Mail n°4

De : Kane Suzuki
À : Hana Suzuki 
Objet : ten years old...


Quand j'avais dix ans la vie me paraissait tellement simple. Je voyais les choses avec un regard manichéen, et encore incapable de comprendre vices et nuances, j'arborais un sourire sincère au quotidien. Mais en grandissant, les choses ont changé. Et c'est tellement triste. 

Pendant longtemps j'étais incapable de me rendre à l'évidence. Mais un matin je me suis levé et la petite douleur qui s'était logée dans mon cœur m'avait forcé à ne plus fermer les yeux devant la vérité. 

J'étais triste. La société, le monde et même la vie, me donnaient l'impression d'étouffer. Trop de mensonges et de paraître. J'en avais plus qu'assez de me développer dans une société où l'on me disait qui je devais être. Parfois, je me plaisais à imaginer la personne que j'aurais été si j'étais né à une autre époque. 

Mes parents m'étouffaient avec des restrictions mais avec le temps, j'ai fini par comprendre leur raisonnement. S'ils étaient aussi inquiets c'est parce qu'ils avaient conscience que le monde des grands est cruel. Ce qui était sincère et innocent lorsque nous ne sommes que des enfants, ne l'est plus obligatoirement lorsque l'on devient grands. 

Nous sommes censés passer notre enfance dans un jardin d'Eden, et nous devons poursuivre et finir notre vie dans une jungle. Dès que l'on devient grand le monde entier explose, notre vision manichéenne est forcée de se détériorer et les choses nous apparaissent avec plus de nuances. Parfois, nous sommes animés par de bonnes et simples intentions, mais parce que le monde est vicieux nos actes se voient être interprétés d'une fausse façon. Mais comment en vouloir aux gens ? Comment leur reprocher d'être trop prudents ? Comment leur reprocher d'être hantés par la peur alors que nous vivons dans un monde qui désire nous étouffer dans la crainte, tout cela pour s'assurer que nous serons des petits êtres dociles ? Je ne sais pas, je l'ignore... Pour la simple et bonne raison que je suis un peu comme eux. Tout ce que j'entends vient hanter mes tympans, et tout ce que je vois se grave dans mes rétines. Alors sans surprise, je suis devenu un petit objet. Je me laissais un peu trop influencer par tout ce que les gens disaient.

À cause de ça mon cerveau était sujet à plusieurs tortures. Chaque soir, dans mon lit, j'étais inquiet. Avais-je fait quelque chose de mal ? Avais-je été quelqu'un de bien ? J'en étais venu à envier l'insouciance des gens qui m'entouraient. Ils pouvaient rire et esquisser des gestes sans se demander comment ces derniers allaient être jugés. 

Puis avec toi j'apprenais un peu à relativiser. Tu m'avais dit que tu t'étais définie une philosophie de vie fondée sur des principes religieux et des ouvrages dont tu avais apprécié la lecture. Tu m'avais dit que parfois, il fallait juste faire confiance à notre cœur et se rappeler que nul excepté Dieu ne pouvait savoir quelles étaient nos véritables volontés.

J'admire ta philosophie de vie Hana. 

Quelques temps avant la remise de mon diplôme, alors qu'on me parlait de stage, de service militaire et de réussite professionnelle, j'avais pris ma décision. Je devais me déconnecter et quitter ce labyrinthe qui me faisait suffoquer. Je voulais partir loin, découvrir le monde et  faire un véritable retour à l'essentiel. Je me disais que je pouvais me forger et consolider mon esprit et ma philosophie en m'éloignant de tout ce qui pouvait m'influencer. Toutes les fois où je commençais à douter de ma décision - assez radicale - il m'arrivait des choses que je n'avais pas tardé à interpréter comme des signes. J'étais de plus en plus mal, hanté par l'impression d'être une mauvaise personne. Et après un match de basket, Carter m'avait écouté et ce fut à ce moment-là qu'il m'avait proposé de faire une sorte de road-trip. La Malaisie, l'Indonésie, le Japon, l'Inde... Tellement de territoires inconnus et lointains. 

Je n'ai pas réfléchi plus que ça. Une fois mon sac à dos fait, j'étais prêt à partir à l'aventure. Prêt à laisser mon smartphone éteint et à m'éloigner de cette sphère parallèle que sont internet et tous ses réseaux. Prêt à marcher dans des contrées inconnues. Prêt à rencontrer des visages étrangers. 

J'espère de tout cœur que je reviendrai meilleur de ce long voyage. 

C'est fini, je n'aurais plus jamais dix ans. Mais je ferai de mon mieux pour rester fort et innocent, tout en évoluant dans le monde des grands. 

De la part d'un ami qui espère devenir meilleur, 

Kane.

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