Chapitre 17 : Jour de l'an

Jay

Ma bouteille était encore vide. Et ça, c'était étrange. Ne venais-je pas d'en prendre une nouvelle il y avait de cela trois secondes ? Mes pensées étaient brouillées, noyées sous la bière.

Le sous-sol de Hugo accueillait une trentaine voire plus de jeunes, prêt à faire la fête jusqu'au bout de la nuit. L'ambiance était incroyable, tout le monde dansait, rigolait et... vomissait. Ouais, ça, c'était dégueu.

J'aurais dû rejoindre les autres et danser, mais j'y arrivais pas. Mon moral était proche de zéro. Ces vacances étaient pourries et pourtant j'avais passé des fêtes de Noël incroyable avec mes cousins et j'avais eu les cadeaux que je voulais !

Mais le studio était fermé et ça me manquait d'être là-bas, d'observer les cours, d'apprendre ce que j'avais intégré en faisant mon ménage... Et oui, ok, Roman me manquait aussi.

Aucun signe de vie depuis qu'on s'était embrassé et ça me soulait.

Mike apparut dans mon champ de vision flou et passa un bras autour de ma nuque.

—   Mon gars, je t'ai trouvé quelqu'un, m'apprit-il sérieusement.

—   Hein ?

—   J'ai rencontré un mec d'un autre lycée, il est venu avec un groupe de potes qui connaissent Nicolas, tu sais, celui qui fait du basket ? Beh, il a ramené l'équipe ! Ils sont super cool, je pense que je vais m'inscrire. Bon, après je suis pas très grand, peut-être que j'ai pas mes chances.

—   Mike, l'interrompis-je. Qu'est-ce que tu racontes ?

—   Je dis que l'un des basketteurs m'a parlé de toi. Il voulait savoir si tu étais célib, c'est pas carrément un appel, ça ?

Mes yeux tentèrent de focaliser quelque chose avec clarté, puis les yeux clairs de mon ami furent... clairs. Ok, j'étais carrément bourré, moi aussi. Mike rigola et me tira en avant.

—   Je vais te le présenter, je pense que tu me remercieras.

—   Tu joues les cupidons, ce soir ?

—   Faut croire. Si jamais tu pouvais me rendre la pareille, ce serait sympa, j'en ai marre d'être seul.

—   Si tu étais moins con, peut-être que...

—   Ta gueule.

Sur ces mots d'amour, il se stoppa devant un groupe de trois mecs qui se tournèrent vers nous. L'un d'eux afficha un sourire vraiment éclatant.

—   Jared, voici Jay, présenta Mike.

—   Salut, dis-je simplement.

—   Allez hop, mission accomplie, on bouge ! cria Mike en tournant les talons.

Les deux autres gars s'éclipsèrent à sa suite en gloussant comme des pintades. Super, j'étais tombé dans un traquenard. Quelle angoisse.

—   Fais pas cette tête, Jay, t'es pas obligé de me tenir compagnie, intervint Jared.

—   J'ai été piégé.

—   Ah oui ?

Le sourire en coin qui s'afficha sur ses traits me poussa à le détailler. Assez grand, des épaules de sportifs, des cheveux courts et bruns et des yeux... d'une couleur indéterminée. La lumière n'étant pas très bonne dans ce sous-sol, je ne saurais dire si c'était du vert, du bleu ou un mélange des deux. J'aimais bien sa mâchoire carrée. Ok, donc Jared devait être classé dans les beaux garçons.

—   Mike a dit que tu me connaissais, dis-je pour engager la discussion malgré le brouillard dans ma tête.

—   Ouais, enfin je t'ai vu plusieurs fois quand tu traînais au parc avec tes potes. On y va aussi avec l'équipe entre midi et deux. C'est Nicolas qui m'a donné ton nom.

—   Ah d'accord. Et tu ne m'as pas ajouté sur les réseaux ?

—   Non, ricana Jared. Mais clairement, j'aurais dû.

—   Ouais, tu aurais dû, renchéris-je, mon rictus espiègle aux lèvres.

