Chapitre 9 - Antéros

Je me retrouve à faire du shopping alors que je devrais être en train de travailler pour réaliser les changements dans mon bar. Je suis assis dans ce fauteuil ridicule à attendre que Diane sorte de la cabine d'essayage. Je n'aurais jamais dû accepter pour rendre service à Hédy, mais je n'ai jamais su dire non lorsque quelqu'un a besoin d'aide, y compris lorsqu'il s'agit d'une parfaite inconnue.

Je ne sais même pas d'où sort cette fille. Ni d'où Hédy la connaît. Pourtant il semble tenir à elle comme s'il la connaissait depuis toujours, ce que je sais impossible, puisque autrement je la connaîtrais aussi. Et surtout, je déteste devoir l'héberger. Non pas parce qu'aider me déplait, plutôt parce que c'est une prise de tête trop tentante. Cette femme me fait de l'effet, et je ne veux pas que cela se renforce en la découvrant endormie sur mon canapé à moitié vêtue.

- Je ne suis pas convaincue, déclare-t-elle derrière le rideau.

- Sors, on verra bien.

Elle s'exécute et lorsque je la découvre, je me retiens de rire. Je m'attendais à tout sauf à ça. Lorsqu'elle est arrivée hier, même si elle arborait des airs hautain, elle était habillée de façon simple, un jean ainsi qu'un pull. Elle était jolie, elle ressemblait à n'importe quelle femme. La femme qui se tient face à moi ne ressemble en rien à celle qui a travaillé pour moi. Elle remarque mon regard amusé et lève les yeux au ciel.

- Voilà. je le savais. Rien ne va.

- Non, non... C'est juste que...

Je cherche mes mots mais rien ne vient.

- En fait tu as raison, ça ne va pas du tout.

- Ce n'est pas comme si je venais de le dire, raille-t-elle.

J'ignore sa remarque, je n'ai pas le courage de me battre avec une emmerdeuse. Je me lève afin de me tenir dans son dos, face au miroir, la dépassant d'une tête. Le pantalon qu'elle a choisi laisse peu de place à l'imagination quant à ses formes, et mon regard remonte le long de ses hanches bien formées avant de s'arrêter sur ce haut qui ne couvre pas grand chose. Ca lui va bien, si elle ne semblait pas si... Inconfortable. Et si j'étais un idiot, j'aurais pu tenter quelque chose. Mais je ne suis pas là pour ça, je dois garder la tête froide.

Elle sait qu'elle est belle, je le vois lorsqu'elle s'observe dans le miroir. Elle ne manque pas de confiance en elle. Elle semble juste mal à l'aise dans cet accoutrement. En revanche, je crois que nous sommes du même avis : ces vêtements ne sont clairement pas faits pour elle.

- J'ai l'impression de ressembler à une de ces lycéennes qu'on voit dans les films, déclare-t-elle.

- C'est en effet l'impression que tu renvoies.

Elle a enfilé un genre de pantalon en cuir taille haute et ces croc top que les femmes aiment tant en ce moment. Mais je crois que ça ne colle pas vraiment à son style.

- Je suis pourtant très loin d'en être une.

- Quel âge as-tu, Diane ? demandé-je par curiosité.

Je ne lui ai pas encore demandé ses papiers pour le contrat, alors pour le moment, je ne sais que son prénom. Et une part de moi est un peu curieux, je dois l'admettre. Elle semble hésiter, comme si elle ne connaissait pas son âge.

- Et toi ? détourne-t-elle la question.

- J'ai demandé en premier, me moqué-je.

- Réponds moi et je te répondrais.

Je hausse un sourire, surpris par sa remarque. Je n'étais pas sûre qu'elle possède le sens de l'humour en la rencontrant hier soir, lorsqu'elle jouait la miss rabat joie.

- J'ai vingt-huit ans, finis-je par déclarer.

- Et moi vingt neuf ans. Donc j'aimerais bien ressembler à une femme de cet âge là.. Sauf que je n'ai aucune idée de comment faire, avoue-t-elle.

Aussi étrange que soit sa confession, je la crois sincère. Je ne sais pas trop d'où elle sort ni pourquoi elle me semble si étrange, mais je suppose que je peux bien l'aider tant que j'y suis.

- Quelle image veux-tu renvoyer ?

- Je n'en ai aucune idée, soupire-t-elle.

Curieuse réponse. Elle devrait quand même connaître son style.

- Je ne peux pas le savoir à ta place.

Pour simple réponse, elle observe son reflet en détail. Je ne peux pas lui dire ce qu'elle veut renvoyer, mais je sais ce que je vois. J'ai l'impression d'une femme qui est perdue et qui tente de s'affirmer à travers son caractère trop piquant. Diane finit par soupirer tout en passant une main sur son pantalon.

- J'ai envie de ressembler à une femme simple. Et d'être à l'aise aussi, je déteste me sentir aussi étriquée.

Elle tente un sourire auquel je ne répond pas. Je n'arrive pas à savoir ce qu'elle veut, et ça me laisse perplexe. Alors je vais l'aider avant de rentrer chez moi pour me retrouver seul, je n'ai pas le temps pour me concentrer sur des banalités.

