4-Joy

—Val ? Tu es là?

J'entre dans l'appartement d'Avalonne, puisque j'ai les clés. J'observe le bazar dans le salon, il y a des jouets partout et la télé est allumée. Je suppose qu'elle doit être dans un rush puisque habituellement elle ne laisse jamais les jouets de sa fille par terre.

—Val ? je redemande.

J'entends alors sa voix, dans sa chambre. Elle n'est pas du genre à parler seule, elle doit donc être au téléphone. J'avais raison, puisqu'en ouvrant la porte, je la découvre le combiné en main, très agacée, elle parle vite et me semble être en plein milieu d'une conversation tumultueuse. Ca doit être son boss. Elle fait ça en même temps qu'elle tente d'habiller son petit ange, Joy. Elle me salue brièvement, sans s'attarder, et je viens l'aider, elle a l'air débordé ce soir.

Je prends Joy entre mes bras, et elle me fait un câlin en retour. Elle prononce « Tata Lala » comme d'habitude et je fonds.

—Alors comment ça va ma petite nièce d'amour? Je lui chuchote.

Elle gazouille et je suis déjà gaga. Je lui enfile son pyjama, avec beaucoup de douceur, et Val finit par raccrocher.

—Putain, incroyable, ce satané boss va me faire chier jusqu'au bout ! Parce que cette semaine j'ai moins fait de ventes, ce connard me menace de baisser mon salaire de deux cents euros ou il me vire si je n'accepte pas ça.

Je l'observe avec beaucoup de douceur et de patience.

—Il n'a pas le droit de faire ça, et s'il le fait, je l'amène en justice.

Elle se tire les cheveux, comment pour évacuer un peu son stress, elle prend une longue inspiration avant de m'observer.

—Oh désolée, avec tout ça je ne t'ai même pas dit bonsoir ! Je suis complètement à la bourre en plus, j'ai fait son repas, il ne te manque plus qu'à le réchauffer, son lait est dans le frigo, et puis ce soir il faut lui lire "la reine et le crapaud". Et...

—C'est bon Val ! Je gère ! Je m'occupe de tout, comme d'habitude, vas t'amuser, je ne vois pas ce que tu fais toujours ici, la soirée ne va pas t'attendre !

Elle m'observe avec beaucoup d'admiration avant de m'embrasser légèrement sur la joue.

—T'es un amour ! On se parle quand je reviens, promis.

Je lui indique de filer, qu'elle perd trop de temps, et je prends mon petit ange dans mes bras. Je commence à lui parler de tout et de rien et elle semble s'en amuser, puisqu'elle me répond des choses que je ne comprends pas, mais pleine de joie. Je la dépose dans le salon au milieu de ses jouets, elle tente de se relever, de se mettre sur ses pieds, alors je l'aide. Elle ne marche pas encore, du moins pas toute seule. Ses jambes potelées se mettent l'une à une devant l'autre et je la laisse diriger sa trajectoire.

Joy est tellement jolie et craquante, elle ressemble à Avalonne, beaucoup, elle a hérité de ses cheveux blonds et de ses yeux bleus, et pour l'instant peu à mon frère, d'ailleurs tant mieux, étant donné que ça pèserais pas mal sur Avalonne sinon.

Je joue un peu avec elle au début quand elle finit par ne plus avoir besoin de moi, ses jouets semblent plus importants. Je m'éloigne un peu et continue de l'observer avec attention.

C'est important pour moi de la garder chaque vendredi soir. Tout d'abord parce que je passe du temps avec elle, mais aussi parce que c'est le seul soir où ma meilleure amie peut respirer. Le reste du temps, elle alterne entre son bébé, ses études, son boulot et c'est vraiment galère.

Avalonne est la seule personne avec qui je ne suis pas égoïste,en plus d'Emily. Parce qu'elle mérite de pouvoir continuer à vivre normalement au moins un soir par semaine, je la laisse filer à sa soirée, pour qu'elle s'amuse, retrouve ses potes, se trouvent des mecs s'il le faut, tant qu'elle s'éclate et fait attention à elle.

