Grain de café

Le levé du soleil était particulièrement somptueux ce matin-là. Il étalait ses couleurs flamboyantes dans toute la baie; attirant la foule des touristes. Cannes, ville touristique et chic, du sud de la France connaissait ses premiers jours estivaux. Et, l'affluance promise par les professionnels de l'hôtellerie était parfaitement au rendez-vous. Ambre se réjouissait à l'avance pour à l'idée de voir des personnes de tous horizons franchir l'entrée de sa boutique. La jeune femme tenait avec un fierté non dissimulée la boutique de torréfaction que lui avait légué son grand-père. Ses parents n'éprouvaient pas l'envie de reprendre cette affaire au bord de la faillite, à quelques années de la retraite. Ils désiraient s'éloigner de la chaleur arrassante du sud pour se rapprocher de leurs origines bretonnes et ouvrir une crêperie familiale sur la pointe finistère. Ambre comprenait sans problème leur point de vue et leur ambition. Elle les aurait d'ailleurs volontiers suivis. Si elle n'avait pas rencontré Marlo, six mois auparavant et si sa grand-mère ne l'avait pas supplié de prendre en charge la boutique tant qu'elle tenait encore debout.

En cette matinée particulièrement ensoleillée, Ambre profitait des températures encore douces pour installer quelques tables en terrasse. C'était toujours un plaisir de voir les riverains boire leur café au soleil, se racontant au passage les derniers ragots du port. Elle noua son tablier autour de ses hanches et installa les paquets de café sur les étagères, attendant la visite d'un client bien spécial. Ce dernier ne se fit pas attendre longtemps. La clochette de l'entrée tinta, alors que le visage rayonnant de son cousin passait le pas de la porte. Il venait de Paris, où il exerçait ses études de médecine. Leur famille plaçait de grandes espérances sur ses épaules et sa futur carrière. Ce qui, laissait souvent Ambre dans l'ombre. Celle-ci posa les sachets de café torréffiés sur le meuble le plus proche pour s'empresser de serrer Nathan dans ses bras. Ils restaient aussi proches et liés que durant leur plus tendre enfance, bien que la distance reste un facteur difficile à contrer.

- Nathan, qu'est-ce que tu m'as manqué ! J'espère que tes études se passent bien au moins !, s'exclama Ambre, enjouée.

- Elles se déroulent pour le mieux, mais, ce n'est pas le plus important, nous aurons tout le luxe de parler de mes études dimanche, parle-moi plutôt de toi, comment vas-tu cousine ?

Ambre offrit un large sourire à son cousin puis essuya ses mains sur son tablier; plus par habitude que par nécessité en cet instant.

- Et bien, les affaires remontent doucement mais je dirais que c'est en de bonnes voies, grand-mère passe souvent à la boutique pour donner un coup de main, alors c'est super, expliqua-t-elle avec un calme olympien.

- Tu me le dirais si ça n'allait pas, n'est-ce pas ? Parce que je sais parfaitement que ce n'est pas grand-mère qui m'en informerait.

Un soupire amusé s'échappa des lèvres de la jeune femme qui hocha la tête. Il était certain que leur grand-mère souhaitait préserver Nathan des angoisses qui les animaient chaque jour. Mais, il n'y avait pas pour autant matière à s'inquiéter d'avantage.

- Tout va pour le mieux, cette boutique va retrouver son faste d'antan avant la fin de l'année, j'en suis convaincue.

Un homme pénétra dans la petite boutique, saluant sa propriétaire d'un large sourire amicale. Ambre lui rendit d'un signe de la main. Ce cinquantenaire n'était autre que Luc, un ancien restaurateur de renom, reconvertit dans la pêche après la fermeture de son restaurant l'année précédente. La brune se faufila derrière le comptoir pour préparer le café de son fidèle client. Nathan se contenta de s'accouder au présentoir pour observer sa cousine mener d'un main de maître cette boutique que toute la famille pensait perdue. Mais, le brun savait l'origine de cette réussite presque miraculeuse. Et, elle provenait du sourire et de la jovialité d'Ambre. Toute personne dotée d'un minimum de bonne foi tombait immédiatement sous le charme de cette petite brune au regard touchant.

