Chapitre 12 : Jay
L'heure sur mon téléphone n'avançait pas. Le temps devait s'être arrêté, c'était pas possible autrement.
— Une idée, Jay ?
— Hein ?
— Pour l'exo de maths, là, précisa Hugo.
Ma feuille était vierge de toutes équations mathématiques, ce qui me poussa à secouer la tête. Les cours s'étaient terminés tôt aujourd'hui, Mike avait proposé que l'on révise pour le bac, alors nous étions tous chez lui à reprendre les chapitres les plus difficiles du programme.
— Tu n'as rien foutu, constata Mike.
— J'y comprends rien en suite numérique.
— Tu attends un message ? demanda Aria en tapotant l'écran de mon téléphone avec son doigt manucuré en vert.
Toutes les têtes présentes autour de la table du salon se relevèrent instantanément et beaucoup trop d'yeux me fixèrent d'un coup.
— Avec qui tu causes ? On est tous là, répliqua Mike.
— Comme s'il ne pouvait pas avoir d'autres fréquentations, marmonna Sarah d'un ton médisant.
— Du genre des mecs du club de strip ? rigola Hugo.
Je levai les yeux au ciel. Hugo était toujours très excité à l'idée de me savoir en strip-teaseur. Il était venu plusieurs fois pour se rincer l'œil, le pervers.
— Non, rien à voir.
Mon téléphone resta désespérément noir, ce qui m'agaça. Roman ne répondait pas ! Et j'avais besoin qu'il réponde. Étant donné que je finissais aussi tôt, je voulais en profiter pour voir davantage de cours de danse, j'adorais ça. Le travail ingrat que je devais accomplir se compensait facilement par l'ambiance des lieux et la possibilité de voir les danseurs.
Les musiques et les chorégraphies choisies étaient géniales et à chaque fois que j'observais, je jalousais leur prestation.
— Qu'est-ce que tu as alors ? insista Mike.
— J'attends juste la réponse de Roman. J'aimerais passer au studio plus tôt pour voir un cours.
Et pas n'importe lequel. Celui qui concernait la classe B. Même si ceux de la classe C, les plus de dix-huit ans, étaient très doués également. Seulement, je m'identifiais plus à la classe B en termes d'âge et de niveau. Et Roman donnait ce cours à dix-sept heures trente.
Je n'avais aucune obligation de venir avant dix-huit heures puisqu'une femme de ménage venait en journée. C'était pour alléger ses heures que Roman m'avait embauché. Soi-disant.
— Roman ?
— Ouais, tu sais le propriétaire du studio de danse dans lequel je bosse, précisai-je à l'intention de Mike.
— Oh ouais, il est tellement beau ce gars.
Je tournai la tête vers Hugo, la mine déconfite. Lui aussi allait s'y mettre ? Après Jasmine du café, maintenant mon ami Hugo ? Roman n'était pas si beau que ça. Il avait un nez pas tout à fait droit, une mâchoire trop carrée et ses lèvres n'étaient pas aussi roses que les miennes. Enfin bon, il n'était pas horrible non plus. Non pas que je le regarde vraiment.
— Ma sœur prend des cours avec Estelle, j'y suis déjà allée et oui je confirme, il est sexy, intervint Sarah, les joues rouges.
L'écran s'illumina à cet instant et mon cœur bondit dans ma poitrine.
De « Roman, le vieux » : Ouais, viens quand tu veux, minus.
Un sourire flotta sur mes lèvres en voyant ce surnom. Depuis que j'avais commencé mon travail là-bas, Roman s'évertuait à me donner des noms toujours plus nuls les uns que les autres. Et je lui rendais bien.
Qui avait commencé ce petit jeu ? C'était marrant.
Je bondis de ma chaise et rangeai précipitamment les livres de maths et ma trousse dans mon sac à dos.
— Je me taille, dis-je, comme si ce n'était pas assez clair.
— Tu vas retrouver Roman et son corps sexy ? Je peux venir ? ricana Hugo.
— La ferme, je vais bosser.
Je leur fis un signe de la main et pris la poudre d'escampette. Je n'avais jamais été aussi enjoué à l'idée de travailler. Mais franchement, ce studio était super cool. En lavant le parquet des salles de danse, je pouvais mettre de la musique en branchant mon téléphone à l'enceinte et danser comme je le voulais.
Quelque part dans mon esprit, je me prenais pour un danseur professionnel. Un rêve inaccessible, mais sympa à imaginer.
En moins de quinze minutes, je me retrouvai au studio. Roman vit ma tête à travers le hublot de la porte et me fit un petit signe en souriant. J'entrai avec toute la discrétion dont j'étais capable pour me placer à mon endroit habituel auprès de l'enceinte, le mur de glace dans mon dos.
La température dans cette salle était étouffante, au bout de quelques minutes, je suais presque autant que les danseurs qui se mouvaient devant mes yeux. Plusieurs d'entre eux étaient déjà torse nu pour les garçons ou en brassière pour les filles. Roman quant à lui arborait toujours son tee-shirt blanc.
