Chapitre 22 : Jay
Pourquoi me retenait-il s'il ne voulait pas de moi ?
Je n'avais jamais été aussi humilié de toute ma vie. La nuit avait été chargée de ruminations et de prises de conscience. Mon attirance pour Roman était devenue limpide et savoir que je lui plaisais me réchauffait la poitrine. Pour autant, nous nous étions quittés sur des non-dits et je supportais pas ça.
J'avais un côté obsessionnel lorsque je me fixais des objectifs ou que j'avais des envies. C'était à la fois une qualité et un défaut, mais au moins, je n'abandonnais pas facilement.
Je refusais d'instaurer encore la politique de l'autruche et de me faire snober en allant au travail, alors j'avais pris la décision de le confronter. D'avoir une discussion, d'avouer ce que je ressentais face à la situation. Pour mettre les choses au clair.
Et Roman avait été plus qu'honnête en retour. Peu importe à quel point je l'intéressais, - et à ma grande surprise ce n'était pas que physique -, jamais il n'envisagerait quelque chose avec moi.
Ça me mettait en rogne alors même que je n'avais rien projeté avec lui non plus.
Je m'étais simplement levé ce matin avec l'idée que ce serait cool de voir où cette attirance pouvait nous mener. Genre, pourquoi pas ?
Mais la succession de refus et d'excuses m'insupportait. Je devenais ridicule à vouloir le convaincre. C'en était trop.
— Lâche-moi, dis-je sans faire un mouvement pour me libérer.
— Attends, Jay...
— Quoi ? Tu as été clair, je vais pas m'éterniser plus longtemps.
— Je ne veux pas te blesser, soupira-t-il en raffermissant sa prise sur mon poignet.
— Je ne suis pas désespéré, clamai-je en tirant enfin pour ne plus sentir son toucher.
Roman fronça ses sourcils et son visage devint plus grave.
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
— Que je ne vais pas rester ici des heures à essayer de te convaincre de vivre simplement cette attirance qu'on ressent. Si tu veux te brider, te retenir, faire de ta vie une foutue comédie dramatique, eh bien libre à toi.
— Qu'est-ce que tu racontes ? s'agaça-t-il en secouant la tête. Vivre cette attirance comme tu dis peut nous apporter des ennuis, c'est sérieux. Ce n'est pas un jeu.
Mon cœur faisait de l'arythmie, c'était douloureux. Je laissai un rire s'échapper de ma bouche avant de croiser les bras.
En vérité, je ne pigeais pas grand-chose au problème, peut-être avait-il raison en disant qu'une relation entre nous serait risqué. Pourtant, moi je ne voyais pas le mal et je ne comprenais pas pourquoi il fallait en faire toute une montagne !
— Tout ce que je comprends, c'est que même si on baisait ensemble, personne ne pourrait t'accuser de quoi que ce soit parce que je suis consentant et que j'ai l'âge de la majorité sexuelle. Deuxième point, Théo serait peut-être en colère, mais ce n'est pas de sa vie dont il est question. Il n'a aucun droit de décider. Si tu choisis de te priver pour lui, alors peut-être que c'est avec mon frère que tu devrais sortir ! fulminai-je.
— Tu n'as rien écouté ? Peu importe que t'ait la majorité sexuelle, si on bosse ensemble, c'est interdit d'entretenir une relation ! s'écria Roman, les sourcils froncés.
— Pour qu'on est des ennuis, il faudrait que quelqu'un se plaigne, non ? Moi, je ne vais pas me plaindre ? Je ne pense pas que tu le feras non plus !
Je criais clairement à présent, et je m'en foutais parce que je ne m'étais jamais senti aussi rejeté de ma vie, et merde ça faisait mal. Hors de question que je continue à me ridiculiser ainsi, j'allais me résigner et passer à autre chose.
— Maintenant que les choses sont parfaitement claires, je vais partir. Et je démissionne, décidai-je tout à coup.
— Quoi ? Non !
— Si ! Je ne vais pas rester au studio à subir ton indifférence. Je ne sais pas même pas ce qui m'a pris de...
Stop ! Fini les confessions. Je me mordis la lèvre pour jugulais mes paroles et fis demi-tour, résolu à me tirer d'ici. À quelques pas de la porte d'entrée, les mains de Roman saisirent mon sweat et me tirèrent en arrière.
