Chapitre 4 - Artémis


Je refuse de croire que c'est réellement en train d'arriver. Tout ceci me semble surréaliste. A une époque, je pensais que l'Olympe ne changerait jamais. Nos règles sont archaïques, et rien n'a changé depuis des siècles. Jusqu'à ce que les Erotes commencent à faire bouger tout ça par amour. J'aurais dû savoir qu'Antéros finirait par suivre le chemin de ses frères... Pourtant j'ai préféré jouer à l'aveugle, et je le regrette amèrement. J'aurais au moins pu prévoir une porte de sortie.

Je continue de faire les cents pas, le cerveau en ébullition. Il faut que je trouve un moyen de contourner l'interdiction du conseil : je dois rejoindre Antéros, sinon je risque de le perdre. Je veux saisir ma chance.

Un vent s'élève dans la pièce avant que quelques coups sonores ne résonnent, et je n'ai pas besoin d'indications pour savoir de qui il s'agit. Zeus n'attend pas mon invitation pour pénétrer dans mes quartiers, et il hausse les sourcils en découvrant le carnage qui m'entoure. Ma colère a envahie mes appartements, si bien que cela ressemble plus à une jungle qu'à un lieu de vie.

- Que s'est-il passé ? me questionne-t-il d'une voix ferme.

- En quoi cela t'intéresse ?

La porte de mes quartiers claquent d'un coup sec. Je reste de marbre face à son air colérique, me moquant bien de son avis en dehors du conseil. Zeus a toujours tenté de diriger ma vie, comme le ferait une figure parentale, les mythes humains le décrivent d'ailleurs comme mon père biologique. Si seulement ils savaient qu'il n'a fait que récupérer ma mère, ses enfants, avant de l'abandonner pour une déesse, la titanide n'étant pas assez bien pour lui. Zeus n'est pas de ceux que l'on souhaite avoir dans sa famille.

- Je te prierai de t'adresser à moi sur un autre ton, jeune déesse. N'oublie pas qui je suis.

- Difficile de l'oublier, raillé-je. Que veux-tu, vieux dieu ?

Le nerf de sa joue tressaute par agacement, et je retiens un sourire d'étirer mes lèvres. Je déteste ce dieu. Il se prend pour le maître de l'Olympe, il joue avec nos vies et nos sentiments, et la seule raison pour laquelle je le supporte va me quitter. Je n'ai plus aucune raison de me montrer courtoise.

- Puisque tu ne souhaites pas y mettre les formes, je vais en faire de même. Antéros a quitté l'Olympe en compagnie d'Hédylogos. J'ai cru comprendre que cette information t'intéressait.

Mon cœur rate un battement. Je n'ai pas besoin d'un miroir pour savoir que mon sourire a déserté mes lèvres. Alors Antéros m'a définitivement quitté, laissant derrière lui nos souvenirs...

- Laisse moi la même chance. Je veux le rejoindre, rétorqué-je sans réflechir.

Je me moque du prix à payer pour ça, j'en ai besoin. Je n'ai plus de raison de rester ici. Mais Zeus ne prend même pas la peine de compatir. Il observe autour de lui, l'air sévère, et je sais d'avance que mon impulsivité va me couter.

- L'œuvre de ta colère est dangereuse, Artémis. C'est pour cette raison que nous, divinités supérieures, n'allons plus sur Terre depuis des siècles, nous serions trop exposés. Tu comprendras donc que je ne peux pas te laisser faire ça.

Un rire jaune m'échappe.

- Je connais notre histoire, ne me fais pas croire que c'est impossible.

- Pourtant ça l'est. Je ne changerais pas d'avis.

Je m'approche de lui, la tête haute. Il ne m'intimide pas. Il est grand, sa carrure est imposante et sa barbe sombre ferait sûrement peur à n'importe qui, mais pas moi. Je suis la fille d'une grande titanide, de la lignée de Gaïa et Ouranos, je ne suis pas moins puissante, je ne m'inclinerais pas.

- Tu as donc l'intention de me priver de ma liberté jusqu'à ce que je sois forcée de m'enfuir comme l'a fait Héra ?

Le tonnerre gronde au loin, j'ai abordé le sujet interdit. Zeus ne supporte pas que l'on fasse mention de l'une de ses premières épouse, son regard s'assombrit jusqu'à ce que des éclairs s'y reflètent. Cette situation est l'une des rares sur lesquelles il n'a pas eu le contrôle. Héra voulait vivre une vie humaine, avoir des enfants, les voir grandir, et finir sa vie comme n'importe quel humain. L'Olympe ne lui convenait plus. Alors elle s'est enfuie après s'être elle-même bannie, et on ne l'a jamais retrouvée. Evidemment, je ne peux pas faire la même chose : ils s'en prendraient à Antéros pour m'atteindre et je le refuse, mais c'est un argument dans ma plaidoirie.

