Il y a 20 ans, forêt de Wolfden, Royaume de Nirmaë

Il fait déjà nuit noire et la forêt entourant le chemin qu'ils empruntent est incroyablement silencieuse, mais ce n'est pas ce détail qui inquiète le couple. Ce sont plutôt les lamentations qu'ils entendent, non loin d'eux. Inquiet, l'homme arrête la charrette, désormais vide de toute marchandise, car le couple a vendu tout son stock de légumes et de viandes au marché.

Il indique à sa femme de ne pas sortir de la charrette, tout en lui remettant les rênes de leur cheval, attelé à celle-ci. Il descend ensuite avec précaution et s'approche de la source du bruit, craignant qu'un animal ne soit blessé. Il n'a pour seule arme qu'un couteau, mais se prépare déjà à devoir abréger les souffrances d'un quelconque animal.

Il lui faut quelques instants tout de même et s'enfoncer entre les arbres massifs, pour s'approcher et entendre plus vivement ce qu'il prenait pour des cris de souffrances. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Ce sont des pleurs.

Des branches craquent alors sous les pas de l'homme et là, les pleurs s'étranglent, avant de s'arrêter. Puis un bruit, provenant de derrière un gros rocher. S'accrochant à son couteau, il avance bravement, bien décidé à savoir qui ou quoi, se trouve ici. Seul et dans la nuit, qui plus est !

Puis, lorsqu'il fait le tour du rocher, avec la lumière de la lune pour seul et faible éclairage, il s'attend à trouver mille et une choses. Pourtant, c'est un halètement surpris qu'il laisse échapper, au moment où ses yeux tombent sur une petite et fine silhouette, recroquevillée là. Vêtue d'une robe trop fine pour les températures froides du soir, et une chaussure manquante, la fillette tremble de froid. Ou de peur, voire les deux. Ses petites mains plaquées contre ses oreilles, elle ferme fort ses yeux et sa bouche. Ses cheveux bruns emmêlés tel un nid d'oiseau cachent une partie de son visage, mais l'on peut y distinguer quelque chose, teintant sa peau pâle. De la terre ? De la boue ? Autre chose ?

L'homme sort de sa torpeur et range immédiatement son couteau. La dernière chose qu'il souhaite, c'est effrayer cette enfant plus qu'elle ne l'est déjà. Il se penche alors, pour être à sa hauteur, mais reste à distance respectable. Encore une fois, pour lui montrer qu'il n'est pas une menace.

— Tout va bien, lui dit-il.

La fillette ouvre alors les yeux, détachant lentement ses mains des côtés de son crâne. L'homme lui offre un sourire rassurant et retire son manteau, qu'il glisse autour de ses frêles épaules.

— Es-tu ici toute seule ?

Elle n'ouvre pas la bouche, mais répond par un hochement de tête. Il lui demande ensuite quel âge elle a et la voit lever cinq de ses petits doigts.

— Je m'appelle Aven, l'informe-t-il finalement, posant une main sur son torse pour lui montrer qu'il parle de lui.

Il ne sait pas comment agir face à une petite fille de cet âge ni ce qu'elle est apte à comprendre. Il veut surtout lui montrer qu'elle peut lui faire confiance et qu'elle n'a pas à avoir peur de lui.

Soudain, des bruits de pas approchant. La fillette émet un petit gémissement plaintif, se cachant sous les pans du large manteau de Aven. Elle plaque son petit corps autant qu'elle peut contre le rocher derrière lequel elle est dissimulée et, comme précédemment, ferme fort ses paupières.

Aven la cache de sa propre silhouette, ses yeux fouillant les environs, mains sur son couteau.

Il ne se détend que quelques secondes plus tard, lorsque sa femme entre dans son champ de vision.

— Kalea ! Je t'avais dit de rester dans la carriole.

— Tu mettais tellement de temps, excuse-moi de m'être fait du souci pour toi, le rabroue-t-elle.

Puis ses yeux se posent sur la petite âme égarée et elle pose ses doigts contre ses lèvres, surprise.

— Par tous les dieux !

Moins précautionneuse que son mari, elle se laisse tomber sur ses genoux et glisse immédiatement ses bras autour de la fillette, la serrant contre elle. D'abord, celle-ci se débat, mais s'arrête lorsqu'elle se rend compte que personne ne cherche à la blesser. Juste à lui apporter douceur et réconfort.