La conversation après ça fut bien plus marrante. Jared s'avéra être assez drôle et répondait plutôt bien à mes taquineries. Les bières ne cessèrent de s'enchaîner jusqu'à ce que je doive aller aux toilettes. Jared m'accompagna, prétextant avoir également envie d'utiliser la salle de bain, cependant, lorsque je sortis de la pièce, il me poussa pour me faire reculer prestement.

Il parvint à nous enfermer à l'intérieur en un rien de temps. Son corps vint immédiatement se plaquer au mien.

— Qu'est-ce que tu fais ? m'enquis-je.

— J'ai vraiment envie de t'embrasser, Jay.

— Oh.

Alors là, j'étais surpris. Non pas qu'il soit rare qu'on veuille m'embrasser, mais je n'avais pas vu venir ce rapprochement avec Jared.
Je considérai la situation et mes yeux tombèrent sur la bouche gourmande de mon vis-à-vis. Sans plus réfléchir, je hochai la tête et me penchai vers lui.

Nos lèvres jouèrent ensemble et sa langue pénétra ma bouche. Malheur ! Les attentions du sportif aspirèrent toutes mes pensées ! Ouais, il aspira vraaaaaaaiment bien ma langue. Un foutu baiser torride.

Une de ses main agrippa mon tee-shirt et l'autre ma nuque, tandis que j'ensserrai sa taille pour garder l'équilibre.

Ma tête tournait et le désir s'épanouissait dans mon corps. Jared colla son bas-ventre au mien, initiant un mouvement de friction. Perdus dans nos baisers frénétiques, nos mains palpaient dans le but de soutirer un maximum de gémissements à l'autre. La musique en arrière fond camouflait tous nos bruits, mais nous plongeait dans une bulle de transe.

Sauf que mon cerveau, même un peu embrouillé, fonctionnait toujours et il décida de transposer ce baiser à celui que j'avais échangé avec Roman.

Mon coeur chuta dans ma poitrine et je reculai, déstabilisé.

Un tambourinement à la porte nous fit sursauter avant que la voix d'une fille s'égosille pour signaler son envie urgente de pisser. Un gloussement s'échappa de Jared qui se racla la gorge en s'éloignant de moi.

— On devrait sortir.

— Ouais, acquiesçai-je en me tournant vers la porte.

Nous sortîmes des toilettes, sous le regard noir de la demoiselle qui tressautait sur place, les jambes croisées. Jared et moi traversâmes la foule de danseurs pour atteindre nos potes. Hugo me tendit une autre bière, non sans m'avoir fait un clin d'œil.

—   Il est bientôt minuit, me renseigna-t-il.

Je souris par automatisme, l'esprit toujours ailleurs. Cette soirée de nouvel an aura finalement été une bonne chose. J'avais tenu quoi ? Cinq heures avant de penser à Roman ? C'était pas mal du tout.

Bien mieux que ce que j'avais réussi à faire durant les vacances. Mon putain de cerveau déglingué m'empoisonnait d'images de Roman, de son corps musclé dansant merveilleusement bien et de ses lèvres douces, et de sa langue chaude et...

Allez, stop ! Je pris une longue gorgée de bière, éloignant ces pensées. J'avais hâte de reprendre mon job au studio et de le revoir. Honte à moi, mais... j'étais mal à l'aise à l'idée qu'il m'en veuille. Qu'il soit fâché contre moi.

J'étais allé trop loin en pénétrant le studio sans permission, j'avais peur que ce baiser foute en l'air notre relation encore plus. Roman avait clairement été en rogne, mais il s'était adouci parce que j'avais présenté mes excuses sincères. Il m'avait proposé d'intégrer les cours et sa façon de me montrer qu'il me comprenait, qu'il voulait m'aider... ça m'avait fait flancher. Foutues hormones !

L'espace d'un instant, j'avais cru qu'il était intéressé par moi, que je lui plaisais ! Pfff, vu sa réaction, je m'étais fait des films à la Spielberg.

