Chapitre 5
« C'est un mauvais rêve ». Cela doit être la cinquantième fois que je me répète silencieusement cette phrase tandis que les trois compères se dévisagent mutuellement. Ils doivent certainement chercher quoi dire et se lancer des signes pour savoir lequel allait finalement prendre le risque de se jeter à l'eau. Je ne sais même pas où je suis et cela ne semble même pas me préoccuper plus que ça. À vrai dire, je veux comprendre. Comprendre ce qu'ils venaient de se dire. Les bribes que j'ai entendues. Ça me concernait. Je pouvais le sentir à leur façon de me regarder. Je dérangeais. Je les dérangeais. Qu'importe ce qu'ils faisaient, ce qu'ils se disaient, j'étais de trop.
« - Comment tu vas ?
- Ne change pas de conversation Anna. »
Mon ton est sec et froid. Anna est avec eux. Quelque part, sans raison apparente, je me sens trahi. Pourquoi ?
Pourquoi est-ce que j'ai l'impression que tout ceci est plus qu'un simple « mauvais rêve ». Je ne me réveillerais pas. Je le suis déjà. Je suis pleinement réveillé, mais à demi conscient. Ma tête me lance terriblement. J'ai mal et j'essaye de le masquer.
« - Je présume que c'est donc à moi de me lancer. »
Nathan fait un pas en avant.
C'est alors que le voyant se tenir là, droit devant moi, les bribes de souvenirs que j'ai d'hier soir reviennent à l'assaut. Mon crâne va exploser. Je n'en peux plus. Je ne tiens plus. Je revois Nathan dans la ruelle et sa main...
Sa main...
Mes yeux se perdent sur les bras de Nathan et ils m'ont l'air parfaitement normaux. Tout va bien. Avais-je halluciné ? Il se pourrait bien, après tout, j'avais bu. C'était peut-être sous l'effet de...Non. Quelque chose ne tourne pas rond.
Eux ? Moi ? Nous peut-être ?
« - Anna raccompagne Marc, veux-tu ?
- Comme tu voudras. »
Ils nous quittent tandis que Marc m'a peine regardé. Pourquoi ?
Dès qu'ils eurent quitté le couloir, Nathan me poussa d'une main à l'intérieur de la chambre et referma la porte derrière lui. À clé.
« - Assieds-toi. Il faut que l'on discute toi et moi.
- Non. Je suis très bien là où je suis. Pour le peu que je sache où cela se situe précisément.
- Tu es chez moi...
- Ah...
- Te souviens-tu de ce qu'il s'est passé hier soir ?
- Je suis sorti boire un coup avec Marc dans un bar qu'il connaissait. Il y avait cette fille...L..Li...Lili ? Non...Lizzie ! Et puis une chose en entraînant une autre, je présume qu'un verre était suffisant pour me faire perdre la raison, car...Tes bras...Enfin ta main...Elle...
- Elle quoi ? Elle s'est enflammée ? »
Soudainement, le même phénomène se produit et ma bouche s'ouvre comme si j'allais crier de stupéfaction, mais aucun son ne sort. Je me contente de le regarder faire l'opération. Encore et encore.
Cela ne semble même pas l'affoler.
« - Il aurait pu se passer des choses très graves hier soir...Je ne sais pas si tu en as conscience. »
Il a pris feu. Littéralement. Sa main s'est enflammée.
Je ne suis donc pas fou.
Est-ce censé me rassurer ? Je viens de voir la main d'un homme s'enflammer.
« - Tu as eu une attitude insouciante hier soir Antoine. Je n'aime pas quand tu es comme ça. Hé...Est-ce que tu m'écoutes au moins ? »
Je n'en sais rien. L'écoutais-je ? J'entendais sa voix. J'entendais l'interrogation dans ses mots, mais tout me paraissait si lointain.
« - Antoine ? »
Ma tête. Ma tête me fait mal. Ma tête résonne. Ma tête hurle. J'ai l'impression qu'on me la compresse de l'intérieur, ça fait un mal de chien. Je l'agrippe comme si j'avais une mauvaise migraine, mais rien n'y fait. La douleur s'intensifie.
