Chapitre 10


 Quand nous descendîmes, Callia était debout devant leur cheminée. Elle jouait furieusement du violon. Je souris quand je reconnus l'Hiver, de Vivaldi.

Elle ne leva pas les yeux vers nous quand nous arrivons. Elle ne bougea pas, ne sembla pas nous reconnaître. Simplement, elle se mit à jouer encore plus vite, comme pour nous empêcher de nous parler, nous dire qu'elle ne voulait rien savoir.

Nous avions les même moyens d'évacuer nos émotions, toutes les deux.

Je m'arrêtai pour la regarder jouer. Même de cette façon, elle était incroyablement douée. Même en jouant sans s'appliquer, pour déchaîner sa colère sur quelque chose, c'était un plaisir pour les oreilles.

Quand la musique s'arrêta, elle enchaîna sur le Printemps.

Alex soupira et s'assit sur le canapé. Il voulait attendre qu'elle ait fini, qu'elle soit calmée. Soit. Je m'assis à côté de lui.

Après le printemps vint l'été, et son rythme était déjà plus calme, le son plus propre.

Enfin, quand ce fut le tour de l'automne, elle semblait apaisée.

Après avoir joué les quatre saisons, elle leva son archet, inspira un grand coup, et, sans rien dire, rangea son instrument. Puis s'assit en face de nous, dans un fauteuil.

-Ça y est, t'as fini ? demanda Alex, visiblement exaspéré.

Moi je ne l'étais pas. Même si l'attente avait été longue, l'entendre jouer avait été agréable, et m'avais apaisée aussi.

Elle hocha la tête, toujours muette.

Elle évitait de me regarder. Était-ce par honte, maintenant qu'elle était calmée, de ce qu'elle m'avait fait, ou bien était-elle encore en colère ?

-Bon, bah super, conclut Alex.

Puis il se leva et partit.

Nous tournâmes toutes les deux la tête pour le suivre du regard, l'air un peu effrayées.

Il nous laissait toutes les deux pour qu'on règle nos comptes...

Visiblement, Callia et moi étions arrivées à la même conclusion, car quand on se regarda enfin, il y avait une étincelle de résignation dans ses yeux.

Maintenant c'était à la plus courageuse d'entre nous de prendre la parole...

Il y eut un long silence, gênant au possible, mais je finis par m'éclaircir la gorge, avant de commencer :

-Euh... je suis désolée, tu sais. Je ne pensais pas ce que j'ai dit à Alex. Pas du tout. C'était ridicule de ma part, mais... J'étais en colère, j'étais triste, je...

Elle me coupa :

-Je sais. C'est pareil pour moi. Je sais pas ce qui m'a pris de te frapper.

Une grimace de culpabilité se dessina sur son visage.

-Je suis vraiment désolée... Et puis, ce que je t'ai dit en même temps, c'est juste...

Elle chercha ses mots.

-Affreux ? proposai-je avec un petit sourire.

-Affreux, confirma-t-elle. Je sais même pas si c'est pardonnable. Mais si ça l'est.

Son front se plissa tristement.

-Alors j'espère que tu pourras me pardonner.

-Je te pardonne si tu me pardonnes.

Elle releva les yeux, puis dit :

-Je t'ai déjà pardonnée.

Cette impression de chaleur dans ma poitrine fut l'une des meilleures de ma vie.

-Alors moi je ne t'en ai jamais voulu, déclarai-je.

On se sourit.

-On est amies ? demanda-t-elle.

-On est amies, confirmai-je.

On ne fit que se sourire pendant un moment, puis les traits de Callia redevinrent sérieux, voir tristes :

-Dis ?

-Hmhm ?

-Tu as... Tu as encore envie de te suicider ?

Je baissai les yeux. Que devais-je faire ? Lui dire la vérité, ou la rassurer ?

Oui. Oui, évidemment que je voulais encore mettre fin à ma vie, que je voulais encore les rejoindre. Comment pourrais-je changer un jour d'avis ? Le monde était sans saveurs, sans couleurs, sans eux. La vie ne valait plus rien pour moi.

Je voulais lui dire la vérité. Mais comment. Comment lui expliquer cette douleur inconditionnelle qui ne fait qu'augmenter, qui ne disparaîtra jamais, qui sera là, qui sera en moi, puis que deviendra moi ? Comment lui faire comprendre que ce n'est pas que je ne veux plus vivre, que c'est que je ne peux plus vivre ? Comment lui montrer, ne serait-ce qu'un tout petit bout de cette souffrance absolue, qui envahit toute ma tête, tout mon corps, toute mon âme sans même que je pense à eux ? Comment lui faire comprendre mon choix ?

Mais je ne pouvais pas lui mentir. Je ne pouvais pas prononcer les mots « non, je veux vivre ». j'en étais incapable. Alors je dis la vérité.

-Oui.

Je vis dans ses yeux qu'elle n'était pas surprise, mais qu'elle était triste. Vraiment triste.

-Tu... Tu veux bien m'expliquer pourquoi ? demanda-t-elle d'une voix tremblante.

Non. Prononcer ces mots à voix haute les rendrait plus réels encore. Oui. Si seulement quelqu'un pouvait comprendre, vraiment ce que je vivais. Non. Je ne voulais pas de sa pitié. Oui. J'avais besoin qu'on me soutienne. Oui. Je voulais qu'elle approuve mon choix. Oui. Je voulais qu'elle ne soit pas triste quand je le ferai, qu'elle se dise que j'étais mieux là où j'étais.

Mais rester à trouver comment exprimer avec des mots, avec ce langage français si petit pour dire ce genre de chose...

-Je ne... je ne peux pas vivre sans eux. Je sais que je ne suis pas parfaite, mais... Eux le sont. L'étaient. Je... Je ne sais pas si tu peux comprendre parce que le dire avec des mots, c'est difficile, mais je... J'ai l'impression d'être seule. Constamment. Et j'entends toujours, toujours, cette voix dans ma tête, qui, quoi que je fasse, me rappelle qu'ils ne sont plus là. Et j'ai toujours en moi... ce vide, qui ne se comblera plus jamais, qui restera béant... Je ne peux pas vivre sans eux. C'était ma famille.

Elle me regarda, puis, prudemment, répondis :

-Je comprends. Mais... tu ne te dis pas qu'eux préféreraient que tu sois heureuse et en vie ? Et que tu te trouves une nouvelle famille ?

Non, non, il ne fallait qu'elle me dise ça. Parce que la vérité, c'était que, si, évidemment, elle avait raison. Mais je préférais me dire qu'ils approuvaient mes choix. Je préférais rester dans le déni.

Je lui adressai un sourire triste :

-Je n'ai plus de vie sociale depuis quatre mois. Comment veux-tu que je me trouve une nouvelle famille.

-Tu... tu nous a nous deux, non ? Alex et moi. Après tout, il nous manque à nous aussi un membre de notre famille.

Je relevai les yeux vers elle. J'étais surprise. Vraiment surprise. Et émue.

J'en avais les larmes aux yeux.

-Il vaut mieux ne pas m'avoir dans sa famille, regarde où ça les a mené...

-Mais ce n'est pas ta faute...

Je haussai les épaules.

-Peut-être que si ? Peut-être que je suis maudite ?

Elle hésita, puis se pencha et vint poser sa main sur mon genou.

-Et ben moi, ça ne me fait pas peur.

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