« Regarde-moi faire ! »
J'ai baissé les yeux sur la première question imprimée sur le papier devant moi et mes espoirs d'obtenir une note décente pour ce questionnaire disparaissèrent instantanément. J'avais essayé d'étudier après être sortie de la douche la nuit dernière, mais les pensées dans ma tête avaient été trop fortes et j'avais fini par ne parcourir que deux pages du manuel en vingt minutes.
J'avais espéré qu'une douche froide me réveillerait, mais le sentiment de vigilance que j'avais ressenti lorsque je suis sortie des toilettes n'avait duré que quelques minutes.
Maman était entrée et m'avait vue penchée sur la table de la cuisine, la fatigue intégrée dans mes traits. Elle m'avait suggéré de me coucher de bonne heure, en m'envoyant balader quand j'avais exprimé des protestations sans conviction. Mes jambes m'avaient portée dans les escaliers, mais c'était comme si elles appartenaient à quelqu'un d'autre. Je ne savais pas d'où venait la force ou la volonté de les faire bouger. Je me suis endormie dans mon lit avant même que ma tête ne frappa l'oreiller.
Notre professeur regardait fixement son ordinateur, capturé par un article qui parlait probablement d'un concept scientifique que je ne comprennais pas. Je me suis retournée pour regarder les réponses de Tobin, et elle déplaça sa fiche vers le bord de son bureau aussi subtilement que possible. D'habitude, j'excellais dans les matières sans avoir besoin de tricher, mais quelque chose au sujet de la Physique me donnait envie de me cogner la tête contre le bureau pour galvaniser mon cerveau jusqu'à ce que j'ai un déclic.
Tobin avait toujours été meilleure en mathématiques que moi, alors elle m'aidait de temps en temps, quand j'étais perdue.
Le son strident de la sonnerie du téléphone me fit me retourner face à l'avant de la classe et Tobin glissa rapidement son papier loin de moi. Notre instructeur sursauta au bruit soudain, mais prit rapidement l'appareil et prononça un message de bonjour.
— Oui, elles sont ici. Je vais les envoyer tout de suite, il remit le téléphone sur le combiné et regarda droit vers Tobin et moi. Le principal veut vous voir toutes les deux dans son bureau. Vous devriez probablement partir là-bas le plus tôt possible. Ne vous inquiétez pas pour le test ; je vous laisserai le faire la semaine prochaine.
J'entendis Tobin respirer profondément et instinctivement, j'ai tendu la main derrière moi pour lui donner un coup de main. Mon angoisse monta aussi, mais mes nerfs me perturber n'allait pas aider ma milieu de terrain à se sentir mieux. Je lui ai serré la main, puis nous avons récupéré nos sacs et nous sommes dirigées vers le hall.
La promenade jusqu'au bureau de la principale fut longue.
Tobin me lâchait la main toutes les quelques secondes, seulement pour initier à nouveau l'interrelation de nos doigts quand elle avait besoin de l'assurance que tout allait bien se passer. Je voulais lui dire quelque chose, n'importe quoi pour qu'elle se sente plus détendue, mais je suis restée péniblement silencieuse.
Nous prenions un risque énorme, et il était très probable que le plan que nous avions élaboré avec Mme Foudy soit anéanti.
Quand nous sommes arrivées au bureau principal, j'ai enroulé mes bras autour de Tobin et je l'ai serrée contre moi jusqu'à ce que son rythme cardiaque ralentisse. Elle se relâcha au fil des secondes pour se fondre en moi comme le reste du monde et tous les problèmes qu’elle avait connus n'avaient jamais existé.
— Alors, qu'en est-il de ce rendez-vous ?
Je me suis éloignée et j'ai mis son visage dans mes mains, juste pour pouvoir la regarder un petit peu.
— Sautons juste la partie des rendez-vous et marions-nous, dis-je la faisant sourir et échapper un léger rire.
— Si tu insistes.