J'enlevai mon sweat bleu et le posai sur le parquet à côté de moi tout en contemplant l'ami de mon grand frère. Chacun de ses gestes faisait gonfler ses muscles, attirant mon regard.
Mes amis avaient raison, il n'était pas désagréable à regarder. Ses biceps se contractaient harmonieusement et quelques veines pulsaient sous la peau de ses avant-bras. Ouais, pas à dire, lorsqu'il dansait, Roman était sexy.
Alors que ma main vérifiait si je ne bavais pas littéralement, mes yeux accrochèrent ceux de Roman. Encore. Le gris tacheté de brun de ses prunelles se portait régulièrement sur moi. Avais-je un truc sur le visage ? D'un mouvement subtil, je me tournai vers le miroir pour admirer mon reflet et ne trouvai rien qui clochait.
La musique s'acheva et la salle s'alourdit d'un silence associé à un arrêt sur image. Les danseurs restèrent au sol quelques secondes avant que des soupirs accompagnent l'affaissement de leur corps. Roman vint droit sur moi, les sourcils froncés.
— Qu'est-ce que tu as fait ?
— Quoi ? répliquai-je, surpris.
— Tu as touché à quelque chose ?
— Non, pourquoi ?
Il récupéra son téléphone puis riva son regard sur moi, toujours assis au sol. Maintenir un contact visuel m'obligea à me tordre le cou.
— La musique s'est arrêtée d'un coup, tu n'as pas remarqué ?
À mon grand étonnement, je n'avais pas compris que l'arrêt de cette chorégraphie avait été impromptu. Sûrement avais-je été trop obnubilé par Roman. Merde.
— Euh ouais, j'ai vu. Je n'y suis pour rien, me défendis-je.
— Je sais, je n'ai plus de batterie, expliqua-t-il en soupirant.
Il se tourna vers ses élèves qui profitaient royalement de la pause involontaire.
— Le cours ne se termine que dans quinze minutes et nous devons répéter la deuxième partie de la choré.
— Je te prête mon téléphone si tu veux, proposai-je, en tirant l'objet de ma poche.
Roman m'observa, léger rictus aux lèvres et récupéra mon portable pour le brancher sur l'enceinte.
— Merci, microbe.
— Derien, grabataire. Tu me revaudras ça, insinuai-je en lui faisant un clin d'œil.
Son sourire s'intensifia pour se muer en ricanement avant que Monsieur Rabat-joie ne se ressaisisse. Il faisait ça souvent, il riait à mes blagues, me taquinait et puis tout à coup, il arborait un visage sérieux et neutre. Comme s'il tentait d'effacer chaque sourire que je lui soutirais.
La musique reprit ses droits dans la salle et résonna entre les murs. Le son se réverbérait en tous sens, transformant le lieu en une énorme boîte de résonance. Roman reprit sa place aux côtés de ses élèves, criant des directives alors qu'il retirait son tee-shirt. Bonté divine !
J'eus beaucoup de mal à ne pas être jaloux de ses tablettes de chocolat. Comment pouvait-il avoir un corps aussi dessiné ? Je croyais que cela n'existait que dans les vidéos pornos où tous les mecs étaient juste parfaits. J'aimerais bien que mes soirées au club de strip m'aident à avoir de tels abdominaux ! Peut-être faudrait-il que j'augmente la fréquence de mes shows là-bas...
Les quinze minutes qui suivirent ne firent qu'accentuer mon admiration. Roman était bien trop fort, bien trop sensuel. J'avais de plus en plus chaud et lorsque le cours toucha à sa fin et que les élèves prirent congé, j'eus envie de me foutre torse nu, moi aussi. Mais j'avais du taf.
Je me dépêchai d'aller récupérer un seau que je remplis d'eau et de produits ménagers puis je retournai dans la salle. Il n'y avait plus d'affaires au sol, aussi passai-je directement la serpillière.
— Le cours t'a plu ?
La voix de Roman me fit sursauter. Je ne l'avais pas entendu entrer, trop perdu dans mes pensées qui rejouaient les regards en coin de Roman ainsi que ses abdominaux de malade. Que je lécherais bien.
Merde, j'avais pensé ça ?!
— Oui, comme d'habitude, c'était génial, dis-je.
— Tu dis toujours ça, rigola Roman.
Il se déplaça jusqu'à une chaise dans un coin, sa chaise de professeur de danse. Son corps n'avait toujours pas revêtu de tee-shirt pour mon plus grand plaisir. Et celui de mes yeux.
— Parce que c'est toujours super, exposai-je simplement.
— N'as-tu donc aucun avis sur les prestations ? Les chorégraphies ?
Mes bras arrêtèrent leur va-et-vient dans le vide pour laver le sol et je me tournai franchement vers Roman.
— Si, j'ai un avis, mais... je ne pense pas avoir la légitimité de le donner.
