Gouttelettes mortelles
Plic, ploc.
Les gouttelettes s'échappaient furtivement du robinet, une à une, puis venaient s'échouer dans le lavabo.
Une goutte tombait, une seconde s'écoulait.
La tache d'eau s'élargissait progressivement à l'image même de l'attente interminable que nous subissions. Le temps passait, l'angoisse montait.
D'ordinaire, dans le commissariat de Paris la bonne humeur était toujours au rendez-vous. Les policiers s'apostrophaient joyeusement, tandis que d'autres s'offraient quelques cafés, afin tenir le coup jusqu'à la fin de journée.
Mais ce soir là, ce n'était pas le cas. La plupart des employés étaient rentrés chez eux: il ne restait que nous, l'équipe criminelle.
Habituellement, nous étions quatre, mais l'agent Devaux était sortie faire quelques courses.
Nous étions sur le point de résoudre une grosse enquête qui avait débuté plusieurs semaines auparavant.
Cela avait commencé quand un premier corps avait été retrouvé flottant dans la Seine aux alentours du 10 octobre, non loin de l'Assemblée Nationale. La victime était une personne tout à fait banale et ses proches l'avait décrite comme quelqu'un de débordée, en surcharge de travail. L'affaire fut rapidement classée, avec pour en-tête "Suicide".
Fin de l'histoire.
Mais quelques jours plus tard, (le 17 octobre cette fois ci), les mémoires furent bien plus marquées.
Le cadavre d'un humoriste connu naviguait sur le fleuve, à proximité de la gare d'Austerlitz quelques jour avant le début de sa tournée.
Sur sa veste, un morbide message y était épinglé : "Bon voyage".
Cette fois, le doute ne fus pas permis. Trop de similarité entre ce meurtre et le présumé suicide ne datant même pas d'une semaine.
Les dossiers furent ressortis, sans même avoir eu le temps de prendre la poussière. L'enquête nous fut confiée car nous étions le commissariat de police du secteur et ce fut mon équipe qui écopa de l'affaire. L'organisation fut rapide : nous avions chacun un poste prédéfini. Masseno et Vermal agissaient sur le terrain. Devaux avait en charge toute la partie informatique et enregistrait les informations confidentielles. Je l'avais choisie car je la savais digne de confiance. Cette jeune femme était pleine de ressources alors je n'hésitait pas à lui confier les taches les plus importantes. Dans tout le groupe, c'était avec elle que je m'entendais le mieux. Pour ma part, je m'occupais de toute la partie scientifique et supervisait le travail de l'équipe : j'avais nouvellement été promu lieutenant.
Les titres des journaux éclatèrent et les petites gens des quartiers alentours échafaudèrent mille et unes théories allant du retour de jack l'Éventreur en passant par un tournage avec des caméras cachées. Tous spéculaient sur les deux meurtres passés et ceux à venir car comme le dit le dicton : " Jamais deux sans trois"
Et ce ne sera pas dans cette histoire, que cela sera démentit.
Un troisième meurtre eut lieu, puis un quatrième et la liste devint interminable. L'équipe avait clairement affaire à un ou une professionnelle : aucunes empreintes digitales, aucun cheveux ni traces de chaussures. Les seules retrouvées étaient à l'identique des chaussures de fonction de la police, ce qui mettait en jeux plusieurs milliers de paires. Joli coup. Seuls les petits mots témoignaient du passage du criminel.
Quand le huitième meurtre survint, l'enquête prit un tournant décisif.
En effet, à cet instant précis, Mme Grimelin, retraitée depuis quelques années déjà guettait à sa fenêtre, dissimulée derrière ses fins rideaux de dentelles l'arrivée de sa petite fille, Sophie. Cette attente était devenue son rituel du mercredi midi, pendant lequel elle s'amusait à observer tous les passants, à les détailler, jusqu'à trouver parmi ces visages étrangers, celui familier de la petite Sophie.
Elle leurs réécrivait une vie, aux passant de l'avenue Jean Moulin. Elle leur imaginait passions, amants, métier, famille. Ils devenaient tour à tour flibustiers, commerçants et même quelques fois, malfrats.
Mais ce mercredi là, un homme indéfinissable l'intrigua : tout de noir vêtu, une capuche rabattue sur la tête et lair sombre, il longeait les murs.
Enfin un homme, ce n'était qu'une supposition: ses vêtements larges gommaient toutes ses formes, lassant planer un léger doute.
Elle le vit passer une fois, deux fois, puis trois !
À la cinquième, la grand mère avait totalement oublié ce qui l'entourait et recherchait fébrilement de quoi photographier l'étrange personnage.
