Chapitre 37 : Roman

Faire les cent pas dans mon salon me permit de faire redescendre la colère. C'était bien, je n'avais plus envie de frapper ou de briser quelque chose. En revanche, une fois cette émotion atténuée, elle laissa toute la place pour la douleur.

L'eau ne coulait plus dans la salle de bains, Jay avait certainement fini. Je soufflais un bon coup, sachant que je devrais le retrouver, le réconforter même. Son état était critique, je ne voulais pas qu'il reste ainsi. Après avoir raccroché avec le patron du club, je me sentais mieux, il n'y aurait plus aucune possibilité pour Jay de continuer ses conneries. J'avais fait confiance alors même que je connaissais son tempérament rebelle et têtu. J'avais fait confiance et tout ça pour me rendre compte que je n'avais droit qu'à des mensonges.

Un bruit dans ma chambre m'interpella et je décidai que je devais taire la douleur au moins pour ce soir. J'aurais tout le temps de discuter avec lui demain. À tête reposée, le cœur peut-être moins en miette qu'à cet instant.

Je retrouvais Jay blotti sur mon lit, les draps toujours bien faits. Il n'avait rien dérangé, s'était contenté de s'allonger sur le côté, la tête sur l'oreiller. Ma poitrine se serra si fort à cette vue. En quelques enjambées, je le rejoignis pour m'allonger à mon tour près de lui et le prendre dans mes bras. Il ne pleurait plus, mais ses yeux étaient gonflés, son nez et ses joues rouges lui donnaient un air si triste.

Alors qu'il vint se plaquer à mon torse, je remarquais qu'il portait mes affaires, un pull et un survêtement quelconque, exactement comme moi à l'instant. Mon odeur était sur lui, cela me plut autant que j'en eus mal. Je refusais de laisser les images de lui dans ce box s'infiltrer dans mon esprit, je ne voulais pas l'imaginer, me représenter la scène. Ça faisait trop mal, ça réveillait la rage et la douleur.

Jay renifla doucement, me tirant de ma réflexion.

—   Je suis désolé, Roman.

—   On en discutera demain, dors maintenant, répondis-je.

—   Je voulais pas te mentir, j'ai été con, c'est tout, continua-t-il d'une voix fragile. Je voulais cet argent pour l'année prochaine, j'ai pas pensé à mal. Je suis désolé.

J'entendais parfaitement la vulnérabilité dans sa voix, à cet instant, Jay était fragile, dans un état précaire. Je ne l'avais jamais vu aussi... éteint.

La peur prit naissance au fond de moi, instillant un sentiment étrange. Que serait-il advenu si Jay n'avait pas pu s'échapper ? S'il avait dû subir plus d'attouchements ? Je ne savais pas exactement ce qui s'était passé, uniquement ce que Jay racontait, et honnêtement, j'avais du mal à croire en ses paroles à présent. Peut-être me cachait-il plus... Cette possibilité m'effraya.

De tels événements ne pouvaient pas être pris à la légère, c'était grave, cela marquait. Le corps comme l'esprit. Et Jay était si jeune, malgré son fort caractère, ce n'était pas tout à fait un adulte. Comment vivrait-il cette expérience néfaste ? J'avais voulu le protéger et voilà le résultat.

Incapable de prononcer un mot, je laissais le silence envahir ma chambre. Je tendis une main pour éteindre la lumière et l'obscurité nous engloutit soudainement. Jay soupira fortement contre moi et resserra sa prise sur mon pull.

—   Je suis désolé, répéta-t-il encore.

Il n'y avait rien à dire, je n'étais pas prêt à l'écouter, à accepter ses excuses, encore moins à pardonner. Jay venait de me trahir. Et si cet événement affreux ne s'était pas produit, jamais je n'aurais su que Jay pouvait mentir aussi bien, avec un tel aplomb, sans gêne, ni culpabilité. Comme s'il n'éprouvait aucun remord, aucune conscience. Comme si sa promesse ne signifiait rien.

Ou alors peut-être était-ce moi qui ne représentais rien à ses yeux. Me serais-je trompé sur cette lueur dans ses prunelles ? Finalement, je me mis à douter. Sa jeunesse l'empêchait peut-être de prendre notre relation au sérieux ; comme moi, je le faisais. Je ne jouais pas. Pour Jay, je n'étais sans doute que sa fréquentation du moment, ni plus ni moins.

