PROLOGUE



« Même si tu sais ce qui arrivera, tu n'es jamais préparé à ce que tu ressentiras. » 

BRODY.

C'était un après-midi ensoleillée, quelques jours après la rentrée, des effluves de chaleur estivale flottants encore dans l'air. Brody était installé à une table sous les grands platanes et chênes qui grandissaient silencieusement devant l'université de Princeton. L'esplanade était bondée, grouillant de visages inconnus, et Brody regarda les grandes portes qui menaient à l'entrée du bâtiment principal. C'était une construction ancienne en briques foncées, avec du lierre couvrant quelques espaces de la façade, et une petite tour surplombant le toit. 

Brody étudiait les sciences à Princeton depuis plusieurs années désormais et il aimait passer des heures, assis sur les tables en bois de l'esplanade, à regarder les étudiants sortir de cours. Leurs sacs au bras, ils rigolaient gaiement avec leurs amis. Brody sourit en humectant ses lèvres. Il aimait observer les gens, étudier leurs sourires hypocrites et voir à quel point certaines personnes faisaient semblant d'être ce qu'ils n'étaient pas. 

Il aimait essayer de déchiffrer les gens qui l'entouraient seulement par leur comportement. Comme par exemple ce blondinet avec ses grosses lunettes aux foyers épais, courant vers les escaliers du bâtiment, les mains pleines de feuilles volantes et les joues rouges. C'était probablement un retardataire avec ses dossiers d'inscriptions qu'il avait complétés à la dernière minute et qu'il devait maintenant rendre à l'administration, longtemps après le délai imposé. 

Son pantalon six fois trop larges et ses grosses baskets noirs témoignaient de son retard concernant les nouvelles tendances. Ses cheveux blonds semblaient gras et Brody se dit que ce garçon n'était probablement pas allé chez le coiffeur depuis un moment. Il devait aussi ne pas avoir beaucoup d'amis et il passait sûrement tout son temps libre à jouer à la console. Et oh ! à se branler devant des chinoises lesbiennes, ça c'était très important. 

Brody sourit doucement à cette pensée et continua de fixer les lourdes portes en bois qui battaient au rythme des étudiants sortants et entrants dans le bâtiment. 

-Hey, Brody, ça va ? l'interrompit une voix grave.

Il se tourna pour croiser le regard de Yann, l'un de ses meilleurs amis. Yann était une armoire à glace, avec des biceps de la taille des cuisses de Brody et un appétit d'ogre. Il avait une peau sombre, dûe à ses origines afro-américaines, et de grands yeux noirs. Ses cheveux étaient coupés très courts, frisottants sur son crâne, et il portait toujours des baskets flamboyantes aux pieds. 

Brody tapa contre son poing avec un sourire. 

-Ouais, tranquille, répondit le métis. Tu n'es pas avec Paul ?

Yann posa son sac sur la table en bois et s'assit à côté de Brody.

-Il arrive, il est au téléphone avec Kilian.

Les deux garçons se lancèrent un regard entendu. Ils savaient tous les deux que Paul devait être en train de se disputer avec son petit-ami. Encore.

Yann sortit un paquet de cigarettes de sa poche et en alluma une, tandis que Brody observait toujours les étudiants. Ses yeux rasèrent la foule dispersée autour du petit parc jusqu'à ce qu'il remarque une jolie blonde, assez petite, avec un bonnet gris. Elle semblait avoir de jolies formes, mais ses habits étaient trop larges pour que Brody puisse y voir plus clair. 

-Matte-moi cette nana, murmura le métis à l'intention de son ami en la pointant du doigt.

Yann dirigea son regard vers la jeune fille en question et décrocha un sourire.

-Ça, c'est un beau morceau de viande, ajouta Brody.

-C'est Alex Carl, annonça Yann. Elle est nouvelle dans le coin et il paraît que c'est une dure-à-cuire.

-Qui ça ?

Brody et son ami se tournèrent au même moment pour découvrir Paul, marchant dans leur direction. Le blondinet checka ses deux amis et attrapa la clope de Yann, qui se contenta de grogner, habitué à ce que Paul pique ses cigarettes. 

-Alex Carl, répondit Brody en admirant son t-shirt encore taché de peinture.

Paul étudiait l'art dans une école non loin de l'université de Princeton et lui et Brody étaient meilleurs amis depuis de très longues années. Ils se connaissaient depuis l'époque des couches culottes et des bacs à sables. Brody ne l'admettrait probablement jamais, mais il l'aimait vraiment beaucoup, ce petit bout d'homme. 

-Ouuuuh, elle est pas mal, sourit le blondinet en admirant Alex.

Yann reprit sa cigarette tandis que Brody riait doucement.

-Pas touche, toi tu as déjà quelqu'un pour te vider les couilles, rétorqua Brody à l'intention de Paul. Enfin, si ça va avec Kilian.

L'étudiant en art soupira et son sourire disparu. Brody fronça les sourcils.

-Qu'est-ce qui se passe ?

Paul haussa les épaules.

-Je crois que Kilian voit quelqu'un d'autre, marmonna-t-il.

