Chapitre 3 : Jay

Mon pauvre cœur allait me lâcher, c'était certain.

Le client et moi, nous nous engouffrâmes dans le box numéro trois, un garde se postait à l'entrée, comme l'avait dit le patron. Dès que j'avais aperçu Roman, mon cerveau avait cherché une échappatoire. Jim avait été plus que surpris de ma demande impromptue, mais un show dans un box me garantissait un camouflage nécessaire.

Son froncement de sourcils avait déformé son visage désagréablement, enfin, encore plus que d'habitude. Lorsqu'il avait voulu une explication, j'avais senti le malaise approcher. Je ne pouvais pas dire que je cherchais à me cacher. J'étais censé être majeur et donc la présence d'une connaissance dans ces lieux ne devrait pas provoquer cette tachycardie dans ma poitrine.

Donc, j'avais menti en disant que mon client était prêt à vouloir plus, insinuant la possibilité de services en « extra ». Il s'était rapproché de moi jusqu'à souffler son haleine humide sur mon visage, et dans un chuchotement, il avait nié comprendre de quoi je parlais, tout en acceptant ma demande d'avoir un box, me sommant d'être vigilant.

Le client, lui, avait été ravi par la proposition. Il semblait propre sur lui. Un costume gris foncé, des chaussures de marque et cirées, de beaux cheveux longs noirs et un visage dur, mais charmant, bien qu'assez âgé tout de même.

Maintenant, la sueur froide dévalait mon échine, l'angoisse remuant mes tripes tandis que je me retrouvais seul avec cet homme.

Je connaissais la procédure dans ces cas de figure, tout le monde en parlait, c'était facile et contrôlé. Un pourboire de plus pour une prestation de plus. J'avais été mis au courant de cette pratique, mais jusque-là, je n'y avais prêté aucune attention. Jamais je n'aurais imaginé me retrouver dans cette position. Mais ce soir était une exception. Si cela tournait mal et que le client dérapait, le bouton rouge dissimulé dans le box me garantissait une sécurité.

—   Tu es tellement... tu parais innocent, grogna presque mon client, me sortant de mes pensées.

Innocent. Un adjectif étrange. Un qualificatif prudent pour ne pas dire jeune ou juvénile certainement. Il avait raison, j'étais jeune, mais je fêterais ma majorité en février, dans quelques mois, je n'étais plus un gamin.

Quoi qu'il en soit, le terme innocent était loin de me convenir. Je n'avais rien de sage, comme la plupart des jeunes hommes de mon âge en fin de compte ! Un sourire charmeur plaqué sur le visage, je m'approchai de mon client. Ses mains se posèrent immédiatement sur mes hanches.

La musique me donna la force de commencer ma danse. L'homme resta assis confortablement, les yeux brillants et voyageant sur mon corps qui se mouvait en rythme avec les bombardements sonores. Les habits chutèrent au sol lentement, avec suggestion. Je n'avais peut-être jamais fait de show privé, je n'en étais pas moins ignorant. La danse, c'était mon domaine.

Le client resta respectueux des règles, il me toucha sans jamais abuser des consignes. Pas de gestes obscènes ou déplacés. Tout se déroula sans accroc et lorsque je terminais, le client sembla satisfait.

—   Quel âge as-tu ? demanda-t-il.

—   Je trouve ça assez déplacé, fis-je remarquer en fronçant les sourcils.

Je ramassai mes affaires afin de me revêtir.

—   J'aimerais te donner mon numéro, histoire qu'on se voit à l'extérieur.

Cette proposition m'étonna, si bien que je me redressai de tout mon corps. C'était étrange. Et tout à fait impossible.

—   C'est très gentil, mais je vais devoir décliner, dis-je.

—   Pourquoi ça ?

—   J'ai déjà quelqu'un dans ma vie.

L'homme plissa les lèvres et se leva en réajustant son pantalon.

—   Tu me plais beaucoup. Mais j'imagine que je te reverrai ici, dit-il en m'offrant un clin d'œil un poil trop pervers.

