Chapitre 68


« je suis désolé de pas avoir été ce que vous vouliez. »

TOBIAS.

L'énorme maison se dressait devant lui, effrayante, lugubre et trop propre. Tobias déglutit et la main de Brody se resserra autour de la sienne.

-Tu veux que je vienne avec toi ? Il demanda doucement.

Tobias secoua la tête en baissant légèrement les yeux.

-Non, tu as un rendez-vous. Je me débrouillerai.

Brody soupira lentement à côté de lui, cherchant son regard, mais Tobias était trop stressé pour affronter l'inquiétude de son copain.

-Tu es sûr ? Ça ne me dérange pas d'annuler.

Le châtain ancra son regard dans celui de Brody et autant qu'il voulait que le basané l'accompagne, c'était quelque qu'il devait faire seul. Qu'il voulait faire seul.

Alors il se contenta d'hocher la tête et de se blottir contre Brody, entourant silencieusement sa taille à la recherche de réconfort parce que la nervosité et le stress accumulés devenaient presque insupportables.

-Je viens te chercher dans une ou deux heures, ok ? S'il y a un problème, tu peux toujours m'appeler. J'ai le son à fond.

Tobias hocha la tête contre le pectoral de Brody et ferma un peu les yeux. Il aurait voulu rester dans ses bras pour l'éternité.

-Je n'ai pas envie de le voir, murmura Tobias dans son t-shirt. Il ne m'a même pas envoyé de message d'excuse depuis la dernière fois. Je ne lui ai pas reparlé.

Brody soupira et pressa une main affectueuse contre son dos, décrivant de petits cercles avec ses pouces.

-À mon avis, ça va bien se passer. Et s'il y a un problème - appelle-moi, Toby. Putain, appelle-moi, je ne veux pas qu'il te fasse de mal.

Tobias se sépara de Brody en essuyant quelques larmes sur ses joues au souvenir et hocha fébrilement la tête.

-Ok, promis.

Brody l'embrassa, un peu doucement, un peu passionnément, mais Tobias était assez retourné pour avoir l'impression de pourvoir affronter le monde.

Il regarda la vielle voiture du basané s'éloigner dans le quartier en soupirant, puis se tourna vers la grande baraque de nouveau. Tout semblait différent maintenant, comme s'il n'avait jamais vraiment mis les pieds dans cette demeure. Elle semblait lointaine et sombre.

Tobias gravit les quelques marches du perron en sentant son coeur battre dans sa gorge, puis il regarda la large porte d'entrée en papillonnant des paupières. Et tout en se mordillant la lèvre inférieure, il appuya sur la sonnette avec des mains tremblantes.

Il attendit au moins une trentaine de secondes, des voix hélants des choses incompréhensibles à travers les cloisons, et Tobias se balançait sur ses pieds. Lorsque finalement la porte s'ouvrit, Tobias tomba nez à nez avec un homme de grande taille. Ses cheveux bruns étaient parfaitement coiffés et une barbe finement taillé modelait son visage. Il portait un tuxedo noir et son sourire éclatant ainsi que ses yeux bleus achevés de rendre l'homme à la fois séduisant et charmant.

-Bonjour, je peux vous aider ? Il demanda.

Son large sourire montrait une rangée parfaite de dents blanches et Tobias avait soudainement l'impression de faire tâche avec ses cheveux décoiffés et son large pull en coton.

Il papillonna néanmoins des paupières.

-Oui, je - je suis Tobias, le fils de - de Nicki.

L'expression de l'homme changea pour se transformer en une mine de surprise. Il haussa les sourcils et expira lentement.

-Oh, Tobias, oui, j'ai entendu parler de toi.

Tobias ne savait pas si c'était quelque chose de bien ou de mauvais, mais il tenta tout de même un sourire.

-Je suis Jonny, le petit-ami.

Le châtain serra sa main en restant silencieux parce que ça ne l'étonnait pas, il était tout à fait le genre d'homme que sa mère fréquenterait. Un grand brun tout en muscles et en richesses. Son père était comme ça.

Jonny mena Tobias dans la cuisine et le châtain se sentait étranger dans sa propre maison. Tous les meubles avaient été changés pour des choses plus classiques, avec un sofa en velours vert, une grosse chaîne hi-fi et des commodes en teck. C'était plus rustique, mais plus charmant et Tobias se prêta à croire qu'il aurait préféré vivre dans cette atmosphère plutôt que dans son ancien catalogue Ikea.

-Je crois que Nicki est dans notre chambre. Je vais la chercher, je reviens.

