Chapitre 4 : Jay

Le repas fut une véritable torture, j'étais dans un état de stress pitoyable. Les mains moites, la jambe droite tressautante, l'esprit ailleurs.

Ma mère arriva avec le gâteau, ou plutôt la tarte qu'elle avait préparée pour faire plaisir à son fils aîné, Théo préférant la tarte aux citrons, contrairement à moi qui étais du genre gâteau au chocolat. Tout le monde s'égosilla pour chanter la chanson appropriée et mon frère ricana avant de souffler sur les bougies.

—   Encore joyeux anniversaire, dit ma mère en lui souriant tendrement.

—   Merci, maman.

Mon père se chargea de la découpe, il enleva les chiffres deux et cinq et les posa délicatement sur la table. Vingt-cinq ans, c'était franchement vieux. Je n'en revenais pas de l'écart d'âge entre mon frère et moi. Nous nous entendions étonnamment bien pourtant, il était protecteur sans être étouffant ou envahissant, et je ne l'idéalisais pas trop comme les petits frères collants qui pouvaient exister. Chacun sa vie, mais avec cette complicité qui nous liait facilement.

Théo avait été mon confident sur plusieurs sujets très importants et il avait toujours été bienveillant et compréhensif. Le serait-il toujours s'il apprenait ce que je faisais de mon temps libre ? La réponse était moins sûre.

Roman, l'un des meilleurs amis de mon grand frère me fixait de ses yeux gris. Il ne m'avait pas adressé un seul mot, cependant, son attention était dirigée vers moi en permanence. L'angoisse grossissait au point de me sentir à l'étroit dans ma propre peau.

J'aurais aimé savoir ce qu'il pensait de la situation. J'avais secrètement espéré qu'il ne m'avait pas réellement reconnu dans ce club, mais apparemment, c'était le cas, si je me fiais à ce regard dur.

Les conversations allaient bon train, je répondais aux questions que l'on me posait sur mes cours et la préparation du bac à la fin de l'année, sans toutefois participer plus que cela aux discussions. L'après-midi s'écoula et mon esprit n'arrêtait pas de divaguer vers la veille. Pourquoi, Roman et mon frère, se trouvaient-ils dans ce club ? Surtout un soir comme celui-ci, où la communauté LGBT était mise à l'honneur avec des strip-teases adéquats. Concernant Roman, la réponse était facile, il était gay.

En revanche, mon frère était tout ce qu'il y avait de plus hétérosexuel sur cette terre et jamais, au grand jamais, il n'aurait accepté d'aller dans un club de strip-tease pour voir des hommes à moitié nus se déhancher. Non pas qu'il ait un problème avec l'homosexualité, non, simplement, il avait des limites.

Et comme si mon cousin avait entendu mes pensées, il demanda :

—   Alors tu as déjà fêté ton anniversaire comme il se doit ou tu vas faire un truc ce soir ?

—   Oh non, je l'ai bien fêté hier soir. Et je préférerais oublier cette soirée, dit-il en lançant un regard noir à son ami, Roman.

Ce dernier sourit malicieusement et haussa les épaules.

—   Je me suis bien amusé, moi.

—   Tu m'étonnes, marmonna Théo.

—   Qu'avez-vous fait ? voulut savoir Jules.

Mes parents, mon oncle et ma tante étaient en pleine conversation sur des affaires familiales, ils ne prêtèrent donc pas attention aux échanges des jeunes.

—   Roman a cru bon de m'amener dans un club de strip.

Jules rigola tout en écarquillant les yeux. Âgés de quinze ans, nous étions assez proches tous les deux, je le trouvais pourtant trop sage et réservé pour pouvoir faire partie de ma vie sociale au quotidien.

—   Et c'était pas bien ? Je veux dire, ça doit être... cool, acheva Jules en rougissant.

—   Ça aurait pu être cool si ce n'était pas une soirée pour les gays, grogna Théo.

Mon visage grimaça automatiquement. Malgré le malaise de cette discussion, j'étais à présent certain que Théo ne m'avait pas vu et que Roman n'avait rien dit sur ma présence là-bas. Une question demeurait ; pourquoi ?

Pourquoi ne rien dire ?

Je jetai un coup œil vers Roman et rencontrai ses prunelles grises qui tiraient vers le marron, rendant cette couleur assez étrange et indéterminée. L'échange dura trop longtemps et je détournai le regard, gêné. Je ne voulais pas qu'il pense à mal de moi et en même temps, son avis n'avait que peu d'importance. Après tout, ce n'était qu'un ami de mon grand frère et il n'avait rien à dire sur mes activités.