- Ne t'aventure pas sur ce terrain Artémis.

- Et pourquoi pas ? Si tu avais voulu, tu aurais pu envoyer tes larbins la chercher. Tu aurais fini par la retrouver. Au lieu de ça, tu l'as laissé vivre. Tu dis être impartial et équitable, alors offre moi la même chose que tu lui as offert.

Je ne demande pas la lune. Je veux l'occasion de pouvoir faire mes propres choix, une chance de vivre près d'Antéros sans ses chaînes que représentent nos règles.

- C'est non, Artémis. Et aucune audience ne te sera accordée à ce sujet. Suis-je bien clair ? Ne nous force pas à te punir comme nous avons dû le faire avec Thanatos il y a peu. Nous ne pouvons pas subir un ordre dommage au sein de l'Olympe.

Je le fixe droit dans les yeux sans rien répondre, et Zeus finit par tourner les talons, me laissant seule. L'Olympe m'a toujours privé de liberté, et aujourd'hui est de trop. Nous critiquons les humains à cause de leur égoïsme, de leur cupidité... Et bien d'autres défauts. Mais on ne doit pas oublier que si ces défauts existent, c'est parce que nous les possédons aussi. Zeus plus que d'autres. Et pour une fois je vais me montrer égoiste aussi.

Je sors cette tenue humaine qu'Anteros m'a ramenée d'une de ces missions il y a quelques années, et je l'enfile en grimaçant. Je ne comprends pas l'intérêt de ce pantalon à la matière étrange et bien trop moulant pour moi. J'observe mes fesses moulées dans le miroir, et je hausse un sourcil en comprenant mieux pourquoi il me l'a offert. J'aurais dû m'en douter.

Une fois le pull porté, je prends le minimum que je peux emporter dans ce sac humain. Argent, faux papiers... Mon identité ? Diane Artémis. Qui aurait cru que ce prénom que m'ont choisi les romains me servirait un jour. Je comprends mieux ce que ressent Antéros en partant en mission, ça a quelque chose d'amusant de se faire passer pour quelqu'un d'autre !

Je sors ensuite discrètement de mes quartiers en passant par mon balcon, et j'atterris au milieu de la source des naiades, jardin des Hespérides. Une large cascade produit un bruit que j'ai toujours trouvé relaxant, et je m'approche de l'eau jusqu'à pouvoir admirer mon reflet. Mes cheveux blonds ont repoussé depuis la dernière fois, et je ne suis pas certaine que mes yeux dorés passent inaperçus sur Terre. Il faudra que j'improvise.

- Nous ne sommes pas un miroir, retentit une voix féminine.

Je me relève en soupirant avant que la tête de la naïade émerge de l'eau douce.

- Aeglé, comment vas-tu ?

La gardienne du jardin des Hespérides et épouse d'Hélios se relève jusqu'à me faire face, vêtue de cette himation qui lui va si bien. Eh oui... Ce n'est qu'un mythe humain, les naïades n'ont jamais eu de queue de sirène.

- Il est rare que tu nous rendes visite, encore plus dans un accoutrement pareil. Que nous vaut cet honneur ? demande-t-elle en ignorant ma question.

- Je souhaite atteindre le Styx. J'ai quelques comptes à régler.

Je vois à son expression que ma requête la laisse perplexe. Il est rare que les divinités supérieures se rendent dans le royaume d'Hadès en dehors de ce dernier. Pourtant elle ne pose aucune question, sachant parfaitement que je n'ai de compte à rendre à personne. Le seul avantage de ma situation.

- Aucun souci, je vais t'ouvrir le passage et te donner de quoi revenir.

La naïade me tend une perle d'eau, la clé du passage dans l'autre sens, et je l'accepte sans me vanter du fait que je n'en aurais pas besoin. Aglaé me guide ensuite derrière la cascade et ordonne à ses filles d'ouvrir la porte, et après un signe de tête, je m'engouffre dans le royaume d'Hadès sans hésitation. Je suis en train de transgresser toutes nos lois, mais je suis si sûre de moi que je ne doute pas.

Je me place face au Styx, bien différent de la source des naïades. Ici le courant est bien plus lent, et je préfère ne pas faire attention aux âmes qui s'y noient continuellement en attendant que l'éternité ne passe.Je m'approche du quai sur lequel Charonne, passeuse des enfers, est en train de s'accoster.

