Chapitre 28 : Jay
Allongé sur le lit de Mike, je regardais le plafond alors qu'il jouait à la console, beuglant au travers du casque connecté. Sa chambre était l'antre du diable, littéralement. Un mur entièrement noir, les autres tapissés de dessins en tout genre, et des meubles gris.
Un jour, en traînant dans la rue, Mike avait vu une barrière métallique servant à la police à juguler la circulation. Son côté créatif avait parlé pour lui et nous avions été contraints de la voler et de la transporter jusque chez lui pour qu'il la transforme en tête de lit. Dire que c'était original était un euphémisme.
Malgré tout, sa chambre transpirait l'art, chacun de ses dessins étaient magnifiquement exposés et mis en valeur par ceux d'à côté, comme s'ils constituaient un ensemble réfléchi alors qu'ils n'avaient au premier abord aucun lien. Un lion se trouvait à côté d'une forteresse, elle-même confrontant un dessin où des chaînes se brisaient en mille morceaux. Chaque morceau éparpillé sur le papier blanc semblait se confondre dans le dessin d'à côté, devenant progressivement les gouttes d'une immense vague s'échouant sur les rochers.
Mike avait la fibre artistique en lui, tout comme moi, même si nos univers étaient différents. J'adorais passer du temps avec lui, mais mes projets pour cette nuit auraient dû être radicalement différents. Dans mon idée, je passais ma soirée avec Roman.
Mais, il avait rendez-vous avec mon frère. Pour lui annoncer pour nous. Je n'aimais pas ça, mon ventre me le fit bien sentir. J'avais l'horrible pressentiment que cette précipitation à tout dire avait quelque chose à voir avec ce que nous avions fait ensemble.
Mes doigts trituraient mon téléphone, désireux de s'activer pour envoyer un message à Roman. Je voulais savoir comment cela se passait. Comment réagirait Théo ? Difficile de le prévoir, en revanche, je pouvais deviner une certaine colère. Roman avait raison, entre potes ça ne se faisait pas, mon frère serait furieux.
Mais le resterait-il ? J'espérais qu'il finirait par comprendre que ce qui se passait entre Roman et moi, c'était important.
— Eh, mec, qu'est-ce qui t'arrive ? m'interpella Mike en tournant la tête vers moi.
L'écran de sa télévision indiquait qu'il était en pause, son casque n'étant plus sur ses oreilles, la partie devait être terminée.
— Rien, pourquoi ? répliquai-je.
— T'es bizarre, t'as l'air... soucieux ? hésita-t-il.
— Ça va.
— C'est à cause du bac ? T'es inquiet ?
Cette question incongrue me fit rire dans un éclat incontrôlable !
— Inquiet ? Non, ça devrait aller.
— Pfff t'es trop confiant. Je suis une brêle en maths, ça va me tuer ma moyenne.
— Mais non, on va s'en sortir. Sarah va nous coacher, rigolai-je.
— Hum.
Mike grimaça, mais n'insista pas. Il continua à me regarder de ses yeux clairs comme s'il m'analysait, c'était étrange. Le silence s'étira jusqu'à ce que mon ami soupire et se redresse pour s'assoir face à moi.
— Pourquoi tu as cette tête alors ? persista-t-il.
Fronçant les sourcils, je réfléchis à toute vitesse à une réponse quand soudain Mike bondit et enchaîna avec une autre question :
— C'est ton anniv qui approche qui te met dans cet état ? Putain, j'ai trop hâte ! Dix-huit ans ça se fête, on va sortir, hein ? Tu as prévu un truc particulier ?
Ok, plusieurs questions donc. L'enthousiasme de mon ami me fit sourire.
— J'y ai pas encore réfléchi, mais oui on va faire quelque chose, c'est sûr, assurai-je.
— Quelque chose de démentiel, j'espère ! Hugo a déjà prévu la marchandise, m'informa-t-il avec un clin d'œil.
— Ça ne m'étonne pas.
— Moi je vote pour aller dans ton club de strip, s'exclama Mike, les yeux pétillants. Mais pas pour mater des mecs, hein, plutôt pour baver sur des seins. Et des fesses.
