Chapitre 40 : Jay

J'avais hâte que la journée se termine. Même si cela signifiait qu'aujourd'hui, cela faisait exactement une semaine pile que je n'avais pas eu de nouvelles de Roman.

En cours de SVT, pendant que Madame Temeï nous expliquait comment le cerveau fonctionnait dans la mise en place du mouvement volontaire et involontaire, mon téléphone vibra dans ma poche. Un coup d'œil sur le professeur m'indiqua que je pouvais regarder sans qu'elle ne me surprenne. Je déverrouillai immédiatement et tombai alors sur un texto de Roman, une réponse qui fit battre mon cœur tellement plus vite que j'en eus le vertige.

De Roman : Jay s'il te plaît, arrête de m'écrire. Je suis désolé pour les mots blessants que j'ai osé dire, et pour la façon dont ça s'est terminée, mais c'est ainsi. Toi et moi, ça ne fonctionnera jamais, mais j'ai été très heureux d'apprendre à te connaître. Prends soin de toi.

Désarçonné par ce message, mes yeux s'embuèrent et mes mains tremblèrent sous le coup de l'émotion. Avec dextérité, je formulai une question qui me taraudait depuis plus d'une semaine.

À Roman : Alors nous deux c'est fini ?

Le cœur battant, Madame Temeï disparut de la salle, tout comme Clara assise à mes côtés et ce foutu cours. Tout s'estompa. Je fixai l'écran de mon téléphone, désespéré.

De Roman : Oui.

Oui ? Oui ! Mes doigts se crispèrent sur l'objet qui venait d'anéantir ma vie. Mon pauvre cœur chuta avec violence. Je n'arrivais plus à respirer. Ma vision se brouilla à cause de l'afflux imprévisible de mes larmes. La tristesse noya tout sur son passage. Paniqué, je me levai d'un bon et sortis de la salle. Je courus jusqu'aux toilettes, la respiration haletante et suffocante.

Fini. C'était fini. Le silence de Roman traduisait donc la fin de notre relation. Et je ne l'avais pas compris plus tôt ? Comment... Pourquoi... mon cerveau ne formula plus aucune pensée cohérente.

— Jay ?

La voix d'Hugo me parvint difficilement. J'entendis néanmoins les portes s'ouvrir successivement jusqu'à ce que celle de ma cabine laisse apparaître mon ami. Assis sur le carrelage des chiottes, je pleurais comme un foutu bébé. À son approche, j'essuyai vivement mes larmes, preuves de mon état pathétique.

— Qu'est-ce que t'as ? s'inquiéta Hugo en s'accroupissant.

— Rien, c'est bon.

— Tu pleures, constata-t-il simplement.

Ouais, je pleurais. Je pleurais à m'en brûler les yeux !

— Retourne en cours, reniflai-je, le regard fuyant.

— J'en ai rien à foutre du cours d'SVT. Dis-moi ce que t'as, pourquoi tu pleures ?

La compression dans ma gorge m'empêcha de dire quoi que ce soit. J'avais promis à Roman de ne jamais parler de notre relation. Enfin, ça c'était avant qu'il ne me quitte par message. Mais ça ne changeait rien, pas vrai ? Je ne pouvais pas le trahir de cette façon, je l'avais suffisamment trahi comme ça.

Alors sans réfléchir plus longtemps, je lui racontais à lui aussi l'histoire avec Frédéric, le pervers. Les mots étaient plus faciles à prononcer, je n'étais plus aussi marqué ou sous le choc. J'avais pris du recul, remisé l'expérience affreuse dans un coin de ma tête, pour la rendre insignifiante.

Hugo s'affaissa contre le mur, face à moi, le visage tordu par la surprise.

— Mais... putain de merde.

— Hum, marmonnai-je en mordillant mes lèvres.

Pendant un moment, il n'y eut rien d'autre. Ensuite, il me demanda s'il y aurait des conséquences. Mon père avait accusé le patron de m'avoir embauché sans réel contrôle, me payant en espèces. Il avait également eu le nom de Frédéric, déposant ainsi une main courante. Autant dire que c'était comme pisser dans un violon. Mais de toute façon, je ne voulais plus penser à ça. Au diable ce Frédéric et ce club !