Alors peut-être que oui, c'était grâce à Roman que j'avais eu le courage de dire en premier à Théo que j'étais gay. Peut-être qu'en voyant mon frère rester normal envers Roman sans le considérer comme un pestiféré après l'annonce de son homosexualité, j'avais enfin eu la force de l'avouer. Et peut-être qu'ensuite, avec le soutien de mon frère, j'avais pu enfin le dire à mes parents. Mais cela ne changeait rien, il n'était pas de la famille, il n'avait donc rien à dire.

Ma mère et ma tante s'échappèrent dans la cuisine, suivies de près par Marine et j'en profitai pour donner mon cadeau à Théo. Un cadeau surprise qui allait certainement le mettre en rogne. En lui tendant l'objet, mon grand frère fronça les sourcils.

—   Qu'est-ce que c'est ?

—   Ouvre-le et tu verras.

Il me considéra et je sus qu'il se doutait d'une blague. Méfiant, il arracha le papier cadeau bleu et ouvrit la boîte pour découvrir un objet oblong et rose flashy.

—   Qu'est-ce que... tu n'as pas fait ça, dit-il, les yeux rivés sur le sextoy.

—   Je crois que si, ricanai-je. J'ai hésité sur la couleur, je peux toujours échanger si tu as une préférence.

Théo attrapa l'objet entre le pouce et l'index comme s'il avait peur qu'il lui saute à la gorge. Cette idée me fit sourire de plus belle.

—   C'est quoi ? demanda Jules, innocent jusqu'au bout.

—   Un putain de sextoy, grommela mon grand frère.

—   Enfin Jay ! s'écria mon père à l'autre bout de la table.

Je ne pus m'empêcher de rire plus longtemps, mon éclat ne plut pas du tout à Théo, qui se renfrogna.

—   Rangez-moi ça tout de suite avant que votre mère ne revienne et fasse une crise cardiaque ! s'emporta notre bon père de famille.

Jules se pencha sur la table pour voir de plus près l'objet et Théo leva les yeux au ciel.

—   Tu vas me le payer, Jay, souffla-t-il dans ma direction.

—   Je te trouve très rigide pour un jeune homme dans la fleur de l'âge, répliquai-je, le sourire aux lèvres.

—   Et je te trouve bien trop ouvert pour un jeune adolescent de ton âge, contra mon grand frère.

—   Oui, je pense la même chose, ajouta subtilement Roman.

Mon ventre se serra et à nouveau, j'eus une énorme boule dans la gorge. Les femmes de la maison revinrent à table avec des cafés et plus personne n'évoqua mon cadeau. L'ambiance était légère, mais je ne parvenais plus à faire abstraction de Roman. Je me levai donc, prétextant aller chercher un truc dans ma chambre, histoire de souffler quelques minutes.

Malheureusement pour moi, mon échappée fut imitée par Roman qui apparut alors dans l'encadrement de ma porte. Je relevai lentement les yeux sur lui, mes mains se serrant en poing à cause du stress.

—   Qu'est-ce que tu veux ? attaquai-je d'emblée.

—   Direct, hein ?

Il pénétra dans ma chambre, poussant à demi la porte sans la fermer complètement.

—   Je préfère être direct aussi, alors continue comme ça et dis-moi ce que tu foutais dans ce club hier soir.

—   En quoi ça te regarde ? me crispai-je.

Roman haussa ses sourcils bruns et croisa les bras sur sa poitrine. Pas bon signe, ça.

—   Qu'est-ce que tu faisais là-bas, Jay ?

—   Je m'amusais, comme vous apparemment, lançai-je avec une fausse assurance.

—   Tu t'amusais ? Dans un club de strip-tease ?

—   Et ?

La conversation s'annonçait assez mal. Je n'avais pas prévu de mensonges, j'étais bien trop occupé à gérer mon stress. De toute façon, quel genre de mensonge pouvait expliquer ma présence là-bas si ce n'est le simple divertissement. En tant que client, cela allait de soi.

—   Ne me prends pas pour un con, m'avertit Roman d'une voix dure.

—   Pourq...

—   Je t'ai vu entrer dans un box avec un mec. Tu travailles là-bas ?

Merde, merde, merde.

Que dire ? Mon cerveau bouillonna alors que j'activais chaque neurone d'adolescent que je possédais. J'avais beau prétendre être déjà un adulte, parfois la réalité m'assommait.

—   Comment peux-tu travailler là-bas, Jay ? Tu es mineur, tonna Roman.

—   J'aurais dix-huit ans en février, rétorquai-je en me redressant.

—   Peu importe.