J'aurais pu vivre en cet instant pour toujours, la regarder et dire toutes les lignes sinueuses qui me traversaient la tête. La porte fermée nous séparait de tout ce qui pouvait nous séparer.
— Prête ?
Elle secoua la tête, puis attrapa la poignée de porte, son autre main ne quittant jamais la mienne.
— Aussi prête que jamais.
Il faisait froid dans le bureau du directeur. Il se trouvait derrière son bureau, qui était parsemé d'une grande tâche de café peu attrayante qui s'étendait du porte-crayon à une pile de formes diverses située dans le coin droit du meuble. Une photo de sa femme en robe blanche est posée sur une étagère derrière lui, à côté d'une photo de l'équipe de football entassés autour d'un trophée et tendant leur index. Quelqu'un avait utilisé une écriture argentée car « Merci » était écrit au-dessus de la tête des garçons en lettres ressemblant à des étoiles difformes dans le ciel nocturne.
— Tobin. Alex. Asseyez-vous, s'il vous plaît.
Je voulais être forte pour Tobin, car elle avait beaucoup plus à perdre si les choses tournaient mal. Mais m'asseoir amorça le retour du même sentiment d'impuissance que j'avais ressenti la dernière fois que je me suis retrouvée dans ce bureau. Cet homme pouvait faire virer ma mère. S'il le voulait vraiment, il pouvait lancer une bombe dans les fondements de ma vie.
Mes pensées pessimistes furent interrompues par l'entrée de Foudy. Elle avait un siège à côté de son patron et plaça son ordinateur portable sur le bureau entre nous, son comportement contrastant nettement avec le mien. Sa confiance semblait gêner l'homme à côté d'elle, qui lui jeta un coup d'œil vitriolique avant de se racler la gorge.
— Mesdemoiselles, Mme Foudy m'a informé d'un incident survenu lors du match de football vendredi soir. Je me suis rendu compte que vous aviez toutes les deux essayé de m'informer de cet incident et qu'après réflexion, l'on pourrait dire que j'ai traité vos témoignages assez... mal.
Les yeux de Tobin étaient des ardoises vierges. Elle était en colère, tellement en colère qu'elle avait décidé de masquer entièrement ses émotions afin de les empêcher de la submerger.
— Je le reconnais. Maintenant, j'aimerais que tu me dises ce qui s'est passé cette nuit-là, il me regarda, tout sera enregistré et le fichier contenant ton compte-rendu sera envoyé au bureau de district du centre-ville, où l'un de mes supérieurs examinera les détails du cas et décidera si j'ai pris les mesures appropriées en réponse aux événements récents.
Je ne dis rien. Ma bouche restait ouverte, mes lèvres incapables de former des mots.
— Alex, tu dois coopérer avec moi.
Je suis allée à un enterrement une fois, quand j'étais à l'école primaire et l'un des collègues de ma mère avait perdu une bataille contre le cancer du pancréas. Je ne le connaissais pas très bien, mais j'avais déjà joué au football avec sa fille. Ma curiosité m'avait obligée à approcher le cercueil pour toucher sa main, mais j'avais immédiatement sauté en arrière quand j'ai senti à quel point sa peau était froide.
Kelley était avec moi et elle m'avait dit quelque chose qui m'a fait me sentir dans un roman de Stephen King.
— Mon père a dit qu'ils remplissaient les cadavres avec des produits froids. Pour les garder au frais.
C'était ce que je ressentais alors que tout le monde me regardait, attendant que je vive et parle. Comme un cadavre préservé, rempli à ras bord de substance froide.
— Tu ne dois rien dire du tout, Tobin reporta son attention sur le principal et moi. Elle n'est en aucun cas obligée.
— Cela aiderait le rapport...
— Merde le rapport ! Vous avez la vidéo...
Foudy intervint, essayant d'empêcher la conversation de s'intensifier davantage.
