Chapitre 36 : Roman
La vision de Jay dans cet état me secoua. Son corps entier était parcouru par des tremblements, ses larmes reflétaient son regard hagard et choqué, dans une expression de choc que je ne comprenais pas. Ou que je n'avais pas compris, jusqu'à ce qu'il parle, qu'il m'explique. À mesure que les mots s'écoulaient, mon corps me faisait mal.
La rage atténua la douleur des révélations, elle engourdit la souffrance de sa trahison pour me faire littéralement péter un câble. Lorsqu'il m'avoua que le client avait osé poser la main sur lui, insistant bien que Jay ait refusé, j'explosai :
— Putain, je vais le tuer ! criai-je en me levant.
Jay sursauta et s'enfonça dans le canapé. Sa réaction aggrava ma colère.
— Pourquoi tu me l'as pas dit tout de suite ! Je lui aurais fait passer l'envie de te toucher ! Comment il s'appelle ? Je vais appeler le club, il doit plus jamais remettre les pieds dans cet endroit !
— Fred-Frédéric.
— C'est quoi son nom de famille ?
Mes doigts craquèrent tellement je serrai les poings, mais je ne pouvais pas faire attention à tous ces détails qui fusaient, piétinaient mon cœur. Jay connaissait ce client, il avait dit « la dernière fois » donc il avait déjà fait des shows privés pour lui. Les souvenirs de l'anniversaire de Théo me revinrent, Jay avait été dans un box avec un homme. Parlait-il de cette fois-là, ou d'une autre encore ? Et le fait qu'il connaisse son prénom en disait long, ce connard avait voulu tisser un lien avec Jay ? Comme s'ils étaient quoi ? Amis ?
— Je ne sais pas, souffla doucement Jay.
J'imaginais Jay danser pour un mec, se trémoussant comme je savais qu'il en était capable, j'imaginais son corps frôler celui d'un autre, essayant de l'aguicher. J'imaginais Jay se déshabiller et des mains le toucher. Comment pouvais-je retrouver ce porc ?
Les mots de Jay bombardaient mon esprit et je m'alarmais tout à coup.
— Est-ce qu'il a... il t'a agressé ? demandai-je, la sueur perlant sur mon front.
— Non. Enfin... il a été un peu... agressif, mais j'ai fini par réussir à sortir du box.
« J'ai fini par réussir... ». Cette phrase déclencha un sursaut de terreur en moi. Voulait-elle dire ce que j'imaginais ?
— Il a été violent oui ou non ?
Au lieu de me répondre, Jay se recroquevilla sur lui-même, m'apprenant tout ce que je voulais savoir. C'était une agression sexuelle !
— Je vais le buter, tonnai-je avec fureur.
— Il a juste été oppressant, m'expliqua Jay, d'une voix frêle. Il pensait que c'était ce que je voulais, il a pas compris pourquoi j'ai dit non alors il s'est un peu énervé et... il a insisté, mais il s'est rien passé de plus.
— De plus ? criai-je. C'est déjà de trop ! Il a pas le droit de te toucher !
Et je ne disais pas ça uniquement parce que dans un show de strip-tease, le contact ne se faisait qu'avec les yeux habituellement. Non, je disais ça parce que personne n'avait le droit de le toucher comme s'il était une chose ! Et bordel, mon cerveau chauffa sous les scénarios.
Jay avait sciemment accepté un show privé, dans un box qui plus est ! Ce qui voulait dire que la danse était près du corps et qu'elle finissait dans une nudité totale. Savoir cela me fit voir rouge. Si rouge que la colère dériva sur Jay, faute d'avoir cette ordure sous les yeux.
— Qu'est-ce que tu foutais là-bas, putain ! hurlai-je tout à coup.
— Je suis désolé, s'étrangla Jay, les yeux brillants.
— Désolé ?! Désolé de quoi ? De m'avoir menti depuis le début ? D'avoir accepté de faire une danse privée, complètement nu !
Il n'y eut plus aucune trace d'ambre dans le marron de ses prunelles, tout devint triste et opaque. Jay blêmit littéralement, les larmes atteignant la surface.
— Je comptais arrêter après ce soir, annonça-t-il, comme si cela changeait les choses.
— On était d'accord ! Je t'embauchais et tu quittais ce club pourri ! Tu as accepté et je t'ai fait confiance !
La réalisation de ce fait me glaça le sang. Oui, j'avais fait confiance.