Il se rapprocha de moi, prit la chaise de mon bureau et s'assit dessus à califourchon, ses bras posés sur le dossier. Son expression était bien trop sérieuse.

—   Tu es mineur, tu ne peux pas travailler dans ce type d'endroit, c'est... tu ne peux pas, conclut-il.

—   Je n'ai jamais dit que j'y travaillais.

—   Arrête ça. Pourquoi irais-tu dans un box privé si ce n'est pour une prestation privée en tant que danseur ?

—   Tu sembles bien connaître le fonctionnement du club, élucidai-je.

Mon attitude agaça Roman qui souffla bruyamment. J'étais perdu, je ne savais pas quoi faire, ni quoi dire. La vérité ne pouvait être envisagée, si ? Je ne le connaissais pas tant que ça, ce Roman, alors je ne pouvais pas lui faire confiance. Mais en même temps, si je m'obstinais à le prendre pour un con, il pouvait très bien s'énerver et décider de tout révéler à Théo. Ou pire, à mes parents !

—   Qu'est-ce que tu faisais avec ce type ? répéta-t-il.

—   Je...

Option, option, option, quelles étaient mes options ? J'envisageais plusieurs scénarios puis décidais de dire un truc assez choquant pour passer pour la vérité.

—   Ok, je vais là-bas pour faire des rencontres, d'accord ?

—   Des rencontres ? Comment ça ?

—   Tu as besoin d'un dessin à ton âge ? balançai-je. Je trouve des gars et nous... nous amusons.

Roman se redressa de toute sa hauteur, l'expression interloquée sur le visage. Il me fixa longuement avant de pincer les lèvres.

—   Est-ce que tu y vas souvent ?

—   J'ai répondu à ta question, ne pousse pas le bouchon trop loin non plus !

—   Tu sembles oublier que tu n'as pas le droit de foutre les pieds dans ce genre d'endroit et que si je le veux, je peux avertir les patrons du club que leur videur à l'entrée est incompétent.

—   Tu ne ferais pas ça.

—   Pourquoi pas ?

J'inspirai profondément, tentant de calmer mon rythme cardiaque trop rapide. Quelle panade...
Ce job m'en lisait toujours plus dans les mensonges, que ce soit ma famille ou maintenant Roman, et ça devenait difficile et épuisant. Si le salaire n'était pas aussi faramineux, j'aurais arrêté. C'était bien trop stressant.

—   Tu as eu mon âge, non ? Je suis sûr que toi aussi, tu sortais avant ta majorité, comme tout le monde alors ne fais pas ton relou.

—   Tu es trop jeune pour faire ce genre de chose, Jay, affirma-t-il d'une voix dure.

Ok, j'allais avoir droit à la leçon de morale. C'était mieux que la colère s'il savait, qu'en effet, je travaillais dans ce club en tant que strip-teaseur.

—   Tu ne flirtais pas à mon âge ?

J'aurais pu employer un mot plus trash, néanmoins je me contins.
Et ma question eut quand même le mérite de déstabiliser mon vis-à-vis. Toutefois, Roman se reprit bien rapidement.

—   Si, mais...

—   Eh bien voilà ! m'exclamai-je. Ne dis rien à mon frère, d'accord ? Je suis grand, je sais ce que je fais.

—   J'en doute. Tu te protèges au moins ?

Excédé par la tournure de cette conversation, je me levai et fourrai une main dans mes cheveux blonds.

—   Évidemment que je me protège, ok ? Maintenant, arrêtons de parler de ma vie sexuelle, c'est super gênant.

—   Tu n'avais pas l'air gêné quand...

—   Qu'est-ce que vous faites ? intervint la voix de mon grand frère.

Sa tête passa la porte et ses yeux nous regardèrent tour à tour. Mon rythme cardiaque s'emballa, mais je repris mon sang-froid rapidement.

—   Roman voulait savoir où j'avais acheté le sextoy. Visiblement, il a trouvé ce cadeau à son goût.

—   Vraiment ? s'étonna Théo.

Roman resta figé l'espace de quelques secondes, sûrement déconcerté par mon excuse divinement bien trouvée. Il se leva et haussa les épaules.

—   J'aurais préféré que ton morveux de petit frère ne dise rien, mais ouais, j'aime bien ce type de jouet.

—   Beurk, répondit Théo en fronçant le nez. Je ne veux rien savoir. On peut y aller ?

—   Ouais, c'est bon, marmonna Roman, en passant devant moi.

Son regard marron glacé lança des éclairs dans ma direction. Ils s'échappèrent de ma chambre et je poussai un long soupir de soulagement. Sauvé !

*

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