Chapitre 1: En bas (Partie IV)

Le colosse se retourna nonchalamment, intrigué par la voix s'adressant à lui. Se tenait là un garçonnet vêtu d'une robe blanche, sur laquelle de somptueux motifs pourpres s'entremêlaient avec délicatesse. Ce dernier prenait appui sur un sceptre marqué de plusieurs runes, et faisant près du double de sa taille. Maladie, soumission et terreur étaient là, les glyphes les plus occurrents. Ils représentaient des prières. Chaque séquence activée permettant au détenteur d'avoir accès à la magie d'un dieu.

L'homme fronça les sourcils. Il avait beau avoir un enfant en face de lui, mais le simple fait qu'il possédait un tel objet, témoignait de sa différence.

—   Est-ce cela qui vous intrigue ? questionna le garçon en écartant la verge de sa main, un sourire innocent sur les lèvres. En effet, il est rare de voir une personne de mon âge porter le statut de prêtre.

Un petit rire s'échappa d'entre ses lèvres et il reprit :

—   D'aucuns chuchote même que c'est un caprice du dieu Capharnaüm.

Il leva ensuite ses prunelles dorées en direction de son interlocuteur, mais ce dernier ne lui offra aucune réaction, malgré ses mots répétés. C'est un étranger, ne comprendrait-il point mes paroles ? se demanda-t-il. Bien. Essayons autre chose, songea le prêtre avant de déclarer :

—   Suivez-moi, je vais vous faire visiter.

Il devança le colosse et se dirigea vers le temple. Pendant un moment, l'homme l'observa gravir les interminables marches les séparant du parvis du temple. Pour une raison qui lui échappait, il hésitait. Néanmoins, mut par une curiosité qu'il ne se connaissait pas, il se résigna à le suivre. L'enfant accueillit sa décision avec une joie non dissimulée, les lueurs du crépuscule se reflétant sur sa peau d'ébène.

Durant leur pénible ascension, le prêtre venta non sans fierté la beauté de la ville qu'ils pouvaient apercevoir en contrebas. De sublimes dépendances de nobles s'étirant sur quelques arpents. « Ceci est la résidence de Sir Andreyv Vernuc dont la famille a longtemps servi l'empire. Je les admire depuis toujours » commenta-t-il en montrant du doigt un imposant édifice gardé par des hommes en armure. Enthousiasmé, il en pointa un autre et en fit un éloge similaire. Toutefois, seul le temple retenait l'attention de son interlocuteur. Pas un seul instant, il n'avait daigné accorder de l'importance aux dires du prêtre, les yeux uniquement rivés devant lui.

Bientôt, parut devant eux un éventail d'arbres aux troncs filandreux éparpillés çà et là, ainsi qu'une remarquable fontaine, crachant des litrons d'eau à longueur de journée. Une nuée de papillons multicolores virevoltaient tout autour, se posant de temps à autre sur l'imposant parterre de narcisses jaunes et de lys.

Une immense constellation d'effigies divines dominait les lieux. Le travail du marbre était si fin que chaque âme foulant du pied le temple, se trouvait subjuguer devant une telle précision. Chacune d'entre elles, haute de plus d'une trentaine de pieds, était disposée de manière unique. Elles étaient portées par des cippes, sur lesquelles étaient gravés des prières.

Le dieu Zéphyr, coiffé de branches d'olivier était assis et tenait dans sa main droite un livre. Le dieu Mhor, de l'obsidienne à la place des iris, semblait dégager une aura sinistre. Le dieu Okheanos, d'une allure fière était débout, un sceptre d'or gemmé à la main droite, pointant l'horizon. Le dieu Capharnaüm, l'apparence enfantine, était assis la main gauche sur la joue. Il méprisait du regard son entourage, un orbe dans l'autre main. La déesse Ora, les bras tendus, se tenait débout d'un air accueillant, telle une mère prenant ses enfants dans ses bras. La déesse El, la chevelure abondante, tenait dans sa main une flamme. Le Dieu Yorikh, le regard hargneux, frappait de son marteau une épée posée sur une enclume. Gisaient parmi elles, trois statues brisées. L'une sans tête, l'autre sans torse, et la dernière, il n'en restait que les pieds. Le prêtre s'arrêta, se retourna, tendit les bras et déclara sous un ton presque sentencieux :

—   Soyez le bienvenu dans les Jardins de l'Aurore.

