Chapitre 20 : Roman
Comment décrire au mieux mon état ? J'étais au fond du gouffre. Totalement paumé et déstabilisé. Dans le noir le plus total. Malgré tous mes efforts pour me convaincre que je n'étais pas sensible au charme de Jay, l'évidence et la vérité revenaient toujours plus forte que jamais.
La nuit, je rêvais de lui. Le jour, je pensais à lui. Durant les vacances, je n'avais cessé d'être préoccupé par tous un tas de questions le concernant. Comment allait-il ? Comment se passaient ses cours ? Avait-il toujours des difficultés en maths ? Révisait-il assez ? Que pensait-il de notre baiser ? Pensait-il à moi ?
Le revoir avait eu un effet immédiat. Jay me plaisait. Son humour et son rire, sa malice et son intelligence vivace, ses yeux ambrés et ses lèvres couleur cerise et sa façon de les mordre lorsqu'il était perturbé, sa culture de l'art, son ambition... Il avait des défauts comme son impulsivité, son arrogance ou son manque de considération pour les règles, mais même ces facettes de sa personnalité avaient un charme à mes yeux.
Et alors que cette pensée me traversa, je compris.
Assis seul sur ce banc d'un parc voisin à mon appartement, emmitouflé dans ma parka, je compris que ce n'était pas seulement une attirance physique. Jay me plaisait, toute sa personne me charmait. Avais-je des sentiments ?
Je n'avais pas fermé l'œil de la nuit à cause de notre baiser échange la veille.
Je devais me filer un pied au cul pour avoir des réponses, j'en avais besoin pour la suite, parce que je n'étais pas assez fort pour l'éviter ou l'ignorer.
Mon regard dans le vide ne focalisait qu'une masse verte représentant l'espace de verdure du parc. Impossible de faire attention aux détails, toute ma concentration était dirigée vers ma poitrine. Que ressentais-je exactement ?
Énumérons l'évidence. Du désir, c'était certain, mon bas-ventre se souvenait encore de ce qu'il avait ressenti lorsque je l'avais embrassé. De l'affection ? Oui. Après tout, je m'inquiétais pour lui, que ce soit pour sa sécurité ou pour la réussite de ses études. Était-ce plus que cela ? Étaient-ce des sentiments ? Bon sang, d'après les foutus sensations affolées de mon ventre lors de notre dernier baiser, je dirais que oui, j'en avais.
Soupirant fortement, je me relevai et repartis pour finir mon footing du matin. Alors que je me remis à courir, j'envisageai les possibilités qui s'offraient à moi. J'aurais aimé faire des rencontres, apprendre à connaître les hommes à défaut de connaître la taille de leur queue. Je ne cherchais pas vraiment l'amour, mais vivre une histoire, tout simplement. Je n'étais tombé amoureux qu'une seule fois et j'en gardais un souvenir amer, mais je savais qu'il pouvait y avoir mieux. Le principe même de l'amour donnait envie.
Lorsque je pensais à ce que j'éprouvais pour Jay, un conflit énorme m'empêchait de m'imaginer avec lui.
Première incompatibilité, son âge. Il était mineur, putain ! Et quand bien même il fêterait ses dix-huit ans en février, ce n'était pas qu'une question de majorité.
D'après mes recherches sur Internet, deux éléments m'empêchaient d'être avec lui. Tout d'abord, le détournement de mineur. Un acte par lequel une personne adulte ayant atteint ou largement dépassée l'âge de la majorité civile – donc moi – entretient des relations intimes ou personnelles avec un mineur âgé de moins de dix-huit ans – donc Jay – afin de le soustraire à ceux qui exercent l'autorité.
C'est un délit puni par la loi ! Ses parents pourraient porter plainte contre moi. Sauf que je ne cherchais en aucun cas à soustraire Jay de quoi que ce soit ! Ça devait compter, non ?
Ensuite, il y avait toujours le risque que l'on me condamne pour atteinte sexuelle, puisque, bien que Jay ait la majorité sexuelle, un adulte n'a pas le droit d'entretenir une relation sexuelle avec un mineur s'il était amené à s'occuper de lui, sous-entendu si c'était un beau-parent, un baby-sitter ou encore un professeur ou moniteur sportif. Comment devais-je me considérer puisqu'il travaillait au studio ? Et qui plus est, allait prendre des cours avec moi...