Jonny lui sourit au-dessus de son épaule et se précipita vers l'escalier en marbres. Tobias soupira et s'appuya contre l'îlot central de la cuisine, remarquant des sachets de pâtes bio et un grand bol de légumes et fruits frais. Ça ne l'étonnait pas non plus, c'était quelque chose qui s'accordait avec Jonny et toute la panoplie de mec sain et musclé.

Ce qui le surprit plus en revanche fut les cahiers de coloriages étalés sur le comptoir et les crayons qui jonchaient le sol. Tobias remarqua qu'il y avait des jouets dans le coin des pièces et une peluche sur le canapé. Mais il n'eut pas le temps de s'en demander plus que Nicki apparue en bas du grand escalier.

Elle était vêtue d'une robe rouge flamboyante et ses longs cheveux blonds tombaient en cascade sur ses épaules alors qu'elle croisait les bras sur sa poitrine et étudiait Tobias de son regard, ne se gênant pas pour le jauger.

-Bonjour, Tobias, le salua Nicki en faisant son chemin jusqu'à lui.

Cela faisait plus de deux mois qu'il ne s'était pas retrouvé en face de sa mère et il avait la soudaine impression qu'ils n'étaient que des inconnus.

-Salut, il murmura, tentant un sourire.

Nicki ne lui rendit pas et attrapa son sac dans le lobby.

-Qu'est-ce que tu fais ici ? Parce qu'à moins que tu aies quitté ton punk, je ne suis pas sûr d'avoir envie de discuter avec toi.

-Oh, détends-toi, chérie, c'est ton fils, lança Jonny depuis la rampe des escaliers.

Il lui fit un clin d'oeil et Tobias fronça des sourcils, bien que reconnaissant qu'il le défende.

-Jonny, on en a déjà parlé, elle tempêta en le pointant du doigt.

L'homme leva les yeux au ciel, mais son sourire étirait toujours ses lèvres.

-Il est gay et alors ? On s'en fout !

Nicki retroussa ses lèvres et ouvrit de grands yeux vers Jonny, comme un avertissement. Tobias le savait car quand il était plus jeune, sa mère avait la même expression quand il rapportait des mauvais résultats à la maison. Enfin, « mauvais » au sens Nicki et George du terme.

-Tu comprends pas que Tobias ne peut juste-

-Oh ! C'est lui mon beau-frère ? S'exclama une voix cristalline depuis le salon.

Tobias se retourna pour découvrir un petit garçon aux cheveux noirs qui le regardait avec de grands yeux bleus émerveillés. Il était le portait craché de Jonny, même si des traces de feutres striaient ses joues et qu'il était un peu grassouillet. Son petit short rouge laissait voir des genoux salis par la terre et il se tenait dans l'entrebâillement de la porte, un sourire aux dents tordus plaqués sur son visage rond.

-Oui, c'est lui, sourit Jonny.

Il s'approcha de son fils et s'accroupit devant lui.

-Lucian, je te présente Tobias, le fils de Nicki.

Ledit Lucian sourit encore plus largement, ses grands yeux traduisant un émerveillement. Tobias gloussa doucement.

-Salut, Lucian, il souffla en secouant la main.

-Toi aussi tu aimes les Tortues Ninjas ? Demanda le petit garçon en tendant sa figurine devant le châtain.

Tobias s'accroupit devant lui et attrapa le jouet que lui montrait le garçon.

-Oui, j'aime bien. Mais moi, je préfère les Pokémon.

Lucian secoua la tête et reprit sa figurine.

-Non, les Tortues Ninjas sont mieux. Mais je te pardonne parce que t'es sympa.

Tobias sourit doucement, totalement sous l'emprise de l'enfant en face de lui. Il semblait insouciant et joyeux et Tobias avait la soudaine envie d'en apprendre plus sur son beau-frère.

-Lucian, retourne jouer dans ta chambre s'il te plaît, gronda Nicki depuis l'îlot central.

Le fils de Jonny fronça ses petits sourcils, créant une moue adorable, et Tobias voulait juste le prendre dans ses bras.

-Mais Nickiiiiii, il râla.

-Lucian, l'avertit l'avocate.

Lucian traîna des pieds jusqu'au grand escalier de marbre et les monta lentement, jetant un dernier regard au-dessus de son épaule vers Tobias. Le châtain lui donna un timide signe de la main.

-Nicki, tu aurais pu les laisser se rencontrer. Lucian avait tellement hâte de le voir, marmonna Jonny en se redressant.

Nicki recoiffa ses cheveux en soupirant.