— D'accord, d'accord, calmons-nous. Écoutez, Tobin a raison. La vidéo est plus que suffisante pour prouver que Servando a agi de manière inappropriée et que des mesures disciplinaires devaient être prises. Je suis sûre que le surintendant n'aura pas besoin d'une déclaration d'Alex pour confirmer ce que la vidéo montre déjà.
Il n'aimait clairement pas qu'on lui dise quoi faire, mais il n'essaya pas de discuter avec Foudy. Elle l'avait effectivement remis à sa place. Il ne pouvait exprimer sa frustration qu'en écrivant de manière agressive un commentaire sur un papier jaune posé à l'intérieur d'un dossier ouvert.
— Je suppose que les faits sont suffisamment clairs pour rendre un statut personnel plutôt inutile. Je suis sûr que le comité disciplinaire du centre-ville conviendra que l'expulsion est requise.
— Attendez, j'ai regardé Mme Foudy, redécouvrant soudain ma voix. Pourquoi est-ce que c'est envoyé au centre-ville ?
Le principal répondit à ma question.
— C'est un protocole requis. Lorsqu'un élève est expulsé, il lui est interdit de fréquenter une école du district. Un groupe de plusieurs employés du district doit donc approuver l'expulsion avant qu'elle puisse entrer en vigueur.
Foudy tendit la main à travers la table et attrapa ma main de manière rassurante.
— Je peux t'assurer qu'ils vont l'approuver et que la vidéo ne sera pas rendue publique. Ils ont pour mission de préserver la confidentialité des informations personnelles concernant les étudiants.
Je devais faire confiance à Foudy. Elle a dit que je n'avais rien à craindre, alors je devais mettre de côté les préoccupations que je pouvais avoir pour le moment.
— Tobin, j'ai déjà annulé la suspension de ton dossier. Les universités ne verront aucune infraction de comportement lorsqu'elles l'examineront, il lui tendit un papier avec l'étiquette CIF en relief dans le coin inférieur. Un appel rapide au bureau de la section sud a confirmé que tu étais éligible pour jouer lors du prochain match de ligue. Montre-le simplement à l’entraîneur Ellis à l’entraînement pour qu’elle sache qu’elle n’a pas à te tenir à l'écart.
Tobin lut le court paragraphe.
— Je... je ne sais pas quoi dire.
— Un simple « merci » suffit.
— Je préférerais...
Foudy prit la parole avant que la remarque puisse quitter la bouche de Tobin.
— Eh bien, je suis contente que nous ayons pu tout résoudre. Tobin, Alex, vous pouvez partir.
Je suis surprise que ça se soit terminé si soudainement, mais je n'ai pas posé de questions et je me suis dépêchée de sortir de la salle le plus rapidement possible, Tobin juste derrière moi. Dès que nous étions dans le couloir, j'ai serré mes bras autour de son torse et l'ai soulevée du sol, mon soulagement palpable. Je pouvais la sentir sourire contre mon oreille lorsque j'ai frotté le nez dans le creux de son cou.
— Nous gagnerons ce championnat, elle renoua avec le sol.
— Ligue ? Ou national ?
— Les deux, espérons-le.
Elle rit, mais je pouvais voir une nébuleuse qui se cachait derrière le soleil dans ses yeux. Ma personne préférée sur Terre devait encore se frayer un chemin dans son champ de mines personnel, et tout ce que je pouvais faire, c'était la regarder, mon soutien indéfectible n'ayant pratiquement aucun impact sur son parcours.
Si elle marchait sur un explosif en empruntant le chemin que je l’avais convaincue de suivre, je ne pouvais que la regarder être éjectée, puis supporter le poids de son corps estropié et de ma propre culpabilité lorsque la poussière s'effacerait. J'avais tout fait pour montrer à Tobin le chemin de la sécurité ; elle devait prendre ces dernières mesures elle-même.
— Qu'est ce que tu vas faire ?
Elle étira les lèvres sur un côté de son visage, comme si nous discutions de quelque chose d'aussi désinvolte que de se préparer à faire nos devoirs.