Le sommeil emporta Jay après plusieurs minutes, tandis que je me battais avec mes ruminations. Toute la nuit, sans relâche, je m'obligeais à réfléchir à ce qui s'était passé, à ce que je devais faire. Comment devrais-je réagir lorsque le soleil se lèverait, lorsque ses rayons illumineraient non seulement cette chambre, mais également la situation ? Lorsque la trahison sera révélée au grand jour sans plus aucune barrière, sans être camouflée. À ce moment-là, je devrais avoir pris une décision sur le comportement à adopter envers Jay.

*

Je dus m'assoupir à un moment donné, fatigué par mes réflexions incessantes. Le bruit de la douche me réveilla. Jay ne se trouvait plus à mes côtés, j'en déduisis qu'il se lavait, encore. Je grimaçais pour chasser la bile qui me montait à la gorge.

Comprendre que Jay se sentait peut-être sale après ce qu'il lui était arrivé me donnait la nausée. Surtout à cause de ce que je lui avais dit, insinuant que c'était sa faute... j'avais été si en colère. Furieux, même. Je ne pensais pas une telle chose, je savais qu'il n'y était pour rien, simplement ses décisions l'avaient amené à cet événement. Chaque décision entraîne des conséquences, bonnes ou mauvaises, cela ne signifie pas qu'elles sont méritées.

La colère, toujours là, tapie au fond, sourde, mais prête à resurgir, me fit comprendre que je ne pourrais pas passer au-dessus. En revanche, je pouvais rattraper mes erreurs, m'excuser pour les mots qui avaient dépassé ma pensée.

Je me levai pour taper à la porte de la salle de bains.

—   Oui ? entendis-je Jay répondre.

—   Est-ce que ça va ?

Un silence.

—   Jay ?

—   Oui, oui, ça va. Je sors, tu pourras bientôt l'utiliser, indiqua-t-il comme si je ne m'inquiétais que de prendre ma douche.

—   Je vais nous préparer à manger.

—   D'accord, souffla-t-il.

J'aurais aimé voir son visage. Quand bien même je souffrais et je lui en voulais, j'avais peur pour lui et son état mental. Je préparai du café et sortis les biscottes ainsi que le Nutella. Je savais qu'il adorait ça et la nourriture avait le don de réconforter les gens. Le cœur serré, je déposai la bouteille de jus de fruits avant de sursauter comme un malade par le tambourinement violent à ma porte d'entrée.

Sans que je n'aie pu faire un geste, elle s'ouvrit à la volée. La première pensée fut que je ne l'avais pas fermé à clé la veille, ce qui ne m'arrivait jamais. Puis la deuxième fut plus violente. Qui diable entrait chez moi ainsi ? Le corps tendu, je sortis de la cuisine pour me retrouver face à un Théo très, très en colère.

—   Il est là ? rugit-il.

Devant cet éclat, j'eus un mouvement de recul.

—   Jay est ici ? cria-t-il plus fort avant de me contourner pour se diriger d'un pas rageur vers la chambre.

Cela me secoua et je le suivis rapidement.

—   Théo, l'interpellai-je en le rattrapant.

—   Où il est ?!

À ce moment-là, la chasse d'eau attira son attention sur la salle de bains et son visage devint aussi rouge qu'une putain de tomate. Il me poussa violemment pour ouvrir la porte d'où venait le bruit. Jay, en caleçon, sursauta d'un bond, les yeux écarquillés.

—   Théo ? s'étonna-t-il avant de me jeter un coup d'œil.

Son regard était presque... accusateur. Pensait-il que j'avais appelé son frère ? Putain, quelle idée !

Mais en fin de compte peut-être aurais-je dû. Dès le départ, j'aurais dû tout raconter à Théo, à son grand frère. Voilà mon erreur. La plus grosse erreur de ma vie. Lui dire la vérité sur Jay travaillant dans ce foutu club m'aurait évité toute cette merde. Pas d'attirance, pas de problème de désir, pas de confiance à accorder, pas de trahison.

—   Qu'est-ce que tu fous là ? s'égosilla Théo.

—   Quoi ?

—   Putain, mais t'es con ou tu le fais exprès ? Les parents sont morts d'inquiétude ! T'es pas rentré cette nuit et tu n'as prévenu personne ! Ils sont à deux doigts d'appeler la police et toi t'es là à roucouler avec... lui ! cracha-t-il en me montrant d'un geste de la main.