Cette année n'a pas été très simple pour elle. Sa mère est morte il y a quelque mois du cancer, avant qu'elle n'accouche. Ce qui a rendu sa fin de grossesse compliquée, sa tristesse était ingérable. C'est pourquoi elle a accouché avec trois mois d'avance. Mais étrangement, cette petite boule de joie l'a réconfortée, elle lui a donné tout le courage qu'il fallait pour l'aider à vivre suite à la mort de sa mère.

Je crois qu'après la grossesse de Joy, Val n'a jamais parlé de la douleur de sa mère, je ne sais pas si c'est parce qu'elle n'y pense plus, ou alors parce que le bonheur de Joy, est juste plus fort que sa tristesse. Mais en tous les cas, elle va mieux. Je fais en sorte d'être aux petits soins, je fais le job de mon frère, tout simplement.

C'est même moi qui lui ai payé à la fois l'appartement et les meubles, comme "cadeau d'anniversaire". C'était assez cher, mais en vue de la vie confortable qu'elle mène désormais c'est sans aucun regret.

Joy tombe sur moi avec un jouet, et je l'attrape dans mes bras avec plaisir. Je l'aime bien trop cet enfant.

Cependant, mon téléphone sonne. Mon frère m'appelle et je m'amuse de l'ironie de la situation.

—Hey, je fais. Devine avec qui suis-je?

Il entend les gazouillis et je l'entends soupirer.

—J'avais oublié que c'était vendredi soir.

—Tu veux que je mette Facetime pour la voir au moins? Lui parler un peu? Tu sais elle est vraiment adorable.

—Non, il dit durement. Je ne t'appelle pas pour ça.

—Le contraire m'aurait étonnée.

—Tu rentres ce weekend?—Non, je lui annonce. J'ai une soirée samedi et je vais décuver dimanche.

Malgré tout, malgré son égoïsme, je lui parle toujours, on évite le sujet Avalonne et Joy en général, je lui en veux toujours mais rien ne le fait changer d'avis. Je laisse la petite vaguer à ses occupations et je me concentre sur ma conversation.

—Mais Lana ! Maman comptait sur toi pour l'inauguration !

—Bah t'iras à ma place.

—Non, c'est la troisième fois que tu me fais te remplacer.

—Bah demande à Sav.

—Non, j'ai aucune autorité sur elle.

—Bah tant pis, alors tu auras la mort sur toi quand maman te dira qu'elle ira seule à l'inauguration de son nouveau design.

—T'es vraiment dégueulasse.

—C'est pas moi qui laisse ma copine et ma fille seules. Je crois que dans le genre t'es pas mieux.

—Pff, ouais bye.

Il raccroche et j'observe Joy à nouveau, alors que je l'avais perdue du regard. Elle me regarde étrangement, avec un sourire coupable. Alors je la contemple avec attention, si elle fait cette tête, c'est qu'elle a fait une bétise. Et là, mon regard remonte vers ses cheveux.

J'ouvre grand les yeux quand je constate qu'elle a du gel partout dans ses cheveux. Ses petites mains sont pâteuses, et j'aperçois le produit capillaire de sa mère, ouvert, à côté d'elle. Ses cheveux sont hérissés et gluants, alors par réflexe, je récupère le pot.

—Bon dieu Joy! Qu'est-ce que tu me fais!

Ses mains pateuses se posent sur ma poitrine et elle m'en fiche partout.

—Oupsi, dit-elle en gazouillant.

Je relève les yeux en l'air avant de rigoler. L'innocence des enfants est quelque chose qui ne vaut pas de prix. A l'aide d'un mouchoir je lui essuie les cheveux alors qu'elle se dandine entre mes bras.

—I love you more than anyone else, je lui chuchote.

*******

—Je suis rentrée!

Je me retourne et me détache de mon livre d'économie qui étrangement me passionnait, j'avais trouvé l'inspiration pour travailler visiblement alors que la petite Joy dormait paisiblement sur moi. Avalonne ôte ses talons pour ne pas faire de bruit et sourit en me voyant avec son petit ange dans mes bras. Joy n'est pas du genre insupportable, elle est agréable à vivre, mais c'est toujours un peu compliqué pour la faire s'endormir, alors elle doit être heureuse de ne pas avoir à se coller cette tâche ce soir.

—Vous êtes adorables ! elle me chuchote. Elle s'est endormie vite ?

—Ouais ! Ca allait cette fois !

