Chapitre 6


 Quand Callia eut fini de manger, elle se leva d'un bond, et s'exclama d'un air joyeux, mais forcé :

-Bon j'ai fini ! Qu'est-ce qu'on fait ?

Alex secoua la tête en soupirant :

-Callia, on est venus parce que Emy se sentait pas bien.

Callia écarquilla les yeux, comme si elle venait seulement de s'en souvenir.

-Oh purée oui ! Désolée, Emy ! Tu, euh, veux prendre une douche, ou au moins te rincer la bouche ?

J'hésitai, mais j'avais encore le goût de bile dans la bouche, alors j'acceptai pour une douche.

Callia hocha la tête, se leva, se dirigea vers moi et attrapa ma main. Je me levai à mon tour, et elle m'entraîna hors de la cuisine. Elle me fit monter les escaliers, puis traverser un long couloir, avant d'ouvrir une porte, derrière laquelle je découvris une grande salle de bains.

J'observais le décor de la salle. Elle était spacieuse, avec un sol carrelé blanc, et des murs peints en bleus. Pile en face de moi, donc de la porte, au fond de la pièce, se trouvait une grande baignoire, qui faisait toute la largeur de la pièce. Sur le mur de droite se trouvaient deux lavabos surmontés chacun d'une étagère et d'un miroir. À gauche des lavabos, sur le même mur, une fenêtre de taille moyenne qui éclairait toute la pièce. Sur le mur de gauche se trouvait un petit chauffage soufflant et une grande commode où devaient être stockées les serviettes, et le reste. Par terre, devant la baignoire, gisait, sans aucun plis, un tapis de bain d'un gris qui s'accordait bien au reste de la pièce, et en dessous de la fenêtre était posé un petit tabouret, sans doute fait pour poser ses vêtements.

Je rentrai dans la pièce, et Callia me dit de prendre mon temps, avant de s'en aller en refermant la porte.

Je m'approchai doucement du premier miroir, et me regardai dedans. Moi, mes cheveux blonds foncés, mes yeux noisettes tous rouges d'avoir pleuré, ma peau pâle. Qu'est-ce qu'on se ressemblait, Thalia et moi... Rien que me regarder me la rappelait. Je me détournai, et me dirigeai vers la baignoire, ou j'allumai l'eau en la réglant au maximum de la chaleur. Je commençai ensuite à me déshabiller, en évitant mon reflet dans le miroir.

J'attendis que le bain soit rempli, puis je coupai l'eau, et commençai à rentrer dedans. Je grimaçais en sentant l'eau me brûler la peau. Je la mettais tout le temps beaucoup trop chaude, parce que la brûlure me faisait penser à autre chose. Parce que la douleur me distrayait d'eux. Me permettait d'oublier, même brièvement, Thalia, Papa et Maman.

Je rentrai complètement dans le bain, et me laissai aller en soupirant. Je plongeai ma tête dans l'eau, en apnée, et y restait.

J'attendis longtemps, alors même que l'air me manquait, que la tête me tournait. J'attendis jusqu'à ne plus avoir le choix, jusqu'à ce que mon corps, mon instinct de survie, me pousse à ressortir.

Quand je sortis de l'eau, je frissonnai aussitôt de la différence de température entre l'eau de mon bain, à laquelle mon corps s'était habitué, et l'air.

Je me rhabillai et sortis de la pièce. Je traversai le couloir en prenant mon temps et en me permettant de détailler le décor.

Je m'arrêtai devant une photo suspendue au mur. On y voyait une famille, en maillot de bain devant un ciel au soleil couchant. Ils souriaient comme des touristes. Le père avait le bras passé autour des épaules du fils, et la fille tenaient sa mère par la main. Je reconnus le fils et la fille : Alex et Callia. Je souris tristement devant la photo, et levai ma main pour venir effleurer le visage du père.

Un cri intérieur résonna en moi. Je détestais, je haïssais du plus profond de mon cœur cet homme.

Pourtant, il avait l'air d'être un père aimant, un homme bon et généreux... Le genre auquel on fait confiance instinctivement. Et il n'avait pas voulu tuer ma famille.

