'auront pas de sexe à la même période que tout le monde et d'autres décident de trouver des solutions ailleurs. C'est ce que j'ai fait.

— Je n'ai...

— Non, laisse-moi finir, le coupai-je immédiatement. Tu ne m'as jamais jugé sur le fait que je sois gay, pourtant, tu me jugeais sur mes relations. Tu parles de « goûts », de préférences, comme si mes aventures éphémères n'étaient que ça, mais est-ce que tu m'as déjà posé la question ? Peut-être que pour certains, ce sont leurs préférences, mais moi, j'aimerais avoir une vraie relation, avec des sentiments, de l'amour. Parfois moi aussi, ça me saoule de n'avoir que des coups d'un soir et j'ai pas besoin de t'entendre me dire que je suis un baiseur de compétition, que je n'aime que les petits culs rapides ou autres conneries du genre.

— Roman, ce n'est...

— J'ai pas fini ! criai-je, les poings serrés. Je te dis ça parce que c'est le cœur de mon mensonge. Jay est comme moi, il couche avec des gars rencontrés sur des applis et c'est tout aussi dangereux que faire strip-teaseur ! Lui aussi se rabat sur les aventures rapides pour expérimenter, comme moi, alors je voulais pas qu'il ait à subir les mêmes réflexions parce que putain ça marque ce genre de choses, Théo ! Et tu devrais être content qu'il soit avec moi ! Parce que même si je couche avec, ce sera avec respect et tout mon amour pour lui. Tu devrais être rassuré qu'il tombe sur quelqu'un qui ne se sert pas de lui juste pour baiser, tu vois ?

Essoufflé, ma voix s'étrangla sur ses derniers mots. J'avais beau parlé à toute vitesse, sans réfléchir, je peinais à dire tout ce que je voulais. Dans ma tête, c'était confus, désordonné. Mes oreilles bourdonnaient sous l'afflux de sang. Mais pour une fois, je balançai ce que je pensais sans fioritures.

Théo me fixait, les yeux légèrement écarquillés et le visage marqué par la surprise.

— Je... je pensais pas que...

Il se racla la gorge et se pencha en avant, posant ses coudes sur ses genoux.

— Je voulais pas que tu imagines que je jugeais, c'est pas ça, Roman. C'est simplement que je ne... comprenais pas tout ça. Je voyais pas ce que tu viens de m'expliquer. Tu n'as jamais rien dit, je pensais que tu savais que je te charriais, tout simplement. Je suis désolé, finit-il par dire.

Des excuses qui arrivaient trop tard.

Je l'observais et je ne savais plus quoi dire. Je ne savais même plus ce que j'éprouvais. Étais-je heureux qu'il reconnaisse avoir merdé avec moi ? Je ne cherchais pas des excuses, j'avais juste eu besoin de vomir ce que j'avais sur le cœur depuis tant d'années.

En ce moment, je cherchais frénétiquement à me libérer de ce poids en moi, sans savoir sa nature exacte. Dire cette vérité me soulagea quelque peu, ça ne m'aida pas pour autant à me sentir mieux.

— Ne sois pas comme ça avec Jay, répondis-je.

— Putain, tu l'aimes vraiment, hein ? souffla-t-il.

— Oui.

Mon cœur se serra. J'inspirai pour chasser la douleur, mais elle s'accrocha, tenace. Il me manquait. Sa présence au studio, son regard passionné lors des cours de danse, son sourire, ses yeux brillants. Sa voix et ses baisers. Ça me tuait chaque jour un peu plus.

— Il est dévasté lui aussi, m'apprit Théo.

Mon regard se focalisa à nouveau sur lui, mais je ne répondis pas.

— J'avais besoin d'explications. J'étais énervé l'autre jour, j'ai dit des choses débiles. Je ne savais pas pour Jay, mais j'ai bien compris que tu cherchais à l'aider.

Il s'interrompit pour se frotter les yeux, nerveux.

— Jay est dingue de toi, il a attendu ses dix-huit ans avec impatience et au final, il était juste... éteint. Il a passé la soirée à sourire faussement, le regard dans le vide, l'esprit ailleurs. Il t'aime et visiblement, tu l'aimes aussi.

— Qu'est-ce que tu essaies de dire, exactement ?

— Je le connais, il est déterminé. Pour le moment, il a l'air abattu, mais il reviendra vers toi. Et il est majeur maintenant, alors... quoi que vous fassiez, personne ne peut vous le reprocher.

— Nous ne sommes plus ensemble, fis-je amèrement.

— Visiblement, toi aussi tu vas mal, sinon tu ne serais pas en sang, remarqua-t-il en montrant ma main.

Je haussai les épaules, évitant de répondre ou d'avouer ce que j'avais fait. Théo se leva lentement et carra les épaules, le regard vide, l'expression étrange. Son attitude m'interpella.

— Je suis venu ici pour te dire quelque chose d'important avant que tu ne me balances mes quatre vérités en pleine tronche, mais ça ne fait que confirmer ce que je pense. Notre amitié n'était pas vécue de la même façon. Je me sens comme un con, trahi et ça fait mal, Roman, déclara-t-il d'une voix terne. Je suis désolé d'apprendre que tu as été blessé par mon comportement, mais quoi que j'aie dit, jamais je ne t'ai tourné le dos. Et je ne comprends toujours pas. Ni ton attirance pour lui, ni ton choix de me mentir.

Je fus envahi par une bouffée de tristesse. Sa voix contenait toute la douleur que j'avais tant crainte.

— Je ne peux pas accepter ça de ta part et tu as raison, c'est mon problème. Alors si tu aimes mon frère, oublies ce que j'ai dit, fais ce que tu veux tant que tu le respectes. En revanche, toi et moi, nous ne sommes plus amis.

Je l'avais toujours su. Que je perdrais mon ami en éprouvant des sentiments pour Jay. Je savais qu'il n'accepterait jamais.

Théo inspira profondément et souffla lentement.

— Voilà, j'ai dit ce que j'avais à dire. J'espère que... ça ira pour toi et ta main.

Il se retourna et passa la porte de chez moi sans un autre regard. Le trou dans mon cœur devint un puits sans fond. Non seulement Jay m'avait trahi et notre relation était partie en fumée, mais en plus, j'avais trahi mon ami et notre amitié était brisée.

Qu'est-ce qui pouvait être pire ?

Tout était parti en couille. Ça venait de m'exploser à la gueule. Et le plus ironique dans tout ça ? Ce n'était même pas pour les raisons qui m'effrayaient tant ! Personne ne m'était tombé dessus en m'accusant de viol ou de détournement de mineur.

Non, le problème n'avait jamais été les autres. Il était interne. Le problème, c'était moi, c'était Jay.

J'avais tout perdu.

Et il me fallait à présent tourner la page.

*

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