Chapitre 30 : Roman

— Non ! répondis-je aussitôt.

— Non ?

Théo plissa les yeux dans une expression clairement douteuse, il ne me croyait pas. La catastrophe s'amplifiait.

— Comment ça non ? Me raconte pas de conneries, Roman, je te connais ! Et Jay est un sacré dévergondé.

Il finit sa phrase en écarquillant les yeux de façon presque comique avant de se pincer les lèvres, grimaçant ostensiblement.

— Oh merde, je viens d'avoir des putains d'images dans la tête, grogna-t-il, les yeux fermés.

— J'ai pas couché avec Jay, d'accord ?

Lorsque mon ami braqua à nouveau son regard sur moi, je fus perplexe de voir une expression aussi... confuse. Visiblement, cette conversation le dépassait. Perdu entre la contrariété, la surprise, l'incompréhension, Théo ne savait plus comment réagir. Moi, tant qu'il ne me foutait pas son poing dans la gueule, ça m'allait.

— Et dire qu'il m'a offert un gode rose à mon anniversaire ! Et que tu lui as demandé le site ! s'exclama-t-il en plissant ses yeux colériques.

— Théo, arrête avec ça...

— Arrêter ? Comment veux-tu que je passe outre ce détail ? Même si vous n'avez pas encore couché ensemble, ça ne saurait tarder, non ? Et c'est mon petit frère, nom de Dieu ! C'est... je trouve plus les mots.

— Je sais, soupirai-je, c'est bizarre.

— C'est plus que bizarre ! C'est carrément ignoble ! Je connais des trucs sur toi et tes... goûts. Et je connais des informations sur la vie sexuelle de Jay maintenant que j'ai eu cette fameuse conversation et voilà que je vais me mettre à mélanger les deux et...

Mon ami ferma les yeux en même temps que ses poings, comme si ça pouvait interrompre le fil de ses pensées. 

— Jure-moi que vous n'avez rien fait, quémanda-t-il entre ses dents serrées.

Les yeux chocolat de mon ami rencontrèrent le gris des miens et je me mordis la langue. Putain, comment lui répondre ? Bon, je n'étais pas obligé de tout dire non plus, nous avions droit à notre intimité, non ?

Après tout, c'était notre vie privée, être honnête c'était bien, ça n'impliquait pas nécessairement d'être transparent. À cause de mon cheminement de pensées trop long, Théo déduisit l'inévitable.

— Qu'est-ce que vous avez fait ? gronda-t-il tout à coup.

— Putain, Théo ! Ne rends pas la situation encore plus gênante !

— J'arrive pas à croire qu'on parle de mon petit frère ! rugit-il. Qu'il couche avec ses petits-copains du lycée, ok, soit, mais pas avec un mec de vingt-cinq ans ! Qu'est-ce qui te prends ? Est-ce que tu te rends compte que c'est... immoral. Interdit, déclara-t-il comme une sentence.

— Ce n'est pas...

— Tu l'as touché ?

J'inspirai fortement pour calmer mon rythme cardiaque avant de répondre avec toute l'assurance dont j'étais capable :

— Je pense que l'on peut éviter ce sujet délicat, d'accord ? Pour ta tranquillité d'esprit et la mienne. C'est... personnel.

— Il n'y a rien de personnel si tu touches à ma famille, tonna-t-il à nouveau, le regard noir.

— Je n'ai pas couché avec, répétai-je.

— Et que dois-je comprendre ? Désolé, mais vu ton silence de tout à l'heure, je dirai que tu ne t'es pas contenté de le regarder dans le blanc des yeux.

Son sarcasme trahissait sa colère grandissante. Je devais impérativement désamorcer cette émotion.

— Je voulais simplement être honnête avec toi parce que tu es mon ami. C'est vraiment bizarre pour moi aussi, mais le plus important c'est que tu saches que je suis sérieux, j'aime vraiment beaucoup ton frère, d'accord ? Ça n'a rien à avoir mes autres... aventures.

J'étais plutôt fier de mon discours, c'était ce que j'avais voulu dire dès le départ.

— Sérieux comment exactement ? Parce que je veux bien te croire quand tu dis que c'est pas une histoire de cul, en tout cas j'espère pour toi parce que sinon...

— Ça ne l'est pas, le coupai-je rapidement.

— Alors c'est quoi ? Tu as des sentiments pour lui ?

La question me prit au dépourvu. Elle raisonna en moi et je ne vis aucune raison de mentir ou de nier.

