Chapitre 8
Deux heures plus tard, le présent se rappela à moi.
Je devais rentrer.
Je me levai, esquissai un sourire forcé et déclarai :
-Il est tard. Il faut que j'y aille.
Les deux jumeaux relevèrent la tête. Avant que je ne prenne la parole, nous étions tous les trois en train de nous amuser sur notre instrument, chacun de notre côté, sans se soucier les uns des autres, depuis environ une demi-heure.
-Je te raccompagne, déclara aussitôt Alex en commençant à se lever.
Quoi ? Certainement pas, j'avais besoin d'être seule.
-Pas besoin, merci, déclarai-je en m'efforçant d'être polie, alors que je n'avais qu'une envie : lui crier dessus pour qu'il me laisse tranquille. Je peux rentrer toute seule.
Et je le voulais.
-Hors de question, dit-Alex en me défiant du regard. Qui nous dit que tu ne vas pas retourner à ce pont et... ?
Sa question resta en suspens. Callia le regarda, surprise que son frère aborde se sujet sans aucune gêne.
Moi, j'avais de hurler.
De leur hurler que PUTAIN MAIS JE LES DÉTESTE MAIS QU'ILS ME LAISSENT TRANQUILLE MERDE !
Mais je n'eus pas le temps de dire un mot que déjà Alex était à côté de moi, m'attrapait par le coude et m'entraînait vers la sortie.
Quelle enflure...
Je fus donc obligée de le suivre. Il me conduisit dehors.
Quand nous fûmes sortis, je me tournais vers lui, dans l'intention de lui dire le fond de ma pensée, mais en voyant son expression déterminée, je sus qu'il ne changerait pas d'avis. Toute ma colère se transforma en une profonde lassitude, chargée de tristesse. J'étais fatiguée de pleurer, fatiguée d'avoir mal, fatiguée de me battre. Fatiguée de vivre, à vrai dire, même si j'avais décidé de reléguer mon suicide à plus tard.
-T'habites où ? me demanda-t-il d'un air nonchalant, alors que je savais qu'il attendait que je proteste.
Mais je ne pouvais pas. Je n'avais plus la force.
Je commençai à avancer en soupirant, sans lui répondre. Nous aurions pu prendre le bus, mais j'avais besoin de marcher. Je savais que ça faisait une trotte, puisqu'il fallait traverser Nantes en entier, mais je ne me sentais pas le courage d'affronter la foule du bus, les gens serrés les uns contre les autres... Non, j'avais besoin de marcher.
Alex me rattrapa. Il regarda mon profil d'un air curieux, et je m'efforçai de l'ignorer.
-Qu'est-ce qu'il y a ? finit-il par me demander.
Je sortis la pire réponse de tout l'univers. J'ignore ce qui me pris, mais je répondis d'une voix neutre, sans le regarder :
-Il y a que ton père a tué ma famille.
Il eut un choc. Moi aussi. Comment avais-je pu répondre ça ?
Mais trop tard. Je l'avais dis, plus de retour en arrière.
Il s'arrêta brusquement. Je ne savais pas comment réagir, alors je continuais de marcher. Je pensais qu'une fois le choc passé, il me rattraperait.
Mais non, il cria dans mon dos :
-Tu te fous de ma gueule ?!
Tous les passants nous regardèrent bizarrement.
Je me retournai. Les larmes brillaient dans mes yeux. Je savais que je m'étais comportée comme une connasse, alors qu'il ne souhaitait que m'aider, mais toute la frustration de l'après-midi était si présente, si... explosive !
Je le regardais. Nous étions à quelques mètres l'un de l'autre. La distance que j'avais creusé entre nous.
Personne n'osa passer entre nous.
Je ne le voyais pas, mais je sentais le lien qui nous unissait. Qui nous avait unis depuis que j'avais découvert qu'ils étaient des Hitremi. Depuis que nous avions compris à quel point nos vies étaient liées, désormais.
Je sentais mes mains trembler, alors que le tonnerre de la culpabilité résonnait dans ma tête.
T'es tout le temps obligée de tout gâcher, pas vrai, Emy ? T'as gâché ta relation avec Thalia, et là... T'es vraiment nulle.