Heureuse, elle récupère sa fille dans ses bras puis l'amène dans sa chambre. Elle revient en sous vêtements, sans gène, elle enfile son pyjama devant moi. C'est ainsi que je remarque qu'elle a perdu quelques kilos. Sa grossesse, la mort de sa mère l'avaient plus ou moins marqué, mais elle a fait beaucoup d'efforts pour retrouver sa petite taille de guêpe.

—Alors ? La soirée ? T'as pécho ?

Elle sourit tout en relevant les yeux au ciel.

—C'était pas ce genre de soirée. J'ai juste revu quelques amis du lycée, comme Josh, Shana, Neels...

J'hausse les sourcils plutôt surprise, mais je décide de ne pas rebondir là dessus. Elle sait ce que je pense de cet homme, je le déteste autant qu'Emily le déteste, mais visiblement ils sont toujours amis, ce que je ne comprends pas. Je préfère ne pas argumenter puisque l'on se disputera.

—Cool. Tu sais, ça me fait plaisir que tu arrives si facilement à te libérer de tes problèmes, je préfère dire.

Elle ose un sourire franc, avant de me rejoindre sur le canapé.

—Quels problèmes ? J'en ai pas, Joy me comble de bonheur.

Je soupire durement.

—Oui, mais tu vois ce que je veux dire... Enfin tu es dans une situation qui n'est  pas anodine. Tu galères entre les cours, ton boulot, la petite...

Elle hausse les épaules.

—C'est peut être mieux comme ça. Et puis au moins maintenant je n'ai que des amis qui en valent la peine et étrangement je me sens mieux.

Elle me fixe et je comprends qu'elle me lance un pic à l'instant. Je cligne des yeux et détourne mon visage immédiatement. Elle est au courant de mes activités à l'université, de ma quête de popularité et tout le reste, même du fait que je me tape un nombre incalculable de gars, juste pour atteindre mes objectifs. Je le lui ai dit parce que je préfère être franche avec elle et ne rien lui cacher.

Elle me dit qu'elle a elle aussi connu ça au lycée, et que je devrais faire attention, "trop vivre porte toujours préjudice". A ça je ne réponds jamais rien, je ne me dis ni qu'elle a raison ni qu'elle a tort, je ne veux pas y penser parce que sans mentir, ma vie me plaît, je m'éclate comme je ne l'ai jamais fait. Peut être que cela a des répercussions sur la vie des autres, mais moi, au milieu de tout ça, je me sens très bien. Après avoir vécu pour les autres pendant des années, je vis pour moi.

—Comment ça va à l'uni ? elle me demande dès lors.

—C'est cool, je lui réponds, je bossais justement là.

—Wow, Lana qui bosse ! elle me taquine.

—Je bosse très souvent, je lui fais remarquer.

—Mouais. Mouais. Mais t'es tout de même plus en soirée que tu ne travailles.

—Ca permet de décompresser.

Elle oscille de la tête, de droite à gauche me montrant bien que cette réponse n'est pas forcément justifiée, mais elle ne me dit rien, elle n'a pas non plus envie de me faire la morale.

—Et d'ailleurs, tu ne le croiras jamais, mais Stewart est mon prof.

—Stewart?

—Oui.. Enfin... tu vois...

—Ton Sean?

—Mon ex, je la corrige.

Elle ouvre les yeux grands et m'observe sérieusement.

—Tu m'expliques ?

—Je n'en sais rien, j'ai d'abord cru à un cauchemar, mais non ! J'ai entendu qu'il était stagiaire, mais je n'en sais pas plus.

—Ca t'a fait quoi ? me demande t-elle d'un air bienveillant.

—Chier, je réponds simplement.

—Ca ne t'a pas fait bizarre?

—Non, je réponds en haussant les épaules. J'ai tourné la page, c'est un fou, complètement perturbé alors tant mieux .J'ai réussis à m'en détacher et heureusement, parce que je suis enfin heureuse, je vis pour moi.

Elle hoche la tête. C'est vrai que je pense depuis notre rupture qu'il est juste un fou, et quand j'ai commencé à me dire ça, j'ai tout de suite mieux vécu, j'arrêtais de regretter notre relation. Il était juste fou et heureusement que je m'en suis détachée.

—Je ne veux pas porter de jugement, mais tu avais quand même l'air plus heureuse avec lui.