- Récolte du jour ? demandé-je d'une voix forte.

- 69 152 âmes. Une belle journée pour moi.

Et moi ça me permet de constater qu'on a encore beaucoup de travail pour sauver les âmes humaines si on ne veut pas que les enfers soient saturés.

- Tu souhaites passer ? me questionne la déesse.

- Pas tout à fait.

Charonne m'observe, un peu perplexe. C'est l'une des rares déesses qui n'a pas sa place ici. Elle est sage, puissante, et son âme est bien plus pure que celles de certains dieux. Elle ne ressemble en rien à ses frères, Thanatos et Chronos.

- Je voudrais aller au fond du Styx.

- Très drôle.

Elle attache son bateau à moteur, souriante, avant de vite comprendre que je ne plaisante pas.

- Je peux savoir pourquoi ?

- Je veux voir Thanatos.

Charonne ricane.

- Il en est hors de question.

- Je ne t'ai pas demandé ton avis.

Elle se redresse, le regard noir. Elle a beau être la plus appréciable de sa fratrie, elle est puissante et je dois tout de même me méfier. Personne ne connaît l'étendu de ses pouvoirs, pas même Zeus. Et les rares qui ont subi sa colère ne sont même pas en enfer pour en témoigner.

- Personne n'accède à Thanatos.

- Je t'en supplie, Charonne. J'en ai besoin.

N'importe qui sait que je ne supplie pas. En tout cas, pas sans raison. Et la passeuse d'âme semble le savoir.

- Que lui veux-tu ? Et ne tente pas de me mentir, je le saurais.

Je fronce les sourcils sans poser plus de questions. Je ne peux pas tourner autour du pot, le conseil se rendra bien compte que je suis partie, et je ne veux pas qu'on me mette des bâtons dans les roues.

- Je veux libérer Thanatos puis me bannir moi-même de l'Olympe, déclaré-je dans le plus grand des calmes.

- Je te demande pardon ? Pourquoi veux- tu faire une chose pareille ?

Un soupir m'échappe, et je monte dans la barque pour m'y asseoir, bien déterminée à rester ici jusqu'à ce qu'elle cède.

- Ils refusent que je rejoigne la Terre, alors je cherche un moyen d'y aller en étant sûre de ne pas être recherchée. Je sais que ça a fonctionné avec Héra par le passé. Je garderai mes pouvoirs, et la seule chose qui pousserait l'Olympe à m'éliminer, c'est si je les utilise face aux mortels.

- Tu as tout planifié ?

- Je ne me voyais pas rester ici sans...

Je laisse un blanc, le coeur serré.

- Un des frères Agapè ?

Je relève la tête vers elle, sourcils froncés.

- Comment tu sais cela ?

- Ma sœur est très amie avec Pothos. Elle m'a dit que Antéros et toi étiez proche.

Charonne se relève en remplaçant son himation d'un blanc immaculé, contrastant avec les mythes humains qui la décrivent en noir.

- Je comprends, Artémis. Je t'assure. Mais je ne peux pas te laisser passer.

Charonne rejoint le quai, et je ferme les yeux en comptant mes respirations pour ne pas laisser mes sentiments diriger mes pouvoirs.

- En revanche, si je prends une petite pause pour passer voir Achlys, rien ne t'empêche de me voler mon bateau. Je laisserai peut-être accidentellement le GPS allumé et les clés sur le contact. Je te souhaite une belle journée, Artémis.

Elle me tourne le dos sans un mot de plus, et je l'observe disparaître avant de sourire largement et de me placer devant le gouvernail. Je tiens entre mes mains mon moyen de locomotion vers la liberté.

J'enclenche le moteur et je mets un moment à comprendre comment me diriger, et je suis la carte électronique que Charonne a dû dessiner il y a déjà un moment. Je m'accoste vers un quai sombre, sur lequel sont attachées plusieurs chaînes indiquées par des noms. Je descends sur le ponton en bois et cherche celui de Thanatos avant de m'arrêter à son emplacement. Au bout de cette chaîne est enchaîné Thanatos, et j'ai peur de l'état dans lequel je vais le retrouver.

J'attrappe celle-ci pour la tirer, la longueur me paraissant infinie, et je sens mon coeur s'accélérer. Je ne sais pas ce que donne un dieu noyé. Mais lorsqu'une bulle d'air m'apparaît, Thanatos debout au milieu, je me retiens de rire. On nous fait croire à une punition horrible alors qu'il est juste dans une cellule. Je m'attendais à bien pire.