Mais il l'avait fait quand même. Je ne le connaissais pas, mais son fantôme me hantait autant que ceux de ma famille. Et je le détestais. Pour tout ce dont il m'avait privé.

Je me mordis la lèvre tandis qu'un sanglot silencieux me secouaient. Je me retournai, et me laissai glisser jusqu'à être assise par terre, le dos contre le mur.

Il n'y pas de mot pour décrire le deuil. Vraiment. On essaie, on aimerait communiquer notre peine afin qu'on nous comprenne, au moins un peu. Mais c'est impossible. Le langage humain n'a pas les mots pour décrire ce genre de sentiments. C'est... un pincement au cœur qui ne disparaît pas. Qui augmente quand on y pense. Qu'il faut s'efforcer d'oublier. C'est cette sensation de savoir qu'ils ne reviendront pas. Que la mort, c'est irréversible.

On pourrait écrire mille romans pour tenter de faire comprendre aux lecteurs ce qu'on ressent que ça ne marcherait pas. Aucune personne qui n'a jamais perdu quelqu'un ne peut comprendre.

Papa, Maman, Thalia... Je suis désolée, je suis désolée... Je... Pitié, n'existe-t-il pas un seul moyen pour que vous reveniez ? Pour que tout redevienne comme avant ? Je ferai n'importe quoi. Tout ce qu'il faut. Du moment que vous revenez.

Je ramenai mes genoux contre ma poitrine, comme s'ils pouvaient empêcher les larmes de sortir, l'espoir de disparaître, toujours un peu plus, petit à petit... Je laissai tomber ma tête en avant, et mes mains vinrent s'enfouir dans mes cheveux.

Cette douleur infinie... Faîtes qu'elle disparaisse. Juste une minute. Juste quelques secondes. Il n'y a que vous qui en avait le pouvoir... Maman, Maman, s'il te plaît, comment est-ce que je peux vivre sans toi ? Papa... Tu m'as promis de me protéger, quand j'étais petite... Et tu l'as fait. Mais c'est maintenant que j'ai le plus besoin de toi, s'il te plaît... Et toi, Thalia, ma petite sœur d'amour... Je suis désolée. Infiniment désolée. Reviens. Reviens, Thalia, et je serai comme toutes les grandes sœurs de tes copines. Je serai la meilleure, je serai encore mieux que ce que tu l'imagines... S'il te plaît...

Perdue dans mes pensées, dans ma douleur, dans mes larmes, je n'entendis pas des pas monter l'escalier. Je ne relevais la tête qu'en voyant des chaussures devant mi. Alex se tenait debout face à moi. Il m'avait vu, et il regardait maintenant la photo au dessus de moi.

Il prit une grande inspiration en fermant les yeux. J'avais vu suffisamment de douleur pour comprendre qu'il essayait de refouler ses larmes. Quand il rouvrit les yeux, il les baissa vers moi. On se regarda en silence, moi sanglotante, lui calme, ou du moins en apparence. Puis il laissa la tristesse déformer ses traits, et les larmes lui montèrent aux yeux.

Il vint s'asseoir à ma droite, la tête en arrière, appuyée contre le mur. Je tentais sans succès de me calmer en le regardant. Il m'observais aussi.

Je serrai les dents, empêchant difficilement les sanglots de sortir. Et alors même que je commençais à reprendre le contrôle, il tendit ses bras vers moi, et m'attira contre lui. Avant que je comprenne ce qu'il m'arrive, je me retrouvai blottie contre lui.

Le barrage se détruit à nouveau, et l'eau pleine de regrets recommença à couler. Peut être même plus qu'avant. Je levai mes mains et m'agrippai à sa manche. Je le tenais comme s'il était la seule personne qui était présente pour me maintenir à la surface de ces flots déchaînés, et il resserra ses bras autour de moi, tandis que j'enfouissais ma tête contre son épaule.

-Je veux qu'ils... J'ai besoin... qu'ils reviennent... bafouillai-je, presque pour moi même.

Il y eut un silence, et je sentis Alex me serrait un peu plus contre lui, alors qu'il me répondait en murmurant :

-Je sais... Je sais.

J'entendais les larmes contenue dans sa voix.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top