-Mais raconte pas n'importe quoi, il est hyper amoureux de toi, ça se voit à quatre mille kilomètres, intervint Yann.

-Bah, la dernière fois que j'ai voulu tenter un rapprochement, il a dit qu'il était fatigué. Vous imaginez ? Fatigué, les gars ! Peut-être qu'il se lasse de moi, il est hyper distant ces derniers temps.

Brody et Yann s'accordèrent un regard avant d'exploser de rire. Paul avait toujours l'art et la manière de dramatiser des choses futiles. La dernière fois, Yann n'avait pris qu'une portion de frites au McDo et Paul avait cru qu'il était gravement malade ou en pleine dépression alors que Yann n'avait juste pas faim.

-C'est ça, foutez vous de ma gueule, mais s'il s'avère que j'ai raison, vous rigolerez moins, les menaça Paul.

Brody leva les yeux au ciel.

-Il a juste dit qu'il était fatigué, Paul, c'est pas la fin du monde, souffla-t-il.

-Ce que tu comprends pas, Brooklyn, c'est que tu ne repousses pas un corps comme le mien, se vanta Paul en faisant un geste pour désigner ledit corps.

Les trois garçons rigolèrent. 

-T'es parano, lui assura Brody. C'est pas parce qu'il refuse de coucher une fois avec toi qu'il ne veut plus de toi, idiot.

-Bref, lança Paul, comme s'il voulait parler d'autre chose. 

Il poussa sa frange de mèches blondes et soupira. 

-Touche pas à Alex non plus, j'ai un ami qui est intéressé, poursuivit Paul. 

-Si t'as cru que c'était juste ça qui allait arrêter sa bite, marmonna Yann en ricanant doucement.

Brody approuva d'un rire et Paul leva les yeux au ciel.

-T'es trop accro au sexe, mon pauvre, marmonna le blondinet.

-Je profite de ma jeunesse, écoute, répliqua Brody avec un sourire.

-Il paraît que son frère est vraiment canon, ajouta Paul, l'air innocent.

Le basané sourit encore plus largement. Sa sexualité était assez ouverte - dans tous les sens du terme. Il aimait les femmes, les hommes et tout ce qu'il y avait entre les deux. 

-Elle a un frère ? J'adore ! C'est qui ?

Paul secoua la tête et Brody était conscient d'avoir l'air d'un gamin le matin de Noël.

-Tobias Carl, il étudie ici, et il est vraiment - vraiment - beau, le présenta le blondinet.

-Tobias, Tobias, Tobias, répéta BrodyÇa sonne tellement bien. C'est le genre de prénom que je me vois bien gémir.

Yann soupira.

-Vous et vos délires de gays là, marmonna-t-il.

-Hé, j'aime les vagins aussi ! s'exclama Brody.

-Ouais mais ta came, c'est plus les beaux culs bien fermes et les abdos, cassa Paul.

Et c'était assez vrai. Brody se disait bisexuel parce qu'il ne s'intéressait pas vraiment à ce qu'il y avait dans le pantalon et c'était beaucoup plus simple ainsi qu'essayer d'expliquer à tout le monde ce qu'était la pansexualité. Mais s'il était totalement franc, Brody avait tendance à préférer les hommes. 

-Oh mon dieu, oui, les abdoooooooos ! Gémit Brody.

Lui et son meilleur ami rigolèrent, tandis que Yann grimaça en aspirant la fumée de sa clope.

-Tobias est musclé, de ce que j'ai vu, commenta Paul avec un sourire entendu.

Brody s'apprêta à parler - pour exprimer son besoin urgent de rencontrer le fils Carl - mais Paul leva sa main pour l'arrêter.

-Mais, il est cent pour-cent hétéro, Brooklyn.

Yann laissa un gloussement peu discret sortir, ce qui lui valu un coup de coude dans les côtes, avant que Brody ne se tourne vers son meilleur ami avec une mine outrée.

-Tu me fais rêver avec des abdos et des beaux cheveux pour ensuite me balancer qu'il n'est pas gay ? 

Paul haussa les épaules avec un sourire moqueur.

-C'est lui ? demanda Yann.

Brody se tourna d'abord vers son ami, puis dirigea son regard vers là où Yann pointait. Alex n'était plus seule, un beau châtain se tenait à ses côtés, une sacoche en cuir sur l'épaule et un grand sourire sur le visage. 

Brody crut distinguer de magnifiques yeux chocolats et deux fossettes. Il laissa son regard descendre vers de larges épaules, des bras qui semblaient énormes sous cette chemise blanche, des mains assez délicates et des cuisses charnues qui avaient l'air délicieuses, dissimulées par ce pantalon de smoking avec le bas retroussé. Tobias portait des mocassins et Brody se serait sûrement moqué de la personne si ç'avait été quelqu'un d'autre. Mais là, il trouva l'image belle. Il trouva Tobias beau et il y avait quelque chose de vraiment pur et innocent derrière ce grand sourire. 

Brody voulait savoir qui il était.

