Chapitre 14
Je finis par atterrir sur les fesses, comme sortant de nulle part, dans un petit couloir au plancher en bois.
Nina elle, nous fait un atterrissage parfait comme si elle avait fait ça toute sa vie. Forcément.
« - Nous y sommes. »
Cela me change du manoir de Nathan. Ici tout est plus simple, plus rustique oserais-je dire. D'ailleurs, trois enfants nous passent devant en criant. En riant.
« - Hé vous là ! On a déjà dit qu'on ne courrait pas dans les couloirs !
- Pardon Nina...
- Bon sang... »
Plus qu'un groupe de trois enfants, il s'agissait d'un véritable pensionnat. Un orphelinat tout entier. Voilà où j'étais.
« - Suis-moi. Il doit attendre. »
À chacun de mes pas, lourds et maladroits, les planches grincent comme pour me signaler que j'étais bien trop gros pour elles. C'était vexant en sachant que mon guide, elle, ne produisait aucun bruit.
On se faufila entre les enfants jouant puis elle ouvrit une porte, me signifiant d'entrer.
« - Ah te voilà ! Entre donc ! Je ne mange pas ahaha ! »
Devant moi, il y avait deux hommes. L'un à la fleur de l'âge me faisant presque penser à Augustus, mais avec un visage plus souriant et chaleureux, l'autre beaucoup plus jeune, aux alentours de mon âge. Il avait de longs cheveux noirs descendant en cascade sur ses épaules et des yeux...perçants.
Il ne dit rien, mais se lève pour me laisser sa place dans le fauteuil.
« - Je suis content que tu sois là Antoine ! Le voyage s'est-il bien passé ? Nina ne t'a causée aucun mal, j'espère ? Cette enfant a tendance à y aller...Un peu trop fort. Je m'en excuse si c'est le cas.
- Non, non...ça va. »
Je suis vivant. Pour l'instant.
Je m'assois donc à la place du grand brun qui ne me lâche pas du regard. Étrangement cette façon de se tenir, de regarder les gens, cette aura qu'il dégage...Tout en lui me faisait penser à Nathan. Un Nathan plus « froid », plus « dur », mais un Nathan quand même.
« - Ne te préoccupe pas de Julius. Il fait peur c'est vrai, mais il a bon cœur.
- D'accord...
- Donc dis-moi...tu es sûr que ça va, hein ?
- Oui...Je crois...Dites-moi, sans vouloir vous manquer de respect...Qui êtes-vous ? Où suis-je et que me voulez-vous ?
- Oh ! C'est vrai ! C'est que je perdrais ma tête avec l'âge ahahaha ! Excuse-moi. Je suis Balthazar, le chef de la famille Maganti. Bienvenue chez nous ! »
Son sourire, bien que faiblard, a un petit côté rassurant. Étrangement, le fait de savoir que ce vieillard était le chef de famille me rassurait et me laissait croire que contrairement à Augustus, il était sans doute bien plus plaisant de traiter avec lui.
« - Je sais que cela peut paraître brusque, mais nous avons eu un mal énorme à entrer en contact avec toi. La famille Caligari t'a sous bonne garde. J'admire vraiment tous les efforts qu'ils font depuis des siècles ahaha !
- Balthazar ! »
C'est la première fois que Julius intervient. Comme pour reprendre le grand-père, il le fusille du regard de façon à lui faire passer un message. Un message clair et précis que ce dernier comprend parfaitement, mais ne prend évidemment pas au sérieux.
« - Du calme Julius...il n'est nul besoin d'avoir des secrets entre nous et puis je préfère mille fois l'honnêteté ! N'es-tu pas de mon avis Antoine ?
- O...oui... »
Bien sûr, il devait être courant pour chacune des trois familles de me connaître tandis que moi, j'apprivoisais encore ce monde et ses coutumes complètement folles. Avais-je été invité simplement pour faire connaissance ?
« - Tiens, mon garçon, rends-toi utile et va donc nous préparer un petit quelque chose. Je suis certain que notre invité aimerait boire quelque chose.
- Je vous remercie, mais ça ira...
