Chapitre 16 : Roman

Jay pénétra mon bureau après avoir tapé timidement.

Assis sur l'un de mes fauteuils, je dus tourner la tête pour le voir avancer jusqu'à moi. Sa mine penaude ne l'avait pas quitté de la journée. Depuis cette confrontation à son café, une semaine avait passé, mais visiblement, Jay se trouvait toujours marqué par mes mots.

Il posa ses fesses sur le fauteuil qui me faisait face et se racla la gorge.

— J'ai fini, m'apprit-il.

— D'accord.

Je me levai pour rejoindre mon prochain cours, cependant, il me rattrapa en chemin, en agrippant l'une de mes mains.

— Attends, est-ce qu'on peut parler ?

— De quoi ?

— Je vois bien que tu es toujours fâché... je te jure que je suis désolé, vraiment.

Un soupir filtra entre mes lèvres. Ma colère était passée, simplement, j'avais besoin que Jay se rende compte que les actes avaient des conséquences et qu'il était allé trop loin.

D'où mon ignorance totale cette semaine. Et ça avait été difficile d'imposer une distance, peut-être ne l'avouerai-je jamais, pour autant, c'était ce que je ressentais. La relation que nous avions construit était imparfaite et sans aucune définition, mais c'était quelque chose de sympa qui me manquait.

— Je suis plus en colère, simplement déçu que tu n'aies pas eu assez confiance ou assez de respect pour moi pour me demander d'utiliser mon studio. J'aurais accepté, Jay, j'ai toujours été cool avec toi, même si tu penses que c'est pas le cas.

— Je sais, exhala-t-il. J'ai confiance en toi, mais je sais pas, j'ai... j'ai été con, reconnu-t-il.

Cette confession me fit du bien. Au fond, c'était pas juste un adolescent insolent ou irrespectueux, il se cherchait encore. Reconnaître ses erreurs est une preuve de maturité que je savais apprécier.

— Tu peux utiliser les salles autant que tu veux, mais demande-le avant.

— C'est vrai ? s'étonna-t-il.

— Oui et tu pourrais... tu peux t'inscrire pour un cours si tu veux, proposai-je sans réfléchir davantage.

— Je n'ai pas l'argent, répondit-il en grimaçant.

— Ça va, je ne te demande pas de payer les cours. Si tu as le niveau, je t'accepte dans une des classes.

Jay écarquilla les yeux. Ma proposition avait glissé sur ma langue avec naturel, je tenais à offrir une chance à Jay. Peut-être que mon côté altruiste me perdrait un jour. Ma passion pour la danse me galvanisait au quotidien et étant comme moi, il devait être très peiné de ne pouvoir apprendre.

— Pourquoi ferais-tu ça ?

— Tu es envouté et je comprends ça, j'aime les gens passionnés par la danse.

Au moment où ses mots volèrent entre lui et moi, je pris conscience de leur signification. Merde, cela pouvait être mal interprété.

Jay me fixa longuement. Devais-je développer mon idée pour ne pas rendre la chose ambiguë ?

Jay ressera sa main sur la mienne et il fit un pas de plus vers moi. Son corps était à présent dans mon espace personnel, son parfum me chatouillant les narines. J'eus beaucoup de mal à ignorer que j'aimais cette proximité.

La situation avait quelque chose d'étrange, c'était intime.

— Merci, souffla Jay si faiblement que j'eus du mal à l'entendre.

Sa bouche aux lèvres pulpeuses et d'une couleur framboise qui n'existait pas dans la vraie vie avait certainement bougée. Mettait-il un baume sur ses lèvres pour qu'elles aient cette couleur ? Putain, mais d'où me venait des pensées pareilles ?

— Ne fait plus le con, l'avertis-je pour tenter de reprendre le contrôle de ce qui était en train de nous échapper.

— Je te le promets.

— Bien.

Contre toute attente, Jay ne dévia pas la conversation, il n'y eut pas de sourire sarcastique ou même joyeux. Son expression resta comme figée puis il bougea.

S'élevant sur la pointe des pieds, il se pencha vers moi, son autre main se stabilisant sur le haut de mon bras gauche. Une sensation de déjà-vu m'imprégna, cependant, Jay me surprit.

Ses lèvres se posèrent sur ma joue avec une extrême lenteur, comme s'il voulait s'assurer que j'aie le temps de reculer si je ne souhaitais pas cet échange. Mon ventre se noua et un millier de frissons parcoururent mon épiderme. Ma seule pensée à cet instant était que j'aurais aimé goûter ses lèvres.

Même si c'était une horrible idée, mon cerveau fut obnubilé. Si bien que lorsque Jay se recula, je me penchai vers lui.

Je m'interrompis juste à temps, mais mon mouvement était une invitation si évidente que Jay la détecta. Il m'offrit alors le même scénario, se dirigeant doucement vers mes lèvres afin de me permettre de reculer. Mon corps resta tétanisé par l'ambiance.

Ses lèvres entrèrent en contact avec les miennes et une explosion se déchaîna en moi.

