Chapitre 31

Quand j'étais petit, j'avais plein de rêves. Des tas et des tas de rêves. Tous concernaient l'avenir. Tous me donnaient du courage. Un jour je me voyais astronaute, parcourant les étoiles et la galaxie. Un autre jour je me voyais pompier, sauvant un immeuble des flammes et des chats d'arbre trop grands. Puis un autre jour encore je me voyais magicien.

Pourquoi ? Je n'en sais rien.

Je sais juste que je voulais être magicien...Ou curé dans le pire des cas, mais quand j'ai compris au début de l'adolescence qu'il fallait faire vœu de chasteté, j'ai dit « non merci » : Je ne rentrerai probablement jamais dans les ordres.

Aujourd'hui, quand je fais le bilan, je ne sais pas comment je me vois dans dix ans. Je n'arrive déjà pas à savoir comment sera demain, ni même comment sera l'heure suivante.

Je ne peux pas le savoir.

Il y a quelques heures à peine, j'avais transformé deux hommes en vulgaires animaux de compagnie et maintenant, j'en suis à les regarder tous les deux, me demandant ce que je peux faire pour eux.

C'est vrai. Je suis assis là, à me demander comment je peux les sauver, car j'ai l'impression qu'à un moment donné, ils tomberont. Ils s'écrouleront là, devant moi et jamais ils ne se relèveront.

« - Je sors. »

Personne ne m'en empêche. Personne ne me répond. Évidemment. Je ne suis même pas certain qu'ils m'aient entendu.

Ils sont « ailleurs ». Un ailleurs que je ne peux pas atteindre.

Dehors, la brise est fraîche, mais bonne et les rues sont paisibles comme dans mon souvenir. Le doux bruit des branches s'agitant au-dessus de moi me rappelle les rires d'antan.

Je marche seul, dans le noir et pour la première fois depuis longtemps, je n'ai pas peur. Je n'ai pas peur du « noir ».

À quelques mètres de chez moi, il y a un parc. Un parc de jeu. J'ai mille et un souvenirs dans ce parc et la plupart concernent Nathan.

Je nous revois assis aux balançoires avec nos goûters à la main.

Je nous revois en train de grimper aux installations parce que l'on vit je ne sais quel scénario.

Je nous revois étalé par terre à contempler les quelques étoiles que l'on voyait quelquefois.

Nathan n'était qu'un enfant quand ma mère est morte. Pouvais-je le blâmer et le condamner pour cela ? Oui je le pouvais, parce qu'il devait le savoir...Mais ça serait la facilité. Haïr Nathan reviendrait à faire plaisir à trop de gens, car il est mon seul lien avec la famille Caligari. Mon seul « vrai » lien. Peut-être profitaient-ils de ça et Nathan profitait de moi ? Peut-être les Caligari profitaient de notre situation pour faire de moi leur pantin, je n'en sais rien, mais il était hors de question que j'en vienne à la haine.

Je m'étais rendu compte, sur le long terme, que c'était un garçon qu'on ne pouvait pas haïr. Nathan est le genre de cafard qui traîne dans vos vies : Vous le chassez ou l'écrasez maintes et maintes fois, mais il est encore et toujours là.

Je présume que j'ai juste à m'accommoder de lui...Malgré ça.

Savoir que les Caligari ont tué ma mère devrait m'emplir de haine, de fureur et d'un désir de vengeance incontrôlable, mais soyons honnêtes...Ce genre de scénario n'est bon que dans les films d'action. Vouloir venger ma mère ne signifie pas qu'elle me sera rendue.

J'ai l'habitude d'être seul depuis bien trop longtemps que je ne saurais comment faire avec une maman dans les pieds.

Il en allait de même pour Julius.

Théoriquement, je ne lui ai jamais posé de questions sur ses origines, d'où il venait et je m'en foutais pas mal. Julius était quelqu'un...Non pas qui comptait pour moi, mais je commençais à avoir l'habitude de l'avoir près de moi. C'était une habitude malsaine, car il avait le don de faire naître cette tension en moi dès qu'il apparaissait quelque part...Mais c'était une habitude quand même.

Je présume que je dois être né débile ou idiot, pour ne pas vouloir leur faire la peau.

Ça doit être ça. Ça ne peut qu'être ça, car je ne saurais pas expliquer pourquoi je suis aussi calme présentement. Je l'ai rarement été.

Mais je ne suis pas fou pour autant...Julius et Nathan sont également l'archétype de « garde du corps » magique. Je ne pouvais pas rêver mieux...ou espérer pire. Je sais qu'à chaque fois que je suis censé être sous la garde de l'un ou de l'autre, il finit toujours par m'arriver malheur. Toujours. C'est comme inévitable et pourtant, leur présence commune avait quelque chose de rassurant. Je ne saurais dire quoi.