- Tu en es sûr ? N'hésite pas ! Il ne faut pas te priver chez nous. »
Et prendre le risque de me retrouver droguer ou je ne sais quoi à cause de ce que j'ai pu boire ? Non merci. Je préfère être prudent même si je ne trouve rien à leur reprocher pour l'instant si ce n'est la façon « d'inviter » les gens.
« - Bon très bien...Comme tu voudras.
- M'avez-vous fait venir ici uniquement pour les salutations ?
- Oui. N'est-ce pas d'usage de le faire quand on ne connait pas la personne ? Si l'on veut apprendre à se connaître, il faut savoir se présenter, c'est le minimum non ?
- Avec tout le respect que je vous dois...Vous êtes des sorciers et je suis pertinemment au courant de ce qui se passe entre vous.
- Oh...Tu veux parler de cette petite escarmouche qui dure depuis la nuit des temps ? Voyons ahahah ! Ce n'est rien tout ça ! Tu sais, je présume qu'Augustus t'as mis au courant, mais...Nous ne sommes pas tous comme eux. Cette famille cherche à asseoir son pouvoir sur les autres depuis des générations. La nôtre ne cherche qu'à survivre. Et puis...La dernière...Eh bien...Disons que c'est le mouton noir du lot.
- Le mouton noir ?
- La famille Tenebris est une famille...Étrange. Je te conseillerais de ne pas avoir à faire à eux pour le moment. Tu devrais accepter de rester près des Caligari tant qu'ils peuvent te protéger.
- Attendez, attendez...Vous n'êtes pas censés vous battre ? Enfin...
- Nous battre ? Pour toi ? Si, sûrement ! Mais nous avons aussi nos codes d'honneur. N'as-tu pas remarqué que les années alors écoulées ont été calmes et paisibles ? Il est vrai que nous ne savions pas si le Graal allait nous revenir, nous ne savions pas sa forme non plus...Mais quand tu es venu au monde...Au moment même où tu es arrivé sur terre une nouvelle fois...Nous savions que c'était toi. Le souci pour nous...Est que tu es sous forme humaine et cela reste un phénomène nouveau que nous ne comprenons pas. Alors en attendant de comprendre...nous traitons avec l'homme.
- Avez-vous le moindre espoir me concernant ? Vous espérez que je vous choisisse plutôt qu'une autre famille ?
- Pas vraiment. Il est vrai que tu seras amené à faire un choix et à l'assumer...Nous ne pouvons rien y faire là-dedans.
- Donc...Vous allez me laisser tranquille ?
- Disons plutôt que nous allons nous tenir à bonne distance et le jour où tu auras besoin de nous...Nous serons là.
- Vous allez me surveiller...vous aussi ?
- Non. Bien sûr que non. Nous ne voulons pas que notre présence te gène ! Mais nous te garderons à l'œil dans l'éventualité où tu serais en danger par exemple. »
J'ai l'impression d'être cerné de part et d'autre maintenant. Une famille de chaque côté.
« - Julius que voici s'inscrira à l'université dès demain. Il aura également une chambre dans ton bâtiment. Tu verras...Tu t'habitueras à sa présence et puis il est plutôt discret. »
Comment un homme de sa stature pourrait être discret ? Il doit bien faire un mètre quatre-vingt et ressemble à l'une de ces armoires à glace. Je n'aimerais pas me retrouver contre lui dans un combat à la singulière, rien que l'une de ces baffes pourrait me mettre dans le coma.
« - D'accord...Et c'est tout ?
- Oui. C'est tout. Sauf si tu as des questions. »
J'en ai des tas, oui !
« - Pas particulièrement. Je peux donc rentrer ?
- Bien évidemment ! Julius va te raccompagner. »
Il m'ouvre la porte et attends que je passe cette dernière avant de la refermer derrière lui. Je le suis à travers les couloirs et les escaliers, discrètement, sans dire un mot en me demandant comment un gars comme lui pourrait passer inaperçu sur le campus.
« - Je peux te poser une question ? »
Sa voix, grave, mais douce, s'élève, cassant ainsi le silence entre nous.
« - Tout dépend...Qu'est-ce que tu veux savoir ? »
Il s'arrête et se retourne vers moi. Ses yeux d'un bleu glacial se plantent dans les miens tandis qu'il s'avance pour se mettre à ma hauteur alors que mon visage se lève progressivement pour le voir.
