La lettre

Sarah est partie pour préparer le dernier gîte et s'y installer avec sa petite famille. Elle aimerait nous voir ensemble Jean et moi. Dois-je l'écouter Marc ? Est-elle le signe que je t'ai demandé ?

Je tiens la lettre que tu m'as laissée entre mes mains. J'hésite encore à l'ouvrir... Mon cœur s'emballe. Je la décachète, j'y vois le dessin d'un oiseau qui s'envole. On dirait même un calligramme. Tu aimais beaucoup les calligrammes. Seulement c'est écrit trop petit pour mes vieux yeux. Tu m'obliges à me lever pour chercher mes lunettes. Je suis tellement lasse...

- Oh...

Jean est là... debout derrière le rideau. Je ne l'ai même pas entendu arriver. Je ne sais pas depuis combien de temps il se tient ici ni même s'il a entendu notre conversation avec Sarah. Je me fige littéralement.

Il me sourit et s'approche délicatement comme s'il cherche à apprivoiser un animal farouche.

- Ça fait longtemps que tu es là ?

- Suffisamment... pour recoller les morceaux de notre puzzle.

- Toujours tes réponses énigmatiques.

- Je ne savais pas pour Marc. Il m'avait juste informé de sa stérilité. C'est vraiment tout ce qu'il avait bien voulu me raconter... Je te le promets... C'est sa lettre ?

Je regarde le feuillet qui pend dans ma main...

- Oui, c'est bien elle.

- Que t'écrit-il ?

- Je ne sais pas exactement. J'allais prendre mes lunettes.

- Tu aimerais que je la lise pour toi ?

Jean chuchote presque ses derniers mots. Aurait-il peur de moi ou de mon refus ? Il semble plus paniqué que je ne l'ai été dans la matinée... Je décide de lui faire confiance, après tout, le calligramme représente plus un animal en liberté qu'en cage.
Je retourne donc m'asseoir sur ma balancelle et tapote sur le siège laissé libre à ma gauche.

Il accourt et se pose à côté de moi, tout sourire. Je lui tends le pli qu'il observe soigneusement avant de le déplier.

- Un oiseau qui s'envole ?

- C'est l'impression que j'en ai eu.

Je pose délicatement ma tête sur son épaule pendant qu'il retourne le parchemin dans tous les sens pour en découvrir la piste de décollage.

"Il était un petit oiseau en cage. Un oiseau de Paradis descendant sur Terre pour sauver celui qui vivait déjà son enfer.
Un Phoenix aux mille visages m'observant de ses yeux de lumière. Une âme pure se dressa alors devant les fenêtres de mon cœur pour les ouvrir et ne plus jamais les refermer.
Cet oiseau je l'ai mis en cage, incapable de l'apprivoiser. Mon bonheur lui étant lié.
Je t'ai menti mon amour. Il n'était pas gay mais devenait gai à chaque fois qu'il te voyait. Ce stratagème n'était pas digne de moi mais j'ai eu peur de te perdre, devant votre complice amitié .
Aujourd'hui, je te délie de ta promesse. Ta cage n'est plus. Brise tes liens et vole, déploie tes ailes et va.... retrouve-le.
Je sais qu'il t'aime, depuis une éternité et que moi, par ton amour, j'ai gagné mon Éternité.
Soyez heureux sur Terre. Faites-en votre Éden car dans le Ciel, je compte bien, à lui, de nouveau, te disputer."

Jean semble avoir fini de lire. Il m'observe silencieusement. Un tendre sourire se dessine sur son visage. Je ferme les yeux pour redessiner cet oiseau de paradis enfin libre. Je suis Libre...

- Tu aimerais comprendre, j'imagine...

- Seulement si tu en as envie. Certaines choses mériteraient effectivement d'être éclaircies.

Je referme à nouveau les yeux et essaye de me rappeler mon histoire avec Marc. Jean aimerait en savoir plus. Et j'aimerai me confier à lui mais comment raconter une histoire qui paraîtrait imaginée aux oreilles de la plupart... Et pourtant tout est vrai, je n'ai rien inventé... Je l'ai simplement vécue...