Au même moment, une douce brise vint balayer les feuilles mortes éparses sur le sol. L'enfant apprécia son effet : l'homme semblait être subjugué par la beauté des lieux. Au milieu de ces immenses représentations le méprisant, une seule question saisissait son esprit :

—   Certaines statues sont brisées et les prières de certaines stèles effacées... Pourquoi donc ? demanda-t-il d'une voix grave.

Intrigué, le gamin inclina légèrement la tête. Il ne semblait pas comprendre l'intérêt d'une question à la réponse pourtant si évidente.

—   Pour l'ignorer, vous devez venir de très loin... Probablement des terres par-delà le Grand océan.

Il prit le silence de son interlocuteur comme une réponse affirmative. Il entreprit alors de lui raconter tout ce dont il lui était nécessaire de savoir.

Il y a plus de cent cinquante ans déjà, lui dit-il, des calamités s'abattirent sur l'empire d'Amelankh. La peste bovine emporta le bétail, la famine chronique décima les populations, et l'hiver sans fin empêcha de mettre quoi que ce soit en terre. Tandis que l'empire était au bord de l'extinction, monta sur le trône Sa Majesté Amelankh Rozalia IV, bénie des dieux et porteuse de leur volonté. En effet, quatre dieux s'étaient rebellés contre le Panthéon et étaient à l'origine de tous les malheurs frappant l'empire. Lorsqu'elle atteignit la majorité, elle leva une armée, la plus grande ayant jamais existé sur le continent. Elle déclencha alors une guerre d'inquisition afin de purifier le continent de toute adoration des dieux félons.

C'est ainsi que cent années plus tard, la guerre prit fin avec la chute du royaume Parsec. Le continent était désormais unifié sous le joug de Sa Majesté l'impératrice, et ne louait que les six divinités restantes du Conseil. Prospérité et opulence noyèrent à nouveau l'empire, signant ainsi l'avènement d'une nouvelle ère.

Il cessa son récit constatant que son allocutaire semblait agacé. Cette réaction l'intrigua bien plus que les bandages ensanglantés recouvrant son corps.

—   Quelles sont les calamités dont sont accusés lesdits dieux félons ? demanda sèchement l'homme en s'avançant vers une statue en particulier.

—   Tempêtes, maladies, hiver infini et ouragans furent l'œuvre de la déesse Lyra et du dieu Leus. Ils privèrent également les Hommes de leur lumière divine bienveillante. Quant à Drakharys, le dieu de la Guerre, il instigua la haine dans le cœur des hommes.

—   Balivernes ! Jamais je ne me serais rendu coupable de tels enfantillages !

—   Comment ça vous...

La phrase de l'homme de foi fut coupée nette. Ses pupilles s'effacèrent peu à peu et une aura lugubre enveloppa son corps. Il fut saisi par de légers tremblements, sous le regard intrigué de son allocutaire. Sa respiration devint saccadée à mesure que le miasme ténébreux grandit. Il ferma les yeux et esquissa un sourire malicieux. Lorsqu'il les rouvrit, ses pupilles avaient abandonné leur lueur dorée, pour se parer d'une teinte vert opaline sinistre.

—   Bonjour dieu de la Guerre, lança-t-il d'un brin de voix moqueuse.

Son interlocuteur se crispa tandis qu'une veine rageuse se dessina sur son front. Il fulminait.

—   Voyons ! Pourquoi ce regard meurtrier ? Prendre la vie de tous ces innocents n'a-t-il donc pas assouvi ta soif de sang ? déclara le garçon après s'être fendu d'un rire sardonique.

—   Une possession divine... Capharnaüm ! marmonna le susmentionné, serrant les poings à en faire craquer ses phalanges.

