Chapitre 8 - Partie 2

— N'as-tu pas de parents ? Des personnes que tu aimes ? Des... dragons, que tu aimes ?

« Les dragons n'ont pas de parents. Pas vraiment. Nous avons un sens de la famille quasi inexistant. Les dragons se reproduisent pour faire des enfants, nous n'avons pas de sentiments les uns pour les autres. »

— Parce qu'ils ont disparu ? Es-tu le dernier de ton espèce ?

« Loin de là. Nous sommes rares, certes, mais jamais nous ne nous éteindrons. Nous vivons cachés et seules de rares personnes ont pu voir l'un d'entre nous. »

— Alors, hésité-je. Pourquoi es-tu devenu mon Familier ?

« Je te l'ai dit : tu es l'une des âmes les plus puissantes que cette Terre ait portées, depuis des années et des années. Ni toi ni moi n'avons choisi, mais l'univers. Je suis né pour être avec toi, c'est la raison même de mon existence et de ma naissance. »

— C'est assez triste, non ? Ne pourras-tu jamais être libre ?

« Comptes-tu m'asservir et user de mes pouvoirs pour faire le mal ? »

— Bien sûr que non ! réponds-je, outrée qu'il puisse penser une telle chose de moi.

« Alors je serais aussi libre que je n'aurais jamais pu l'être. Ma vie sera belle, pas d'inquiétude. »

— Pourquoi ne récupères-tu pas ton corps ?

« Je suis encore trop faible. Et puis, je suis jeune, presque autant que toi ! Nous sommes nés le même jour, à la même heure et même minute. Mais, lorsque je serai prêt, je reviendrais sous ma réelle forme. »

J'ouvre la bouche pour répondre, mille questions se bousculant encore dans mon esprit, que je brule de lui poser, mais des coups portés de l'autre côté de la porte m'en empêchent.

— Votre Altesse ? Êtes-vous réveillée ? demande une voix féminine.

Je devine qu'il doit s'agir de... comment s'appelle-t-elle, déjà ?

« Esper. »

— C'est bien ça, merci.

— Votre Altesse ?

— Oui, désolée, dis-je plus fort, afin qu'elle m'entende. J'arrive tout de suite.

Je me précipite vers la porte et l'ouvre à la volée. Elle est prise d'un léger sursaut, et recule d'un pas lorsqu'elle me voit. Son teint pâlit légèrement et je ne comprends tout d'abord pas pourquoi.

En premier lieu, je pense à ma tenue, qui est loin d'être présentable, mais ce n'est pas la robe de nuit qu'elle regarde. Non, ses yeux sont fixés dans les miens et mon sang se glace.

— Désolée, dis-je en cachant mes yeux de ma main.

— C'est moi qui m'excuse, Votre Altesse. Je venais prendre de vos nouvelles à la demande de la Grande Duchesse. Elle s'est beaucoup inquiétée pour vous, après votre malaise.

— Dites-lui que je vais bien, réponds-je en gardant mes doigts là où ils sont, à savoir en train de dissimuler du mieux que je peux, mon regard dépareillé.

Dans ma tête, mon Familier ricane.

« Tu ne devrais pas avoir honte. Ma présence prouve ta puissance. Elle a raison de te craindre. »

— Je ne veux pas qu'elle ait peur de moi, grincé-je entre mes dents.

— Pardonnez-moi, Votre Altesse ? s'enquit Esper, qui a dû m'entendre marmonner dans ma barbe.

— Ce n'est rien. Combien de temps ai-je dormi ?

— Le reste de la journée et toute la nuit, Votre Altesse. C'est maintenant le matin et Madame la Grande Duchesse se faisait du souci en ne vous voyant pas redescendre.

Donc j'ai enchainé plusieurs heures de sommeil ! Celui-ci a été réparateur, car je n'ai plus mal nulle part, même pas au niveau de ma blessure. Je n'ai plus de douleur à la tête non plus, et ne plus avoir l'impression qu'elle va exploser est rassurant.

— Où puis-je trouver des vêtements ? demandé-je alors.

— Vous devriez trouver votre bonheur dans la penderie, Altesse. Désirez-vous que l'on vienne vous aider à vous habiller ?

— Qu... Non ! Je veux dire, merci, mais non, ça ira.

— Très bien, comme Son Altesse le désire, répond-elle.

Je ne peux certes plus la voir, mais devine le retour de son air pincé.

— Dois-je donc vous attendre ici et vous conduire jusqu'à Sa Majesté, ensuite ?

— Inutile, je peux me débrouiller seule.

Ce qui n'est pas si sûr, sachant que je ne connais rien de cet endroit et que, vu combien il est immense, il serait sans doute facile de s'y perdre !

Je la sens bouger et devine une énième inclination, puis ses pas s'éloignent, un peu plus rapides que lorsqu'elle était dans la salle du trône.

Je ne lui en veux pas de ne pas vouloir rester seule en ma compagnie, après tout, j'ai l'air étrange et il ne serait pas étonnant qu'elle ait peur de moi !