— Pas sûr que ça convienne à tout le monde, rigolai-je franchement.
Mike fit une moue boudeuse et leva les yeux au ciel. Les filles n'apprécieraient pas beaucoup. Non, rectification, Sarah n'aimerait pas ça parce que de son côté, Aria adorerait mater des seins. Du coup, on serait deux contre deux si on prend en compte que la pansexualité de Hugo se veut neutre...
Quoi qu'il en soit, pas de club de strip. Roman n'apprécierait pas du tout.
Le cours de mes pensées s'interrompit tandis que mon téléphone vibra. Appel entrant. Le cœur battant à tout rompre, je m'attendais à voir le nom de Roman s'afficher sur l'écran, mais pas du tout. À la place, je vis trois lettres. Jim. Quand on parle du loup...
Étant donné l'heure tardive, je le trouvais vraiment culotté de me téléphoner, mais après tout, ses horaires de travail étaient toujours tardifs. Nocturnes, même.
— C'est qui Jim ? demanda Mike.
— Le patron du club, dis-je en saisissant mon téléphone.
— Ah. Beh réponds ! Je vais aller nous chercher un truc à grignoter.
Mike sautilla sur le lit jusqu'à balancer ses jambes au sol et sauter d'un bond jusqu'à sa porte. Il disparut rapidement et je décrochai.
— Allô ?
— Jay, comment ça va, mon beau ? s'exclama Jim.
— Bien, soupirai-je, peu rassuré.
— Parfait, j'ai encore une bonne nouvelle pour toi.
Une drôle de sensation s'invita dans mon ventre.
— Ah oui ?
— Figure-toi que- Eh, pas là ! Foutez-moi le camp de là, c'est les coulisses des artistes ici ! beugla mon patron.
Je levai les yeux au ciel face à cette interruption.
— Je disais donc, reprit-il dans un soupir excessif. Tu as beaucoup de chance. Tu travailles vendredi prochain.
— Pourquoi ? Ce n'est pas un vendredi gay, répliquai-je, perplexe.
— Non, mais tu ne viendras pas pour un spectacle sur scène. Tu as un client qui veut un show privé.
— Quoi ? Encore ?
— Dans un box, cette fois-ci. Tu devrais être content, non ? Vu le coup que tu m'as fait la dernière fois, grogna Jim.
À cette phrase, mon petit cœur s'affola dangereusement. J'avais été proche de me faire virer à ce moment-là, le patron n'avait pas du tout été content de mon initiative. Les règles étaient strictes, j'avais retenu la leçon. Surtout que je ne comptais pas réitérer l'expérience.
— Je ne veux pas faire d'autres shows privés en box, dis-je, résolu.
— Comment ça, tu ne veux pas ? C'est le même client de la dernière fois, m'apprit Jim d'un ton dur. Il a dit que ça s'était très bien passé ! Et il est prêt à réserver un box, tu ne peux pas refuser.
— Mais...
— Tu sais ce que tu gagnerais en une soirée ? Pour une demi-heure avec ce type ?
— Combien ?
Je n'aurais clairement pas dû poser la question. Pourquoi l'avais-je fait ? Toujours à cause de cet appât qu'est l'argent. Et encore une fois, lorsque Jim m'indiqua le prix d'une réservation pour un show privé dans un box, mes yeux s'écarquillèrent. La vache, ça faisait beaucoup pour une seule heure. Une malheureuse heure.
Avec le même gars que la dernière fois. Mes souvenirs dessinaient un homme de la quarantaine bien habillé avec un grand sourire. Il avait été respectueux. Peut-être ne cherchait-il qu'à reproduire la même prestation que la dernière fois. Une danse à l'abri des regards, sans rien de plus. Je savais que certains box ne servaient qu'à cacher des clients qui avaient honte ou à permettre simplement la nudité non autorisée en plein milieu de la salle. Et parfois cette nudité n'impliquait aucun sexe. Comme la dernière fois.
Ok, ok, j'étais convaincu.