J'hausse les sourcils, et me retourne vers elle durement. Je trouve son propos carrément déplacé, elle sait à quel point j'ai chuté après notre séparation et elle ose me dire que j'étais plus heureuse avec lui? J'étais heureuse avec lui quand tout allait bien, soit les 2 pourcents de notre relation. Le reste c'était des cris, des larmes, des complications. Elle le sait, et elle ose me dire que malgré ça j'étais heureuse!

—Arrête merde, arrête ça Val. Ne me dit pas ça, je ne l'étais pas, et je ne vois même pas pourquoi on en parle.  Aujourd'hui, je suis heureuse, parce que je profite sans compter, et que je suis enfin égoïste.

Elle m'observe un moment avant de détourner ses yeux clairs. Elle soupire doucement, et je sais que nous ne sommes pas sur la même longueur d'onde sur ce sujet. Elle pense que je devrais calmer mon train de vie.

—Oui, oui, souffle t-elle. Mais je veux juste que tu fasses attention à toi, c'est tout. Tu sais, je l'aime beaucoup Joy, et je ne veux en aucun cas retourner en arrière, mais fait attention à toi, tombe pas enceinte, attrape pas de putains de maladies au moins. Et je te jure que le karma existe Lana, ne fait pas trop chier le monde, où le monde te chiera dessus, et ça tu le sais.

Je soupire et je me relève. Ce n'est pas qu'elle m'agace, mais ce qu'elle dit m'agace oui. Je déteste qu'on me fasse la leçon, je suis bientôt majeure, je connais mes droits, mes devoirs, et j'ajuste ma balance entre le bon et le mauvais. Point.

—Lana, ne t'énerve pas, soupire t-elle. On discute juste.

—Je ne suis pas énervée. Tu sais juste ce que j'en pense de tes leçons de moral.

Elle relève les yeux au ciel et croise  les bras.

—Ok, désolée, alors oublie. Mais prends juste soin de toi, c'est tout.

J'ose un sourire narquois tout en attrapant mon petit sac rose aux reflets dorés.

—Je prends soin de moi, d'ailleurs demain j'ai un rendez-vous avec l'esthéticienne, dimanche avec mon gynéco et je reprends mon programme de musculation dimanche. Tout va bien dans le meilleur des mondes non?

Elle roule des yeux encore, et soupire, encore.

—Rien ne t'arrêtera hein?

--Nothing, never, je lui réponds avec un clin d'oeil.

Après un énième soupire, peut être exaspéré de ma débilité, elle ose un petit sourire franc.

—Enfin bon, merci d'avoir passé du temps avec Joy encore une fois, tu m'as sauvée la vie, et je t'en suis super reconnaissante. Tu sais, elle t'aime beaucoup Joy, elle parle sans cesse de sa tata Lala.

Je me retourne immédiatement et j'observe ma meilleure amie, avec un doux sourire, un sourire  presque naïf et pur.

—Pas besoin de reconnaissance, je le fais de bon coeur.

****

En rentrant chez moi, je dépose mes clefs sur le bar, puis j'allume les lumières. C'est assez étrange d'être seule, mais je m'y suis habituée. En plus, dans ce quartier chic de Boston, Beacon Hill, je me sens toujours en sécurité, alors c'est plutôt plaisant.

Pourtant, dans un moment d'ennuie, je me décide à appeler Kyle. Par pur choix, je décide de rester en sous vêtements, je trouve ça plus sexy s'il me demande en facetime.  Il répond assez rapidement, et comme je l'avais prévu il me demande en facetime.

Je le découvre torse nu sur son lit, les muscles bien dessinés, et je suppose qu'il ressort de la musculation. Sans mentir, c'est vraiment très plaisir comme vue, je n'en aurais jamais assez de son corps je crois. Et je crois que c'est réciproque puisqu'il siffle en me voyant. 

—Wow bébé. La seule chose que je regrette est de ne pas être là ce soir.

Je rigole et relève les yeux au ciel;

—Rien qu'en deux secondes, t'es déjà super relou.

Il s'esclaffe puis me demande quel est l'objet de mon appel.

—T'es sorti avec Vanessa hier ?

—Ouais?

—Tu penses quoi d'elle ?

—J'en pense rien pourquoi ?