« Tu vas finir par me vexer. »

Avec un soupir, je retire ma main et rentre dans mes appartements.

— Il faut que j'aille trouver Nami, décidé-je en me dirigeant vers ce que je devine être la fameuse penderie dont Esper m'a parlé.

Il s'agit d'un immense meuble en bois, peint dans une jolie couleur crème, aux bordures dorées.

« Ton amie humaine ? »

— Elle était très en colère contre moi. Je lui ai caché beaucoup de choses, pendant des années.

J'ouvre la double porte et tombe sur un assortiment de robes aux couleurs, motifs, tissus et épaisseurs totalement différents. Savait-elle que je viendrais où ma tante a-t-elle fait mettre des habits dans toutes les chambres, juste au cas où ?

« Et donc ? »

— Et donc, je dois régler ça. Il faut que je lui explique la situation.

« Tu es une future reine, tu n'as rien à expliquer. Tu n'as pas à te justifier, surtout pas auprès des roturiers. »

Je m'arrête soudainement de farfouiller dans l'amas de vêtements et me redresse, furieuse.

— Nami n'est pas une roturière ! Elle est ma plus vieille amie et, même si elle a découvert mon secret, elle n'en a jamais rien dit ! Elle et son frère son ma famille, alors je t'interdis de les insulter.

En moi, le dragon gronde, mais je ne me laisse pas impressionner.

« ... Très bien. Allons donc trouver ton... amie. »

Son ton est amer, mais je l'ignore cette fois et opte pour la robe que je trouve la moins voyante, exubérante. Ici, tout transpire la richesse et ça me rends assez mal à l'aise.

Elle est d'un rouge cerise très profond, ne comporte pas de froufrous et ne me fait pas ressembler à un véritable bonbon ambulant.

— Je vais me changer, maintenant, et j'ai besoin d'être face au miroir, pour enfiler cet accoutrement. Donc si tu pouvais ne pas regarder à travers mes yeux, ce serait sympa... au fait, quel est ton nom ?

« Tu ne te rappelles pas ? C'est toi seule, qui a choisi mon prénom, car je n'en avais pas, avant que tu sois en âge que me nommer. »

— Désolée... Mes souvenirs sont...

« Bloqués, oui. Là encore, c'est de ma faute. J'ai tout emporté avec moi, lorsque je suis allé hiberner. Pour ta... »

— Sécurité, oui. Je commence à connaître la chanson.

« Quoi qu'il en soit, tu m'as appelé Aeron. Ce qui signifie « aussi fort qu'une montagne » et je ne peux être plus d'accord ! »

Lorsque je me plante à nouveau devant la surface glacée me revoyant mon reflet, je remarque tout de suite que mes yeux ont repris leur état normal. Je me débarrasse donc de la tenue de nuit et enfile avec précipitation sous-vêtements et robe. Mais, lorsque je me tourne pour regarder le noeud que j'ai fait au corset, je sursaute.

Là, sur le sommet de mon épaule droite, se trouve quelque chose. Quelque chose qui n'était bien évidemment, pas ici, avant. Intriguée, je m'approche et pense d'abord à une cicatrice ou au vestige de l'attaque de la dernière fois.

Seulement, en y voyant d'un peu plus près, je vois bien qu'il ne s'agit pas de ça.

C'est une marque.

Une marque de la forme d'écailles dorées, comme si elles étaient faites d'or. Il y en a une douzaine, toutes se succèdent et se chevauchent, comme si ma peau était faite d'écailles.

Comme celle d'un... dragon ?!

— Aeron, qu'est-ce que c'est que ça ?

« Ça, quoi ? »

— Cette chose, sur mon épaule !

Malgré la robe, on peut tout de même la voir, car le corset ne monte pas aussi haut, au travers des manches, qui ne sont pas opaques.

« Ceci est la preuve de notre lien. Chaque Familier attribué à quelqu'un est pourvu d'une marque, et vice versa. »

— Mais c'est bien la première fois que je la vois !

« Je te l'ai dit, j'ai été obligé de cacher tout signe de ma présence. La marque en faisait partie. Elle a toujours été là, mais était invisible aux personnes ne se rappelant pas de mon existence. »

Bon sang, je sens de nouveau pointer mon mal de crâne...

— Les bonnes nouvelles ne vont-elles donc jamais s'arrêter de pleuvoir ? demandé-je avec sarcasme. Non seulement j'apprends que je ne suis pas une simple Sang D'Argent, que j'ai un familier, mais qu'en plus, tout le monde doit en voir la preuve sur ma peau ?

Je de détourne du miroir, la frustration commençant à me gagner. La seule chose que je veux, maintenant, c'est rentrer chez moi. Je veux revoir mes parents, me blottir, devant l'âtre de la cheminée avec le plaid tricoté par ma mère, tout en buvant du lait de chèvre tiède alors que mon père marmonne dans sa barbe.

Chaque chose en son temps, Eleanora. Tu dois d'abord te réconcilier avec Nami.

Et ça, ce ne sera pas chose aisée. Car il n'y a rien de pire qu'une Nami en colère.

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