— Qu'est-ce que tu fous ? couinai-je.
Roman me plaqua contre le mur et planta son regard gris sur moi. Ses prunelles me renvoyaient un désir à peine contenu, de la colère et quelque chose d'autre que je ne déchiffrais pas.
— Tu me rends dingue.
Sa main droite se posa sur le mur près de ma tête tandis que l'autre se posa sur mon cou, encerclant presque ma gorge. Je ne bougeai plus, osant à peine respirer.
— Tu me rends complètement dingue, répéta-t-il.
— Je...
— Tais-toi.
La dureté de sa voix m'incita efficacement à obéir.
— Je ne sais pas comment tu fais ça, tu me fais perdre tout contrôle, tu me déstabilises. Je ne comprends pas comment un jeune peut avoir autant d'assurance et de pouvoir sur moi, je déteste ça. Mais en même temps, ça me plaît. Tu me plais, murmura-t-il.
Alors que j'ouvris la bouche pour répliquer quelque chose, il continua, me coupant dans mon élan :
— Et j'en ai honte, Jay. Tu comprends ça ? J'ai honte d'avoir envie de toi. Parce que malgré ton mépris pour la bienséance, j'estime être quelqu'un de bien. Et je n'aime pas savoir que je suis attiré par un jeune de dix-sept ans, indépendamment du fait qu'il ne soit pas innocent. Et je crois être un bon ami, alors l'idée d'être attiré par le petit frère de mon ami me pose aussi un cas de conscience.
Il inspira vivement puis expira longuement, son souffle me balayant subtilement le visage. Je mourrais d'envie de l'embrasser, de lécher ses lèvres, mais Roman n'avait pas terminé son petit discours.
— Que tu le comprennes ou non, je culpabilise et j'ai peur, et c'est ça qui m'empêche de me laisser aller.
Plusieurs secondes s'écoulèrent après ses mots, ma gorge était asséchée et je ne savais pas si je pouvais parler ou pas. Roman inclina la tête sur le côté puis rapprocha son corps au point de plaquer son torse contre le mien.
— Tu n'as rien à dire ?
— Je peux parler ? répliquai-je.
— Oui.
Sa main sur ma gorge se resserra, faisant battre mon cœur plus rapidement. Son discours avait été percutant, ma raison me poussa à voir les choses sous son angle à lui et... ok, je comprenais un peu pourquoi il se retenait. Mais ce n'était pas suffisant pour moi.
— Que faudrait-il pour que tu cesses de culpabiliser ou d'avoir peur ? osai-je demander.
— Je ne sais pas.
Ne comprenant pas ce qui était en train de se passer, je ne parvins pas à savoir quoi dire. M'invitait-il à le convaincre ? Pourquoi me retenir si ce n'était pas le cas ? Et comment le faire changer d'avis ? Mon âge n'était pas quelque chose que je pouvais modifier, pas plus que mon grand frère.
En revanche, je pouvais réellement démissionner. Si je ne travaillais plus pour lui, alors il n'y aurait plus de problème. Enfin... c'était ce que j'avais compris.
— Si j'arrête de bosser pour toi, le problème est résolu, non ?
— Jay... Tu ne vas pas faire ça. Hors de question que tu retournes travailler dans ce club et tu aimes être au studio.
Une énorme boule se forma dans ma trachée. Elle trahit mon angoisse à l'idée qu'il apprenne que je n'avais jamais quitté mon job de stripteaseur. Puis une vague de tristesse m'envahit. Évidemment que j'aimais être au studio, j'aurais aimé y passer mes journées à danser !
— Je ne comprends pas ce que tu attends de moi, finis-je par dire. Si tu es décidé à renier tout ça, laisse-moi simplement partir. On en parlera plus.
— Non.
— Non ? m'étonnai-je.
— Je n'arrive pas à prendre une décision et m'y tenir.
Cet aveu franchit sa bouche avec une grande difficulté. Son pouce caressa doucement la peau de mon cou, envoyant des décharges électriques droit vers mon cœur et mon sexe, ce qui était vraiment embêtant.