-Ils feront ça une autre fois, ce n'est pas le moment, elle souffla. Qu'est-ce que tu veux, Tobias ?

Le châtain pinça brièvement ses lèvres et se balança d'une jambe à l'autre.

-Hum - tu sais - je t'ai envoyé un message pour qu'on se voit, il murmura. Avec papa.

Tobias sentait toujours un étrange sentiment se propager en lui quand il pensait à son père et il ne savait pas si c'était quelque chose de bon ou de mauvais, mais ça le rendait très nerveux.

-Oh, oui, c'est vrai. J'avais oublié.

Nicki passa une main sur son front et Tobias sentit son coeur chuter de trente étages - au moins. Sa mère n'oubliait jamais rien, elle était toujours très organisée et avait un paquet de post-it collés partout, alors qu'elle ait oublié le rendez-vous avec son fils prouvait à Tobias son importance dans la vie de sa mère : il n'était plus rien.

-Ton père est revenu de New York pour quelques affaires avec l'entreprise cette semaine. Je vais lui passer un coup de fil, soupira Nicki en attrapant son iPhone.

Elle s'échappa dans le salon et un silence étrange s'installa dans la cuisine durant lequel Tobias se balança sur ses pieds en se passant tous les scénarios possibles et inimaginables qui pourraient se produire lorsqu'il verrait son père pour la première fois depuis qu'il lui avait annoncé qu'il était gay.

-Je suis sûr que tu t'entendrais très bien avec Lucian, lança Jonny en marchant vers l'îlot central.

Tobias papillonna des paupières et sourit timidement.

-Ouais ?

Jonny hocha lentement la tête en fourrant ses mains dans ses poches.

-Oui, il a toujours voulu un grand frère. Je suppose que tu es ce qui s'en rapproche le plus. J'aimerais beaucoup que vous vous entreteniez une relation.

Le châtain pinça ses lèvres, touché par les propos de Jonny.

-Ce serait - chouette. Lucian a l'air vraiment gentil.

-Oh, il l'est. Un peu trop obsédé par les Tortues Ninjas, mais il fait de très beaux dessins.

Jonny pointa vers le frigo et Tobias admira tous les coloriages aimantés à la surface en inox. Il soupira en se remémorant toutes les fois où il avait dessiné des soleils drôles et des paysages approximatifs à ses parents et qu'il les avait retrouvé au fond de la poubelle le jour suivant.




George n'arriva qu'une demie heure plus tard et Tobias avait eu le temps de se sentir dix-sept fois mal à l'aise dans un environnement qui était encore le sien il y a quelques mois.

Son père l'avait regardé en haussant les sourcils, avait soupiré, puis s'était assit à table sans un mot. Tobias avait eu l'impression de se retrouver face à une toute autre personne.

-Bon, j'ai une réunion dans une heure, c'est quoi le problème ? Commença son père en croisant les bras sur la table.

Nicki et George regardèrent Tobias avec leurs larges yeux, jugeant chacune de ses actions. Le châtain se sentait comme quand il avait huit ans et que ses parents le convoquaient au salon parce qu'il avait soit disant fait des bêtises.

Néanmoins, il soupira et frotta ses mains moites contre l'étoffe rugueuse de son jean.

-Hum - je voulais juste vous dire que - je déménage. Je vais habiter avec Brody.

Il ferma un court instant les yeux, s'attendant aux foudres de ses parents. Mais rien ne vint alors il continua.

-Et je vais changer de cursus. Je prévois d'étudier la psychologie.

Un long silence lui répondit.

Lorsqu'il releva son regard vers ses parents, il les découvrit impassibles. De toutes les réactions qu'il avait imaginé, il n'avait jamais imaginé que ses parents n'en aient aucune.

-Et ? Demanda son père. Qu'est-ce que tu veux qu'on te dise ?

Il semblait incrédule ou agacé. Surement les deux. Tobias bégaya mais son père leva les yeux au ciel en soupirant.

-Si t'attends notre bénédiction ou quoi que ce soit d'autre, eh bien tu n'en auras pas. Je m'en fous de ce que tu fais de ta vie, c'est plus mon problème.

Nicki hocha la tête, approuvant visiblement les propos de son ex-mari. Ils avaient beau avoir divorcé seulement quelques mois auparavant, ils entretenaient tout de même une relation saine et vivable.