« - Comment va Nathan ? »
Ah parce qu'ils se connaissent ces deux-là ?
« - Bien, je suppose. Tu connais Nathan ?
- Plus ou moins. »
Ce n'est pas une question que l'on pose lorsque l'on connaît « plus ou moins » une personne. Ils se connaissent réellement. Véritablement.
Il fait demi-tour et reprends la marche, accélérant légèrement le pas. Comment voulez-vous que je suive le rythme d'un tel géant ?
On arrive sur le campus et Julius me suit même jusqu'aux portes du bâtiment où se trouve ma chambre. Quand je pense qu'il sera là lui aussi. Comme s'il n'y avait pas assez de sorciers sur le campus universitaire.
Devant les portes, trépignant d'impatience, il y avait Nathan, qui, dès qu'il m'aperçoit avec Julius s'écrie : « - Antoine recule ! »
Il se précipite en courant vers nous allant même jusqu'à se mettre devant moi, m'agrippant comme s'il me protégeait.
Je ne comprends pas. Qu'y a-t-il ?
« - Qu'est-ce que tu fais là ?
- Rien. Je raccompagnais Antoine.
- Que lui as-tu fait ?
- Rien. Nous avons simplement discuté. N'est-ce pas ?
- Ah..Euh...oui, oui ! Tout va bien !
- Mais bien sûr ! Comme si j'allais te croire !
- Ne me crois pas alors, que veux-tu que je te dise ? »
Il y avait une telle animosité entre ces deux-là que cela répondait en partie à ma question : Oui, ils se connaissaient bel et bien.
« - Tu ferais bien de rentrer chez toi Julius.
- Et si je veux rester là ?
- Eh bien, tu ne peux pas.
- Je ne peux pas ou tu ne veux pas ?
- Les deux.
- C'est bien dommage. Il va pourtant falloir que tu te fasses à ma présence Nathan. Demain, j'emménage ici. »
À cet instant, je vis le visage de Nathan devenir blanc comme un linge, son expression féroce le quittant pour cette inexpression totale comme s'il était complètement sous le choc.
« - Donc...à demain ! »
Il nous salue d'un geste de la main, nous adressant presque un demi-sourire et cela semble le changer de cette attitude qu'il se donnait précédemment. Si sa rencontre avec Nathan l'avait « ouvert », Nathan lui ne répondait plus de rien. Il s'était retrouvé planté là, tandis que ma main passait plusieurs fois devant son visage.
« - Nathan...Youhou...Allô la lune ici la terre ? Nathan... »
Rien à faire. Il est complètement perdu.
Cet étrange. Je ne m'attendais pas à le voir comme ça. Je ne l'ai jamais vu comme ça d'ailleurs.
C'était l'effet « Julius » ça ?
Soudain il m'agrippe par les épaules, me faisant complètement peur au passage et me regarde complètement paniqué :
« - Tu es sûr que ça va ? Que tu n'as rien ? Il ne t'a rien fait ? Sûr et certain ?
- Mais oui...Regarde ! »
Je fais le tour sur moi-même, allant presque jusqu'à soulever mon tee-shirt pour lui démontrer qu'il ne m'était rien arrivé. À vrai dire, j'avais même apprécié cette rencontre, aussi étrange fut-elle.
Nathan se laisse alors complètement tomber sur le banc le plus proche, prenant sa tête entre ses mains et répétant sans cesse « Ce n'est pas vrai ». Inquiet, je le rejoins.
« - Hé...Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu paniques autant ? C'est qui ce Julius pour toi ? »
Il me regarde à peine ou avec cet air de petit garçon à deux doigts de pleurer à chaudes larmes.
« - C'est le mal. Si Julius devait être un pêché...ça serait la luxure. Tu ne ...Tu ne peux...Tu ne peux pas savoir tout ce dont cet homme est capable. »
Je ne comprends pas ou du moins, cette fois-ci, exceptionnellement, je préfère ne pas comprendre.
« - Il s'est passé quelque chose entre lui et toi ?
- « Quelque chose » ? Non. Tout un tas de choses, oui. »
Était-ce censé me rassurer ? Était-ce censé me faire comprendre quelque chose ?
Que s'est-il passé entre ces deux-là ?
Maintenant, je veux savoir.
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