- Comme tu le sais les parents de Marc habitent le château de la commune voisine. Ils descendent d'une famille influente de l'histoire de France. Malheureusement ils avaient perdu beaucoup d'argent dans les différentes successions et n'avaient plus les moyens d'entretenir les bâtiments. Les toitures menaçaient de s'écrouler. Les financements habituels ne suffisant pas, ils avaient alors fait appel à des mécènes. Grand-père était l'un d'entre eux. Il n'était pas le plus riche mais celui qui avait donné le plus. Il espérait par là se rapprocher de cette illustre famille, et pourquoi pas par une alliance matrimoniale.

- Tu veux dire que votre mariage a été arrangé ?

- Je n'étais pas encore née à l'époque mais grand-père s'imaginait bien un de ses petits enfants avec un des petits princes du Duc.

- Mais Marc était fils unique !

- Et je suis la seule petite-fille puisque mon oncle est rapidement entré dans les ordres.

- Je ne me rappelle pas que tu m'en aies parlé en troisième.

- C'est normal, je ne l'ai appris que bien plus tard, lors d'une dispute entre mes parents. Papa voulait m'éloigner de toi alors que maman aurait préféré que je vive ma vie avant de me donner à eux.

- C'est donc ton père qui a gagné.

- C'était le soir du bal de promo où tu avais invité Clarisse. Je voulais partir le plus loin possible. Je voulais t'oublier alors j'ai fait irruption dans le séjour. Je leur ai simplement dit que j'étais d'accord. Maman est alors venue me serrer très fort, me demandant de ne prendre aucune décision hâtivement. Papa, quant à lui, jubilait. Sa progression sociale était assurée. Il allait enfin avoir ses entrées dans les clubs les plus fermés.

- Tout est donc de ma faute. J'en suis désolé.

- Ce n'est de la faute de personne. Marc a été mon âme sœur pendant toutes ces années et s'il n'y avait pas eu la maladie...

- Tu parles de son cancer ?

- Oui, s'il n'avait pas été malade... il ne se serait peut-être même pas intéressé à moi...

- Tu parles comme si tu aurais perdu au change... Je te rappelle que c'est toi qui a le plus sacrifié dans l'affaire... J'ai dit quelque chose de drôle ?

- Non, je me suis juste rappelée ma première rencontre avec Marc.

- J'ai le droit d'en savoir plus ?

- C'est un peu idiot... Aujourd'hui, ça prête à sourire mais je peux t'assurer qu'à l'époque j'étais plutôt terrorisée.

- Soit tu en as trop dit, soit pas assez...

- Excuse-moi. Je suis partie d'Auray le lendemain du bal raté. C'était la première fois que je prenais le train seule. Je suis arrivée à la gare d'Angers où j'ai vu mon nom affiché sur une pancarte, entre les mains d'un homme assez "class". Il s'est présenté comme le chauffeur de monsieur le Duc. Je l'ai donc suivi.

- Et ensuite ?

- Je suis arrivée au château. C'était la première fois que j'y étais accueillie. Grand-mère m'y attendait avec la Duchesse. Grand-père et le Duc étaient en affaires. On m'a offert des rafraichissements, que j'ai accepté puis grand-mère m'a parlé de Marc et de sa solitude. Il était malade et devait se faire opérer dès le lendemain. Grand-mère et la Duchesse auraient apprécié que je passe du temps avec lui. J'ai donc accepté et ai passé toute ma soirée en sa compagnie.

- Et c'est tout ?

- Il était beau, charmant et intelligent. J'ai succombé.

- À peine une journée loin de moi et tu succombent... j'ai du mal à te croire. Tu ne voudrais pas me dire ce qui s'est réellement passé avec le petit prince...

