Chapitre 5
On marcha pendant une dizaine de minutes. Je tremblais de façon ininterrompue, et je trébuchais tous les trois pas. Heureusement que les... jumeaux ? me tenaient.
-Vous... Vous êtes jumeaux ? demandai-je d'une voix faible.
Callia hocha la tête avec enthousiaste.
-Oui !
-Malheureusement... compléta Alex.
Callia se retourna vers lui :
-Comment ça ? T'es pas content de m'avoir pour jumelle ? s'enquit-elle d'un ton faussement outré.
-Ben non, répondit-Alex comme si c'était une évidence.
Callia posa la main sur son cœur, ouvrit théâtralement la bouche, et fit semblant de ne plus trouver ses mots.
Pendant ce temps, j'observais leur petit ménage avec jalousie et peine. Comme j'aurais aimé qu'on puisse encore avoir ce genre de discussion, Thalia et moi...
Mais ils ne remarquèrent pas l'expression douloureuse sur mes traits, et continuèrent leur conversation faussement houleuse.
Et moi j'avais mal, j'avais mal, j'avais mal...
Comme elle me manquait... Comme ils me manquaient tous.
Je me mordis la lèvre pour me retenir de crier.
Mais de crier de quoi ? Que dire au monde pour que ça cesse ? Pour que j'arrête d'avoir mal ? Pour qu'ils reviennent ? Je n'étais pas idiote. Je savais que ça ne servait à rien d'espérer. On ne revient pas d'entre les morts.
Mais tout était si flou dans ma tête... comme si leur absence m'empêchait d'y voir clair. Comme si je ne pouvais plus réfléchir sans eux.
-Arrêtez ! criai-je soudain, sans même le vouloir.
Les jumeaux se turent et me regardèrent, estomaqués par mon éclat de voix.
J'entrouvris la bouche, moi-même surprise. Je cherchais quelque chose à dire. Ne trouvais pas. Et puis même si j'avais voulu parler, je n'aurais pas pu. Ma gorge était tellement serrée... Comme si elle voulait empêcher l'air de rentrer, les émotions de sortir. Alors je fermais les lèvres, me mordis la langue, secouai la tête, les larmes aux yeux.
Je ne pouvais rien faire de plus.
Callia et Alex se regardèrent en fronçant les sourcils, puis Callia effleura mon bras en disant d'une voix douce :
-Viens, on n'est plus qu'à quelques mètres de la maison.
Je hochais la tête, silencieuse, et on se remit en route.
On arriva finalement devant une belle et grande maison.
Je me figeai, la bouche ouverte.
-Mais... Vous êtes riches, en fait, lâchai-je.
Callia se mit à rire.
-Peut être pas quand même...
Je haussai les sourcils en contemplant leur demeure.
Devant se trouvait déjà un magnifique portail, en fer, sans doute. Il était parfaitement peint, en noir. Il s'ouvrit quand Alex sortit une télécommande de sa poche et pressa le bouton du haut.
Derrière se trouvait un jardin bien entretenu. Pile au milieu, une grande maison blanche, qui semblait avoir un étage.
À gauche de la maison, un grand parterre de graviers, avec trois voitures, et deux motos. Je regardais les trois voitures. Une Peugeot noire, une Mercedes grise et une Lexus rouge. Et bien que je m'y connaisse un peu moins en moto, je devinais au moins une Yamaha.
À droite du jardin, en revanche, se trouvait une partie bien plus verdoyante : une pelouse très bien tondue, des fleurs à foison : rosier, lys multicolores, iris violets et blancs... C'était magnifique, et très bien entretenu.
Mais mon regard revint vite vers le « parking ». Trois voitures... ce qui voulaient dire qu'à moins qu'ils n'en ait acheté une autre depuis l'accident, ils en avaient quatre avant. Il manquait l'Audi A4 immatriculée BH-567-QY qui avait détruit ma famille.
