Le Gâteau d'Anniversaire
À peine entrée dans la cuisine, je sens des bras m'entourer la taille.
Agathe me serre tellement fort que je dois m'arrêter sec. Un pas de plus et nous tombons toutes les deux.
- Granny ! s'extasie-t-elle.
Je m'accroupis et prends ce petit bout de fille dans les bras. Je la serre tellement fort qu'elle finit par faire semblant d'étouffer. Étonnant pour un enfant de cet âge. Trois ans et demi, comme elle dit "a half" et elle y tient. Agathe, petite blondinette encore toute joufflue. Elle me fait penser à sa mère à son âge. Mais elle est autrement plus dégourdie que Sarah ne l'était. Il faut dire que nous l'avions trop couvée. Ou plutôt toi, oui toi, ou que tu sois. Ce n'est pas parce que tu n'es plus en face de moi que je vais tout oublier. Au contraire, je me rappelle de détails que je pensais effacés de ma mémoire. Mais ton visage, lui, se cache de plus en plus...
- Granny ?
- Bonjour Marie. Viens dans mes bras toi aussi.
Je me retrouve accroupie, prise en étau entre Agathe qui me tient la taille et que je serre avec le bras gauche, et Marie qui m'enlace par les épaules et pose sa tête sur la mienne, tout en se lovant dans l'autre bras.
Je lève les yeux et vois Sarah tout sourire. Elle vient de nous prendre en photo. La connaissant, elle m'offrira un album souvenirs avant de repartir en Angleterre. Si elle repart. Elle aimerait rester près de sa maman, ou plutôt près de son nouveau jules. Mais ça dépendra surtout de Chris. Il aime tellement ses filles qu'il n'acceptera pas d'en être séparé comme ça. Et puis, un fils de baronnet fortuné a les moyens de ses convictions. Je ne peux toutefois pas lui en vouloir. Tu l'aurais vu aux funérailles. Il a été exemplaire en tout point. Dommage qu'ils ne s'entendent plus. Moi je l'aime beaucoup. Je lui ai d'ailleurs rappelé qu'il serait toujours le bienvenue sur nos terres. Comme je sais que tu l'aurais fait.
- Granny, quand commencerons-nous le gâteau ?
Avec son français parfait mais au petit accent anglais, Marie a le don de me redonner le sourire. J'ai toujours cette impression d'écouter la reine Elizabeth II parler. J'aime sa voix chantonnante. Marie tient plus de son père. Elle a d'ailleurs la prestance d'une princesse. Un port de tête altier. Des boucles encore blondes, à l'anglaise, et une physionomie très agréable à regarder. Elle sait déjà comment marcher, et se placer. D'ailleurs, c'est un gâteau de princesse que nous allons réaliser aujourd'hui. Si je n'ai pas oublié comment le décorer.
- Granny a besoin de se poser avant de penser au gâteau mon petit sucre d'orge.
- Laisse-moi juste le temps de manger quelque chose et nous nous y mettrons. En attendant, voudrais-tu attraper mon cahier de recettes dans la bibliothèque, ma chérie.
Je me redresse péniblement, encore ankylosée de ma position près du sol. Agathe me retient encore. J'essaie de la repousser sans réellement m'y appliquer. J'aime cette chaleur que la petite m'apporte avec son étreinte. Mais les larmes ne tarderont pas à couler si je ne m'extirpe pas. Alors je prends ses petites menottes dans les miennes et les embrasse puis les relâche.
La table est déjà dressée. Sarah a préparé un petit-déjeuner à l'anglaise. À part le poisson, il ne manque rien. Des mets salés principalement. Mais aussi ma petite "orange marmelade" que mon ex-gendre me fait envoyer à chaque fois qu'elle vient me rendre visite. Elle en a préparé trois fois trop. J'imagine qu'elle a prévu de quoi nous nourrir à midi. Je reconnais bien là la fille à sa mère. Un vrai cordon bleu ta fille. Elle tient pour ça de sa cheffe préférée, maman. Vous me manquez terriblement. En l'espace d'un an j'ai perdu mes deux parents et toi. Comment avez-vous pu me faire ça, à moi, qui suis si fragile ?
- Here it is Granny !
- Merci ma chérie. Viens manger d'abord. Nous commencerons la préparation de la pâte à gâteau juste après.
