Chapitre 12
Je me suis installé sur la banquette en face de lui. Nous étions tous les deux, dans un petit coin reculé, loin des regards indiscrets et je ne pus m'empêcher de me cacher derrière la carte des glaces.
« - Tu m'évites.
- Non, pas du tout, j'essaye de faire un choix et je ne peux faire ce choix que si je regarde la carte. »
En fait, si. Je l'évite. Je fais de mon mieux tout en essayant de rester un chouia naturel, mais apparemment, ça ne prend pas. Forcément. Comment est-ce que ça pourrait prendre ?
« - Tu as fait ton choix ?
- Toujours pas. »
Il est impatient et pourtant, il a ce regard malicieux qui ne me quitte pas tandis que nos jambes se touchent pratiquement. C'est chiant d'être grands.
« - Moi, j'ai fait mon choix !
- Tant mieux pour toi. Tu vas continuer à m'interrompre ou je peux enfin me décider ? »
Je sais déjà ce que je vais prendre. Depuis un moment je le sais, c'est juste que je ne veux pas abaisser la carte et lui faire face.
Je ne sais toujours pas pourquoi je suis. Pourquoi j'ai accepté de le suivre. Pourquoi je me suis dit que ça pourrait être « cool ». On ne fait que recasser des vieux fantômes du passé et on ressort nos squelettes de nos placards. Ce n'est jamais bon de faire ce genre de chose.
La serveuse arrive enfin vers nous et soudain, son regard s'arrête sur Nathan. Un large et franc sourire vient alors illuminer son visage.
« - Nathan !
- Salut Odela. Ça faisait un baille !
- Carrément ouais ! Ça me fait plaisir de te voir. Qu'est-ce qui t'amène dans le coin ?
- Oh...Rien de particulier. Je me suis souvenu que tu servais les meilleures glaces du coin ici, c'est tout.
- Ahahaha ! Charmeur ! »
Ils échangent les politesses et puis se mettent à discuter tous les deux, ne prenant même pas la peine de m'inclure.
Youhou ! Je suis là moi aussi.
Ils parlent et rigolent et pendant ce temps-là, je suis planté là, comme un con.
Ça suffit maintenant.
Je me racle maladroitement la gorge pour me donner un genre « viril » et soudain, Odela se souvient pourquoi elle est là. Elle prend nos deux commandes, glissant un petit clin d'œil coquin à Nathan qui en ri.
Il finit par se retourner vers moi avec un air satisfait tandis que je le dévisage avec un air blasé.
« - Ça ne prendra pas avec moi.
- De quoi tu parles ?
- Tu crois que le coup de la jalousie je ne le connais pas ? Laisse tomber. En plus cette fille, elle est trop bien pour toi.
- Ouais, mais au lit, elle est géniale. »
Il m'annonce ça, tout à fait sérieux, dans un genre « débrouille-toi avec l'information » et honnêtement, je n'ai même pas tiqué.
Je me contente de hausser les épaules et de lui répondre :
« - Tant mieux pour toi écoute. »
Il peut essayer encore et encore, je connais tous ses coups bas. Il ne m'aura pas. Pas de cette façon-là.
« - Sérieusement Antoine ?
- Quoi ?
- Tu ne vas rien me dire ? Tu vas jouer à la tombe tout ce temps ?
- Que suis-je supposé te dire ? Qu'attends-tu de moi ? Tu veux que je te dise que c'est mal de t'envoyer en l'air avec tout le monde ? Que tu pourrais attraper des maladies et toutes ces cochonneries ? Bah voilà, je l'ai dit. Arrête de tremper ton biscuit partout. D'une c'est dégoutant, de deux...C'est dégoutant.
- Quand tu auras mon âge....Tu pourras comprendre ce que c'est que de profiter de la vie.
- T'as 23 ans, calme-toi papy.
- Mais j'ai eu 536 fois 23 ans...Tu ne comprends pas.