J'entrouvris la bouche, poussé par un instinct viscéral. Le baiser devint alors un vrai échange, la danse sensuelle de nos lèvres. Mon cerveau se déconnecta pour rendre chaque mouvement.

Le contact entre nos langues m'électrisa, le désir flamba au creux de mon bas-ventre, si bien qu'un sentiment de honte me submergea. Ce fut l'élément qui me permit de me ressaisir.

D'un geste brusque, je me reculai, éloignant Jay de moi. Le rose de sa bouche luisait et accentuait ma gêne.

— Merde, lâchai-je.

— Rom...

Sans attendre la fin, je fis volte-face et sortis à toute vitesse de cette pièce. Le plus loin possible de Jay et de ce qui venait de se passer.

Quelle horreur. Qu'est-ce qui n'allait pas chez moi ?

Mes élèves m'accueillirent avec impatience et je démarrai mon cours. Malheureusement, cerveau avait décidé de rester figé sur l'image de Jay et moi s'embrassant à pleine bouche. Mes pas étaient chaotiques, je me trompais plus souvent que mes élèves, si bien que j'enrageais intérieurement.

La musique tambourinait et après trois erreurs de ma part dans la chorégraphie, je décidai d'arrêter le massacre pour m'asseoir sur la chaise dans le coin. Je fis mine de contrôler les élèves sur leur rythme et leur technique, sauf que je n'y étais pas du tout. Mes yeux voyageaient constamment vers l'horloge, attendant le glas.

C'était mon dernier cours, ce qui signifiait que Jay arriverait pour nettoyer la salle et qu'ensuite, je devrais le raccompagner chez lui. Dans notre habituelle routine. Cette perspective enclencha une panique sourde en moi.

Lorsque l'horloge de la salle A afficha la fin de la séance, les acclamations vives annoncèrent les vacances. Quelques-uns vinrent me faire une accolade. J'entretenais des rapports très amicaux avec l'ensemble de mes élèves, et je m'étais fait plusieurs potes au fil du temps. L'un des mecs, Thibault, me proposa d'aller boire un coup ce soir dans un nouveau bar et j'acceptais. Je les rejoindrais dans une heure ou deux.

Après ces au revoir, mes élèves s'échappèrent rapidement, me laissant seul avec mon palpitant en furie. Désespéré, complètement paniqué et en sueur, je me penchai pour nicher ma tête entre mes mains, les coudes posés sur les genoux.

La douceur des lèvres de Jay avait été incroyable. Sa langue jouait exactement comme ses mots, avec espièglerie. Mon ventre ne supportait pas le choc. Me rendre compte que j'avais aimé cet échange me donnait la nausée. Comment était-ce possible ?

—   Salut.

Cette voix me fit tressaillir et je relevai la tête subitement pour voir Jay sur le pas de la porte, hésitant et le regard brillant.

Incapable de répondre, je me contentai de le fixer comme si j'allais avoir une illumination. Peut-être que si je le regardais longuement, que je l'analysais réellement, je reprendrais mes esprits. Jay était trop jeune. Il n'y avait aucun moyen que je sois attiré par lui. Aucun.

—   Tu as perdu l'usage de la parole ? me lança-t-il d'un ton qui se voulait taquin, sans y parvenir vraiment.

Malgré ses efforts, je percevais le malaise. Lui aussi ne savait pas trop comment réagir.

—   Non, répondis-je durement en me mettant debout. Tu devrais te mettre au travail.

Sans attendre, je le dépassai pour rejoindre mon bureau où je m'enfermai rapidement. Le souffle court, je pris une bouteille d'eau et avalai l'intégralité d'une traite.

Les vacances de Noël commençaient dès demain, je n'aurais donc plus à voir Jay pendant ce temps-là, ce qui me permettrait de prendre du recul. Et j'avais vraiment besoin de ça.

Mon téléphone sonna et sans regarder, je décrochai rapidement, heureux d'avoir une échappatoire à mes pensées tournées inlassablement vers Jay.

—   Allô ?

—   Salut mon poulet ! cria mon ami dans mon oreille.

—   Salut, Théo, répondis-je, la gorge tout à coup serrée.

—   Ça va ?

—   Ouais, nickel.

—   Tu as déjà ramené mon frère ? me demanda Théo.

Cette question eut pour conséquence une remontée acide de bile dans ma trachée. Très désagréable.

—   Pas encore, répliquai-je.

—   Bon, quand tu l'auras fait, rejoins-nous au Belvédère.

Mon cœur s'affolait trop rapidement. Entendre la voix de mon ami me faisait grincer des dents, elle avait la même intonation que Jay. À nouveau, j'eus l'image mentale du baiser échangé quelques heures plus tôt et tout mon corps se rigidifia.

—   Je ne peux pas, je sors boire un coup avec les potes du studio, déclinai-je avec soulagement.

—   Ah, merde.

Théo installa quelques secondes de silence étrange puis reprit :

—   Ça fait un moment qu'on s'est pas vu, Roman. Tout va bien ?