Et puis un cri. Un cri avant que les ténèbres ne m'enveloppent une nouvelle fois.
Cette fois-là, j'ai rêvé de ma mère. Je ne me souviens pas de ma mère. Vaguement. J'ai commencé à oublier. Oublier son visage. Oublier le son de sa voix. Mais pas cette fois. Cette fois tout m'est revenu précisément en tête.
Je me suis souvenu du dernier jour où j'ai vu ma mère me sourire. Son front collé contre le mien, elle me chuchota les mots suivants : « Ils te convoiteront. Ils te voudront. Ils se battront pour toi. Tous autant qu'ils sont. Mais toi seul détiens le secret éternel. Toi seul peux décider de la fin de cette éternité. Ne te laisse pas apprivoiser. Ne te laisse pas duper. Ne te laisse pas tromper. Par aucun d'entre eux. Sois maître de ta simple destinée. Tu es précieux, Antoine. »
Je n'ai jamais compris ce que ça voulait dire et je ne sais toujours pas comment ces mots-là me reviennent à l'esprit subitement. Ce n'est pas comme si je voulais me souvenir du pire jour de ma vie.
Un sursaut, brusque, violent, me sort de mon sommeil. Mon cœur s'emballe et j'ai les mains moites comme si je sortais d'un mauvais rêve. Un énième mauvais rêve.
Mais en voyant Nathan étendu là, appuyé contre le rebord du lit, assis dans un fauteuil, je compris que je ne rêvais pas.
C'était réel.
« - Il n'y a que quand il dort qu'il a une tête presque normale... »
Je me surprends à penser à voix haute. Pourtant, c'est vrai. Nathan est là, allongé juste à côté de moi et sa soudaine proximité me gêne. Je ne sais pas quoi faire. Dois-je le réveiller ? Pourquoi s'était-il endormi ici ?
Je me rappelle de ces jours passés ensemble. Lui et moi. Je me rappelle de ces nuits à regarder les étoiles, partageant la seule et unique couverture que nous avions. Je me rappelle de ces jours d'été à se baigner dans le lac. C'est Nathan qui m'a appris à nager, je m'en souviens. C'est Nathan qui m'a appris le nom des étoiles.
C'est Nathan qui m'a appris à aimer. Je me souviens de cela aussi.
Je tends une main vers lui quand je l'entends marmonner :
« - N'essaye même pas... »
Honteux, je retire en vitesse mon bras, couvert de ridicule.
Il se redresse, les cheveux ébouriffés, s'étirant tout en bâillant.
« - Comment tu te sens ?
- Est-ce vraiment une question ?
- Bien sûr...
- Pas très bien... »
Et cela ne semble même pas l'étonner.
« - Dis-moi Nathan...Sérieusement...où est-ce que je suis ?
- Je te l'ai dit, chez moi.
- Alors, je pose une autre question...Qu'est-ce que tu es ? »
Son regard se perd à l'extérieur alors que la pluie fait rage sur les carreaux. Je n'avais même pas remarqué qu'il pleuvait.
Un silence s'installe entre nous.
« - Un sorcier. »
C'était là, la seule réponse dont j'ai eu le droit.
« - Je suis un sorcier, Antoine. »
Parce qu'au fond, j'avais juste besoin de l'entendre, pour le croire.
Parce qu'au fond, une partie de moi, une intime et fine partie de moi, devait certainement sans douter pour que cela ne me fasse pas un choc trop grand en l'entendant.
« - Je suis chargé de ta protection... »
Parce qu'au fond, une partie de moi, une intime et fine partie de moi, devait certainement croire en autre chose pour qu'à l'annonce de cette phrase, je ne tique même pas. Je me contente de planter mes yeux dans les siens et de souffler un :
« - Oh... »
« Oh » et tout ce que je trouve à lui dire.
Tout ce que je trouve à exprimer.
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