De plus en plus bizarre.  Mais je ne pris pas la peine de comprendre ses intentions, cet homme avait l'air d'avoir la quarantaine, on dirait mon père ! Non, merci.

Je préférais être avec quelqu'un de mon âge, même si ceux que je rencontrais sur les applis semblaient allergiques aux relations suivies...
Je n'avais eu que des histoires ponctuelles et éphémères ! Mais je m'en contentais ; c'était mieux que rien.

J'affichai un faux sourire charmeur et le raccompagnai jusqu'à sa table en lui souhaitant une bonne fin de soirée. Ou de nuit.

Sans m'attarder plus, je fonçai aux vestiaires pour prendre mes affaires et partir. Je fis un rapport succinct au responsable de salle, second du patron, qui m'apprit alors que Jim exigeait de me voir.

Soupirant exagérément, je me mis en quête de le trouver. Je le repérai dans l'arrière-scène, tandis qu'il courait dans tous les sens pour contrôler tout et n'importe quoi. Il me faisait l'effet de ces gens qui s'agitaient partout sans jamais rien faire de concret.

—   Patron !

Son visage rond se riva vers moi et il plissa les yeux de mécontentement alors qu'il me rejoignait en petits pas rigides.

—   Tu as fini ? attaqua-t-il directement.

—   Oui, répondis-je.

Il me scruta longuement avant d'attraper la chaîne en or autour de mon cou pour m'entraîner plus près de lui, sa bouche se pinçant fermement.

—   Ton client n'a pas précisé cette condition dans sa réservation, grogna-t-il en fronçant les sourcils.

Surpris par cette affirmation, ma gorge s'assécha.

—   Est-ce lui qui a proposé ou toi ? continua Jim d'un ton plus ferme.

J'étais complètement dépassé. L'instant avait l'air sérieux, le visage du patron affichait une suspicion qui m'angoissa profondément. Je ne savais pas quoi dire. Il savait que j'avais menti, le client n'avait pas voulu de box, n'avait pas réservé et n'allait sans doute pas vouloir payer pour un service qu'on lui avait imposé. Merde, merde, merde.

Le patron se figea tout en gardant ses sourcils épais froncés.

—   Je n'aime pas du tout être pris pour un imbécile, Jay.

—   Qu-quoi ? balbutiai-je.

—   Le prix du box sera retenu sur ta paye, vociféra-t-il entre ses dents.

—   D'accord, acceptai-je en déglutissant difficilement.

—   Ce qui se passe parfois dans les box privés doit rester dans les box privés. Je ne suis au courant de rien, je ne sais rien, je ne suis impliqué dans rien, récita-t-il durement.

Mon esprit ne comprenait pas grand-chose. J'avais du mal à réfléchir avec l'attitude presque agressive de mon patron. Attitude que je ne lui connaissais pas.

—   Mes danseurs s'occupent eux-mêmes de leurs affaires, avec une discrétion et une organisation calculée, murmura Jim d'une voix grave. Pas d'initiative impromptue. Les demandes de shows en box privés sont faites exclusivement par le client, jamais par le danseur. Jamais.

Une illumination fit jour dans mon esprit trop lent. Le patron était mécontent parce qu'il pensait que j'avais... quoi ? Racoler ? Visiblement, les extras nécessitaient un règlement, dont j'ignorais tout.

—   Il... Il n'y a rien eu de... plus, baragouinai-je.

—   Rien du tout ?

—   Non, m'empressai-je de répondre en secouant la tête.

—   Pourquoi demander un box alors ?

Les petits yeux du patron se plissèrent tellement que je ne distinguais plus la couleur de ses prunelles. Mon cœur battait au rythme de mon stress grandissant. Je ne savais plus quel mensonge servir, j'étais déstabilisé.

—   Je pensais... qu'il voulait, soufflai-je, hésitant.

Jim grogna et lâcha ma chaîne en or, reculant de deux pas par la même occasion. L'air se fit alors plus respirable, comme si j'étais libéré d'un étau étouffant.

