Chapitre 2: Lithanie (Partie I)
Du haut des marches, Lithanie observait les dernières particules de farine se dissiper. Appuyé contre son sceptre et happé par ses pensées, il ne prêtait guère attention au coucher du soleil qu'il aimait pourtant tant observer. Il représentait pour lui la fin d'un cycle, et était la preuve que toute chose avait une fin. Seul le son des grandes cloches retentissant depuis quelques instants déjà, parvint à l'arracher de ses réflexions. « Ainsi nos heures de paix vont donc s'envoler », dit-il à lui-même, la mine soucieuse. Il tourna les talons et traversa le jardin d'une traite, ne portant son regard que sur les deux grandes portes de pierre à l'autre bout de l'espace sacré.
Face à elles, il frappa à trois reprises son bâton contre le sol. En réponse, celles-ci s'écartèrent lentement l'une de l'autre, actionnées par un mécanisme. Les prunelles rivées sur le sol, le bruit que produisaient les portes l'agaçait plus que d'accoutumée. Lorsqu'il leva les yeux pour poursuivre son chemin, ceux-ci se posèrent sur une femme accoutrée d'un bliaud blanc, sur lequel se nichaient de somptueux motifs fleuris de couleur pourpre. La brise du soir qu'avait filtrée l'entrée fit danser pendant un court instant sa chevelure châtaine. C'était Ophélia, la prêtresse d'El.
A sa vue, il se dessina un sourire altier sur les lèvres rosées de la damoiselle. Lithanie l'exécrait. Tout en cette femme le révulsait, de ses allures faussement nobles à son ton bien trop hautain. Il se demandait souvent comment elle avait fait pour devenir prêtresse. Il croyait de tout son être que cette distinction était réservée à ceux dévoués corps et âme à la foi qui brûlait en leurs cœurs. Les gardes à l'intérieur quant à eux baissèrent respectueusement la tête. Fière, la damoiselle lui tendit le revers de sa main, comme pour lui exiger un baisemain. Bêcheur, Lithanie se contenta de sourire. Elle soupira avant de déclarer :
— Ainsi même cela, on ne vous l'a pas inculqué ?
— Dame Ophélia, vous n'êtes pourtant pas sans savoir que ce genre d'artifice est sans effet sur moi, répondit-il sommairement.
Le garçon désirait écourter au plus vite cette désagréable entrevue. Cela faisait plus d'une semaine que la prêtresse se pavanait sans retenue dans les recoins du temple, se repaissant de chacune de ses faveurs.
— Ne devriez-vous préparer pour la cérémonie de tout à l'heure ? ajouta-t-il en s'éloignant, laissant pendre le bras de son allocutaire.
L'irritation brillant dans son regard, le garçon se dirigea vers le déambulatoire gauche de la pièce. Il lorgna au passage le brassard en cuir et laiton décapé ornant le bras de la jeune femme, duquel se dévoilaient de nombreux glyphes : Guérison, Fertilité, Victoire et Félicité. Choquée, la prêtresse se tourna en sa direction, puis le toisa avec dédain. « Quel gâchis ! », pouffa-t-elle.
L'air de rien, Lithanie marchait lentement, s'imprégnant des filins de lumière dorée que laissaient passer les vitraux, teintant les murs de colorations délicates. Des fresques représentant les fondateurs de l'empire, ainsi que celles des héros de la guerre des cent ans, s'y disputaient la place. Le garçonnet se sentait seul dans ces dédales labyrinthiques. Mais bientôt, se réjouît-il, plèbe et aristocratie se bousculeraient sur le parvis du temple, laissant place à une réjouissante cacophonie. Il fut traversé ensuite par plusieurs servantes, qui s'attelaient à allumer les milliers de cierges de tout le bâtiment. Il marcha une dizaine de toises encore, puis, se trouva face à une porte en bois soigneusement dissimulée. Du trousseau accroché à sa ceinture en cuir, il tira une clé et l'introduisit dans la serrure.
Franchissant le seuil, il prit soin de refermer derrière lui, découvrant ensuite une rangée de marches en pierres qui s'engouffraient dans les profondeurs. Un air lourd et suffoquant, ainsi que maintes toiles d'araignées l'y accueillirent, mais ne troublèrent cependant pas sa quiétude. Les épaisses parois de l'enceinte ne laissèrent aucun bruit passer, y faisant régner un silence pesant. Les nombreuses torches suspendues çà et là peinaient à combattre l'obscurité aveuglante. Il saisit l'une des lampes sur le mur et continua son chemin. À mesure que se poursuivait son avancée, d'atroces cris perçants vinrent flirter avec ses oreilles, se faisant de plus en plus intenses. S'entremêlaient dans son blair de fortes odeurs de sang, d'excréments et de pisse qui, lui piquant les yeux, les noyèrent aussitôt dans un bain salé. Bientôt, une porte en acier lui fit obstacle. Il l'ouvrit et entra dans la pièce.
L'éclairage y était tout aussi faible et l'odeur encore plus nauséeuse. Plus aucun autre son. Rien que le bruit des chaines d'un homme suspendu par les bras, à moitié éveillé, à qui il maquait quelques doigts, quelques dents et une oreille. Il se débattait, transpirait, puait. Son corps anorexique flagellé abritait de nombreuses blessures encore saignantes. En face de lui, se tenait un damoiseau chauve au ventre replet, torse nu, s'attelant à entasser les morceaux de son martyr dans un sceau rouillé. La présence de Lithanie l'interrompit. Au rictus de colère qui tordait le visage du prêtre, il sursauta, l'incompréhension arquant ses traits. Le garçon s'approcha vivement de lui et la voix emplie de colère, clama :
— Qu'avez-vous fait ?
— Mais... Votre Eminence, vous... bafouilla le tortionnaire, de sa voix ridiculement aiguë.
— Assez ! le coupa son supérieur d'un geste de la main.
Lithanie afficha une mine déçue, perdu entre colère et tristesse. Il s'avança nonchalamment vers son prisonnier, ses pas gênés par les mouvements ondulatoires de sa robe. Ses iris dorés semblaient s'illuminer, teintés par les lueurs vacillantes des torchères pourtant avares en lumière.
Le prêtre, près du prisonnier, lui releva la tête à l'aide de sa main. De ses lèvres sèches et boursouflées, parvint péniblement à s'échapper une supplique : « De...De l'eau...! ». Sur ces mots, Lithanie se dirigea vers un fût d'eau au coin de la salle. Après avoir accroché sa torche sur le mur, il prit une timbale et la remplit du liquide transparent. Au même moment, un étrange tintement de cloche retentit faiblement entre les quatre murs étroits de la geôle. À peine le fluide effleura les lèvres du prisonnier qu'il l'englouti à grosses gorgées, sous le regard conciliant du prêtre. De sa manche, le garçon lui nettoya le visage déformé par les coups.
— Vous sentez-vous mieux ? demanda Lithanie, s'appuyant sur son sceptre.
— Je... Je... ne sais rien... Je le jure... murmura péniblement le martyr, détourant le regard.
— Titus, laissez-nous je vous prie.
Promptement, le tortionnaire s'inclina et sortit sans ajouter mot. Le prêtre vint s'asseoir sur l'unique table gisant là, et y déposa sa verge. Il resta silencieux un moment, les prunelles rivées sur la flamme d'une des torchères sur le mur, les jambes se balançant dans le vide.
Vous êtes-vous déjà enquis sur comment je suis devenu prêtre ? demanda-t-il les mains sur ses joues, ses coudes sur ses cuisses.
Evidemment que non, pensa-t-il alors que son allocutaire ne luioffrait que le silence en guise de réponse.
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