Je sais que Lia m'a simplement dit de tâter le terrain, mais je fais à ma manière.

—Tu sais qu'elle craque sur toi ?

—Ouais, répond t-il blasé. Je le suppose. Mais je suis pas intéressée. Trop fragile.

Inconsciemment, je souris. Parce que tout d'abord, je me sens un peu importante à ses yeux, et ensuite, parce que je vais réellement pouvoir décevoir Vanessa demain, et ça, ça n'a pas de prix.

—T'as même pas envie de la baiser ? Je demande de façon très crue.

—Sans plus, ni oui ni non. Je suppose que bourré ça pourrait se faire, mais pas spécialement si je suis lucide.

—Pourquoi ?

Il ne semble pas vraiment comprendre le sens de ma question. Puisqu'il me regarde incrédule.

—Sans raison. Enfin je ne sais pas, t'es là donc... Je ne vois pas pourquoi j'aurais envie de...

Et là, je crois qu'il me dit quelque chose, sauf que je n'entends pas. Je viens de recevoir un message, un message qui fait battre mon coeur, je suis sous le choc.

—BORDEL DE MERDE KYLE ! Je m'écris.

Il semble tout d'abord surpris que je l'interrompe en plein milieu de sa phrase, mais il me demande quand même de lui expliquer pourquoi je suis dans un tel état d'excitation, alors je lui explique.

—Alan ! Alan ! Alan vient de m'envoyer un message ! Je te le lis : Salut Lana, c'est Alan, merci à Lia de m'avoir passé ton numéro, je t'invite à ma soirée demain. Fais-en bon usage. BORDEL C'EST DINGUE!

Alors que je m'écris, puisque je suis folle de joie, Kyle, lui, ne dit rien. Wow, je n'avais pas ressenti quelque chose de si puissant dans mon coeur depuis longtemps. Ca fait longtemps qu'il n'avait pas frémi comme ça.

—-Cool, lâche t-il simplement.

—Cool ? Non c'est absolument génial !

—Ouais ouais.

Je pourrais agir comme si je ne voyais pas que quelque chose l'embêtait, j'agis souvent comme ça, mais je l'aime bien Kyle, alors je creuse un peu.

—Quoi ? T'es pas content ?

—Bof, non Lana. Tu ne m'écoutes pas, et ça m'énerve.

—Ce n'est pas que je ne t'écoutes pas, c'est juste que j'ai toujours ce que je veux, désolée.

Il soupire durement, et je le sens agacée.

—Ce que tu veux ? Ton seul souhait ,c'est d'intégrer sa sororité, et il va te faire du mal. Je ne le connais que brièvement, mais c'est un goujat. Reste loin de ça. Ecoute moi.

Je commence à en avoir marre. Pourquoi ce soir tout le monde veut me raisonner? J'ai toujours agi de la sorte, pourquoi aujourd'hui ça paraît anormal? Alan est comme n'importe quel autre gars que j'aimerais gratter. Qu'il soit sympa ou non, je sais encore me défendre.

—Blablabla, arrête de me parler comme s'il s'agissait d'un vampire dangereux ou je ne sais quoi. C'est bon, je suis grande. Si je veux me le faire, je me le ferais. Si je veux intégrer sa fraternité, je le ferais.

Je le sens se tendre au téléphone puisque sa respiration est lourde.

—T'es vraiment bornée.

—Kyle, je l'interromps sévèrement.

Il soupire encore, puis jure quelque chose d'incompréhensible avant de lâcher une véritable bombe.

—Ok, tu sais quoi, fais ce que tu veux, fais ce que tu sais faire de mieux, fais ta pute, mais vient pas chialer après.

Et il raccroche.

Wow. Pour le coup, il m'a vraiment ôté les mots de la bouche. « Fait ta pute, ce que tu sais faire de mieux ». Je lâche mon téléphone, déconcertée. Kyle ne m'a jamais traitée de pute, c'est bien la première fois. Il est plutôt du genre d'accord en général quand je drague quelqu'un d'autre, ou que je suis joueuse. Mais c'est ce qu'il pense ? Que je suis presque une " pute " ?

Je me gratte la gorge, je tente de me reprendre.