- Je suis entrée dans la chambre. Il était très souffrant. Il était aussi plein de colères. Les médecins lui avaient dit qu'il risquait de mourir... Il a alors commencé à pleurer. Je me suis approchée de lui, je l'ai consolé comme j'ai pu. C'était la première fois que je prenais un garçon dans les bras. J'étais très émue et il m'a embrassée. Je l'ai aussi embrassé. Il m'a ensuite demandé de me déshabiller...

- Tu ne l'as quand même pas fait ! s'insurge Jean.

- Si, mais pas de suite. J'ai d'abord eu un mouvement de recul. Je l'ai observé. J'ai aussi regardé toutes ces machines autour de lui et ai commencé à demander à quoi servait chaque machine. Petit à petit je me suis à nouveau trouvée assise au bord du lit. Il m'a alors pris la main et m'a confié qu'il devait subir une intervention qui l'empêcherait de connaître l'amour toute sa vie et que si je n'acceptais pas...

- Je n'arrive pas à y croire ! Il t'a menacée... le s...

- Laisse-moi finir si tu as vraiment envie de connaître la suite...

- Désolé, je t'en prie.

Devrais-je faire durer et faire monter l'irritation chez Jean ? Je crois plutôt que je vais abréger, le jeu n'en vaut pas la chandelle... et puis je suis épuisée...

- Si je n'acceptais pas il resterait puceau, sans possibilité de connaître l'amour... Je lui ai alors rétorqué que je resterai pucelle par solidarité. Il m'a observée du haut de ses 16 ans. Je n'en avais encore que 14 alors. "Je te crois" m'a-t-il alors répondu. Nous nous sommes ensuite promis de ne jamais nous séparer... et voilà l'histoire. Tu ne dis rien ?

- À quel moment tu t'es déshabillée ?

- À chaque fois qu'il me l'a demandé mais là ça ne te regarde plus...

- Tout ça parce que j'avais fait l'imbécile...

- Ce qui est fait est fait... et puis j'ai été heureuse toutes ces années. Aujourd'hui une autre promesse de bonheur s'offre à moi et je ne compte pas la laisser passer.

Il me regarde, ému. Je le suis aussi, je ferme les yeux pour ne pas lui monter mon émotion, prise dans le tourbillon du bonheur...

Je les ouvre, je suis dans mon lit. Que s'est-il passé ? Ai-je rêvé ?

- Comment va ma Belle au Bois Dormant ?

- Jean ?

- C'est bien comme ça qu'on m'appelle. Enfin, je crois.

Comment peut-il me taquiner ainsi ? Je soulève légèrement les draps, c'est bien ce que je craignais, je suis nue. Mais je ne me rappelle de rien. Que s'est-il passé ?

- Quelque chose te tracasse ?

- Je suis désolée mais je n'arrive pas à me rappeler ce que nous avons fait cette nuit.

- Tu veux parler de notre folle nuit. C'est dommage que tu ne te rappelles pas de ma performance exceptionnelle.

Il me regarde et s'esclaffe. Puis il vient juste m'embrasser sur le nez.

- Je t'ai juste aidée à te déshabiller et à te mettre au lit.

- Mais je suis nue.

- Tu fais ta timide ?

- Tu as enlevé mes prothèses.

- Je pensais bien faire. Tu m'en veux ?

Il m'observe à nouveau. J'avoue que je ne sais pas comment réagir. Mais je suis rassurée d'avoir été absente au moment où il m'a regardée. Je n'aurais pas apprécié de voir du dégoût dans son regard. Il est toujours là, attendant ma réponse.

- Hélène ? Dois-je m'inquiéter.

- Non, je vais bien. Je me posais juste un tas de questions.

- Comme, ai-je détourné les yeux en te déshabillant... Ne me regarde pas comme ça. Une semaine avec toi, il y a trente ans, m'a beaucoup appris sur toi. Et je sais que ce ne sont pas deux bouts de chair en moins qui changeraient quelque chose à ta personne. Je t'aime Hélène.

- Je t'aime aussi.

- Prouve-le alors.

Je soulève la couverture pour lui faire une place à côté de moi. Il vient se coller. Sa peau nue contre la mienne...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top