Cela aurait pu paraître incongru pour certains, mais depuis que sa retraite avait commencé, sa vieillesse la rattrapait aussi vite que sa mémoire la quittait. Si elle ne gardait pas de trace, dans quelques heures, elle n'aurait plus aucuns souvenirs de l'incident.
Puis Sophie arriva et elle délaissa son affaire.
Le lendemain matin, Mme Grimelin était en train d'écosser ses haricots sur la table de la cuisine en écoutant la radio.
Au moment où son journaliste préféré parlait d'un nouveau meurtre qui venait s'inscrire sur la longue liste de ceux déjà existant, un post-it collé sur un placard attira son il.
Elle s'approcha et lu "mer 9 nov 11h47 homme en noir mystérieux au coin de la rue. Regarder photos faites avec l'appareil reçu à Noël (le rouge). Inventer une histoire pour Sophie"
La radio expliquait que le meurtre avait eu lieu la veille dans l'avenue Jean moulin aux alentours de douze heures.
La petite femme réfléchit quelques instants, puis elle s'empara de son manteau, pris son appareil et sortit.
*
«- Bonjour, murmura la vieille dame, je viens au sujet de... Enfin, je crois avoir aperçu le meurtrier d'hier midi. »
Surprise, la secrétaire invitât Mme Grimelin à me rejoindre dans mon bureau. La grand mère m'expliqua alors tous ce qu'elle savait et supposait. Je l'écoutais attentivement en prenant quelques notes de temps à autre. Le témoignage allait nous être très utile.
Une fois la déposition enregistrée et les preuves restituées, la vieille femme s'en alla, sous nos fervents remerciements.
L'inspection des preuves pouvait commencer. Je laissais Devaux sen charger.
Elle avait passé toute son après midi à les décortiquer, ces foutues images!
L'appareil avait une très mauvaise qualité : la première photographie était floue, la seconde mal cadrée. Heureusement que la troisième était plutôt réussie. Enfin, après plusieurs retouches et agrandissements à n'en plus finir, deux portraits robots du seul suspect disponible furent établies. Elle essaya ensuite de retrouver ces personnes grâce aux réseaux sociaux comme Instagram, Snapchat ou Facebook par exemple. Quatre comptes possibles, avec des utilisateurs au physique et à la localisation concordaient.
Il commençait à se faire tard, alors elle abandonna son poste pour aller chercher de quoi faire un repas, car l'équipe ne pourrait rentrer que tard dans la soirée. Vermal et Masseno la relayèrent.
Mais la lieutenante Devaux ne revint pas. Au bout dune heure, je commençais à m'inquiéter, et voulu partir à sa recherche.
Malheureusement, ce fut impossible: toutes les portes menant à l'extérieur avaient été verrouillées. De même pour les fenêtres. Je me précipitais pour appeler des secours mais le réseau avait été coupé. Je voulus essayer par internet, mais ici aussi, rien ne fonctionnait. Il était 23h et mis à part mes deux collègues, le commissariat était vide, et nous étions dans l'impossibilité de joindre l'extérieur. Pris au piège, nous n'avions pas d'autre solution que d'attendre, la rage au ventre. Je fulminais et refusait de croire les suppositions que mon esprit moffrait.
Vermal se fit un café mais ne referma pas complètement le robinet. Les gouttes s'écoulaient doucement. Mais personne n'eut le courage de se lever pour couper l'eau, nous étions trop énervés pour y penser.
Une goutte tombait, une seconde passait marquant le temps comme le tic tac dune horloge.
La tache d'eau s'élargissait progressivement à l'image même de l'attente interminable que nous subissions. Le temps passait, l'angoisse montait.
Au petit matin, mon téléphone s'alluma de lui même et la radio se mit en marche.
"Un nouveau meurtre a eu lieu cette nuit, nouveau tiret sur une liste déjà bien remplie. Les experts de la criminalité sont arrivés et il est clair que son auteur est le même que celui des crimes passés : la victime est morte noyée. Sur son pull, un mot est épinglé : «Bonne continuation» signé Devaux."
À ces mots mes mains devinrent moites et mon souffle se coupa. C'était la pire erreur de jugement de toute ma vie et je me sentais affreusement trahi. Plus jamais, me promis-je. Jamais plus une pareille erreur ne se reproduirai, je m'en faisait le serment.
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Novembre 2018
Cette nouvelle à été écrite dans le cadre d'un concours de nouvelles, je n'ai pas été nominée, mais j'espère qu'elle vous a tout de même plût !
Il y avait 2 contraintes : insérer la phrase "c'est/c'était la pire erreur de jugement de toute ma vie"
Et l'autre était un nombre maximale de mots, c'est pour cela que mon texte me fais un peu l'effet d'un fromage troué.
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