Ca m'atteint, ça m'atteint un peu quand même, puisque je sens une petite larme couler. Mais c'est la seule, puisque je retiens les autres. Je respire un bon coup, consciente que je suis en train de craquer. « C'est ce que je sais faire de mieux ». Vraiment?

Lorsque je passe dans le couloir et que je rencontre un miroir je me regarde, avec attention, de mon visage, à mes doigts de pieds. Sans bruit, un long moment, c'est ce que je fais scrupuleusement.

Je n'ai pas honte de moi, de ce que j'ai fait jusqu'ici. Même si faire ma pute serait peut être la meilleure chose que je sais faire.

Mais non, je n'ai pas honte de moi, j'ai plutôt honte de cette gamine de dix sept ans que j'étais, or aujourd'hui, je vois quelqu'un qui sait ce qu'elle veut, qui sait faire la distinction entre ses priorités ou pas. Mes seules priorités sont Emily, Avalonne, et Joy. Et c'est tout. Le reste, c'est oublié, et ils ne méritent même pas que je sois sympa avec eux. Alors oui, faire ma pute avec les autres, c'est la seule chose que je sais faire, mais je préfère cela à rester en bas de la société, incomprise.

La popularité a un certain prix, qu'importe son montant, parce que je vais le répéter encore et encore, c'est ce qui me permet d'être heureuse ces temps-ci.

J'aurais aimé avoir conscience que j'agis mal, mais le problème est que je n'en ai pas conscience, car je n'agis pas mal, j'agis de façon à ce que je me sente bien dans ma peau. Et si selon Kyle, je me rends heureuse en agissant comme une "pute", comment peut-il me juger ? Si j'aime ça ?

Plus jeune, j'avais tendance à uniquement écouter ce que les autres pensaient de moi, et ça pouvait me détruire. Là j'entends, il se peut que ça me blesse un court instant, mais j'en fais abstraction, si je sais que ça ne me définit pas. Car malgré tout, je sais qui je suis.

Il faut dire qu'après la fin de mes années lycée j'ai eu du mal à me relever, j'étais un peu perdue, notamment puisque je venais de coucher avec ma meilleure amie, mais parce que mon monde s'effondrait à cause du garçon que j'aimais, alors que j'avais donné toute mon âme pour que ces six mois de relation puisse perdurer. Et puis, du jour au lendemain, plus rien. Aucune nouvelle, aucun message.

Certes c'est en quelque sorte moi qui ait pris la décision de tout arrêter, mais je ne peux pas nier le fait que c'était dur à vivre. Se retrouver seule face à son miroir, se savoir seule, sans personne, m'a fait un choc. Mes parents n'en avaient rien à foutre puisque l'entreprise familiale était en pleine expansion, mon frère est parti à l'université étudier, et Savannah c'est Savannah quoi... Sans compter qu'Avalonne était déprimée par l'état très préoccupant de sa mère, alors voilà, j'étais juste seule, sans personne, incomprise, et c'était horrible.

Et devoir se retrouver en plus de cela seule à l'université? Non, ce n'était pas possible. La solitude, ça me rappelle ce moment douloureux où j'étais perdue, en train de chialer sur la cuvette de mes toilettes puisque j'avais l'impression d'être seule face au monde. Comment après de tels efforts, tout peut s'écrouler du jour au lendemain ?

Alors j'avais le choix, j'avais le choix de ne pas rester seule à l'université, j'avais le choix de devenir importante ou non aux yeux des autres, par le biais de la popularité. Certes, on n'est pas aimé de tout le monde dans cette position, mais on est jamais seul, quoi qu'il arrive quelqu'un est là pour nous soutenir. Pourquoi croyez-vous que je suis amie avec Madison et Mackenzie?

Alors oui aujourd'hui, je suis heureuse, parce que je ne suis pas seule, et que j'existe aux yeux des gens. Chaque personne a la conception de son bonheur, et moi j'ai la mienne.


Peut être que ce genre de bonheur est temporel, mais en tous les cas, il représente mon envie du moment.

****

YO.

Bon bah voilà, je pense que vous pouvez mieux comprendre pourquoi Lana agit un peu comme ça maintenant.

Prochain chapitre PDV de Sean. Pense t-il lui aussi la même chose que Lana dans tout ça selon vous?

Votre avis sur ce chapitre?

Des explications sur la situation de Sean?

Plus de moment avec Joy?

Yona.

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