Chapitre 39 : Roman

Plusieurs jours étaient passés depuis ce que je nommais comme un drame. Mon humeur vacilla perpétuellement. La colère grondait dans mes veines avec une force qui me secouait chaque jour un peu plus. Contre Jay, contre ce putain de Frédéric et ce patron qui acceptait des pratiques illégales dans son club !

Et il y avait également cette tristesse née de la trahison. Je tentais de me concentrer sur le travail, sur ma passion et la gestion du studio, mais cela ne marcha pas.

Mon esprit était ailleurs. Dans le club, dans ce box, sur Théo et surtout sur Jay. Jour après jour, je repensais à notre dispute, à ce qu'il avait avoué, à ce que je lui avais reproché. Et inévitablement, je me remémorais ce que je lui avais balancé au visage, mes reproches, mes mots blessants. Avec le recul, la situation avait pris une autre ampleur, j'avais eu le temps de réfléchir et de méditer au comportement de Jay.

J'avais été dur, mais il m'avait brisé avec ces mensonges. Je ne voulais pas le comparer à Thomas, ce manipulateur qui s'était servi de moi. Pour autant, Jay m'avait bel et bien menti et trahi.

Il avait joué de ses forces, s'était servi de mes faiblesses pour me manipuler afin que je ne voie pas son double jeu. Que je ne réalise pas l'ampleur de sa fourberie.

Cela me serrait le cœur de savoir que je m'étais fait avoir ainsi. Chaque jour qui passait renforçait mon malaise et mon chagrin, je n'étais pas sûr de pouvoir pardonner. Ni oublier.

Malgré mon silence, Jay m'informait par messages sur ce qui se passait chez lui et ses punitions. J'avais d'ailleurs reçu un mail de son père pour me demander de le licencier et mettre fin à son contrat. Ce n'était pas une surprise, mais j'étais plutôt partagé. 

C'était douloureux de comprendre que Jay ne serait plus à mes côtés au studio et parallèlement, j'étais heureux et soulagé qu'enfin, il soit honnête. Qu'il assume la responsabilité de ses actes, bien que les conséquences nous privent tous les deux.

Mais il n'y avait plus de nous.

Au départ, j'avais imposé un silence pour me calmer. Les jours défilaient et je continuais à l'ignorer parce que je ne savais pas quoi dire. Écartelé entre tristesse et colère, je ne voulais pas que mes mots dépassent ma pensée ou que Jay imagine que la situation n'était pas si grave. Elle l'était.

Toutefois, j'allais devoir éclaircir la situation.

Estelle arriva en trombe dans la salle de danse que j'occupais, me sortant de mes pensées. Je pris alors conscience que je n'observais absolument pas mes élèves danser. Les jeunes se tournèrent tous vers la jeune femme qui pinça les lèvres.

—   Roman...

—   Oui ?

—   Il y a... quelqu'un qui te demande.

Je fronçai les sourcils avant de regarder l'heure affichée sur l'horloge face à moi. Il était dix-sept heures quinze et mon cours venait à peine de commencer.

—   Qui me demande ? Je suis en plein cours, fis-je remarquer.

—   Je sais, je suis désolée, soupira Estelle. Mais elle dit être la maman de Jay et que c'est important.

Mon corps se tendit imperceptiblement. Jeanne ? Que faisait-elle là ? L'angoisse me saisit à la gorge, mes yeux virevoltaient entre la porte, Estelle et mes élèves.

—   Je peux te remplacer pendant ce temps, si tu veux, proposa Estelle.

Je considérais sa proposition et acceptai d'un hochement de tête. De toute façon, je n'avais pas le choix, je ne pouvais pas renvoyer la mère de Jay. Je donnais rapidement les directives à Estelle et aux élèves puis je sortis de la salle d'un pas raide.

Peu rassuré, je retrouvais Jeanne qui m'offrit un petit sourire en me voyant arriver.

—   Roman, je suis désolée de débarquer sans prévenir, me dit-elle.

—   Ce n'est rien, mais...

—   Ça ne prendra pas longtemps, me rassura-t-elle.

—   D'accord. Suivez-moi, allons dans mon bureau.

