Chapitre 30

Il n'existait pas sur terre, de situation plus gênante que celle que je vivais actuellement. Assis, le feu jusqu'aux oreilles, le regard rivé vers mes baskets en guise de seul point de concentration, les fesses entre Julius et Nathan à moitié nu, tentant désespérément de se rhabiller.

« - N'empêche...Qui aurait cru que tu serais capable d'une telle chose ? On sait que le Graal a des pouvoirs à part et accorde n'importe quel vœu à son propriétaire, mais de là à ce qu'il développe une volonté qui lui est propre. »

Je dois avouer que je suis le premier surpris. Depuis quand suis-je capable d'un tel tour ? Depuis quand entrais-je dans la catégorie « magie » ?

Ah. Maintenant que j'y pense...Je rentre carrément dans la catégorie « objet magique ». Je me vois bien sur une étagère poussiéreuse entre deux gros grimoires.

Néanmoins, Nathan marquait le point...Ce qu'il venait de se passer avait surpris tout le monde et moi le premier.

« - On devrait se remettre en route au lieu de traîner ici...La route est longue encore. Antoine, tu devrais profiter du trajet pour te reposer.

- Depuis quand la boule de poil donne les ordres ici ? »

Arrêtez de vous battre. J'en ai marre.

« - Comment dormir quand je suis constamment obligé de vous surveiller ? Vous me fatiguez tous les deux. »

Pourtant, je pose ma tête contre la fenêtre et tente de fermer les yeux. J'essaye d'oublier. Mais oublier pour quoi ?

Je sais que je ne suis pas « normal » et que je ne le serais jamais. J'en ai conscience maintenant. Je sais que tout ce délire existe et je sais que la guerre est là, à notre porte. À ma porte.

J'entends alors les portières claquer et le moteur démarrer.

Nous revoilà partis.

Nous revoilà sur la route et pourtant, j'ai toujours cette voix en moi, dans ma tête. Je sais qu'elle m'appelle, qu'elle m'attend.

Si j'ai des pouvoirs...Si réellement j'ai des pouvoirs...Pourrais-je la sauver ? Irais-je ?

« - Antoine...Antoine réveille-toi...On arrive. »

J'ouvre un œil et je me demande combien de temps je me suis endormi pour apercevoir les lumières du village.

Cela fait des années que je ne suis pas revenu ici...Chaque endroit, chaque coin de rue me rappelle un souvenir.

Un souvenir impliquant Nathan, forcément.

C'est ici que mes yeux se sont posés sur lui. C'est ici que l'on s'est connu. C'est ici que je l'ai aimé et que j'en suis venu à le détester.

« - Où est-ce que l'on va ensuite ? »

Julius ne me lâche pas du regard à travers le rétroviseur et étrangement, la voiture ne semble pas dériver de la route non plus. S'inquiétait-il ? Savait-il ce que cet endroit signifiait pour moi ?

Non. Je ne pense pas.

« - Je t'indique l'endroit. »

Au bout de quelques rues, on finit par arriver devant une vieille maison à la façade en pierres.

Ma maison.

C'est ici que j'ai grandi.

Je descends le premier et rien que le fait de pousser le petit portillon en ferraille rouillé, rien que le fait d'entendre à nouveau ce bruit, me rappelle beaucoup de choses.

Beaucoup trop de choses.

Je sors les clés de ma poche et ouvre la porte. Tout n'est que poussières, mais tout y a été laissé comme je m'en souviens.

« - Il n'y a pas assez de place pour loger tout le monde alors...

- Je prends le canapé. »

Ayant dit la même phrase simultanément, Julius et Nathan se regardent en chiens de faïence sans même m'avoir laissé le temps de finir ma phrase.

« - Bon bah Nathan prends le canapé alors... »

Je le départage dans un soupire désespéré d'avoir à gérer en plus ces deux-là.

« - Julius dormira dans la chambre à côté de la mienne. »

Je le vois subtilement tirer la langue à son comparse, signe qu'il devait certainement être satisfait du partage. Ce n'est pas comme si j'avais l'intention de laisser Julius dormir dans la chambre à côté de moi, bien au contraire, cela m'angoissait un peu, mais Nathan s'étant précipité sur le canapé...Autant faire avec. De toute façon, il ne me fera rien.

Pas ici.

Il n'osera pas.

J'indique la chambre à Julius et file dans la mienne.

Ma chambre d'enfant. Le lit ne peut contenir qu'une personne et vu ma taille, je vais légèrement dépasser, mais tant pis, ça fera l'affaire, je ne compte pas m'éterniser ici. Je veux juste du temps pour moi.

Je veux juste réfléchir à tout ça.

« - Antoine... »

Encore cette voix.

Elle provient du courant d'air s'infiltrant dans la bâtisse.

J'ai beau l'ignorer, elle revient encore et encore et encore. Je n'arrive pas à m'en débarrasser.

« - Antoine... »

Je m'assois sur le lit, les mains sur les oreilles en me disant que cela m'empêchera de l'entendre, mais rien n'y fait ! Rien !

Elle est là, elle m'envahit, me hante.

« - Antoine ? Viens avec moi. »

Et puis soudain, une main sur mon visage. Sa main. Elle est là, devant moi. Elle a ce faible sourire et les yeux presque suppliants. De beaux et grands yeux bleus.

« - Com...

- Chut. C'est un secret. Viens avec moi...

- Où ? Où est-ce que tu veux m'emmener ?

- Je veux que tu sois libre Antoine...Je veux te libérer. »

Sa voix avait quelque chose d'apaisant, de chaleureux, de rassurant. Sa voix avait quelque chose d'envoûtant.