— Oui. Oui, j'ai des sentiments pour Jay, confiai-je alors.

Théo poussa un long soupir en secouant la tête.

— Je rêve, marmonna-t-il pour lui seul. Un putain de cauchemar.

— S'il te plaît Théo, ne m'en veux pas, je suis déjà assez perturbé et je n'ai pas envie que tu penses que j'ai profité de la situation avec Jay.

— Mec, c'est exactement ce à quoi ça ressemble, ok ? rétorqua-t-il d'une voix forte. Franchement, j'ai du mal à comprendre comment c'est possible. 

— Il ne se passera rien entre nous tant qu'il n'est pas majeur, assurai-je. Je ne veux pas d'ennuis avec tes parents.

— Mes parents ? s'étonna-t-il. Qu'est-ce qu'ils viennent faire là ?

— Je... pensais que tu les mettrais au courant.

Ma phrase le choqua, si bien qu'il resta figé un moment les yeux ronds comme des soucoupes. Était-ce si farfelu ?

— Mais ça va pas la tête ? T'es complètement dingue, mes parents ne doivent jamais savoir ce que tu fabriques avec Jay ! Ils savent qu'il commence à... explorer sa sexualité, il a dix-sept ans, ils ne sont pas stupides, mais mes parents pensent que c'est avec un gentil garçon de sa classe, pas avec des inconnus d'appli ! pesta-t-il. Alors imagine s'ils découvrent qu'il sort avec un gars plus vieux et quelqu'un qu'ils connaissent en plus ! Non, impossible, conclut-il en secouant vivement la tête.

Ok, j'étais plus que d'accord avec son inquiétude, moi-même j'étais totalement paniqué à l'idée que ses parents le découvrent.

— Personne ne va rien dire à mes parents et tu vas garder ta queue dans ton pantalon tant qu'il n'a pas l'âge légal.

— Il a l'âge légal, ne pus-je m'empêcher de rectifier.

— Pardon ? fulmina-t-il, son visage affichant à nouveau cette froideur implacable.

Mon cœur remonta dans ma gorge en sentant la tension grimper en flèche. Théo passait d'un état à l'autre trop rapidement. Alors que je pensais qu'il le prenait relativement bien, il se mettait en rogne !

Impossible de reculer, je devais exposer les faits, la vérité, la loi afin qu'il comprenne la situation. Je n'avais pas envie de mentir, le sujet était grave et il pouvait tout aussi bien décider de me mettre dans la merde si je déconnais. Je tenais à notre amitié.

— Techniquement, la majorité sexuelle c'est quinze ans, énonçai-je le plus posément possible.

— Et techniquement un homme de vingt-cinq ans n'est pas attiré par un gamin donc techniquement sa majorité sexuelle c'est... jamais pour toi ! beugla-t-il, le visage rouge.

L'adrénaline commençait à faire des ravages dans mon corps. J'avais envie de hurler. De lui crier que personne n'avait le contrôle sur ses attirances ! Ni sur ses sentiments !

— Tu ramènes tout au sexe, moi, je te parle de relation, Théo. 

— Ça me dégoûte de vous imaginer ! s'emporta-t-il. Si j'avais su que tu étais capable de... jamais je n'aurais accepté qu'il travaille pour toi ! D'ailleurs, je suis certain que c'est illégal d'entretenir une relation avec son employé s'il est mineur, non ?

Je ne répondis pas. Dépassé par la situation, je m'enlisai à vue d'œil. Théo m'observa puis ayant déchiffré mon silence, il fit un pas en arrière, le corps raide. Les muscles de sa mâchoire tressautaient violemment et je me préparai à recevoir un coup.

— Ok c'est beaucoup trop pour moi, je me tire avant de te refaire le portrait.

Il récupéra son téléphone sur le fut et me tourna le dos pour partir. L'acide dans mon estomac envahit subitement ma gorge. J'attrapai in extremis son bras pour le retenir.

— Théo, attends ! priai-je.

Mon ami pivota en se dégageant violemment.

— Ne me touche pas, Roman. Laisse-moi partir parce que je... j'ai pas envie de dire ou faire des trucs que je regretterais.

Sans attendre ma réponse, il se détourna et disparut dans la foule animée qui nous entourait. Le cœur en miette, je restai un moment figé au milieu de l'effervescence.

*

Cette dispute me m'empêcha de fermer l'œil de la nuit et le lendemain lorsque j'arrivai au studio, Estelle remarqua ma mine abattue. Elle me demanda comment j'allais, mais je fus incapable de lui servir autre chose que des mensonges.