J'espérais que Roman s'était détendu pendant les vacances et qu'il ne me reprocherait pas ce baiser trop longtemps. Ce qu'il fallait retenir, était sa proposition de m'intégrer à un cours ! Pas à dire, la nouvelle année avait de bonnes perspectives.

Mes émotions faisaient rage en moi et à cause d'elles – et un peu à cause de l'alcool -, je décidai d'envoyer un message à Roman pour lui souhaiter une bonne année.

À l'abri des regards, je tapai furieusement, sans réfléchir.

À « Roman, le prof sexy » : Bonne année, Roman ! 🥳 J'espère que tu as passé de bonnes vacances... Le studio me manque, hâte de retrouver le balai, les cours et ton corps sexy qui danse divinement bien 😉

Content de moi, je pris ma énième bière et trinquai avec Hugo qui me pressa de lui raconter l'épisode des toilettes avec le basketteur. Puis arriva le moment où, fatalement, je me souvins que mon téléphone n'avait pas vibré. Pas de réponses de la part de Roman.

Et ça, ça me mina le moral. Encore...

Un pincement dans la poitrine, très désagréable, m'apprit que son silence depuis deux semaines me rendait carrément étrange. Je ne définissais pas cette émotion. Nervosité, agacement... tristesse ?

*

Roman

—   C'est carrément indécent, chuchota Aurélien dans un halètement.

—   Hum, grognai-je.

Les vapeurs du jacuzzi nous baignaient dans une atmosphère chaude et oppressante. Le contraste entre l'eau bouillonnante et l'air partiellement glacial provoqua une nuée de frissons sur ma peau émergée. Et cela n'avait donc rien à avoir avec le fait que mon corps se fondait dans celui d'Aurélien et que le plaisir circulait dans mes reins.

Ma tête ne se focalisait que sur une seule chose, est-ce que oui ou non, je me souviendrais de ce moment demain ? Pas sûr. Avec le nombre hallucinant de vodka redbull que j'avais ingurgité, il était possible qu'un trou noir aspire mes souvenirs. Ce n'était pas plus mal.

Non pas que j'ai quelque chose contre Aurélien, simplement, je ne comprenais pas bien ce qui m'avait poussé à me retrouver enfoui en lui.

L'idée de louer une maison dans les Alpes pour fêter le nouvel an entre potes m'avait fait rentrer plus tôt de mes vacances en famille. Hormis Théo, Frank et Luka n'avaient cessé de me réclamer et j'étais faible. J'avais besoin de mes amis, de me changer les idées, de faire semblant.  Et là... je faisais très bien semblant.

—   J'ai jamais fait ça... dans un... jacuzzi, haleta Aurélien.

La ferme ! avais-je envie de hurler.
Ce mec était une pipelette. Ami d'un ami de Frank, il avait tout de suite jeté son dévolu sur ma personne. Radar à gay et tout ça. Je ne lui avais pas prêté plus d'attention que ça, il était beau avec ses cheveux blond foncé et son petit nez fin, mais en réalité, j'avais pas vraiment la tête à ça. Toutefois, il avait pris le temps de discuter, avant de passer à la seconde.

De fil en aiguille, je m'étais surpris à apprécier nos échanges. Du genre : « tiens, sympa ce mec, à donner suite ».

Malheureusement, ma naïveté m'avait giflé violemment. Au cours de la soirée, tandis que nous avions investi le jacuzzi qui avait déterminé le choix de notre location, Aurélien avait prononcé une phrase toute particulière.

—   Alors on passe aux choses sérieuses, Roman ? avait-il soufflé dans mon oreille.

Toujours le même scénario. Je pensais avoir trouvé quelqu'un qui s'intéressait à ma personne et cherchait quelque chose de « plus », et puis, j'étais confronté à la dure réalité. Le sexe passait toujours en priorité. Baiser, puis parler. Baiser, puis envisager le reste ensuite. Et il n'y avait jamais de suite.

Où était la découverte ? La séduction ? La période de drague qui intensifie l'intérêt, le désir ? Où était la satisfaction d'en apprendre plus sur quelqu'un et d'apprécier au fur et à mesure son esprit unique ? De trouver des points communs, de confronter nos différences...