Le bordel était tellement énorme, j'en avais la migraine.
Et quand bien même je faisais confiance à Jay pour ne jamais retourner notre relation contre moi, notre différence d'âge restait un problème. Comment construire quelque chose avec une personne si jeune ? La maturité, les attentes, l'expérience de la vie n'étaient pas les mêmes. Nous n'étions pas de la même génération.
Deuxième problème, son grand frère. Théo était mon ami, peut-être le plus proche, l'un de mes meilleurs potes depuis des années. On s'entendait très bien et notre amitié était solide. Il y avait un code implicite entre amis, je ne pouvais pas sortir avec son petit frère. Il m'exploserait la gueule, tout simplement.
Et que dirait leurs parents ? Ils en seraient scandalisés et je les adorais. Ils m'invitaient souvent à leur barbecue l'été et ils penseraient certainement que j'avais abusé de leur confiance.
Était-ce ce que j'avais fait ? Putain, non ! Je ne voulais qu'aider Jay ! Il se trouvait dans une situation dangereuse et je pensais bien faire en lui proposant un travail. Jamais je n'avais essayé de le séduire, j'avais même tout tenté pour ne jamais entrer dans son jeu.
Mon rythme cardiaque s'accélérait à mesure que mes foulées augmentaient. Chacun de mes pas tapait la terre dure du chemin sillonnant le parc et le bruit échauffait mes nerfs à fleur de peau. À cette heure de la matinée, il n'y avait aucune famille, pas d'enfants qui jouaient, pas d'éclats de rire. Seulement quelques passants promenant leur chien et d'autres joggeurs, tous silencieux.
Le contraste avec le bourdonnement de mes pensées me hérissa le poil et je décidai de rejoindre mon quartier. En quelques minutes, j'arrivai devant mon immeuble.
Où se trouvait Jay.
Le dos et un pied appuyés contre le mur, sa tête baissée sur son téléphone où ses pouces s'agitaient avec rapidité.
Instinctivement, je pris mon téléphone accroché à mon brassard et découvris trois messages de sa part.
De « Jay » : J'ai besoin qu'on parle. Je peux venir au studio ?
De « Jay » : Laisse tomber, je passe chez toi.
De « Jay » : Tu n'es pas chez toi ? Ou tu joues le connard à ne pas me répondre ?
Le dernier message datait d'à peine quelques secondes. Je relevai le visage vers Jay et inspirai fortement pour me donner du courage et calmer les battements trop rapides de mon palpitant. Je ne comprenais pas ce qu'il fichait ici, la veille, il était parti en furie. Sa colère avait explosé et je ne pensais pas qu'il serait celui qui apaiserait les choses. Peut-être n'était-ce pas son plan en venant ici.
Je m'approchai à pas mesurés et lorsque je fus devant la porte en bois de mon immeuble, Jay releva le visage de son téléphone. Ses yeux ambrés capturèrent les miens. Il se redressa et me fit face lentement.
— Donc tu n'étais pas chez toi, conclut-il en balayant mon corps de son regard analytique.
— Je suis allé courir, expliquai-je posément.
— On peut parler ?
Jay fourra ses mains dans la poche centrale de son sweat à capuche gris foncé et tritura ses lèvres, en signe de nervosité.
— D'accord, acceptai-je.
Je savais que nous devrions avoir une conversation. Et une vraie, pas une dispute, pas un duel de répliques stériles, mais une vraie discussion. Je devais faire comprendre à Jay à quel point la situation était compliquée, à quel point ce n'était même pas envisageable.
Je récupérai mes clés dans ma poche et ouvris rapidement la lourde porte en bois avant de pénétrer dans le hall.
C'était un vieil immeuble, sans ascenseur. Heureusement, je vivais au deuxième étage. Lorsque nous fûmes dans mon appartement, j'invitai Jay à m'attendre au salon, le temps que je passe à la salle de bains.
Durant une douche expéditive de trois minutes, mon cerveau chauffa sous les pensées. Le revoir réveilla tout un panel d'émotions. Mon cœur battait si vite dans ma poitrine. La veille, j'avais laissé mon instinct me dicter ma conduite, je l'avais embrassé, je l'avais laissé me toucher et ça avait été... incroyable.