— Je vais rentrer à la maison après l'école, prendre la valise que j'ai préparée la nuit dernière et dire à ma mère que je quitte la maison. Si... eh bien, quand... elle tentera de m'arrêter, je menacerai de montrer toutes mes contusions et mes cicatrices aux services de protection de l'enfance. Elle devra me laisser partir.
— Tu n'as pas peur ?
— Je suis terrifiée, elle sourit. Mais je veux que tu penses que je suis cool, alors je fais de mon mieux pour paraître courageuse.
J'ai secoué ma tête et l'ai tiré avec moi alors que je me dirigeais vers la sortie du bâtiment.
— Je pense déjà que tu es courageuse.
L'image de Tobin, qui me regardait avec des graviers dans ses cheveux, apparut dans mon esprit. Je me rappelais encore à quel point le soleil derrière sa tête était brillant cet après-midi-là et à quel point mon propre sang était chaud, alors que je sortais de mon état d'alerte. Tobin n'avait aucune peur lorsqu'elle avait couru devant ce monstrueux camion pour me sauver la vie il y a trois ans. Pendant quelques instants fugaces, l'idée de mourir pour s'assurer que je pouvais m'épanouir ne l'avait pas mis en phase.
Elle résista et murmura des protestations fragiles, mais son opposition n'était pas assez forte pour entraver mes efforts pour la conduire dehors. J'ai pensé à une destination particulière, mais je gardais cette information pour moi lorsque nous parcourions le parking jusqu'à ma voiture.
— Où allons-nous ?
— Loin d'ici, j'ai sorti ma main libre pour prendre les clés de ma voiture de ma poche. Juste un peu.
—————
J'ai mené Tobin à la plage.
Les gens en Californie avaient tendance à prendre pour acquis leur proximité de la plage en y allant environ deux fois par an, en été, même si la ville la plus orientale de l’État doré n'était qu’une conduite peu commode mais durable de l’océan.
Diamond Bar se trouvait à quarante minutes à peine du rivage et, avec le dernier album de Hippo Campus qui passait à travers les haut-parleurs, le trajet était deux fois moins long. La mer verte devant nous s’étendait vers l’horizon jusqu’à ce qu’elle se connecte au ciel gris au-dessus de nos têtes.
Quelqu'un avait peint sur le mur d'une cabane une peinture murale représentant une petite fille qui courrait vers un groupe de chiens. Elle vendait des planches de surf pendant les mois les plus chauds. Elle portait un deux-pièces, car l'été ne finissait jamais dans le monde coloré qu'elle habitait.
J'ai pris la couverture pliée dans mes bras plus près de ma poitrine et ai réfléchi à la façon dont ce temps nuageux améliorait réellement l'atmosphère générale autour de nous. Peu de gens venaient à la plage par une fraîche matinée de mi-novembre. Tobin et moi avions donc pratiquement tout le rivage pour nous seules.
— Pourquoi la plage ?
Je me suis assise à côté d'elle, en prenant soin de ne pas mettre de sable sur la couverture.
— Tu aimes la plage. C'est comme ton endroit préféré dans le monde.
Elle haussa les épaules.
— Quand j'habitais dans le New Jersey, j'allais à la plage presque tous les jours en été. Mes amis et moi surfions, jouions au football et embêtions les maîtres nageurs pendant des heures. Ils étaient tellement habitués à ce qu'on les dérange tout le temps qu'ils nous connaissaient tous par nos noms. Quand mon père m'a dit que nous déménagions en Californie, je craignais que tout ne soit complètement différent, que rien ne soit pareil, mais j'avais tort. La plage a le même sentiment. La plage était quelque chose que je ne devais pas lâcher, quelque chose que je devais garder.
J'ai posé ma tête sur son épaule.
— Est-ce que ça te manque ? Le New Jersey, je veux dire.
Elle y réfléchit un instant, puis secoua la tête.