— Pauvre chérie, murmure Kalea. Que fais-tu ici, perdue dans les bois ?

— C'est précisément la question que je me pose. Nous n'avons croisé personne à des kilomètres, observe Aven. Peut-être devrions-nous trouver la Garde pour la leur confier ?

La réaction de l'enfant ne tarde pas à se faire connaître et elle s'accroche aux vêtements de Kalea en pleurant plus fort. Elle secoue sa tête sans s'arrêter, ses sanglots si puissants qu'elle s'étouffe presque.

Les deux époux se dévisagent malgré la pénombre environnante et Kalea glisse ses doigts usés par le travail, dans les boucles emmêlées de la petite.

— D'accord, pas de Garde. Et si nous allions d'abord à la maison prendre un bon bain et un repas chaud ?

Encore une fois, aucune réponse verbale n'est obtenue, mais la gamine noue ses bras autour du cou de Kalea, ainsi que ses jambes fines autour de sa taille. Le message est clair et le couple s'en voit soulagé. Elle se lève donc, portant son précieux chargement et retourne à leur carriole abandonnée sur le chemin. Cheval attaché à l'arbre le plus proche, il est en train de brouter de l'herbe, ne relevant la tête que lorsque ses propriétaires arrivent près de lui.

Il leur faut plus d'une heure supplémentaire pour arriver aux abords d'un village, qu'ils contournent afin de gagner leur ferme. Celle-ci est un peu éloignée, entourée par les vergers, les plantations de légumes et la forêt. Elle n'est pas si petite, définitivement trop grande pour un couple vivant seul.

Aven entre le premier et se précipite vers la cheminée, pendant que Kalea se dirige vers la salle d'eau. Ils passent les minutes suivantes à chauffer de l'eau pour la débarbouiller avant de changer ses vêtements. Ils lui font ensuite avaler une bonne soupe, accompagnée d'un énorme morceau de pain et de quelques fruits. Pendant tout ce temps, elle ne décroche pas un mot, ses yeux fixés vers le sol. Elle finit par s'endormir, épuisée, alors que Kalea est en train de brosser ses cheveux, toutes deux assises sur le lit de la chambre parentale.

Une fois la petite couchée et bien au chaud, en sécurité sous les couvertures, elle revient dans le salon et pousse un soupir.

— Elle est tombée comme une masse, dit-elle. Et elle n'a pas dit le moindre mot.

Kalea se laisse tomber sur l'un des deux fauteuils installés près de la cheminée. Aven est déjà assis sur le sien, perdu dans ses pensées en fixant les flammes dansant dans l'âtre.

—... Qu'est-on supposés faire, maintenant ? Tu as vu ses vêtements, n'est-ce pas ? Ce n'est pas une paysanne, mais une noble.

— Une noble livrée à elle-même, à qui il manquait une chaussure et couverte de boue et de sang ? Du sang qui n'est pas le sien, qui plus est.

— Elle a forcément des parents. Je maintiens que nous devrions prévenir la Garde.

— Tu as vu comme moi sa réaction, lorsque tu les as mentionnés, non ? Elle en a peur, elle était effrayée. Cela veut dire que, peu importe, ce qu'il s'est passé, c'est relié directement à cette fichue Garde. Elle devrait rester ici, au moins le temps d'en savoir un peu plus sur elle, d'où elle vient et ce qui lui est arrivé.

— Kalea...

— S'il te plait, Aven. Juste quelques jours. Dès qu'elle nous parlera, nous pourrons la ramener à ses parents, en sécurité. S'il lui arrivait quoi que ce soit, je ne pourrais pas me le pardonner. Et toi ?

L'homme dévisage sa femme pendant un long moment, puis pousse un soupir.

— D'accord. Seulement le temps d'y voir plus clair, mais pas un moment de plus. Dès que possible, on la renvoie chez elle et nous reprenons le cours de notre vie.

Un sourire soulagé vient étirer les lèvres de Kalea.

— Entendu.

En se faisant cette promesse, l'un et l'autre sont loin, très loin d'imaginer, non seulement que cette fillette restera à leurs côtés... mais surtout, qu'elle est promise à un destin bien plus vaste. Et plus dangereux.

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Et voilà, le prologue !

De quoi sera fait le destin de cette fillette ?

À très vite pour la suite !

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