Chapitre 11

Je me souviens de notre première fois. Je me souviens de la première fois où nos regards se sont croisés. Je me souviens de nos premiers mots, de notre premier échange. Je me souviens de qui il était.

Un pleurnicheur.

*********

La pluie s'est arrêtée. Brusquement. Soudainement. Cela fait déjà une semaine qu'il pleut. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, étrangement, il fait beau.

La maîtresse nous dit qu'on doit accueillir un nouvel élève.

Un nouvel élève ?

Personne ne viendrait vivre ici. C'est un petit village perdu. Il y a plus de vaches que d'habitants.

« - Je vous présente Nathan. Soyez tous gentils avec lui d'accord ? »

Nathan.

Il est petit. Plus petit que moi sans doute en plus, les boutons de sa chemise sont mis n'importe comment et l'un de ses lacets est défait.

« - Je peux m'asseoir à côté de toi ?

- Non. »

Je n'aime pas avoir quelqu'un à côté de moi, faut partager le bureau, prêter ses crayons, faire le travail à deux. Je n'aime pas ça.

« - Antoine ! Fais une place à Nathan s'il te plaît »

Je grogne dans mon coin, contraint par l'autorité de la maîtresse et alors le petit nouveau s'installe à côté de moi.

« - Au fait ! Moi c'est Nathan !

- Je sais. »

Il me tend une main que je ne prends pas, accompagné d'un sourire auquel je ne réponds pas. Il croit que l'on est amis ou quoi ? Je ne le connais pas et je n'ai pas envie de le connaître.

« - Dis-moi...J'ai oublié mon crayon...Tu m'en prêtes un ? »

J'en étais sûr. Il veut juste qu'on soit ami pour avoir mes crayons. Après il me prendra mon goûter et mes amis. Hors de question. Les parasites dans son genre, on les connait ici.

« - Non. Débrouille-toi ! La maîtresse elle dit que c'est mal d'oublier ses affaires. Que plus tard, on n'aura pas de tête si on oublie toujours nos affaires

- C'est juste pour cette fois...Je te rassure que demain j'aurai tout hein !

- Non c'est non. Arrête de me parler maintenant, je vais me faire disputer par la maîtresse sinon. »

Mais il n'a jamais arrêté de me parler. Pas un seul jour, Nathan ne s'est tu. Il a continué encore et toujours à faire comme si nous étions amis.

Donc naturellement, au bout d'un moment, j'ai fini par craquer.

« - Ahaha t'as pas d'amis toi ! T'es qu'un étranger ! Retourne chez toi ! T'es même pas d'ici ! »

Les pleurs m'ont alerté. Ses pleurs. Papa disait toujours que dans la vie, soit on affronte les combats, soit on se laisse boxer alors...N'écoutant que mon peu de courage, j'y suis allé.

« - Hé ! Laissez-le tranquille ! Prenez-vous-en à quelqu'un de votre taille !

- Ouuuh ! Antoine vient défendre sa chérie. C'est ton amoureux c'est ça ?

- Pfff ! T'es juste jaloux parce que t'as pas d'amis toi. Retourne racketter les petites sections.

- Aller venez les gars...C'est pas drôle. »

Ils partent, nous abandonnant tous les deux dans la cour de récré tandis que Nathan cache son visage derrière la manche de son tee-shirt, reniflant de bon cœur.

« - Merci.

- Arrête de pleurer toi ! Tu me fais honte. Les hommes ne pleurent pas ! Les hommes ne montrent pas leurs faiblesses. T'es un homme toi aussi !

- Un garçon...

- Un homme ! C'est pareil...C'est qu'une question de gros kiki mon papa il dit.

- Tu crois ?

- Je suis sûr même ! Aller viens, reste pas là. »

Ainsi, Nathan ne s'est jamais décollé de moi et inversement. Je n'ai jamais pu me défaire de sa présence, je crois.

Nous avons passé nos vacances ensemble et petit à petit, en grandissant, nos rôles s'inversaient.

Il devenait le jeune homme plein d'assurance, confiant et faisant partie de ce maigre pourcentage de la population que la puberté a oubliée de tacler.

Tandis que moi, c'était l'inverse. J'étais devenu le trouillard, le pleurnicheur et la puberté...Ça a été un gros, très gros mur.