— Écoute, cette merde, c'est passé, déclara tout à coup Hugo, semblant se reprendre. Demain, c'est ton anniv, on va fêter ça tout le week-end, ça va te faire du bien. 

— Je suis puni, fis-je remarquer.

— Mais pas pour ton anniv ! s'exclama mon ami, les yeux ronds.

Je haussai les épaules, ne sachant pas quoi dire. Mes parents n'avaient rien dit à ce sujet.

— Attends, ton anniv c'est dans trois jours ! Ce week-end, on le réserve pour faire un truc, comme on avait dit.

— Je sais pas si je pourrais.

— Mec, c'est tes dix-huit ans, impossible que tes vieux décident de t'empêcher de le fêter. Ce ne sont pas des monstres !

La sonnerie interrompit notre conversation et je me levai prestement, chassant la tristesse en me passant de l'eau sur le visage. Avant de retourner en cours pour le reste de la journée, j'envoyai un message à Roman.

À Roman : Je sais que j'ai tout gâché, tu avais raison depuis le début et je suis désolé d'avoir été aussi con. Tu ne peux pas me quitter sans avoir eu une conversation ! Laisse-moi te voir pour te parler, s'il-te-plaît.

Il venait de me plaquer la veille de mon anniversaire. C'était si cruel. Je ne savais pas qu'on pouvait se sentir aussi mal avant d'avoir le cœur en miette !

*

Ce fut la pire journée de ma vie. Me voilà majeur et malheureux. Complètement anéanti, vide.

— Joyeux anniversaire mon gars ! cria encore une fois Hugo en me tapant à l'arrière de la tête.

— Putain Hugo ! râlai-je.

Il rigola et Mike passa un bras autour de mon cou. Aria et Sarah n'avaient pas arrêté de me le souhaiter toute la journée, me bavant dessus sous prétexte que c'était un jour spécial.

— Profites-en, mes lèvres ne touchent jamais les mecs en général, mais toi t'es une exception, avait déclaré Aria, le plus sérieusement du monde.

— Moi j'aime simplement te faire de gros bisous, m'avait charrié Sarah.

Et évidemment, Mike et Hugo se moquaient, balançant des « joyeux anniversaire » à tout-va pour s'adapter aux filles, comme ils disaient. Grâce à Dieu, ils ne me firent pas de bisous. Ça aurait été trop pour moi. Déjà que je supportais mal cette journée.

— Bon, à quelle heure on vient chez toi ? demanda Mike.

— Moi je dis, tout de suite ! s'exclama Aria, toute souriante.

— J'en sais rien, soupirai-je.

— Qu'est-ce qu'on mange ce soir ? voulu savoir la goinfre du groupe, Sarah.

Toute cette conversation aurait dû me rendre excité, sur un petit nuage, mais cela ne m'exalta pas un brin. La douleur dans ma poitrine s'agrandissait à mesure que les jours passaient sans nouvelles de Roman. Je tentais de remédier à cette situation, j'envoyais des messages, suppliant une conversation, sans jamais avoir de réponses. Deux semaines et rien. Mais je refusais de croire que c'était réellement fini. Impossible.

Bêtement, je m'étais imaginé recevoir au moins un texto pour mon anniversaire. Un petit message, juste pour m'informer qu'il n'avait pas oublié, ni ce jour, ni moi. Visiblement, c'était trop demandé.

— Ce sera la surprise, arrête de penser toujours à la bouffe, tu vas finir énorme ! plaisanta Aria.

— Ouais, pas sûr que Matt trouve les goinfres sexy, renchérit Mike en faisant une moue faussement dégoûtée.

— Putain, mais tu vas me lâcher avec ça, je m'en balance de Matt.

— Genre ! Tu le dévores des yeux dans les couloirs.

— Il paraît que c'est pas un bon coup, c'est ce qu'a dit Julie, indiqua Aria, une grimace sur les lèvres.