Son corps s'éloigna de moi. Sa main disparut de ma gorge, laissant une sensation de froid désagréable et mon pouls s'emballa. Allait-il me repousser définitivement ? J'inspirai à pleins poumons, rassemblant le courage de l'affronter si tel était le cas. Je préférais que ce soit clair une bonne fois pour toutes, je n'allais pas m'accrocher à lui comme un arapède à son rocher.
— Je peux avoir le week-end pour y réfléchir ?
— Le week...
Non, mais je rêvais ? Monsieur voulait le week-end pour réfléchir ! Alors que je me battais avec mon propre cerveau pour intimer à mon corps de se calmer en sa présence ! Je prenais feu sous ses mains et lui, il voulait réfléchir des jours entiers ? Putain, mais quel con. C'était ça d'être adulte et responsable ? C'était barbant.
— Ouais, prends le temps que tu veux, acceptai-je dans une grimace de mépris.
Je franchis le seuil de sa porte et Roman ne me retint pas cette fois-ci, il me laissa simplement sortir sans un mot. J'avais le cœur et le corps en vrac.
Un week-end. Un foutu week-end pour réfléchir pendant lequel j'allais me morfondre comme un con.
*
Le week-end passa. Et j'attendais toujours une foutue réponse.
Lorsque j'étais arrivé au studio ce mardi, mon humeur était partagée entre colère, frustration et tristesse. Roman ne chercha pas à m'ignorer, j'eus le droit d'observer son cours comme d'habitude et d'y participer partiellement. Même si cela se passa plutôt bien, la tension se faisait ressentir. Il savait que j'attendais sa réponse, non pas que j'irai la réclamer ! J'en avais assez d'aller vers lui.
Lorsqu'il me raccompagna, le silence dans la voiture était néanmoins pesant. Un texto de Mike m'informa que la bande se réunissait ce soir, chez Agathe, pour une soirée de dernière minute. J'envoyai rapidement ma réponse positive à cette invitation et prévins ma mère que je ne serais pas là pour le dîner. Elle me demanda rapidement les informations nécessaires à tout parent qui laisse son enfant sortir, histoire de se rassurer.
Roman était arrêté à un feu rouge du centre, et j'en profitai pour demander :
— Tu pourrais me déposer quelque part ?
Il pivota la tête vers moi, son froncement de sourcils ne me disant rien qui vaille.
— Où ça ?
— À une soirée, chez une pote.
— Quel genre de soirée ?
— Sérieusement ? soufflai-je. Je croyais que ce que je fabriquais ne te regardait pas.
Un rayon vert illumina l'habitacle et Roman reporta son attention sur la route.
— Je croyais que les choses avaient changé, finit-il par marmonner.
— Ah bon ? J'ai raté un épisode ? Aux dernières nouvelles, tu m'as rejeté parce que selon toi, j'étais un avorton.
— J'ai dit que j'avais besoin d'y réfléchir, contra-t-il en serrant le volant plus fort. C'est sérieux, Jay.
— Ouais, et le week-end est passé, tu n'as pas remarqué ? Bref, de toute manière, je ne vois pas quel est le rapport avec ma soirée, conclus-je pour changer de sujet.
Je n'avais pas le temps de quémander. Roman eut un tic nerveux, inclinant la tête dans une rotation, comme s'il voulait dénouer une tension musculaire.
— C'est quoi le problème ? Ce n'est pas dans un club, je ne ferai rien d'illégal, si ce n'est fumer un joint ou deux. Tu vas pas me faire la morale là-dessus, si ?
— Non, marmonna-t-il, sans me regarder.
— Parfait. Alors pourrais-tu me laisser Rue Villeneuve, s'il te plaît ?
Une espèce de grondement me répondit. Je n'en fis pas cas et Roman me déposa exactement là où je le désirais, sans prononcer un mot de plus. Arrivés à destination, il me demanda de faire attention, ce à quoi je répondis par un soufflement appuyé. Pour faire bonne mesure, je levais également les yeux au ciel, histoire qu'il comprenne bien à quel point son attitude paternaliste me saoulait.
Et dire que je craquais pour ce type.
Et je croyais que je lui plaisais... Pourtant, Monsieur Responsable n'avait toujours pas pris de décision. Comme si ce qui se passait entre nous n'était pas assez évident ou important. Comme s'il pouvait simplement nier notre alchimie.
*
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