Cette danse m'était refusée encore et encore. J'en avais marre. Peut-être même éprouvais-je une certaine tristesse.

Dans un dernier coup de rein, l'orgasme éclata. Il fut rapide, sans saveur. Aurélien gémissait beaucoup trop. Sa jouissance passée, il attrapa une des serviettes sur le rebord et s'essuya.

—   Super. L'année commence bien, ricana Aurélien avant de sortir complètement du jacuzzi et de disparaître.

Pas un mot de plus, pas de gestes affectueux, pas de discussion post-coïtale, ni d'échange de numéro. Rien. La preuve flagrante de son objectif premier – m'utiliser – enclencha une colère amère en moi.

Je sortis à mon tour de l'eau et allai prendre une douche. Malheureusement, celle-ci ne chassa pas la sensation acide dans mon ventre.

Encore moins lorsque je revins au salon pour rejoindre mes amis et qu'Aurélien ne m'adressa pas un regard. Les conversations étaient animées et je me laissais simplement transporter par elles jusqu'à ce que minuit arrive et que tout le monde hurle en se jetant les uns sur les autres.

Plus tard dans la soirée, je jetai un coup d'œil à mon téléphone afin de répondre aux messages de ma famille ou des connaissances qui avaient pensé à moi pour me souhaiter leurs vœux de bonne année. Mes yeux furent instantanément secs lorsque je les posai sur l'écran et que le nom de Jay s'afficha, ce qui initia un bug de mes paupières. Figé, mes pensées retournèrent vers Jay et mon cœur s'alarma sous mes côtes.

Je lus les mots, une fois, deux fois, six fois puis verrouillai le téléphone sans répondre. Qu'aurai-je répondu ? Jay était adepte de la bipolarité, une phrase innocente suivie d'une phrase séductrice.

J'aurais aimé répondre, lui souhaiter sincèrement une bonne année, la réussite de son bac, l'acceptation de son entrée en École Supérieure d'Arts Dramatiques. Oui, j'aurais voulu lui répondre normalement, avec décontraction et simplicité. Mais ce n'était pas possible. Parce que Jay n'était pas simple, jamais.

Et je n'étais pas prêt à alimenter encore cet échange entre nous, quel qu'il soit. D'ailleurs, j'aurais aimé comprendre ce qui se passait entre nous. Étions-nous collègues ? Amis ? Que devais-je faire de l'intérêt que je lui portais ?

Probablement l'ignorer. J'étais et je restais son employeur, l'ami de son grand frère, point.

Mon esprit embrumé par les volutes d'alcool me souffla inlassablement à quel point j'étais un abruti. De croire qu'il y avait encore quelque chose à faire pour mettre de la distance entre Jay et moi.

Jay revenait vers moi sans cesse et moi, j'étais tout simplement incapable de résister à son attitude. Pourquoi ? Pourquoi n'arrivais-je pas à l'ignorer ? Combien de temps encore avant que ma résistance ne vole en éclat, que je ne supporte plus de cacher mon attirance pour lui ?

Putain de bordel de merde. Venais-je de dire « attirance » ?

La vodka avait décidément de drôles de conséquences. Il était clair que je devais lutter jusqu'au bout pour garder Jay le plus éloigné possible. D'un autre côté, il était aussi parfaitement limpide que je n'avais pas la force nécessaire de nier ce que j'éprouvais.

Et cette nuit, tandis que je me noyais dans la débauche alcoolisée, je réalisais que ce n'était pas innocent. Que ce jeu entre Jay et moi avait pris racine, qu'il avait changé ma perception de lui, qu'il avait animé quelque chose d'effrayant.

Et pire que tout, j'entendais le 'tic tac' de l'horloge. Ce n'était qu'une question de temps avant que je faiblisse, inutile de se voiler la face.

Toutefois, tant que ce n'était pas arrivé, j'étais déterminé à croire que c'était possible, que je pouvais réellement me sortir de cette merde.

*

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