Voulait-il que je fasse une crise cardiaque ? Parce que c'était sur la bonne voie, là.

—   Ouais, ouais tout va bien, je... On se voit un autre jour, le studio est fermé pendant ces vacances scolaires.

—   Ok. T'es sûr que tu peux pas passer plus tard ?

—   Je te tiendrais au courant, annonçai-je alors que je connaissais déjà le dénouement.

—   Ça marche.

Nous raccrochâmes au moment où Jay passa son petit minois à travers la porte de mon bureau.

—   J'ai fini, m'indiqua-t-il dans une moue étrange que je ne déchiffrais pas.

—   Allons-y.

Sans attendre, Jay récupéra ses affaires et nous gagnâmes ensemble mon véhicule, garé dans une rue adjacente. Le silence ne faisait qu'exacerber le malaise ambiant entre nous, mais loin de moi l'idée de faire la conversation. Tandis que je m'insérai dans la circulation, Jay se racla la gorge avant de demander :

—   Tu pourrais me déposer dans le centre, s'il te plaît ?

—   Pourquoi ? répliquai-je automatiquement.

—   J'ai... un rendez-vous.

L'hésitation ne passa pas inaperçu et je tournai la tête dans sa direction pour observer son expression. Toutefois, Jay se défila, regardant par la fenêtre.

—   Ok, cédai-je, tentant de ne pas réfléchir à ce rendez-vous.

Cela ne me regardait pas. Il avait tout à fait le droit de sortir avec des potes ou avoir des rencards, ce n'était pas mes affaires. Et je me promis de ne pas lui demander une preuve de ses faits et gestes. À partir de maintenant, ce que trafiquait Jay n'était pas de mon ressort. Je me demandais déjà pourquoi diable j'avais imaginé que je devais le surveiller !

Il m'indiqua où je devais le déposer et j'acquiesçai.

—   Tu ne protestes pas ?

—   À quoi ?

—   La dernière fois que je t'ai demandé de me déposer ailleurs que chez moi, tu as paniqué.

—   Et depuis, j'ai pris conscience que tu pouvais faire ce que bon te semblait, ce n'est pas mon problème.

—   Amen, marmonna-t-il.

Faisant fi de cette réplique, je gardai obstinément mon regard sur la route. Les minutes s'égrenaient et la tension circulait dans mon corps. Mes doigts serraient si fort le volant que mes phalanges blanchissaient.

Une nouvelle vague de silence imprégna l'habitacle et une fois de plus, Jay se chargea de la dissiper.

—   Donc on va pas en parler ? intervint tout à coup Jay en tournant son buste vers moi.

Mon cœur sursauta dans ma poitrine.

—   Non.

—   Pourquoi ?

Sa voix était douce, sans aucune intonation malicieuse ou arrogante. D'ailleurs, il avait atténué son manège depuis quelques temps. Pour autant, je refusais de considérer ce qu'il s'était passé.

—   Il n'y a rien à dire, élucidai-je.

Il était clair que je ne voulais pas en parler et Jay garda le silence, se tournant à nouveau vers la vitre. Lorsque j'arrivai au point de rendez-vous, Jay soupira fortement en sortant de la voiture. Il se pencha dans l'habitacle et se racla la gorge, me poussant ainsi à le regarder enfin.

—   Bonnes vacances, dit-il doucement.

*

Les vacances de Noël furent une distraction presque suffisante pour ne plus penser à Jay. Pour ne plus ressasser les mêmes questions. Pourquoi ne l'avais-je pas repoussé ? Pourquoi sa présence me manquait-elle ? Pourquoi j'appréciais autant notre jeu de drague passif-agressif ? Pourquoi j'aimais autant l'entendre parler de danse ou apprendre à connaître sa vie ?

Nos conversations étaient si riches, nous avions réellement tissés un lien. je connaissais sa routine, le nom de ses amis, les cours qui lui posaient problème pour le bac ainsi que ses goûts musicaux ou cinématographiques.

Oui, Jay était jeune, cependant, il était surprenant et intéressant. Et il imprégna mes pensées durant toutes les vacances.

J'avais retrouvé mes parents dans l'Ouest de la France, réintégrant le cocon familial qui me manquait le reste de l'année. Avec ma mère, nous avions décoré la maison, fait les courses pour les cadeaux puis nous avions mangé à outrance, rigolant aux blagues de mon père et de mes oncles...

Je n'eus aucune nouvelle de Jay, mais pourquoi en aurais-je eu ? Mon sentiment de culpabilité me poussa à ignorer Théo et je me faisais l'effet d'un connard. Un triple connard. Le mensonge, la trahison, la distance... autant de points qu'il ne pardonnerait pas.

Il était trop tard pour tout révéler, cela ne changerait plus rien, Jay avait renoncé à son club de strip. Inutile de revenir là-dessus.

Et cette pseudo attirance que je pensais peut-être éprouver pour Jay n'était qu'un mirage. Irréel. Cela passerait. 

*

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