—   Théo, je-

—   Tu sais ce que tu risques s'ils contactent la police ? me coupa-t-il durement.

Oh merde.

Les emmerdes s'accumulaient. J'en avais tellement marre. Je fermai les yeux avec force, soufflant le peu d'air qu'il me restait encore dans les poumons. La pression mettait mes nerfs à vif et je n'en supporterais pas davantage.

—   Je... je suis désolé, j'ai oublié, tenta Jay, visiblement chamboulé.

—   T'as oublié ? éclata Théo. Mais tu te fous de ma gueule, là ?

Tout à coup, mon ami se tourna vers moi, le regard noir et me poussa avec force. Le geste soudain me surprit et l'impact me déséquilibra, si bien que mon dos heurta violemment le mur du couloir.

—   Qu'est-ce que je t'avais dit ? Tu ne le touches pas !

—   Je...

Aucun mot de plus ne sortit. Théo m'envoya un coup brutal dans la mâchoire. Le choc fit claquer toutes mes dents. Putain, ça réveillait !

—   Théo ! hurla Jay en se précipitant entre nous.

—   Va t'habiller, on dégage d'ici, ordonna-t-il en réponse.

—   On a rien fait de mal, se défendit Jay en poussant son frère pour qu'il s'écarte de moi.

Ma bouche fut momentanément incapable de parler, trop occupée à reprendre vie sous le choc qu'elle venait de subir. Eh bien, finalement, je l'avais eu ce coup-de-poing dans la gueule.

— Toi tu as fugué et lui il t'a hébergé sans autorisation ! Si en plus vous baisez, vous cumulez tous les délits possibles alors je veux rien savoir ! On rentre chez les parents, ils sont dans tout leur état ! Ça t'aurait tué d'inventer un de tes putains de bobards pour t'envoyer en l'air, hein ?

Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. La coupe était pleine, mon cœur explosa, mon cerveau disjoncta.

—   Ça suffit ! m'emportai-je. Ferme ta gueule pour une fois ! Tu t'es pas dit une seule seconde que si ton frère n'était pas rentré, c'était pour une bonne raison ?

—   Quel genre de raison, bordel ? rétorqua Théo qui s'approcha à nouveau de moi, l'air menaçant.

Jay tenta de le retenir, mais je n'avais qu'une envie, c'était qu'il s'écarte et que je puisse me défouler. La rage courait dans mes veines, elle ne demandait qu'à s'exprimer.

—   Qu'est-ce que tu crois ? Que je l'ai manipulé pour qu'il fasse le mur ? Pour qu'il passe la nuit ici sans le dire à ses parents afin de pouvoir le baiser ? Tu t'imagines que je suis une ordure ? éclatai-je.

Les yeux brillants de Jay se tournèrent vers moi avec surprise, son visage était perdu dans la panique du moment.

—   T'es une putain d'ordure, Roman ! confirma Théo en me pointant du doigt. Et si jamais je te vois encore tourner autour de mon petit frère, je t'éclate la gueule, c'est clair ?

—   Non ! s'interposa enfin Jay. Tu n'as pas ton mot à dire, c'est ma vie ! J'ai le droit d'être avec qui je veux, on ne fait rien de mal et Roman est quelqu'un de bien, tu peux pas l'accuser comme ça !

—   Ce n'est pas quelqu'un de bien, Jay, c'est un manipulateur et tout ce qu'il veut de toi, c'est ton cul, affirma Théo avec dégoût.

—   Sors d'ici ! Dégage de chez moi, ordonnai-je, le corps en feu.

Théo me regarda, le visage tordu par la colère, les yeux fous de rage. Nous devions nous ressembler à cet instant, aussi perdus l'un que l'autre dans une colère noire.

—   Jay va t'habiller, commanda-t-il une nouvelle fois.

—   Non, je ne pars pas. On fait rien de mal ensemble, c'est pas à toi de décider, s'obstina Jay d'un ton catégorique.

—   Écoute ton frère, Jay, pars, conseillai-je.

Jay pivota d'un bloc vers moi, interloqué par mes propos. C'était sorti, j'avais dit les mots, pris ma décision. Mon cœur battait irrégulièrement dans ma poitrine, manquant de me faire défaillir, seule la fureur me permettait encore de tenir debout.

—   Rentre chez toi, et parle-leur de ce qui s'est passé, exigeai-je fermement.

—   Mais...

—   Parle-leur, le coupai-je. C'est fini tous ces mensonges. C'est fini.

*

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