- Alors j'ai peut-être une idée qui pourrait te plaire. Je te laisse te déshabiller, je vais te ramener un truc qui pourrait te convenir.

Je l'abandonne pour traîner dans les rayons, et je sélectionne un jean et une chemise à carreaux qui lui iront certainement. C'est un peu l'attirail parfait de n'importe qui dans le Donegal. Simple, pratique, et qui ne craint rien. Je choisis une taille qui semble convenir à vue d'œil, n'ayant pas pensé à lui demander, puis je lui passe à travers le rideau une fois de retour.

- Essaie ça. Je pense que ça t'ira.

Je me réinstalle dans le fauteuil, pressé d'en finir. Je ne suis pas un grand fan de shopping. Je préfère de loin me balader en extérieur, profiter de la nature. Mes meilleurs souvenirs sont dans des jardins, et même si je suis incapable de me souvenir où je les aies visités, je ne desespère pas de ressentir cette sensation d'être chez moi à nouveau.

- C'est parfait. Je me sens bien plus à l'aise comme ça, déclare-t-elle en sortant de la cable.

Elle s'observe, satisfaite, alors que mon regard la détaille. En effet, c'est beaucoup mieux que la tenue précédente. Et si j'ignore le fait que ce jean lui fait des fesses à tomber par terre, elle ressemblerait presque à une locale. Elle va se fondre dans la masse au pub.

- On m'a offert un jean similaire il y a longtemps. Celui que je portais aujourd'hui.

- Cette personne avait bon goût, déclaré-je simplement.

- Je confirme. Merci beaucoup, Anton.

Je lui adresse un signe de tête pour simple réponse, puis je sors mon portable pour envoyer un message à Hédy et lui dire qu'on a trouvé une première tenue, ce par quoi il me répond d'un simple smiley pouce en l'air. Encore une petite heure et je devrais être débarrassé de cette corvée.

Lorsque Diane sort rhabillée, je me lève pour la suivre.

- Je vais prendre des articles du même genre et on pourra bouger, déclare-t-elle.

- Tu ne veux pas faire un autre magasin ? m'étonné-je. Essayer d'autres choses ?

- Pourquoi faire ? Je sais que ça, ça me convient.

Pour appuyer ses propos, elle attrape plusieurs chemises de couleurs différentes, puis je lui indique d'où vient son jean pour qu'elle s'en choisisse d'autres. Je l'accompagne ensuite à la caisse automatique ou du monde patiente, et Diane se place dans la queue.

- Pourquoi les mortels sont-ils toujours si lent ? demande-t-elle avec un sérieux déconcertant.

Je la dévisage sans trop savoir comment prendre ses propos. Des mortels ? Parce qu'elle n'est pas humaine, peut-être ? Définitivement, je crois que je ne la comprends pas.

- C'est le principe d'une file d'attente, déclaré-je.

Elle hausse les épaules comme si ça lui était égal, et je ne dis plus rien. Je n'ai pas envie de faire la conversation dans le vide. Je la laisse payé puis, dans un silence gênant, nous rejoignons la voiture. Je crois que je suis méfiant parce que je ne comprends pas d'où sort cette femme. Elle a débarqué de nul part hier soir, Hédy semble près à tout lui céder... Quelque chose m'échappe.

- Ou est-ce que tu vivais avant ? demandé-je en tentant d'en savoir plus.

- En Grèce.

- Tu es grecque ?

Je lui jette une oeillade perplexe avant de fixer la route à nouveau. Elle n'a absolument aucun accent et ce n'est pas la porte à côté.

- De naissance, oui. J'ai beaucoup voyagé en grandissant.

- C'est comme ça que tu as rencontré Hédy ?

C'est ce détail qui me laisse perplexe. J'ai l'impression d'ignorer toute une partie de la vie de mon meilleur ami.

- Non, je l'ai connu grâce à son frère.

- Celui qui ne l'aime pas ?

- Un autre. Hédy en a plusieurs.

Pourquoi je ne sais pas ça à son sujet ? J'ai l'impression qu'il a une double vie. Et cette fille est étrange. Elle semble en savoir beaucoup alors qu'elle vient seulement d'arriver, je ne lui fais pas confiance.

- Et pourquoi tu es venue en Irlande ?

- C'est un interrogatoire ?

- Je cherche à faire connaissance, mens-je.

Elle ne semble pas convaincue, je sens son regard peser sur moi au moment où je me gare à l'arrière du pub.

- Je voulais visiter le pays.

- Tu mens, dis-je sans réfléchir.

- Pardon ?

Elle ne semble pas blessée, juste surprise par ma remarque, alors que je ne comprends pas ma certitude. J'ai juste la sensation qu'elle ne dit pas la vérité. Je le ressens au plus profond de moi.

- Aurais-tu le don de contrôler les sentiments ? se moque-t-elle.

Je lui jette un regard désabusé.

- Quand on travaille dans un bar, on apprend à décrypter les gens.

- Alors tu devrais travailler un peu plus, parce que ton radar est mauvais. Je suis ici pour visiter, insiste-t-elle.

Je ne la crois toujours pas mais je n'insiste pas. Elle est têtue, et je n'ai aucune envie de me prendre la tête avec ce genre de fille. Je vais me contenter de travailler avec elle, et je crois que ce sera amplement suffisant.

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