« - Je pensais que tu aurais fui plus loin que ça. »

La voix de Julius, justement, me rappelle à l'ordre tandis que je le vois se tenir là, devant moi, les mains dans les poches de sa veste en cuir, les cheveux remontés en une queue de cheval faite à la va-vite. C'est rare qu'il s'attache les cheveux...Je crois même que je ne l'ai jamais vu s'attacher les cheveux.

« - Je ne fuirais pas. »

Ou du moins, je n'ai aucune raison de le faire.

Dans un monde de monstres et de folie permanente, il est normal que je sois entouré de monstres.

Il s'assoit à côté de moi, sur une balançoire et commence à agiter les jambes se donnant un petit peu d'élan.

Au début, il ne dit trop rien. Il se contente d'observer les étoiles et puis au bout d'un moment...

« - Tu sais, ce n'est pas comme si je voulais te le cacher. »

Ce n'est pas comme si je voulais le savoir.

« - Tu ne me dois rien. C'est ta vie, pas la mienne. »

D'ailleurs, cela me fait réaliser que cela fait partie d'une vie à laquelle je ne semble pas appartenir.

Il s'arrête brusquement et détourne enfin les yeux vers moi. Des yeux larmoyants comme si cela lui coûtait tous les efforts du monde de se retenir, d'empêcher une larme de s'évader.

Il est triste et ça se voit, malheureusement, je ne suis pas un mouchoir ambulant. Je ne peux rien faire pour lui. Ni le consoler, ni compatir.

« - Je présume que Nathan ne le savait pas non plus...vu la tête qu'il tirait...

- Non...Personne ne le savait. Personne ne le sait. Je ne m'en cache pas spécialement c'est juste que...

- Que tu ne veux pas en parler ? Je respecte ton choix. Je n'en parlerais pas. »

Malgré la distance qui nous séparait sa main vient saisir avec force la mienne.

« - Mais avec toi c'est différent...Avec toi...Je veux en parler.

- Si tu veux en parler, parle, mais je suis une très mauvaise oreille. »

Et en plus, je suis sérieusement crevé. Je rêverais de rentrer, de me jeter sur mon lit, me coucher et m'endormir comme si rien de tout ça ne s'était passé. Malheureusement, je ne peux tourner le dos à autant d'informations et j'ai l'horrible sensation que ceci n'est que le début d'une longue, très longue suite d'informations qui ne vont pas tarder à sortir.

Comme si l'on avait malencontreusement ouvert la Boite de Pandore, mais avec les secrets de chacun à l'intérieur.

« - Dis-moi Antoine...Tu penses que c'est possible de retourner dans le passé et de tout effacer ? Tout effacer pour tout recommencer ?

- Normalement non, mais on vit dans un monde un peu fou toi et moi...Néanmoins, ce n'est pas en effaçant le passé que les choses vont changer. C'est à toi de les faire changer. Maintenant. Tu en as le pouvoir et le temps...Il te manque juste un peu de détermination.

- Je ne sais pas ce que je dois faire... »

C'est bien la première fois que je le vois aussi désorienté, désemparé. Perdu. Confus.

Julius était ce gars que l'on enviait secrètement pour sa confiance en soi inébranlable, son calme implacable et son sang-froid indiscutable, néanmoins, ce soir s'offrait à moi une version nouvelle. Une version que je ne connaissais pas.

Alors, je me relève de la balançoire et lui dis en regardant le ciel :

« - Si tu ne le sais pas...Je ne le saurais pas pour toi, mais je sais que petit, mon père me disait souvent « Si tu veux quelque chose, sors-toi les doigts du cul pour y arriver ». Charmant non ? »

Il esquisse un léger sourire tandis que je le regarde et se relève à son tour pour venir à mes côtés.

« - Si l'on s'arrête à la première vérité balancée, alors on ne s'en sortira pas. Elle avait raison, tu sais ? La guerre commence et il faut que l'on soit prêt. »

Je dis ça, mais au fond, je me fais dessus, je suis mort de trouille.

Les seules « guerres » auxquelles j'ai pris part sont inévitablement les batailles de bouffe au pensionnat quand j'étais au collège...Et à chaque fois, je n'étais pas dans le camp des gagnants, mais bien dans ceux finissant avec un petit pois dans l'œil, de la purée plein les cheveux et de la sauce tomate sur tout le tee-shirt.

Et à l'époque, la menace de me prendre un petit pois dans l'œil me faisait déjà peur alors vous n'imaginez même pas ce que ça donne présentement.

J'ai peur. Réellement peur.

Parce que si guerre il y a...Morts il y aura.

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