Tobias papillonna des paupières et il sentait de l'humidité s'accumulait sous ses yeux. Il aurait mille fois préféré que ses parents s'énervent sur lui, juste pour lui prouver qu'ils s'intéressaient un minimum, qu'ils restaient inquiets et concernés. Mais rien, ils s'en foutaient complètement, et Tobias avait l'impression d'être face à deux étrangers alors qu'il avait passé ses vingt-et-une dernières années sous le même toit qu'eux.

-Je - je ne sais pas. Je suppose que je voulais juste - genre, vous prévenir. Parce que vous êtes tout de même mes - hum - mes parents.

Il sentait son coeur battre dans ses tempes, s'accrochant désespérément à ses derniers mots. « Mes parents ».

George ria grassement et Tobias avait l'impression qu'on venait de le frapper en plein ventre.

-Tobias, je te l'ai déjà dis, moi je m'en fous. Fais ta vie avec ton punk, va te faire baiser comme une pute, c'est plus mon problème. Tu as décidé de foutre ta vie en l'air, très bien pour toi, mais ne t'attends pas à ce que je sois là pour t'aider quand ton Brendan se cassera.

Le châtain sentit un élan de confiance s'emparer de lui et il serra les poings sur ses genoux.

-Brody. Il s'appelle Brody.

Son père fit un geste vague de la main.

-On s'en fout, c'est la même chose.

Tobias se redressa sur ses pieds, manquant de renverser la chaise, mais putain, il s'en fichait tellement. Il sentait seulement ses veines battre dans son cou.

-Putain, non on s'en fout pas ! Il cracha. Il s'appelle Brody et je vais emménager avec lui parce que je l'aime ! Et je ne suis pas une putain de pute, bordel ! J'aime peut-être me faire baiser, mais au moins je ne suis pas un putain de coincé du cul qui vit encore trois siècles en arrière !

Les yeux de George étaient larges, surement la surprise de voir son fils - d'habitude si calme et doux - dans cet état de rage incontrôlable. Tobias était complètement hors de lui.

-Tu peux même pas imaginer à quel point j'ai de la peine pour toi, papa. Tu vis encore dans des putains de préjugés du Moyen-Âge et t'es incapable de voir ce que tu perds en étant un père aussi pourri. T'as perdu deux de tes gosses, putain ! Deux ! Et t'es toujours incapable de te rendre compte d'à quel point tu n'es qu'une pourriture.

Il le pointa du doigt, les yeux voilés par la colère, et Nicki émit un bruit d'indignation.

-Vous êtes tous les deux des pourritures ! Hurla Tobias en se tournant vers sa mère. Putain, mais grandissez, faites quelque chose parce que vous êtes tellement désespérants. Vraiment. Les garçons peuvent s'aimer aujourd'hui, c'est comme ça, faites vous une idée. Je n'ai même plus envie de faire des efforts pour essayer d'arranger les choses si c'est pour me retrouver face à deux gosses pourris gâtés.

Tobias ne prit même pas la peine d'attendre une réponse et traça un chemin vers la porte d'entrée, la colère faisant chauffer sa peau et brûlant ses veines. Il sortit rageusement de la maison, la respiration difficile alors qu'une foule de sanglots se mêlaient dans sa gorge.

Il venait définitivement de perdre ses parents.

-Tobias, attends !

Le châtain se tourna seulement parce que Jonny courait après lui. Il essuya ses joues avec colère et renâcla.

-Quoi ? Il cracha.

L'homme sourit maladroitement et lui tendit un morceau de papier. Son numéro était inscrit dessus.

-Écoute, Tobias, je suis désolé que tes parents soient aussi - intolérants, mais je t'apprécie vraiment beaucoup et si tu as besoin de quoi que ce soit, tu peux m'appeler.

Tobias saisit perplexement le post-it et le fourra dans sa poche.

-Merci, il murmura, la colère rendant sa voix rauque et basse.

Jonny sourit.

-J'aime vraiment ta mère, Tobias. Je sais que ça peut paraître fout dans ta situation, mais elle est vraiment une bonne personne. Elle a beaucoup de bons côtés. Je te promets que j'essayerais de lui parler.

Tobias le regarda en fronçant les sourcils.

-Pourquoi tu ferais ça ?

Il avait apprit, au cours des événements récents, que sa confiance ne méritait pas d'être donnée à tout le monde.

Jonny se contenta d'hausser les épaules avec un sourire.

-Je suppose que c'est parce que je veux que nous soyons une famille unie. Et puis, je pense vraiment que tu es une bonne personne Tobias, tu es juste tombé sur les mauvais parents. Sache que moi, je serais toujours là.

Et pour la première fois depuis sa naissance, Tobias avait la sensation d'avoir une figure paternelle sur qui il pouvait compter.

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