En quelques secondes, nous fûmes isolés dans mon endroit personnel. Je me retrouvais essoufflé à cause du stress de la voir ici.

Jeanne était une femme au visage magnifique, avec de grands yeux, presque noir, et de longs cheveux blonds, bouclés. Elle avait donné à son fils cette bouche pulpeuse et très féminine. Sa beauté cachait très bien une force et une détermination à toute épreuve. Je mangeais assez régulièrement chez eux en compagnie de Théo pour savoir qu'elle avait un sacré caractère. Sa présence me déstabilisait.

—   Roman, j'aimerais que l'on discute. Nous avons reçu la rupture de contrat concernant Jay.

—   Oui, comme le mail de Michel me l'indiquait, parvins-je à dire.

Elle hocha la tête et parcourut de ses yeux chaque recoin de la pièce.

—   Est-ce qu'il travaillait bien, ici ? demanda-t-elle.

—   Euh... oui, je n'ai pas eu à me plaindre, répondis-je, un peu surpris par cette question.

—   Bien. Au café aussi, le responsable a dit qu'il travaillait avec une certaine rigueur. Ça me rassure de savoir qu'il était responsable. Au moins un peu.

Je gardai le silence, ne sachant pas quoi dire. Jeanne avait l'air de se parler à elle-même et je ne comprenais pas pourquoi elle était là.

—   Je pensais l'avoir éduqué pour qu'il soit responsable, mais je suis... je ne comprends pas comment il a pu travailler dans ce club, déclara-t-elle, d'une voix chargée d'émotion.

Elle s'approcha de la chaise du bureau et s'y laissa tomber, les épaules voûtées. Mal à l'aise, je pris place dans mon fauteuil de l'autre côté et inspirai profondément pour calmer mon rythme cardiaque. Putain, j'étais paniqué !

—   Il a cruellement manqué de discernement ! Et il n'arrête pas de répéter que pour lui, ce n'était que de la danse, que c'était ça qu'il aimait faire. Juste... danser.

Ses prunelles noires se relèvent sur moi, me clouant sur place.

—   Il a dit aussi qu'il prenait des cours, ici. Que vous l'aidiez à apprendre la technique.

—   Oui, acquiesçai-je, la gorge serrée. Jay est passionné, j'ai pensé... qu'il méritait de s'améliorer.

—   C'est très gentil de ta part, Roman, dit-elle en souriant. J'aimerais payer pour ces cours, je sais que tu n'as pas retiré le prix sur son salaire alors...

—   Quoi ? Non, Jeanne, ce n'est pas la peine, je l'ai fait par plaisir, pour Jay.

Jeanne se figea, tout en gardant le regard sur moi puis fronça les sourcils. Après plusieurs secondes de tension extrême pour mon corps, elle soupira.

—   Tu es vraiment un bon garçon, Roman, très altruiste. Et tu as raison, il est vraiment passionné par la danse. C'est à cause de ça qu'il s'est retrouvé dans cette situation. Nous aurions dû lui assurer qu'il pourrait intégrer son école, nous n'avions pas compris qu'il en doutait.

—   Jay voulait vous épargner, informai-je doucement.

—   Oui. Je déplore seulement qu'il n'ait pas pris conscience de ses erreurs à temps, souligna-t-elle en se frottant le front. Il est puni et il ne cesse de nous supplier de le laisser venir danser ici, pour ses cours particuliers. Il ne parle que de ce studio, du fait qu'il veut danser.

Mes poumons expirèrent tout l'air qu'ils contenaient pour me laisser asphyxié. Je sentais la sueur perler le long de mon dos, mon sang battre dans les oreilles...

—   Si jamais il vient ici, je te demande de ne pas l'accepter, s'il te plaît, Roman. Avec Michel, nous l'avons puni, il doit comprendre que ces actions ont des conséquences.

—   D'accord, acceptai-je en hochant faiblement la tête.

—   Merci. Et nous tenions aussi à te remercier pour avoir été présent pour lui ce soir-là. J'imagine à quel point Jay te tiens en haute estime pour s'être tourné vers toi alors qu'il était si chamboulé. Il a eu confiance en toi parce que tu es quelqu'un de bien. Son mentor, peut-être ?