- Et voilà pour vous, Luc, dit-elle en déposant la tasse de café fumante devant l'homme à la chevelure grisonnante.

- Merci, ma petite Ambre.

Elle le couva d'un regard brillant de reconnaissance puis retourna auprès de son cousin. Avant de reprendre leur précédente discussion, elle lui offrit une grande tasse de thé aux mûres; sa boisson préférée. Il aimait profondément le fait que sa cousine le connaisse dans les moindres détails. Il la considérait depuis toujours comme la grande sœur qu'il n'ait jamais eu.

- Bois, ça va te faire du bien après la longue route que tu viens de faire.

Il obéit, ressentant effectivement les voluptés de la fatigue l'étreindre.

- Marlo m'a chargé de te passer le bonjour de sa part, il a hâte de revoir dimanche, déclara Ambre.

- Ton petit-ami est un garçon vraiment bien, je l'aime beaucoup, mais, s'il ose te faire du mal, crois-moi il aura affaire à moi, s'amusa Nathan.

Malgré l'accent d'humour adoptait par le jeune homme, Ambre le connaissait assez pour savoir qu'il se cachait une note de vérité.

- Et toi, alors, une copine ? Il doit bien y avoir des jolies filles à ta faculté de médecine !

- Aucune aussi jolie que Valentine, répondit-il du tac au tac.

Valentine, son premier amour d'adolescent mais également la fille qu'il ne parvenait pas encore à oublier. Sa cousine lui lança un regard mi-amusé, mi-consterné. Elle ne comprendrait jamais pourquoi il restait à se morfondre dans son coin, plutôt que de sauter dans un taxi et rendre une visite à cette fille.

- Tu sais, Valentine travaille dans le café, à l'angle de la rue, alors si tu es vraiment amoureux d'elle, prend ton courage à deux mains et va lui parler, lâcha-t-elle.

- Ambre, je viens de faire huit heures de route, l'unique chose que j'ai envie de faire c'est me coucher et dormir jusqu'à demain matin, râla-t-il.

La brune rit, retrouvant enfin le caractère grognon de son cousin. Elle tapota le verre du comptoir, déterminée.

- Bon, je ne te retiens pas plus longtemps alors, va dormir !, sourit-elle.

Il ne se fit pas prier et embrassa le front de sa cousine avant de sortir d'un pas lent de la boutique. Il fut d'ailleurs suivit par Luc qui après avoir déposé de la monnaie sur la table salua sa torréfactrice préférée. Ambre se retrouvait de nouveau seule, derrière son comptoir, à imaginer ce que serait le repas de famille à venir. Elle était prête à parier que sa tante relancerait ses aprioris sur son couple tout comme les reproches à propos de la boutique. Mais, ce qui était certain, c'est que sa grand-mère ne manquerait pas de la remettre en place, avec sagesse.

La clochette de l'entrée tinta pour la troisième fois en moins d'une heure et, cet événement alerta Ambre. Cette dernière se redressa, assise sur son tabouret derrière la caisse. Ses yeux rencontrèrent une silhouette masculine et élancée, restée plantée près de la vitrine. La petite brune haussa un sourcil, interrogatrice face à cette arrivée intrigante. Elle fixa son nouveau client, jusqu'à ce qu'il daigne se retourner. Elle découvrit alors son visage aux traits fins et encore marqués par la fin de l'adolescence. Le jeune homme passa une main nerveuse dans sa chevelure blonde en bataille et passa son piercing à la lèvre entre ses dents.

- Je peux vous aider ?, lui demanda-t-elle.

Il parut surprit de voir une jeune femme à la tête de cette boutique atypique. Les paroles semblèrent d'ailleurs lui manquer. Mais, il ne tarda pas à reprendre contenance pour répondre.

- A vrai dire, oui, vous pouvez, je cherche un pub du nom de "the Quay's", lâcha-t-il finalement.

Ambre connaissait l'endroit; elle passait devant presque tous les soirs pour rejoindre Marlo à son travail.

- Vous longez le port et une fois que vous êtes dans l'avenue principale, c'est juste à côté, mais, je doute qu'il soit ouvert à cette heure-ci, revenez ce soir vers dix-huit heures vous aurez surement plus de chance d'obtenir une bière.