Je prends le cahier de recettes des mains de Marie. Ce trésor de couleur rouge a appartenu à maman. Il ne la quittait jamais. Elle me l'a offert le jour de notre emménagement ensemble. T'en rappelles-tu encore ? Comme j'étais fière... Maman me faisait enfin assez confiance pour me laisser ce "journal de cuisto" qui l'a accompagné pendant toute sa vie professionnelle. Oui, j'étais heureuse, j'en souriais bêtement et toi tu m'en aimais encore plus. C'est ce jour-là où tu m'as fait la promesse de ne jamais me quitter. Ça y est, je suis tombée dans le piège... une larme perle...
Pendant qu'Agathe reste encore un peu avec Sarah, Marie et moi commençons à préparer les ingrédients de notre gigantesque gâteau d'anniversaire. Pour cela, nous avons multiplié les quantités par 3. Le but étant de faire 7 étages, de tailles décroissantes pour symboliser l'âge de raison.
- Alors Marie... il nous faut : 450 grammes de farine. Je te laisse faire les pesées ; 375 grammes de sucre de canne ; 240 grammes de beurre demi-sel ; 360 millilitres de lait ; 6 œufs ; 20 grammes de levure chimique et une pincée de sel. C'est tout bon pour toi ?
- Everything's ok Granny.
- Alors c'est parfait. As-tu déjà tamisé de la farine ?
- Tamiser ?
- Yes !... Enfin quelque chose que je vais pouvoir t'apprendre... Regarde bien, chérie, ceci est un tamis. Il permet de ne laisser passer que ce qui est plus fin que ses trous. En ce qui nous concerne, nous cherchons à avoir une farine parfaitement lisse, sans grumeaux. Le tamis va servir à ça. Je commence et tu finiras.
Tous les ingrédients sont prêts. Nous les versons dans le robot en suivant l'ordre indiqué dans la recette. Une fois notre pâte prête nous la laissons reposer 30 minutes. Pendant ce temps, Marie beurre les moules que je les chemise ensuite avec de la farine.
Nous préchauffons le four à 150°C. Une fois la pâte versée dans les différents plats, il nous en reste encore suffisamment pour le dernier petit moule, la reine des neiges. 30 minutes de cuisson pour les plus grands mais je ne laisse les plus petits que 10 à 15 minutes dans le four.
Nous obtenons 7 magnifiques gâteaux prêts à être décorés.
Il est presque midi. Sarah vient poser Agathe à côté de nous et nous salue avant d'aller déjeuner avec son amoureux. Arthur, je crois qu'il s'appelle. Ils ont été tellement nombreux ces derniers temps que je ne m'en souviens plus. Je n'ose même pas lui redemander son prénom... elle va encore me reprocher de ne pas être assez attentive. Oui, je ne suis pas toi, mon amour.
Agathe vient donc nous prêter main forte pour la préparation de la pâte à sucre et des petits décors. Je laisse d'ailleurs carte blanche aux filles qui sont d'excellentes artistes.
Pendant ce temps, je prépare la crème pâtissière et avec les blancs d'œufs qui me restent, je fais une trentaine de belles meringues. En cuisine, s'il y a bien quelque chose que je réussissais mieux que maman c'étaient bien les meringues. Et toi, tu aimais ces petits dômes blancs tout en vagues... Ce seront les premières que tu ne pourras pas goûter. Tu me manques tant...
- Granny ? Tu pleures ?
- Ô ! Ne t'inquiète pas Marie, ce n'est qu'une petite larme. Elle va vite sécher. Vous avez fait un excellent travail les filles. Et toi Agathe, tu m'épates.
Toute fière qu'elle est, Agathe s'empresse de me montrer tout ce qu'elle a réussi à produire.
Nous rangeons le tout dans des boîtes hermétiques avant de les déposer dans la chambre froide. La place ne manque pas puisque j'ai annulé toutes les réservations depuis ton décès, soudain. Sarah aimerait que je rouvre les chambres d'hôtes et la table mais je n'en ai pas encore le cœur... et puis seule... Gérard a encore offert de m'aider mais je ne sais pas si ce serait une bonne idée. Il cuisine vraiment très bien mais tu avais raison. Je te crois, maintenant : Il en pince pour moi et je ne voudrais pas lui donner de faux espoirs. Je mettrais peut-être une annonce dans le journal pour recruter. D'ailleurs le nouveau maire doit passer dans la soirée. Je crois qu'il veut aussi me pousser à rouvrir rapidement. Il a peur que les commerces ne ferment les uns après les autres si je décide de trop retarder la reprise. Je verrai...
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