En vue de ta tête, toi aussi tu t'imaginais que je me noyais. J'ai été soulagé de constater que non. Pourquoi m'as tu remonté ? Je ne compte pas le temps, mais je crois savoir que ma punition n'est pas terminée.

Je ne réponds pas, je me contente de briser sa prison que seul un membre du conseil peut briser. Cette bulle presque transparente tombe en miette à mon touché, comme on briserait du verre. Thanatos inspire profondément, comme s'il revivait, sans bouger. Je pensais qu'il courrait.

- Pourquoi tu ne t'enfuies pas ?

- Parce que je sais que le conseil me rattrapera. Pourquoi me libérer ? Tu vas finir bannie à faire ça.

- C'est le but, déclaré-je. Maintenant est-ce que tu peux partir ? Je t'ai pris ça pour t'enfuir.

Je lui tends la perle d'eau et il l'attrape mais ne bouge pas pour autant.

- Pourquoi ai-je l'impression que tu te sers de moi ?

- Ne sois pas surpris, c'est habituellement toi qui manipule les autres.

- J'ai acquis un cœur depuis, et j'ai eu le temps de réfléchir. Alors dis moi pourquoi, et je m'en irais.

Thanatos semble déterminé, si bien que lorsque je tourne les talons il me suit en direction de l'Erebe.

- Je vais m'auto bannir pour rejoindre Antéros sur Terre. Zeus ne pourra pas annuler ce bannissement, je suis coupable de ta libération.

- Intelligent. Mais par où compte tu sortir ?

- L'Erèbe. Je vais me glisser par le monde des rêves.

- Brillant. Si tu ne risquais pas de rester coincée dans le monde des rêves. Mais tu sais qu'il y a une porte ?

Je m'arrête net pour le dévisager. Je n'aurais pas dû lui donner cette perle d'eau, j'aurais dû la marchander.

- Que veux-tu pour cette information ?

- Simplement sortir avec toi. Il me faut une divinité supérieure pour l'ouvrir.

Je pourrais refuser. Après tout, c'est une chose de le libérer, c'en est une autre de le laisser vagabonder sur Terre. Mais Thanatos n'est pas un dieu dangereux, pas en dehors du royaume d'Hadès. Sans âme et sans feu de l'enfer, il est dénué de don. Alors je peux bien lui accorder ça.

Il me guide dans un silence complet jusqu'aux portes de l'enfer, et une fois face à la sortie, j'observe autour de moi.

- Quand tu parlais de porte, je ne m'attendais pas à ce que tu parles de l'entrée des enfers. Où est Cerbère ?

- Tu n'as pas mis les pieds en enfer depuis quand ?

- Je dirais trois siècles.

- Cela explique tout. Cerbère ne guette plus l'entrée. Des caméras ont été installées, elle se déclenche si un intrus touche la porte. Si c'est un membre du conseil, elles restent éteintes.

Je hausse les sourcils. Donc les enfers se modernisent grâce à la Terre. Bonne ou mauvaise chose, je n'en ai aucune idée, et honnêtement ça m'est égal.

- Que dois-je faire maintenant ? demandé-je en m'approchant des lourdes portes au style trop antique à mon goût.

- Tu ouvres la porte, et quand tu la traverses, tu essaies de penser à l'endroit où tu veux arriver. Où à la rigueur à la personne que tu souhaites voir.

- Si je comprends bien, nos chemins se séparent ici ?

- En effet.

Je me tourne afin de faire pleinement face au futur ex-dieu de la mort, et je le fixe droit dans les yeux. Je veux me faire bannir, mais je ne suis pas inconsciente.

- Je t'offre la liberté uniquement parce que cela m'apporte quelque chose. Mais sache une chose : si j'entend que tu répand le mal sur Terre, je te retrouverais et je te tuerais de mes propres mains. Suis-je claire ?

Thanatos retrouve cet air carnassier qui lui allait si bien, ses yeux étrangement rouge contrastant avec son air d'ange.

- Alors je souhaite ne jamais te revoir.

- Et moi dont. Maintenant, allons-y.

Je pousse la large porte, et sans un regard en arrière, je passe le pas en pensant très fort à celui que je souhaite rejoindre, les yeux fermés. Peu à peu, des bruits urbains se dessinent, et je souris lorsque je me sens enfin stable, sur Terre. J'ouvre doucement les yeux, pressée de retrouver Antéros même si je ne suis plus qu'une inconnue pour lui, mais je hurle en découvrant un lit. Occupé. Puis un visage trop connu.

- Bon sang, Pothos ! m'écrié-je.

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