- Tu veux vraiment jouer à ça ? Je suis une putain de coupe. Un objet. Un truc bizarre. Un mythe. Une légende urbaine. Je ne suis rien. Alors honnêtement, t'as beau avoir eu plusieurs vies, t'es pas le seul dans ce registre. »
On s'arrête tous les deux tandis qu'il me dévisage tout en éclatant de rire.
« - C'est vrai que t'es peut-être celui qui remporte la palme d'or de la vie la plus pourrie.
- Merci bien. »
Je ne sais même pas si l'on peut en rire. Je ne sais même pas si cela devrait me réconforter, mais le fait de l'aborder ainsi me rassure plus ou moins. Je ne sais pas ce que demain me réserve, mais j'aurais eu le mérite de bien vivre aujourd'hui.
« - Je ne sais même plus où j'en étais du coup.
- Dans tes folies nocturnes.
- Ah oui...Attends, tu ne vas pas me dire que t'as rien ressenti ? Même pas un petit picotement ?
- Une pointe de jalousie, c'est ça ? Eh bien non. »
Cela serait lui accorder trop d'importance et je m'y refuse. Si je devais m'attarder sur chaque parole ou acte étranges de Nathan, j'en aurais perdu la tête depuis bien longtemps.
« - Je suis déçu. »
À cette phrase, je ne pus m'empêcher d'échapper un léger rictus de satisfaction. Cette fois, c'est moi qui marquais le point.
« - Que veux-tu...Dans la vie, on finit toujours déçu.
- Oui, mais quelquefois on peut être surpris.
- Surpris ? Je ne pense pas. La vie ne nous réserve plus de surprise depuis longtemps. »
Une étincelle passe à ce moment-là dans ses yeux, comme si je venais d'allumer la mèche d'un baril de poudre prêt à exploser et tandis que l'on vit Odela revenir du comptoir avec nos commandes, il se penche sur la table, vers l'avant, saisissant le col de mon tee-shirt pour m'obliger à rapprocher mon visage du sien.
Ah non !
D'un simple souffle dans le creux de l'oreille, il me glisse :
« - Ne me tente pas. »
Me relâchant j'en profite pour m'écarter brusquement tandis que la serveuse arrivait à notre hauteur.
« - Voilà pour vous ! »
Elle était belle Odela. De longs cheveux blonds ondulés, de petits yeux en amandes couleur noisette, de petites fossettes et un teint rosé. Oui, elle était belle.
Il a de bons gouts et j'ose croire qu'il l'a fait avec elle pour autre chose que son corps et uniquement son corps. Cela me gênerait de croire que Nathan soit un animal dans le style lapin. Chaud lapin.
« - En tout cas, ça m'a vraiment fait plaisir de te voir Nathan. Il va falloir que tu reviennes plus souvent »
Sa voix est plus douce, comme une chatte ronronnant. Délicatement, elle pose sa main sur son épaule et le gratifie d'un sourire différent. Un sourire qui en disait long tandis que ses yeux ne quittent pas les siens. Il lui attrape la main, faufile ses doigts dans les siens et lui rends la pareille.
J'y crois pas.
« - Peut-être plus tard, d'accord ?
- Tu sauras où me trouver. »
Ils venaient de se fixer une autre partie de jambe en l'air, là, juste devant moi, sous mon nez. Sans aucune gêne. Sans aucune retenue.
Elle finit par s'en aller, nous laissant à nos desserts glacés auquel j'avais déjà fait un sort. J'avais besoin de me venger sur mes boules de glace. M'enfourner le nez dedans et les oublier un instant.
L'attention de Nathan, toujours avec son air fier de petit coq de basse-cour, se reporte sur moi et mon air renfrogné.
« - Alors ? »
Je ne répondrais pas. Je n'ai pas envie de répondre.
« - Antoine, soit bon joueur, reconnais-le. »
Même pas en rêve. Plutôt mourir que de l'avouer.
« - Ok. Ça fait un point pour toi. »
Mais je n'ai pas dit mon dernier mot !
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