— Putain, je t'ai fait confiance, soufflai-je, les poumons comprimés.
— Roman, je suis désolé.
— Tu n'as donc aucune notion des réalités ? Aucun sens moral ? Pour toi, les promesses ne signifient rien, c'est ça ?
— Non...
Jay s'étouffa sur ce mot, il secoua la tête et serra un coussin contre son ventre au point d'en avoir les phalanges blanches. Je voyais la panique dans ses yeux, mais la colère et la souffrance se battaient en duel dans mon corps, partagé entre les deux, je perdais les pédales.
Depuis le début, j'avais été pris pour un con, il m'avait manipulé, envoûté pour mieux me cacher la vérité. Pour me mentir jour après jour, droit dans les yeux. Sans réaliser qu'il me trahissait et qu'il se mettait en danger.
— Tu es inconscient ! vociférai-je. Je t'avais prévenu que c'était dangereux, que tu ne pouvais pas faire un tel travail ! Le monde réel, c'est autre chose que ton idéal à la con ! Tu ne fais pas strip-teaseur juste pour empocher sans aucune conséquence ! Tu t'imaginais que c'était de l'argent facile ? Faire pute aussi, tu sais ? Mais le danger va avec ces métiers ! explosai-je davantage. Sinon tout le monde tapinerait ! Et toi, tu es là à me dire que tu voulais de l'argent, que tu as accepté de te foutre à poil devant un pervers en agitant ton cul juste pour deux cents euros !
Perdu dans la fureur, je fonçai vers l'entrée, attrapai mon portefeuille et récupérai tout l'argent que je trouvais à l'intérieur. D'un geste rageur, je balançai les billets vers Jay.
— Tiens, prends ton foutu argent !
Jay regarda les billets voler dans les airs pour retomber éparpillés sur le canapé et le sol. Il en prit un lentement, le froissant dans un de ses poings serrés.
— Je te les paierai tes deux cents euros si c'est ce que tu veux, ça t'évitera de mentir à tout le monde, de me trahir et de te mettre en danger !
— Je savais pas ! hurla Jay en retour, son expression désespérée.
— Tu ne savais pas quoi ? Je t'ai prévenu !
— Mais... je comptais pas faire ça, je... c'était juste de la danse.
Les larmes maculaient ses joues et il frotta son nez rouge d'un revers de manche. Mon cœur se brisait en mille morceaux. Je le voyais là, engourdi dans le choc, perdu et dévasté... et je ne pouvais rien y faire.
— Je suis désolé, répéta-t-il une fois de plus. J'ai merdé, mais ça n'aurait pas dû se passer comme ça. Je devais juste danser comme d'habitude et rentrer chez moi.
— Mais putain, qu'est-ce que tu t'imagines ! Les box privés sont privés pour une bonne raison ! Ils permettent la nudité et le sexe qui est normalement interdit. Ce genre de club, c'est la porte ouverte au proxénétisme, Jay ! Tu crois que je voulais t'éloigner de ça juste pour te faire chier ?
Jay secoua la tête avec plus d'ardeur et remonta ses genoux contre son torse, le coussin toujours coincé entre les deux. Il se ratatinait sur lui et ma rage bouillonnait à le voir si vulnérable.
Ce putain de porc l'avait atteint d'une façon qui venait de le marquer au plus profond de lui. Quand bien même ce n'était pas un viol, c'était une agression sexuelle. Il l'avait touché sans son consentement parce qu'il avait supposé que c'était dans son bon droit.
Et je n'arrivais pas à me sortir de la tête que c'était à cause de Jay et de son entêtement à garder ce travail. S'il m'avait écouté, s'il avait tenu sa promesse, jamais il n'aurait été agressé ainsi. Jamais personne ne l'aurait touché sans sa permission. L'amertume me brûla la gorge.
Un sanglot déchira le silence du salon pour me broyer un peu plus. Jay mit sa tête entre ses bras et chuchota quelque chose que je n'entendis pas.
— Quoi ? demandai-je alors.
Il répéta, toujours aussi faiblement et je me rapprochai pour tendre l'oreille.
— Je n'entends pas, Jay.
— Arrête de crier, s'il te plaît.
Abattu, je finis assis au sol, sur mon tapis. Une main frotta mon visage, essayant de reprendre le contrôle de mon corps tremblant de colère.
— Je voulais pas ça. Je voulais rien de tout ça, geignit-il entre ses bras.