— Quand est-ce que Julie a dit ça ? s'enquit Sarah en écarquillant ses yeux bleus.

Les voix de mes amis se confondaient, s'éparpillaient dans l'air. J'entendais, je n'écoutais pas. Ils rigolaient, heureux et insouciants alors que je dépérissais. Pourquoi avais-je si mal ? Jamais je n'avais ressenti ça avant. L'amour, ça craignait vraiment.

Mike resserra son emprise, me sortant de mon malheur. Nous marchions visiblement en direction de l'arrêt de bus.

— Alors on peut venir chez toi maintenant ?

— Ouais, répondis-je distraitement.

Le trajet pour rejoindre mon quartier et ma maison se fit avec le même entrain, tous content de pouvoir fêter mon anniversaire, même si ce n'était que chez moi pour un dîner en famille. Mes parents avaient trouvé ce compromis judicieux.

Le fait qu'ils puissent dormir chez moi avait eu l'air de satisfaire tout le monde. Ce fut donc avec une excitation palpable que mes amis gonflèrent leur matelas dans ma chambre, transformant mon sol en gigantesque coussin.

Mon oncle, ma tante et mes cousins arrivèrent peu avant mon grand frère Théo et mes grands-parents maternels. Ce fut un grand rassemblement, ma mère avait accroché une banderole, des ballons et avait même fabriqué une belle boîte pour les « enveloppes cadeaux ». C'était sympa.

Je bus beaucoup de bières, en écoutant les blagues pourries de mon oncle mises en concurrence avec celles d'Hugo, encore pires selon moi. Théo me fixait attentivement et moi, je l'ignorais ostensiblement. Durant le repas, je parvins un peu à oublier la douleur. Lorsque ma mère éteignit les lumières pour amener le gâteau, j'oubliais totalement mon malheur durant les quelques secondes que durèrent le chant et les acclamations après avoir soufflé les dix-huit bougies.

Ce fut le meilleur moment de la soirée. Le seul où l'image de Roman ne resta pas gravée dans ma tête, où son absence ne creusait pas un trou dans ma poitrine, ou son manque fut supportable.

Après ces quelques secondes, tout revint à la charge. J'eus droit à mes cadeaux. J'ouvris la boîte avec nonchalance, à mille lieux d'imaginer ce que j'allais découvrir. Au lieu d'y voir quelques enveloppes, je vis un tas de photos, prospectus et autres brochures. Je fouillai dedans, récupérant quelques papiers pour voir qu'ils traitaient tous du même sujet ; tourisme à New York. Puis je vis deux billets.

— On s'est tous cotisé pour t'offrir un séjour à New York, mon chéri, déclara ma maman, un sourire éclatant sur le visage.

Choqué, mes yeux faisaient la navette sur tous les visages présents dans le salon.

— C'est pour cet été, juste après le bac. Que tu auras, bien évidemment, s'enorgueillit mon père. Il y a deux billets, tu peux amener qui tu veux.

Qui je voulais... je voulais Roman. Je voulais y aller avec lui, partager ce rêve avec l'homme que j'aimais.

— Ouais et regarde, il y a autre chose, intervint Théo.

Mes mains tremblantes cherchèrent cette autre chose. Une enveloppe rouge attira mon attention. J'ouvris, fébrile et découvrais alors deux places pour un spectacle à Broadway.

— Alors on a cherché des spectacles de danse contemporaine ou de break danse, mais c'est pas facile, tu pourras voir ça sur place, continua ma maman.

Oh. Mon. Dieu. J'étais complètement abasourdi. Je ne savais pas qu'ils comptaient m'offrir un cadeau aussi dingue. Mon cœur tenta de battre à nouveau pour exprimer ma joie et un sourire énorme étira mes lèvres. Un de mes rêves les plus fous venait de m'être offert.

Les « adultes » finirent par partir au milieu de la nuit, mes parents allèrent se coucher et je restais avec amis pour finir la soirée. La conversation s'animait autour de ce voyage incroyable quand tout à coup, mon téléphone sonna.

*

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