Même en ayant prédit sa colère, je me sentais bouleversé par la situation. Et cela m'avait un peu refroidi, pour autant je n'avais pas envie de revenir sur mon choix, cela blesserait tellement Jay de me voir reculer encore. Il ne méritait pas une telle indécision. 

De plus, j'avais promis de lui faire confiance, de ne pas me laisser envahir par cette peur tenace. Rester méfiant oui, mais pas terrorisé, pas handicapé par l'inquiétude du « et si ».

L'intimité avec Jay s'établirait avec respect et bienveillance. Ce qui s'était passé entre nous avait réveillé une avidité irrépressible. Alors comment ne pas avoir envie de l'autre, de l'être aimé ? Comment refouler un désir qui prenait racine dans le cœur ?

J'allais me tenir à ce qui était prévu, je ne coucherais pas avec Jay avant qu'il ait dix-huit ans, cependant je ne me priverais pas d'une intimité avec. Lui faire confiance était crucial et je comptais sur lui pour ne jamais me trahir.

En pensant à lui, je redoutais ses questions sur ma confrontation avec son frère. Mon regard se tourna vers l'horloge de la salle 2 qui afficha dix-sept heures cinquante et je mis fin à ma séance avec quelques minutes de retard. 

Jay devait être arrivé, pourtant, il n'était pas venu assister à la fin du cours, ce qui était inhabituel. Mes élèves se précipitèrent aux vestiaires et tandis que je rejoignais mon bureau. Depuis peu, il m'y attendait pour qu'on puisse se dire bonjour convenablement avant qu'il commence sa tournée nettoyage et moi mes cours du soir.

Je le trouvai dans mon bureau, assis sur le fauteuil près de la fenêtre, le regard dans le vide.

— Jay ? l'appelai-je en fermant la porte derrière moi.

Ma voix le tira de sa réflexion et il porta le regard sur moi, me souriant faiblement.

— Salut, ta journée s'est bien passée ? dit-il doucement.

— Ça va et la tienne ?

Il hocha la tête, sans se départir de son sourire alors que je m'avançai vers lui. Je me penchai pour l'embrasser et il soupira profondément, ses mains attrapant mes bras comme s'il craignait que je ne m'écarte.

— Tout va bien ? m'inquiétai-je en le voyant aussi renfrogné.

— Je vais bien.

Son sourire s'affirma et ses épaules s'affaissant sur elle-même. J'allais insister, cependant, il continua :

— Surtout depuis que tu m'as embrassé, bébé, susurra-t-il.

L'espièglerie chassa son regard triste et je compris qu'il se cachait derrière les blagues pour fuir ses émotions. Ne voulant pas le brusquer et sachant que cela devait être en lien avec ma conversation avec Théo, j'entrai dans son jeu.

— Bébé ? répétai-je avec ironie en m'installant sur l'autre fauteuil.

— Quoi ? T'es trop vieux pour les surnoms en couple ? demanda-t-il en une moue adorable.

— Non... je ne crois pas.

Jay se leva pour se nicher entre mes jambes et je fus contraint de rejeter la tête en arrière pour garder le contact visuel.

— Tant mieux, mon petit cœur en sucre.

Un éclat de rire secoua tout mon corps. Fallait pas abuser, quand même !

— Bébé, ça suffit, inutile de tomber dans le gerbant, répliquai-je en rigolant.

— Ouf, c'était un test, soupira-t-il.

Jay se pencha sur moi pour m'embrasser.

— Et puis c'est plutôt moi qui t'appelle bébé, rectifiai-je.

— Hum, c'est vrai ça. Je trouve qu'on est mignon.

Sa bouche lécha ma mâchoire puis dériva jusqu'à mon point sensible derrière l'oreille.

— Je peux venir chez toi ce soir ? Juste quelques heures ? murmura-t-il en une proposition équivoque.

— D'accord, acceptai-je.

Mes bras l'entourèrent et ma main nicha sa tête dans le creux de mon cou. Jay se raidit un instant avant de se laisser aller. Les câlins aussi avaient de l'importance et je ressentais le besoin de le réconforter. 

Malgré ses mots et son attitude, je percevais son regard troublé. Sans doute avait-il peur de m'entendre dire que Théo n'approuvait pas notre relation, ainsi, il ne posa aucune question. Toutefois, nous ne pouvions pas faire l'impasse. Ce soir, je lui raconterai tout.

*

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