—   Lui-même... Ou presque. Au fait mon cher Drakharys, depuis plus d'un siècle déjà, me suis toujours posé une question. Quel a été l'élément déclencheur de votre folie ? Maudire tout un peuple, je dois avouer que c'est très mesquin, dit-il, moqueur.

—   Fourbe c'était donc toi ! User du chaos au sein du Conseil pour faire des dieux insoumis des parias. De quel droit oses-tu te présenter face à moi après un tel affront ? hurla le susnommé, les lèvres frissonnantes de colère.

—    Oh ai-je fait cela ? Hum... Qui sait ?

Le possédé s'accroupit et se mit à dessiner des motifs sur le sol. Il ne tarda pas avant de dire :

—   Tu ne le sais sûrement pas mais... Les prières sont un peu comme un...bonus pour nous les divinités. Chaque parole de louange qui nous est adressée nous renforce, croire en nous amplifie notre puissance. Alors dis-moi, pourquoi prieraient-ils encore des dieux fous ? Quand ils peuvent louer ceux bienveillants qui se « soucient » d'eux ?

Un plan sournois, mais intelligemment pensé... Le maître d'œuvre ne peut être que Zéphyr. Aussi machiavélique qu'il puisse être, le dieu des Calamités est bien trop immature pour concevoir un tel schéma, se dit le dieu de la Guerre.

—   Vulgaire furoncle ! C'est avec une joie non contenue que je t'étriperai et répandrai tes entrailles sur ce havre factice.

Sa plaie s'étant rouverte, Drakharys eut grand mal à dissimuler un râle de douleur. Il posa sa main sur son abdomen et se rendit compte qu'il se vidait peu à peu de son sang.

—    Tant de violence dans un seul être... Quelle désolation, répondit Capharnaüm en se levant. Regarde-toi ! Tu es si pathétique. Pas d'essence divine, pas de prière, rien ! Es-tu stupide ? Dois-je te l'expliquer convenablement ? Tu n'existes plus, tu n'es rien d'autre à présent qu'un être faible et oublié de tous, proféra-t-il.

Accusant le coup, stupéfié par les dires de celui qui se tenait devant lui, le dieu déchu ne pipa point mot, ruminant une rage noire. Les paroles de son interlocuteur faisaient écho dans sa tête, se réverbérant à l'infini.

—    Quoi qu'il en soit, c'est ici que la grâce que t'a accordée Zéphyr prend fin, dit-il en se déambulant nonchalamment vers son allocutaire.

—    Où veux-tu en venir ?

Il n'eut que pour seule réponse un rire moqueur. Le gamin s'écroula sur ses genoux, l'aura néfaste qui planait au-dessus de lui s'en était allée : il était redevenu lui-même. Lorsqu'il se releva, il épousseta sa robe avant de prendre la parole :

—    ­Dommage que je doive vous tuer... Je commençais pourtant à vous apprécier.

Il tint de ses deux mains son sceptre et le frappa contre le sol. Les runes parsemant le bâton s'animèrent d'une lueur verte. Des bruits de cloches retentirent à mesure que les glyphes s'activaient. Drakharys déchiffrait la séquence d'activation, mais ignorait quel sort elle invoquait. Maladie. Maladie. Soumission. Terreur.
En un instant, l'espace et le temps furent comme figés. Un doux vent vint glacer le dos de l'homme aux prunelles écarlate. Il était attentif, patientant le danger qui était désormais imminent. L'atmosphère était tendue, car depuis lors rien ne s'était encore passé. Un sourire mélancolique se colla sur le visage de l'homme de foi et il poursuivit :

— J'étais sincère quand je disais que je vous apprécie.

Soudain, des grognements surgirent de derrière le dieu déchu. Il jeta une œillade dans son dos, en gardant de face son véritable adversaire. Deux énormes molosses aux griffes et crocs acérés le scrutaient. Une moitié de leur corps était recouverte de miasmes, dégoulinant sur le sol. L'autre moitié, presque putréfiée, était rongée par une étrange maladie. Une senteur mortuaire émanait de leur corps. Un brin agacé, Drakharys siffla entre les dents :

— Penses-tu que des créatures aussi ridicules peuvent représenter une menace pour moi ?