D'un geste de la main, elle ouvre la fenêtre et commence par y grimper avant de me tendre la main.

« - Viens...Viens avec moi.

- Antoine ! Non ! »

À peine avais-je tendu la main que la voix de Julius résonne au niveau de la porte tandis que tout son corps se fige et que son regard se glace.

« - V...vi....

- Chuuuut...Ne l'écoute pas. Viens avec moi. Tu sais que je peux t'aider. Tu sais qu'avec moi, tu seras mieux. Viens. »

J'essaye une nouvelle fois avant qu'une boule de feu nous passe sous le nez et que Nathan pousse sans ménagement Julius contre le mur.

« - Qu'est-ce que tu fous bordel ?! »

Ah. C'est vrai. Ils sont là eux aussi.

Je les avais oubliés.

« - Antoine...Viens...Ne les laisse pas t'avoir. Ne les laisse pas nous séparer. »

C'est vrai. Je ne dois pas. Je ne dois pas rester avec eux. Ils ne sont pas venus pour moi, eux. Ils ne m'ont pas aidé...Elle si. Je peux lui faire confiance, je le sais.

Pouvais-je ?

Pourquoi me mettais-je à douter certainement ?

« - Viviane...Que...Que fais-tu là ? »

La voix de Julius tremble. Le corps de Julius semble sous le choc. Il peine à faire face à cette jeune fille.

« - Je t'avais dit de m'oublier Julius. Je t'avais dit que c'était pour le mieux. Pourquoi n'écoutes-tu jamais ? Tu as toujours été un enfant si désobéissant. Toujours. »

Hein ? Je ne comprends rien...Ils se connaissent ?

À cet instant, leurs yeux du même bleu se mirent à briller simultanément comme faisant partit d'un même ensemble.

« - Tu es un horrible grand frère Julius...Un horrible. »

Grand frère ?

« - Me laisser...Moi, papa, maman...Nous laisser là....Nous laisser maintes et maintes fois mourir seuls. Comment peux-tu encore te tenir debout et fier ? Comment peux-tu te voir dans un miroir ? N'oublie pas à quelle famille tu dois la vie ...N'oublie pas quel sang coule dans tes veines. Tu es un Tenebris, Julius...Je suis là pour te le rappeler. »

Satisfaite de la bombe qu'elle venait de nous lâcher en pleine figure et tentant encore de comprendre ce que l'on venait d'entendre, elle s'assied sur le rebord de la fenêtre.

« - Parce qu'il ne vous l'avait pas dit, n'est-ce pas ? Forcément...C'est plus facile de cacher d'où l'on vient plutôt que de l'assumer. Mais bon, ainsi va la vie ! »

« Tenebris » rien qu'à l'entente de ce nom, j'eus un frisson me parcourant l'échine. Rien que ce nom me rappela toutes ces choses...Toutes ces choses que j'ai subies.

« - Alors...Tout ça...C'était de la mise en scène ? »

Depuis le début, je ne suis que le pantin de trois familles. Depuis le début je tombe dans chaque piège, et ce, allégrement en me disant que je ferais attention la prochaine fois. « Prochaine fois » mon cul oui ! C'est toujours la même chose avec eux.

« - Oui et non. Je veux réellement t'aider Antoine.

- Comment ? En m'enfermant dans une cave et en me rendant fou une nouvelle fois ?

- Ça t'a permis de développer une autre partie de toi non...Te souviens-tu de cette nuit-là Antoine ? Te souviens-tu de ce que tu as fait à cette fille ?

- Quelle fille ?

- Assez ! »

La voix et la fureur de Nathan se font entendre tandis que l'on essaye tous à notre façon de digérer le processus.

« - Qu'est-ce que tu veux au juste ? Tu veux Antoine ? Eh bien sache-le que tu ne l'auras pas !

- Oh, mais je n'aurais pas à me forcer...Et je ne veux pas le forcer. Je viens juste lui rappeler certaines choses. D'ailleurs...Je m'en rappelle maintenant...Tu es Nathan Caligari n'est-ce pas ? Dis-moi Antoine...Sais-tu pourquoi ta mère n'est plus de ce monde ? Autant que tu saches de qui tu es entouré, non ?

- Assez j'ai dit ! »

Un jet de flamme s'échappe de ses mains tandis qu'elle pare le coup sans le moindre effort, sans même lever le petit doigt.

Qui était-elle au fond ? Que savait-elle ? Que voulait-elle de moi ?

Dans un léger rire, elle nous dévisage tous les trois, comme si la situation lui permettait et nous pointe un à un du doigt en disant à chacun :

« - Alors...Toi tu as menti sur tes origines et tu t'es fait adopter par une autre famille. Toi, tu fais partie d'une famille d'assassins ayant tué la mère d'un pauvre petit garçon juste parce que vous avez voulu lui mettre la main dessus les premiers et toi...Toi tu n'es que le dindon d'une grotesque farce. Je me sentirais presque désolé pour toi. Maintenant que tu sais de qui tu t'es entouré...Je vais vous laisser à votre soirée pyjama les garçons ! De toute façon, comme je l'ai dit, on se reverra...Après tout...La guerre commence non ? »

La guerre commence.

Oui, c'est vrai...La guerre.

La guerre est là. À nos portes. À ma porte.

La guerre fait rage dans mon cœur tandis que tout semble s'écrouler de plus belle.

Était-ce seulement possible de tomber encore plus bas ?

Était-ce seulement possible d'avoir si mal dans la poitrine ?

Pourquoi ? Pourquoi y'a-t-il fallu que cela tombe sur moi ?

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