-Ouais, Tobias Carl, c'est lui, confirma Paul.

Bien-sûr que Tobias était vraiment beau, mais Brody crut s'étouffer avec sa propre salive car jamais son meilleur ami n'oserait lui présenter un coincé dans son genre.

-Mais tu rigoles ? s'outra Brody. Tu croyais vraiment que j'allais me faire un bobo dans son genre ? 

-Oooh, Tobias Carl serait un trop grand défi pour le célèbre coureur de pantalons Brooklyn Andersen ? rit Paul.

Brody leva les yeux au ciel.

-D'abord, il n'est pas gay, et deuxièmement, il a l'air bien trop innocent pour savoir ce qu'est une érection.

Paul et Yann rigolèrent en chœurs, récoltant un regard meurtrier de leur ami.

-Attends, parce qu'Antonio n'était peut-être par hétéro, en couple depuis trois ans et puceau quand tu l'as baisé ?

Brody savait que Paul se moquait de lui, mais l'histoire était vraie. Quelques années auparavant, ses amis lui avaient proposé un pari et Brody avait réussi à avoir un présumé hétéro - en couple avec une de ses amies - dans son lit. Ç'avait fait scandale dans toute l'université et Brody s'en était amusé, récoltant de l'argent sale pour un stupide pari.

-Allez, Brooklyn, t'as pas envie d'en faire ton quatre heures ? le secoua Yann.

Brody grogna en grattant un bout de blanco sur la table en bois.

-J'en ai marre de faire du mal aux gens, il marmonna. J'aime pas tout ce que j'ai fait.

Ses deux amis rirent et Brody leur jeta un regard noir, il détestait quand on ne le prenait pas au sérieux. 

Après avoir pris du recul, il regrettait tous ses actes de méchanceté gratuite envers de pauvres garçons ou filles qui n'avaient rien demandés. Mais c'était devenu un truc dans son petit groupe d'amis, ses paris, et Brody aimait trop l'adrénaline qui courrait dans ses veines chaque fois qu'il rencontrait un nouveau garçon innocent qui cachaient des fantasmes inavouables. 

-Brody, souffla son meilleur ami.

Le basané ancra son regard dans celui de Paul. Le blondinet souriait doucement et tendit une main vers son poignet au-dessus de la table.

-Une petite distraction ne te ferait pas de mal, sourit Paul. 

Brody secoua la tête.

-Ce n'est pas une bonne idée, rétorqua le métis.

-Pfffff, tu nous fais la fillette là ! rit Yann. Je savais bien qu'il était vraiment gay, notre Brooklyn.

Brody le fusilla du regard, ce qui amusa plus encore le colosse. 

-Profiter de sa jeunesse et de sa beauté, c'est une bonne action ! s'exclama Paul, enthousiaste. Deux cents dollars que t'arrives à le mettre dans ton lit en moins d'un mois et demie.

-Et cent de plus qu'il est amoureux de toi dans moins de deux, ajouta Yann.

Brody regarda ses deux amis poser une petite liasse de billets sur la table et il se demanda qu'est-ce qu'il avait à perdre. Il ne connaissait pas Tobias, et dans quelques mois, il ne se souviendrait même pas d'avoir fait du mal à ce pauvre garçon.

-Et si je n'y arrive pas ? demanda-t-il. 

-Tu me donnes ta play et les jeux qui vont avec, s'exclama Yann.

-Moi je veux ta collection de CD.

Le blondinet avait un grand sourire et le regard de Brody divagua entre ses deux amis. Il n'était pas sûr que ce soit une bonne idée, il avait vu trop de fois la douleur dans les yeux de ses précédentes conquêtes. 

Brody posa les yeux sur Tobias, qui conversait toujours joyeusement avec sa sœur, un peu plus loin. Il se dit que le châtain était vraiment beau et qu'il avait l'air si doux et délicat, insouciant et naïf, et il ne méritait pas que quelqu'un le touche de cette manière, qu'on lui fasse du mal.

Mais Brody se dit aussi qu'il était passé par un tas merdes dans sa vie et que personne ne l'avait jamais vraiment aidé, que personne n'avait jamais été là pour lui. Il se dit qu'une personne de plus qui souffrait sur cette Terre, ça ne changerait pas grand chose. Dans un nombre incertain de jours, c'est lui qui souffrirait le plus, alors l'annonce d'un stupide pari ne serait rien de comparable à ce qu'il allait endurer.

-Marché conclu, grogna finalement Brody en se levant.

Il amassa l'argent et le fourra dans sa poche, tandis que ses deux amis se tapaient dans la main. Il s'éloigna du campus en attrapant ses écouteurs, secouant la tête. Il savait qu'il faisait quelque chose de mal, mais d'une certaine façon, ça l'excitait. Une nouvelle aventure se présentait devant lui, un horizon de possibilités et d'opportunités, et Brody était une horrible personne, il le savait, mais l'idée que bientôt, un nouveau visage le distrairait de ses jours malheureux, le rendait impatient. 

-Oh Tobias Carl, tu vas regretter de m'avoir adressé la parole.

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