Jamais encore je n'avais ressenti autant de désir pour quelqu'un. Le goût de sa langue, la douceur de ses lèvres, ses cheveux soyeux, son avidité. Malgré son apparente arrogance, je lui faisais beaucoup d'effet, ce qui le déstabilisait, même s'il le cachait bien.
Sa fougue ne me surprenait pas vraiment, il était si jeune après tout. Il ne contrôlait pas ses envies, ses pulsions, ses hormones. Et peut-être était-ce là la réponse à mes interrogations. Le jeu de Jay était simplement guidé par cette phase dans l'adolescence où l'on pensait avoir le pouvoir, où l'on voulait découvrir de nouvelles expériences, où l'interdit était grisant.
Si de son côté, ce n'était que sexuel, alors il n'y avait rien à envisager entre nous. Et si c'était plus... cela devenait impossible.
Je m'habillai d'un jean et d'un pull noir et décidai d'être parfaitement honnête avec Jay. Après cette conversation, les choses seraient claires et résolues.
En entrant dans le salon, j'avisai Jay assis sur le canapé, sa jambe droite bougeant en cadence sous l'impatience ou la nervosité. Par politesse, je lui proposai quelque chose à boire.
Jay se leva prestement pour me suivre, hochant vivement la tête. Un sourire m'échappa, que j'effaçais aussitôt. Alors qu'il se postait à la petite table dans un coin, sous la fenêtre, je récupérai deux verres, le jus d'orange et enfin le Nutella ainsi que des biscottes. Je posai le tout sur la table et Jay s'empressa d'ouvrir le pot de Nutella pour en tartiner les biscottes. Je m'installai face à lui, le cœur tremblotant sous mes côtes.
— Merci, dit-il alors qu'il mettait des miettes partout. Sympa ton appart, ajouta-t-il distraitement.
— Alors... tu voulais me dire quelque chose ?
Mieux valait aller droit au but.
— Ouais, j'ai pas vraiment dormi de la nuit à cause de ce qui s'est passé, m'avoua-t-il le plus naturellement du monde.
Alors que je luttais pour camoufler mes sentiments et mes états d'âme, Jay déversait tout sans pudeur. Encore une fois, il me surprit. Il mâchait rapidement, du Nutella ayant taché ses lèvres jusqu'à ce que j'aperçoive sa langue rose sortir pour lécher le chocolat. Cette vision réveilla mon sexe en un sursaut indécent. Et je réalisais alors que cette attirance ne disparaîtrait pas, bien au contraire. Il travaillait pour moi et quoi qu'il advienne, je serais amené à le côtoyer. À le voir. Tous les jours. Le désir ne ferait que se renforcer. J'étais dans la merde jusqu'au cou.
— J'ai pas aimé ce que tu as sous-entendu hier. J'ai ruminé ça et je crois que c'était vraiment pathétique de ta part.
— Pardon ? soufflai-je, médusé par ses paroles.
— Tu m'as bien entendu. Pathétique.
Il s'interrompit, déglutit puis avala plusieurs gorgées de jus d'orange avant de se lécher les lèvres à nouveau. À croire qu'il le faisait exprès. Putain, évidemment qu'il le faisait exprès !
— Tu fais comme si tout était de ma faute, comme si j'avais provoqué tout ça ! Tu aurais pu me repousser ! Comme pour le premier dans ta voiture. La deuxième fois, c'est toi qui as initié le mouvement, j'ai simplement... craqué en allant vers toi, mais tu aurais pu reculer ! Et hier, tu as eu le choix, c'est toi qui m'as sauté dessus.
Ses mots me firent l'effet d'une gifle. Nous nous étions embrassés trois fois. Trois putain de fois.
— Je ne t'ai pas sauté dessus, répliquai-je, renfrogné.
— Oh que si ! J'ai encore la sensation de tes dents sur mes lèvres. T'es un vrai sauvage.
Cette déclaration raviva l'impression qu'il jouait sans cesse.
— Tout ça t'amuse, on dirait, constatai-je avec amertume.
Jay haussa les sourcils avant de poser ses coudes sur la table pour se pencher vers moi.
— Qu'est-ce qui m'amuse exactement ?
— Tu fais de l'humour, mais la situation n'a rien de drôle. Tu ne fais que jouer avec moi, notai-je sèchement. Et moi, je ne veux pas jouer.