Cette voix intérieure que je portais en moi depuis la mort de ma famille avait raison. Comme toujours.
Ne se doutant sans doute pas de l'orage qui me faisait vaciller mentalement, Alex continuait de me fixer. Je voyais qu'il était blessé, je voyais dans ses yeux, même d'aussi loin, que mes mots lui avaient fait mal.
Il fallait que j'aille m'excuser. Il le fallait.
Je fis un pas vers lui. Il fit un pas en arrière. Comme si ma présence le brûlait.
Je m'effondrai, aussi ben physiquement que mentalement.
Je tombai à genoux au milieu de la foule, là, sur les trottoirs sales de Nantes. Parce que la vérité, c'est que je me sentais comme un de ces chewing-gum qu'on a mâché, puis craché, et que des centaines de gens ont écrasé contre le trottoir.
Mes yeux étaient secs. Mon cœur, un désert aride.
J'ouvris la bouche. Je ne pus parler, mais j'articulai en silence :
-Pardonne moi.
Mais je ne m'attendais pas à ce qu'il le fasse. Je savais qu'il allait tourner les talons et s'en aller. C'était mérité, après ce que je lui avais dit.
Mais il ne bougea pas. Il se contenta de me regarder, là, par terre, sans rien montrer de ses émotions.
Je me décourageai. Je courbai le dos, cachai mon visage dans mes mains. Je ne voulais plus le voir. Plus jamais voir le visage qui était si semblable à celui qui fut, peut être, le dernier que virent mes parents.
Une main se posa sur l'une des miennes. Je relevai la tête, surprise. Alex se tenait debout devant moi, le regard dur. Il attrapa ma main et m'aida à me relever. Mais je sentais cette raideur, cette froideur dans son comportement, et c'était comme s'il enfonçait un couteau dans mon cœur déjà meurtri. Dès que je fus debout, il me lâcha.
Mais j'étais trop faible, trop à bout de forces. Quand il me retira son contact, je retombais au sol.
Il fallait que je me calme. Si je voulais pouvoir marcher, il fallait que je me calme.
-Lève toi, me dit-il sèchement.
La colère qu'il tentait de dissimuler était évidente dans sa voix.
Je baissai la tête et la secouai. Mes yeux me brûlaient, mais aucune larme ne me venait.
-Je ne peux pas, fis-je d'une voix défaite.
-Lève toi, répéta-t-il.
Cette fois, c'était plus qu'un ordre. C'en était presque une menace.
Mais c'était sa colère qui me clouait au sol. Je m'en voulais, je m'en voulais trop. Je voulais m'étendre par terre, m'allonger, et oublier.
Je ne pouvais pas juste repartir avec tous ces non-dits entre nous.
-Je suis désolée, murmurai-je, juste assez fort pour qu'il m'entende.
Il soupira. Quand je relevai la tête, il était accroupi à côté de moi.
On se fixa, longtemps. Nous étions si proches que je pouvais voir un éclat marron dans les yeux bleus. Il sembla hésita, puis prit doucement la parole :
-Tu n'as pas le droit de dire ça. Tu le sais, n'est-ce pas ? Tu ne peux pas me dire ça.
Je détournai les yeux. Évidemment que je le savais. Je ne comprenais pas ce qu'il m'avait pris. Cependant, j'avais trop de fierté pour avouer ainsi que j'avais tort. Pas sans me battre, pas alors qu'il pensait pouvoir contrôler ma vie en m'empêchant d'y mettre fin.
-Je sais, mais ce que j'ai dit est vrai. C'est la vérité.
La flamme de la colère se ralluma dans ses yeux, alors que mon cœur se serrait davantage.
Emy, mon Dieu, qu'est-ce que tu fous ?
Je n'en avais aucune idée. J'avais évidemment conscience de toutes les erreurs que je faisais, mais je ne pouvais pas m'en empêcher.
Il ne dit rien un moment, et je n'osais pas m'excuser.
Il finit par se lever, et déclarer :
-Bon, je crois qu'on s'est tout dit.
Et il fit comme je l'avais supposé tout à l'heure : il tourna les talons et me planta là.
Et comme si même le ciel se moquait de moi, il se mit à pleuvoir.
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