Je me mordis la lèvre, et détournai le regard des véhicules. Alex et Callia avançaient sans m'attendre vers leur maison, et je m'empressai de les rattraper. On arriva devant une massive porte d'entrée en bois foncé, peut-être du chêne, ou autre chose.
Callia enfonça ses clés dans la serrure, les tourna, puis appuya sur la poignée en métal. La porte s'ouvrit.
Je restai quelques secondes immobiles devant les deux marches en marbre qui menaient à l'entrée, tremblante.
La maison de l'homme qui...
Arrête, Emy. Arrête d'y penser, pitié.
Alex se tourna vers moi, remarquant que pour la énième fois de la journée, j'étais figée sur place :
-Tu viens ?
Je hochais faiblement la tête, et posai mon pied droit sur la première marche.
Maintenant, déplie ta jambe, et pose le deuxième pied sur la marche du dessus. Tu sais le faire.
Alex me tendit sa main, que je regardais, surprise. Mais je finis pas la prendre, et il m'aida à terminer de monter. Puis il me tira en avant, et sans même que j'ai eu le temps de réfléchir, je me retrouvai dans la maison des Hitremi.
Callia, qui était déjà en train d'enlever son manteau, me sourit et me souhaita en plaisantant la bienvenue chez eux. Alex, lui, m'informa que leur mère n'était pas là, elle était sortie.
Je hochais la tête, contemplant leur maison. Nous étions dans un petit couloir, long d'un mètre environ. Ensuite, à droite, s'ouvrait le salon, et à droite, il y avait une porte, ouverte, qui menait à la cuisine. En face de nous, des escaliers. Les meubles étaient assez banals, dans le genre un peu ancien, et tout en bois, foncé.
-Bon, vous m'excuserez mais moi j'ai faim ! s'exclama Callia en s'engouffrant dans la cuisine.
Alex me fit signe de la suivre en me demandant si je voulais quelque chose. Je n'hésitai même pas. Même si j'avais faim, je ne voulais pas de nourriture qui provenait de cette maison.
Callia s'assit à l'une des chaise qui entourait la table, dans la cuisine, et Alex s'installa à côté d'elle. Sans réfléchir, je m'assis en face de Callia.
Les deux jumeaux relevèrent aussitôt la tête, et me regardèrent de travers.
Je me relevai immédiatement, tout en rougissant.
-Oh désolée, je... euh...
La lèvre inférieure de Callia se mit à trembler, mais Alex esquissa un sourire un peu forcé :
-Non non t'inquiètes, tu peux t'asseoir, y a... pas de problèmes.
Ces deux derniers mots paraissaient lui être arrachés de la bouche.
-Alex... commença Callia.
-Callia, la coupa-t-il avec un regard insistant. Elle peut s'asseoir ici.
Cette dernière baissa la tête.
Je compris d'un coup.
Cette tristesse dans les yeux de Callia...
Oh putain ! Mais quelle idiote !
C'était la chaise de leur père. Quelle autre possibilité ?
Je venais de m'asseoir sur une chaise sur laquelle personne ne s'était assis depuis quatre mois.
Je reculai en trébuchant.
-Oh putain ! Je suis désolée...
Je posai mes mains sur le dossier, poussai la chaise jusqu'à la remettre à sa place initiale, rangée sous la table, et me déplaçai pour m'asseoir en face d'Alex.
Il me regarda avec des yeux perplexes. Comme si ce n'était pas normal que j'y ai pensé direct. Sauf que si.
J'eus une pensée de moi, dans mon ancienne maison, en train de manger à table, comme eux, avec les chaises des défunts intouchables.
Un sentiment de solitude infinie s'empara de moi, mais j'essayais, à défaut de pouvoir l'effacer, de le reléguer au fond de mon esprit, et je fis un sourire triste et contrit à Alex.
Le reste du goûter de Callia se fit dans un silence endeuillé.
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