Ce reproche, parce que c'en était un, eut le mérite de lui couper le sifflet. Il entrouvrit la bouche, les yeux ronds. Peu à peu, son visage se durcit, affichant ainsi une expression sérieuse.
— Tu me plais, Roman, admit-il finalement. Je ne sais même pas d'où ça sort, ça me surprend un peu, d'ailleurs.
— Ça te surprend ? répétai-je, sceptique.
— Beh ouais. T'es vieux, dit-il en levant les yeux au ciel.
— Putain, mais t'es gérontophobe, ma parole !
— Non. Je m'intéresse simplement pas à des hommes de ton âge, le plus vieux que je me suis tapé devait avoir vingt ans.
— Jay ! m'exclamai-je.
Tout mon corps se raidit face à cette révélation incongrue. Mon ventre se réchauffa sous l'acidité de la jalousie. La jalousie ? Bon sang, ouais, j'étais jaloux. C'était de pire en pire.
— Ça va, inutile de jouer les étonnés. Je te l'ai dit, je ne suis plus puceau, j'ai eu des petites relations et quelques... expériences sans conséquences. Bref, tout ça pour dire que tu es bandant. Alors peut-être que ça a joué. Mais c'est pas important ! s'exclama-t-il en claquant des doigts, me faisant sursauter. Il y a plus. Et aussi surprenant que ce soit, c'est comme ça. Tu me plais et je te plais. Ce n'est plus un jeu pour moi.
Cet aveu provoqua une nuée de frissons dans mon dos. Plus un jeu ? Jay venait-il réellement d'avouer que je lui plaisais vraiment, sans faux-semblant, sans déconnage, sans blague ? Merde... ça compliquait les choses. Mon esprit se connecta avec mon sexe qui fut très heureux de savoir que j'intéressais Jay. Bon sang !
— Tu ne dis rien, reprit Jay en me fixant intensément.
— Je...
Bordel, il me faisait perdre tous mes moyens, ce morveux. Ma résolution était d'être parfaitement honnête, alors je pris une grande inspiration avant de me lancer :
— Tu as raison, tu me plais. Et je suis désolé d'avoir insinué que tu étais le seul fautif dans cette situation. Quoi qu'il en soit, il faut que tu comprennes que même si nous sommes tous les deux attirés l'un par l'autre, ce n'est pas possible.
— Pourquoi ?
— Ton âge, tout d'abord.
Jay fronça les sourcils. Encore une fois, je lus sur ses traits fins et lisses l'incompréhension.
— L'âge est un problème ? demanda-t-il, hésitant.
— Évidemment ! m'impatientai-je. Tu es mineur, Jay. Ça pose tout un tas de problèmes !
— Par rapport à quoi ? Le sexe ? J'ai dépassé la majorité sexuelle, j'ai le droit de coucher avec qui je veux.
Cette information me percuta. Tous les points énoncés étaient véridiques, toutefois, était-ce pour autant moral ? Pourrais-je réellement outrepasser le fait qu'il soit mineur ? Peu importe que la loi m'indique qu'il avait le droit d'avoir des relations sexuelles consenties, le fait était qu'il était mineur et que j'avais vingt-cinq ans, bientôt vingt-six ! Ce serait considéré comme... dérangeant. Inapproprié. Immoral. Abusif, même.
— Tu as l'âge d'avoir des relations sexuelles, mais la bienséance voudrait que tu explores avec des jeunes de ton âge, pas avec... des hommes plus âgés que toi, exposai-je prudemment.
— Donc nous sommes déjà en train de parler de nos futurs ébats sexuels ensemble ? s'enquit-il.
— Pas du tout ! objectivai-je vivement.
Il était désespérant. J'essayais de me confier, de lui expliquer mon trouble et mon malaise, et lui, il me balançait des provocations à la figure. Comme d'habitude.
— Je ne joue pas avec toi, Jay. Alors quand je réfléchis à ce qui se passe entre nous, je pense forcément à l'aspect intime. Et c'est un point qui nous empêche d'envisager quoi que ce soit.
Ma confession était honnête, dissimuler mon attirance physique n'avait pas de sens, il voyait clair en moi.
Mais comprenait-il ce qui avait en dessous de cette attraction ? Voyait-il que le désir cachait une affection sincère, une connexion qui impliquait des sentiments ?
Peut-être étais-je seul à éprouver de vrais sentiments.
*
⭐️
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