Elle sourit pour ponctuer son explication mais, le grand blond à l'accent anglais ne semblait s'en satisfaire. Son look rock reflétait à la perfection ses origines britanniques. Et, Ambre se devait d'avouer qu'il était mignon. Mais, il ne passerait pas l'été habillé de sa chemise à carreau. Sa gêne se renforçait de seconde en seconde au fur et à mesure qu'il comprenait son problème. Il continuait de jouer avec le piercing de sa lèvre inférieur et, cette manie irrita la jeune femme qui l'incita à s'asseoir au comptoir. Il obtempéra, non sans montrer une certaine hésitation. La brune se leva de son tabouret pour lui préparer une grande tasse de thé à la vanille. Etant anglais, elle misait davantage sur le thé que sur le café. De toute manière, elle comptait le lui offrir, alors, le refuser serait une marque de grossièreté.

- Je suis désolée, mais, je ne parle pas un mot d'anglais alors à part vous offrir ce thé vanille, je n'ai guère plus à vous proposer, expliqua t'elle en lui confiant la tasse encore brûlante.

Il se décrispa à l'odeur du thé et réussit même à étirer ses lèvres en un sourire décontracté.

- Je suis bilingue, ma mère est française, alors bien que j'ai grandi en Angleterre, je parle français.

Ambre opine du chef, soulagée. Elle songeait à apprendre les bases de l'anglais et de l'espagnol, au moins pour ne pas se montrer hostile aux clients étrangers mais le temps lui en manquait sérieusement.

- Et, qu'est-ce qui vous amène à Cannes si ce n'est pas trop indiscret ?

Il ajouta un sucre à son thé avant de le remuer avec calme. S'il n'avait pas cette apparence rock, elle se serait faite une toute autre image de ce jeune homme.

- J'ai réussi à dégoter un boulot, dans ce pub, sur le port, ils m'ont employé pour l'été pour animer les soirées.

- Il y a pire comme vacances, plaisanta-t-elle.

Ils s'esclaffèrent et le blond avala une première gorgée de sa boisson fumante. Il hocha la tête, séduit par les arômes de vanille.

- C'est délicieux !

- Merci.

Un silence s'installa dans la boutique pendant lequel ils évitèrent le regard de l'autre. L'anglais pensait à sa rencontre avec son employeur le soir même et Ambre songeait à l'opportunité qui s'offrait à elle. Elle se stoppa dans le rangement des tasses pour observer le jeune homme.

- Dites, est-ce que je peux vous demander un service ?, osa-t-elle.

- Allez-y, lâcha-t-il, intrigué.

- Je sais qu'on ne se connait pas mais de toute évidence, vous avez besoin d'argent et vos services peuvent m'en rapporter, commença Ambre. Alors, je me demandais si vous seriez d'accord pour donner quelques cours d'anglais à l'occasion ? Je ne demande pas de devenir bilingue, juste de connaitre les bases pour être dans la capacité de tenir une conversation avec de potentiels clients étrangers.

Elle s'arrêta de parler un instant pour observer la réaction du blond. L'offre ne semblait pas lui déplaire. Il pesait mentalement le pour et le contre, le regard obstinément orienté vers sa tasse de thé. D'ailleurs, au bout d'une minute qui lui parut durer une éternité, Ambre prit son silence pour un refus.

- J'accepte, comptez sur moi, je serai là tous les matins à neuf heures, pour mes tarifs ne vous en inquiétez pas, je prendrai ce que vous donnerez, même le minimum, j'ai besoin de me familiariser avec la langue française et vos coutumes alors, je sens que l'on va bien s'entendre, décida t'il.

Ambre le remercia chaleureusement, sautant de joie intérieurement à l'idée de développer la clientèle de la boutique. Le jeune homme profita de l'inattention de la brune pour filer. Ce n'est qu'en entendant la clochette de la porte d'entrée qu'elle s'en formalisa. Soudain, elle paniqua, de peur d'être victime d'une blague de mauvais goût. Mais, à côté de la tasse vide du blond se trouvait un bout de papier avec ses coordonnées et un billet de cinq euros.

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