— Pourquoi ça ? demanda Roman en haussant les sourcils.
— Je n'ai jamais pris de cours, je ne suis pas un expert.
— Tu danses pourtant bien.
Ce compliment assécha ma bouche. C'était un compliment, non ? Le fait qu'il reconnaisse que je dansais bien me gorgea de fierté.
— Merci. Mais ce que tu as vu n'a rien à voir avec ce que tu pratiques, soulignai-je.
— C'est vrai, pourtant, je peux voir que tu sais bouger déjà, c'est pas mal.
— Pas mal, hein ? rétorquai-je en souriant.
Roman pinça les lèvres de contrariété, comme souvent avec moi. Néanmoins, depuis quelque temps, la lueur d'agacement associée dans ses yeux n'y était plus. J'y voyais plutôt de l'amusement.
— Continue à récurer le sol, Cendrillon. Il me semble que tu peux parler et nettoyer en même temps, non ?
— Je sais faire beaucoup de choses en même temps, l'informai-je, d'un ton langoureux.
Dieu seul savait pourquoi je m'amusais à le titiller ainsi. Je ne le draguais pas, cependant savoir qu'il était pratiquement outré à chacun de mes propos tendancieux me poussait à continuer. Et je comptais bien augmenter le niveau jusqu'à avoir une réaction.
Notamment parce que je voyais que ça l'amusait, quand même il ne le reconnaîtrait pas.
Roman soupira bruyamment sans répliquer. Il ne fallait pas le brusquer trop fort, alors je déviais la conversation sur un sujet que l'on partageait, l'art.
— Tu es allé au conservatoire à quel âge ? l'interrogeai-je avec curiosité.
Roman haussa ses sourcils, ne s'attendant pas à ce que je m'intéresse à lui probablement.
— J'ai commencé à l'âge de cinq ans. J'y ai appris le piano et la danse. J'ai commencé avec le classique puis j'ai dévié du droit chemin, rigola-t-il.
— Ce n'est pas au conservatoire que tu as appris tous ces mouvements de break danse, si ?
— Pas vraiment, répondit-il, évasif.
À cette réponse, ma curiosité me poussa à poser plus de questions, ainsi, nous partageâmes des informations.
Ces dernières semaines, j'en appris énormément sur lui, sur son parcours de vie de Bordeaux à Lyon, sur sa passion et son investissement dans ce studio. De même, je dévoilais étonnamment beaucoup de ma petite personne également. Je confiais mon amour secret pour le dessin ou la peinture. Il posa des questions et nos échanges furent fluides, passionnés, exaltants.
Je ne parlais jamais de ce genre de sujets avec mes potes de lycée, non pas qu'ils soient ignorants, mais ce n'était simplement pas des domaines qui faisaient partie de leur vie.
Avec Roman, parler d'art était simple et enrichissant. J'aimais bien.
— Tu peux me montrer quelques trucs ? osai-je.
Ma demande n'étonna pas Roman le moins du monde, il se contenta de me fixer puis, il se leva lentement pour s'approcher de moi, le regard franc.
— Qu'aimerais-tu apprendre ?
Pendant près d'une heure, il me montra des pas de base, qu'il estimait être très importants. Et que selon lui, je faisais mal. Ravalant toutes mes répliques acerbes, j'ouvris grand les yeux et les oreilles. Nous dansâmes ensemble, révisant le criss cross, le slide step – juste parce que je lui avais supplié de m'apprendre ! – ainsi que le kick and step et le kick ball change.
— Ok, donc je fais tout mal ! m'agaçai-je à un moment donné.
— Non. Tes kick and step sont parfaits. Mais pour les kick ball change, ton effet de rebond est trop faible. Tu dois utiliser ton buste en même temps que ton mouvement de bras.
Je réessayai encore, sous l'œil attentif de mon professeur sexy. Au bout de la quatrième fois, il se mit derrière moi pour replacer mon corps et mes appuis au sol. Sa proximité provoqua un frisson fulgurant le long de mon dos.
— Jay, tu comptes mal. Je le répète, ton premier pas est le kick du pied gauche et le second l'appui au sol de ton pied droit. Si tu comptes ton appui au sol du pied gauche, tu perds la cadence du rebond.
Ce que j'étais définitivement en train de perdre, était ma retenue. Mon corps réagissait bien trop à la voix rauque de Roman, la chaleur de son corps autour de moi, ses yeux gris scrutateurs...
Roman, visiblement inconscient de mon trouble, perpétra le plus de conseils possibles, jusqu'à ce qu'il décide qu'il était l'heure pour moi de finir mon ménage et de rentrer à la maison.
Une fois chez moi, avec le recul, une myriade d'émotions me submergea. Ce petit cours particulier avait été si enrichissant ! J'espérais de tout cœur que Roman accepte de m'en donner plus.
Peut-être devrais-je être plus gentil avec lui ? Hum, c'était à considérer.
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