Nathan, tout le monde l'aimait.

Même moi au bout d'un moment.

Je ne sais pas quand exactement cela a commencé, je sais juste qu'au bout d'un moment, c'était là. On dit que l'on « tombe amoureux », mais je me demande si je suis tombé pour lui ou si ça s'est juste fait. Comme ça. Comme une respiration. Naturellement.

« - Ah. Il commence à pleuvoir. »

Il tend sa main alors que l'on marchait silencieusement tous les deux, côte à côte dans la rue quand les premières gouttes commencèrent à s'écraser au sol.

« - Attends. »

Il m'agrippe par le bras et me glisse un clin d'œil complice.

Un regard à droite puis à gauche et d'un claquement de doigts, les nuages disparaissent et les premières éclaircies commencent à faire leur apparition.

Je le regarde alors complètement médusé.

« - Sérieusement ?

- Quoi ? Je n'aime pas être mouillé.

- T'es pas un sucre non plus, tu ne vas pas fondre.

- Non, mais je risque de tomber malade et je n'y tiens pas.

- Chochotte. Petite nature.

- Tu veux que je refasse revenir les nuages c'est ça ? Ou alors tu veux que je tombe malade pour venir prendre soin de moi ? »

Je prierais naturellement pour qu'il s'étouffe dans son mucus et qu'il me foute ainsi la paix. C'est tout ce que je demande.

« - Ni l'un, ni l'autre. J'ai autre chose à faire que de m'occuper de toi.

- Pourtant, il fut un temps...C'était différent.

- Il fut un temps...Ce n'est plus le cas actuellement.

- Vraiment ? Tu vas jouer au gars inaccessible et me bouder de la même façon que tu le faisais en maternelle ?

- En maternelle je défendais tes petites fesses de pleurnicheur ! Tu te faisais tout le temps racketter ton goûter...Tout le temps. Tu te faisais frapper par les filles quand vous jouiez à « papa et maman » et tu servais de cobaye quand c'était le « docteur ». Alors s'il te plaît, remets les choses dans leur contexte.

- Parce que tu t'en souviens en plus...

- Tu crois que t'es le seul à avoir une bonne mémoire ?

- Non, mais je suis surpris de voir que finalement tu puisses te souvenir d'autant de choses.

- Je me souviens que de « certaines » choses plutôt. »

Il s'approche soudainement de moi, réduisant légèrement la distance que j'avais pris grand soin d'installer entre nous avant de me demander dans un léger murmure amusé :

« - Comme quoi ? Comme quoi ?! »

Avec un air totalement blasé et dépité face à un tel comportement, je lui réponds :

« - Comme le fait que tu as certainement chassé la pluie le jour de ton arrivée au village. »

Pris la main dans le sac, il ne pouvait plus se cacher derrière n'importe quelle excuse bidon. Maintenant, je sais. Je sais que Nathan n'est pas comme tous les gens. Il est à part. Il vit dans un monde à part.

Il hausse les épaules en riant et se retourne pour reprendre la route :

« - Ça aussi tu t'en souviens. »

Ça comme tant d'autres choses.

« - Étrangement, te concernant, je me souviens de beaucoup de choses. »

Je me souviens de notre première fois. C'est vrai. La première fois que nos yeux se sont croisés. Je me souviens de nos premiers mots. De notre premier échange. Je me souviens encore de ton visage rondouillet malgré tes traits fins. Je me souviens de ne pas vouloir que tu entres dans ma vie.

Et puis je me souviens aussi de cette fois où je me suis tellement accroché à toi que je n'ai pas pu te laisser partir. Je n'ai pas compris. Je me suis senti trahi.

Abandonné.

Encore.

« - Bon, on se la fait cette glace ?! »

Je lui passe devant en accélérant le pas, tentant d'oublier cette période. Particulièrement cette période. Je voulais l'oublier.

« - Antoine ?

- Hmmm ? Quoi ? »

Il me rattrape en deux enjambés et de son plus franc et de plus beau sourire me dit :

« - Merci. »

Suis-je supposé comprendre ?

« - Merci de te souvenir de moi. »

Comme si je pouvais oublier quelqu'un comme toi.

Idiot.

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