Il étendit alors sa main, y concentrant toute son énergie afin d'appeler depuis le néant une épée de flammes et de cendres. Mais rien ne se produisit, ni une étincelle ou même un pétale de cendre. Rien. Alors revint dans l'esprit du dieu de la guerre le douloureux souvenir de la perte de son essence divine. Ainsi que d'intenses céphalées.

— C'était donc vrai, vous avez réellement perdu tout votre pouvoir, déclara son adversaire. Je me risque à penser que c'est pour cette raison qu'il m'a confié cette tâche.

Il inspira un long moment pour se donner du courage et articula lentement :

— Tuez-le...

Comme tirés par des fils invisibles, les chiens se catapultèrent brutalement sur Drakharys. Se propulsant en arrière, il les vit s'écraser sur le sol, telles des météorites. Les bêtes se révélèrent et fusèrent à nouveau sur lui. S'ensuivit une série d'esquives qui perdirent rapidement en efficacité. Ses roulades et ses éludassions devinrent moins adroites. Les molosses quant à eux devinrent plus agressifs, plus féroces. Leurs griffures déchiraient ses vêtements, et leurs morsures devenaient plus compliquées à éviter. Inéluctablement, le dieu déchu commença à se fatiguer.

Quelle est cette sensation étrange ? Mes membres peinent à suivre mes déplacements, pensa-t-il, transpirant à grosse goutte. Je devrais m'éloigner afin de les attirer vers un lieu plus spacieux.

— Je vois que vous connaissez le danger auquel vous faites face, lança le gamin.

Brusquement, le dieu guerrier s'élança en direction des marches qu'il dévora en quelques sauts. Sans surprise, les molosses ne le quittaient pas d'une semelle, sans jamais faiblir. Au bout d'un moment, les miasmes les recouvrant se répandirent sur l'intégralité de leurs corps. Elles poussèrent alors d'atroces cris stridents. Leurs carrures s'étaient d'avantage développées, et leur aura se voulait plus meurtrière.

Ayant rejoint la cour dans laquelle il avait rencontré son ennemi, le dieu de la Guerre faisait face à des monstres débordant de puissance. Quant à lui, il découvrait la fatigue. Les muscles cédant sous l'effort répété, les poumons brûlant à cause du manque d'air. Il comprit qu'il lui était impossible de remporter la bataille dans cet état. Froissant son ego, il l'accepta. Il battrait en retraite devant des bêtes qui n'auraient auparavant jamais pu l'inquiéter, pas même durant son sommeil. Il recula lentement, tandis que les chiens avançaient dangereusement. Cependant, il était conscient que s'échapper lui était impossible si ces bêtes continuaient à le scruter. Il lui fallait détourner leur attention.

C'est alors qu'un énorme sac les survola, s'écrasa sur le sol et libéra une immense brume de farine. Il profita de cette diversion pour s'enfuir et disparaître dans une ruelle au loin. Les chiens entamèrent alors leur chasse à l'homme quand s'écria le prêtre, d'un geste brusque :

— Non, surtout pas. Je ne voudrais pas prendre le risque de blesser un de nos précieux fidèles, ordonna l'enfant qui les observait au loin, descendant lentement les escaliers.

Ses créatures s'arrêtèrent net et se changèrent en ombre qui se fondit dans les miasmes. Un grand nombre de templiers, portant des revêtements intégraux en fer, apparut. Une fois près du grand-prêtre, l'un d'entre eux, celui qui semblait être le capitaine, s'écria :

— Votre Excellence, qu'est-il arrivé ? Nous avons ressenti les effets de votre magie quelques instants plus tôt.

— Sonnez les cloches, dit-il brièvement, nous avons un renégat à traquer. Je ne dois donc pas vous rappeler que je compte sur vous pour ne pas le laisser s'échapper, ajouta-t-il sommairement.

—   À vos ordres !

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