Je le vis tressaillir et je ne pus le supporter davantage. Grimpant sur le canapé, je l'entourai de mes bras. Jay ne résista pas, il se coula contre moi et en moins de temps qu'il n'en faut pour inspirer, il se mit à pleurer avec force. Tout son corps tremblait contre moi.
— Ça va aller, Jay.
— Je voulais pas que ça se passe comme ça, je savais pas, je te le jure.
— D'accord, dis-je pour l'apaiser.
— Je savais pas qu'il voulait ça de moi, j'aurais jamais accepté, je veux pas faire ça.
Entendre ça me ravageait. Comment deux émotions pouvaient-elles être aussi contradictoires ? La colère et la compassion me divisaient en deux. Je me sentais écartelé. Je voulais hurler ma souffrance et en même temps, j'avais besoin de le réconforter, de lui dire qu'il était en sécurité à présent.
— C'est fini, n'y pense plus, il ne posera plus jamais la main sur toi, lui assurai-je.
Jay se rapprocha ou plutôt il gigota pour se presser contre mon torse alors même qu'il était déjà collé à moi. Ses pleurs se tarirent peu à peu. Je sentais ses doigts s'accrocher à mon pull avec désespoir. Le silence s'étira et m'imprégna. Si seulement il pouvait me délivrer une forme de calme...
Au bout d'un long moment, Jay chuchota à nouveau et je dus lui demander de répéter plus fort.
— Je peux prendre une douche, s'il te plaît ?
La question m'anéantit. Je devinais l'état d'esprit de Jay, le pourquoi de cette requête et j'avais envie de frapper quelque chose. Ce Frédéric de préférence.
— Bien sûr, répondis-je.
Jay se releva lentement et essuya ses joues rapidement, le regard fuyant. Je me levai et tendis la main vers lui pour l'aider à se mettre debout. Il connaissait ma salle de bains depuis le temps, alors je le laissai seul, le cœur lourd.
Mon esprit rejoua notre conversation et la colère guida mes gestes. Je pris mon téléphone et tapai rapidement une recherche puis un numéro.
— Intimi Club, que puis-je faire pour vous ? salua une voix sensuelle de femme.
— Bonsoir, j'aimerais signaler un incident qui a eu lieu dans votre établissement ce soir.
— D'accord, je vous écoute, Monsieur, déclara la voix d'un ton hésitant.
— Un client, prénommé Frédéric a fait une réservation pour un show privé dans un box, aux alentours de minuit. Je ne connais pas son nom de famille, mais il avait rendez-vous avec un de vos danseurs, Jay. Au cours de la prestation, le client a osé le toucher de façon inappropriée et sexuelle.
— Excusez-moi, Monsieur, mais puis-je savoir à qui j'ai affaire ?
— À la police prochainement si vous ne m'écoutez pas jusqu'au bout, grognai-je. Ce client l'a agressé sexuellement et je veux savoir son nom de famille.
— Je ne peux pas vous communiquer une telle information, c'est confidentiel.
J'eus envie de hurler à pleins poumons. Mon cerveau s'anima avec ferveur puis j'eus une illumination.
— Je veux parler au patron immédiatement.
— Monsieur...
— Non, la coupai-je. Passez-moi le patron où j'appelle la police. Pas sûr qu'il soit heureux d'apprendre que vous êtes la cause d'une descente dans son club.
Un silence suivit puis elle me demanda de patienter. Ce ne fut pas très long avant que le patron ne réponde d'une voix bourrue :
— À qui ai-je l'honneur ?
— Une personne qui souhaite vous avertir de deux choses. Premièrement, votre danseur prénommé Jay est mineur, le faire travailler est un délit. Et deuxièmement, ce soir, il a été agressé sexuellement par son client lors d'un show dans un des box parce que vous autorisez ce genre de débordement. Alors écoutez-moi bien, si vous ne me donnez pas le nom de son client, je vous accuse, vous, pour proxénétisme.
— Enfin, mais de quoi parlez-vous ! s'emporta le patron.
— Vous le savez très bien, je vous laisse une chance. Je ferme les yeux sur votre implication si vous renvoyez Jay et que vous me donnez le nom de ce client.
— Je ne peux pas faire ça, gronda-t-il.
— Bien, vous irez vous expliquer à la police alors !
— Attendez ! C'est d'accord.
Il était certain que j'aurais ce nom de famille.
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