—   Ne fais plus ça. Plus d'initiatives, me prévint-il durement.

—   D'accord.

Il m'observa attentivement, son regard filant de ma tête à mes pieds et inversement puis il hocha brièvement la tête avant de tourner les talons. J'estimais que je pouvais m'en aller et je m'enfuis donc à toute vitesse.

Le Uber que j'avais commandé fut là à l'heure et me ramena chez moi en un temps record. Je fis très attention à ne faire aucun bruit en grimpant ma fenêtre pour rejoindre ma chambre.

Enlevant tous mes vêtements, je me glissai sous les draps et priai pour que cette soirée ne soit qu'un cauchemar. Pour que ce jour ne soit pas celui où je fus découvert.

*

Le lendemain, plusieurs coups assez brutaux sur ma porte me tirèrent de mon sommeil. Je grognai en enfouissant ma tête sous un oreiller. Le bruit de ma porte m'indiqua que l'intrus pénétrait dans mon espace personnel.

—   Allez gros cul, réveille-toi !

La voix de mon grand frère perça mon brouillard et je souris à demi.

—   De nous deux, c'est toi qui as le plus gros cul, connard.

—   Respecte ton aîné ! s'esclaffa Théo en retirant le drap d'un coup sec.

Le coup de vent induit par ce mouvement caressa ma peau nue et je grognai davantage, pas prêt à me lever.

—   Putain, mais tu es nu ! remarqua mon frère.

—   Fous-moi la paix.

—   Pourquoi dors-tu nu ? Y a-t-il quelqu'un caché sous le lit ? ricana Théo en s'asseyant à présent à côté de moi.

Excédé, je soupirai tout en me retournant sur le dos. Mes paupières refusèrent de coopérer avec mon envie d'ouvrir les yeux.

—   Mec, cache-moi ce petit matos et bouge-toi de venir dans le salon.

Théo se leva et sortit de ma chambre, sans refermer la porte derrière lui. J'entendis alors des voix provenant du salon et mon cerveau se mit enfin en route. Merde, c'était l'anniversaire de mon frère aujourd'hui et j'avais un repas de famille ! D'où sa présence chez moi.
Et puis peu à peu, j'eus la soirée de la veille en tête et l'angoisse me noua le ventre.

Ravalant la boule dans ma gorge, je sautai hors du lit pour profiter de la salle de bains. Après une douche expéditive et avoir enfilé un jean, un sweat beige et des Vans, je rejoignis le salon. Ma main tenta d'imprimer une discipline à mes cheveux, mais ils finissaient toujours par me tomber légèrement sur le front.

D'après l'accueil de mon grand frère, Théo n'était pas au courant pour ma présence au club. Donc il n'avait rien dit. Pour le moment. J'allais devoir prendre mon courage à deux mains pour avoir une discussion avec son ami et le supplier de garder le silence.

Impossible que mon secret soit découvert, j'économisais pour mon avenir, je ne pouvais pas perdre ce job qui me rapportait énormément. J'avais mis beaucoup d'énergie et de ruses pour obtenir ce travail malgré mon âge, ça avait été un vrai défi. Et dire que cela faisait des mois que je bossais au club et que je n'avais eu aucun problème !

Quelques mois et je serais majeur, je pourrais alors faire comme bon me semblait, mais visiblement la chance ne m'avait pas suivi jusque-là.

J'allais devoir régler ce problème, et vite.

Je calmai ma respiration trop rapide alors que je me dirigeais vers la pièce à vivre et les voix qui l'animaient.

—   Te voilà enfin, rouspéta mon père en me voyant entrer.

Le salon était rempli de gens que je connaissais bien. Mes parents, Jeanne et Michel. Mon grand frère, Théo. Mon oncle Patrick et ma tante Danielle ainsi que mes cousins Marine et Jules. Et puis mon regard tomba sur une autre personne. La même que la veille. La même qui m'avait retourné l'estomac en découvrant mon secret. Foutu karma.

*

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