Son sourire fit place à un petit ricanement, que je dus lui rendre pour échapper à l'émotion qui me saisissait.

—   Je... Nous nous entendons très bien, convins-je, mal à l'aise. Nous sommes devenus amis au fil du temps alors oui, on peut dire qu'il me fait confiance.

Encore une fois, Jeanne me fixa avec cette intensité digne des mamans. Avec ce regard qui vous donnait l'impression qu'elles fouillaient en vous. À cet instant, les yeux noirs de Jeanne m'analysaient.

—   C'est bien, finit-elle par dire. Bon, je ne vais pas te retenir plus longtemps.

Elle sortit de son sac à main un chèque qu'elle posa devant moi et me somma de ne pas protester avec fermeté. Après quelques salutations de politesse, Jeanne rentra chez elle, auprès de son mari et son fils. Elle me fit promettre de venir à la maison, dîner un soir avec Théo.

Évidemment, j'avais esquivé. Comment aurais-je pu dire oui ? Théo ne voulait plus avoir à faire avec moi et revoir Jay me semblait... impossible.

Cette discussion avec Jeanne me bouleversa. Je finis ma journée dans un état second, l'esprit encore concentré sur les mots qu'elle avait prononcés.

Confiance. Haute estime. Mentor.

Les jours suivants, ces mots me donnèrent envie de vomir. La colère revint à la charge, mais plus seulement dirigée vers le porc ou Jay, mais vers moi également. Moi qui n'avais pas compris à quel point j'étais dans l'erreur depuis le début.

Je ne représentais pas une figure paternelle ou un modèle pour Jay, j'étais tout à fait autre chose. Et les parents de Jay étaient à mille lieux de l'imaginer. Et pourquoi ? Parce qu'à aucun moment, il ne pouvait m'associer avec leur fils. Moi, un adulte de vingt-cinq ans avec Jay, un jeune de dix-sept, qui aurait bientôt dix-huit. Le problème, ce n'était pas l'âge de Jay, ce n'était pas le fait qu'il soit mineur, non, le problème, c'était nous deux. Notre âge à nous. Cette différence qui nous plaçait dans des tranches de vie totalement différentes. Nous éloignant si bien que personne ne pouvait nous lier.

Jay est encore dans la phase de l'adolescence où il découvre le monde, que ce soit la sexualité, le travail ou les responsabilités. À cet âge, on découvre ce qui est bien et ce qui est mal. On essaie des choses, on repousse les limites, on idéalise des concepts qu'on ne comprend pas tout à fait. On a des convictions.

Je n'en étais plus là.

À l'époque, oui, j'avais été comme Jay, enchainant des histoires éphémères, facilitant le sexe facile et sans conséquences. Ce cercle vicieux dura une partie du lycée et même après mon intégration au conservatoire.

Jusqu'à ce que je rencontre Thomas. Mon premier véritable amour. Après sa trahison, j'avais laissé mon cœur se reposer, ne m'inquiétant plus d'avoir des relations suivies. Le problème avec les coups d'un soir, c'était qu'ils te mettaient face à ta solitude.

Jay avait fracassé toutes mes habitudes et ravivé un panel d'émotions. Grâce ou à cause de lui, j'avais laissé de côté mon tempérament raisonnable et fermé pour vivre pleinement mes sentiments et mes espoirs.

Inconsciemment, je m'étais senti lié à lui ; son parcours de vie avait fait écho au mien.

J'avais eu, moi aussi, ce comportement rebelle et inconscient. J'avais fait mes erreurs, j'avais compris où étaient mes limites, quelles étaient mes valeurs personnelles.

Jeanne avait raison. J'aurais dû être un mentor pour Jay, un professeur de danse et rien de plus. J'aurais dû l'aider, le soutenir, mais certainement pas tomber amoureux de lui. Je n'aurais pas dû lui faire confiance, car à présent, je me retrouvais une fois de plus trahi et le cœur en souffrance. 

J'acceptais la réalité et je pris deux décisions. L'une concernant ce Frédéric et l'autre concernant ma relation avec Jay.

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