— D'accord, lâchai-je alors.
— Super mon grand ! Vendredi à minuit trente, sois pas en retard, m'avertit-il avant de raccrocher.
Cette drôle de sensation dans mon ventre s'intensifia. Merde. Je commençais à comprendre ce qu'elle signifiait... Un malaise de savoir que j'allais encore devoir mentir, notamment à Roman. Cette fois-ci, ce serait bien plus compliqué, nous étions ensemble et... et lui mentir serait bien plus grave.
J'avais fait toute une scène sur la confiance alors que je dissimulais ce secret. Moi, hypocrite ? Carrément.
Mais bon, j'avais besoin de cet argent pour mon avenir. J'étais assez grand pour faire mes propres choix, pour savoir me protéger. Roman avait peur, il s'inquiétait inutilement. Ce travail était réglo.
Pour autant, la boule dans mon estomac s'alourdissait et me déplaisait fortement. Peut-être faudrait-il que j'envisage de laisser tomber ce job.
Je gagnais bien au studio et au café. Ce serait suffisant...
Mike entra tout à coup dans la chambre, les bras chargés d'une bouteille d'Orangina et d'un paquet de Prince.
— Alors, il te voulait quoi le patron ?
— Que je bosse vendredi.
— Eh ben, il en fait des soirées gays ! ricana Mike en s'installa sur le lit.
J'hésitais à confier la véritable raison de l'appel et de la proposition. Habituellement, je ne cachais rien et voilà que j'avais des secrets. Pourquoi ne pas dire la vérité de toute façon ?
— En fait, c'est pas pour une soirée gay. C'est juste qu'un client veut une danse privée de moi, exposai-je simplement.
— Quoi ? s'étonna Mike en écarquillant les yeux.
— Ouais, le même que le soir où Roman m'a surpris.
— Merde, il est tombé amoureux ou quoi ?
Cette remarque me fit rire, tellement elle était stupide. Mike but à même la bouteille de soda tandis que j'ouvrai le paquet de Prince, m'emparant d'un cercle chocolaté pour le déguster.
— Et alors, tu vas le faire ? demanda Mike en s'essuyant la bouche d'un revers de main.
— Ouais, ça paie tellement bien, impossible de refuser.
— Du genre combien ?
— Du genre deux cents euros.
— Quoi ? cria Mike exagérément. Mais il a droit à quoi pour ce prix-là, une pipe ?
— Non, un show dans un box privé, pendant une demi-heure et c'est lui qui choisit le costume.
Mon ami continua à me fixer intensément avec une expression suspicieuse.
— C'est tout ?
— Ça implique aussi de finir totalement nu.
— Tu finis complètement à poil ? s'étouffa Mike.
— Pour les shows privés en box, oui. Mais il y a des règles, les clients ne nous touchent pas, m'empressai-je d'énoncer.
Je retiens le « en temps normal » que j'avais au bout de la langue. Le reste ne me concernait pas donc je ne voyais pas l'intérêt d'en parler.
— Putain, t'es un malade, mec, je pourrais pas faire ça, moi.
— C'est juste de la danse un peu suggestive, répondis-je.
— Tu parles, tu te trémousses le cul devant une foule qui bave sur toi ou alors tu te fous à poil devant des pervers, gloussa-t-il. C'est pas juste de la danse.
Étonné par une telle réflexion, je lui balançai un coup dans l'épaule et Mike rigola plus fort. Il ne jugeait pas, simplement il ne partageait pas mon avis sur la question. Pour lui, c'était carrément inenvisageable de faire comme moi. Alors que de mon point de vue, c'était juste un moment agréable où je pouvais m'exprimer avec mon corps et où tous les regards seraient sur moi, rien que moi.
J'aimais m'exposer ainsi parce que je savais être l'attention de tous, avoir un talent qu'ils n'avaient pas, être une convoitise. Ça me donnait confiance en moi. C'était un peu arrogant et prétentieux, mais qu'est-ce que j'en avais à foutre ?
Que les coincés regardent ailleurs !
Je le faisais pour moi, pas pour les autres.
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