— Non, pas vraiment. Pour tout ce que j'ai perdu, j'ai trouvé quelque chose de nouveau. J'ai peut-être beaucoup perdu, mais Dieu m'a conduite ici pour que je puisse te rencontrer.
J'ai voulu pleurer quand j'ai saisi le poids de ses mots, mais ça aurait vraiment gâché l'ambiance, alors je l'ai embrassé à la place.
—————
— Je serai juste ici, d'accord ? Dès que tu auras tes affaires, reviens ici et je t'aiderai à les mettre dans le coffre et nous partirons, okay ? Foudy dit qu'elle a tout prévu pour toi : une chambre, un lit, de la nourriture, tout ce dont tu as besoin, et si tu oublies d'attraper quelque chose à l'intérieur ou que tu te rends compte que tu as besoin de quelque chose, je t'emmènerai le chercher, d'accord ? Il y a une cible juste à côté de...
— Alex, elle me prit la tête dans ses mains. Je pense que tu stresses plus que je ne le suis en ce moment.
— Je sais, je sais... Je veux juste que... j'ai tapé du doigt anxieusement sur le volant. Je veux juste que tu sois en sécurité.
— Je le serai. Je sais faire du karaté, tu te souviens ? elle fit semblant de couper le tableau de bord comme l'idiote qu'elle était, mais je ne pouvais pas me résoudre à rire. D'accord, d'accord, peut-être que ce n'est pas le meilleur moment de faire des blagues.
Je ne savais pas comment prendre ça au sérieux.
— Promets-moi juste que tu reviendras ici si les choses tournent mal, d'accord ?
— Rien ne va mal se passer. Quand je reviendrais ici, tout ira bien, elle ouvrit la porte du passager.
— Fais attention. S'il te plaît.
— Je le ferai, Lex, elle sortit de la voiture maintenant, seule. Promis.
Les dix prochaines minutes ont été les dix minutes les plus angoissantes de ma vie. J'ai regardé la plaque d'immatriculation de la voiture de Mme Heath, pensant à quel point la puanteur serait horrible le matin si je jetais une douzaine d'œufs sur le véhicule maintenant. J'en avais un carton sur le siège arrière, parce que ma mère m'avait demandé d'en prendre quelques-uns au Stater Brothers local hier.
J'ai essayé de me calmer avec la radio, juste pour me remplir la tête de quelque chose autre que de mes propres soucis. J'ai été profondément déçue quand j'entendis une femme conservatrice radicale jetter des phrases homophobes à travers les ondes. J'ai activé le bluetooth sur mon téléphone pour mettre de la musique. Je finis par parcourir toute ma liste de lecture, car toutes les chansons étaient trop optimistes pour mon humeur actuelle.
Frustée, j'éteignis complètement la radio et sortis de la voiture. Tobin allait avoir besoin d'aide pour mettre ses valises dans le coffre, alors je pouvais aussi bien rester sur le trottoir, prête à l'aider.
Je suis devenue plus alerte lorsque la porte d'entrée de la maison des Heath s'ouvrit soudainement et Tobin sortit à l'extérieur avec un sac de sport en bandoulière sur son épaule et une valise à la traîne. J'étais prête à m'avancer vers elle et à charger ses affaires dans ma voiture le plus rapidement possible, mais elle ne semblait pas être pressée. Ses pas étaient lourds, douloureux, comme si ses pieds étaient des blocs de béton. Mon milieu de terrain préféré s'arrêta au bord de son porche et se retourna pour faire face à la personne qui la suivait.
— Tobin.
J'ai fait un pas en avant, mais je me suis arrêtée moi-même, supprimant mon propre malaise.
La lumière du porche illuminait parfaitement les traits nets de la paire. Tobin avait les larmes aux yeux, mais elles ne coulaient pas sur ses joues comme celles de sa mère.
— Tobin, s'il te plaît, la matrone désemparée s'approcha de sa fille et s'étouffa en sanglotant lorsque Tobin fit un pas en arrière, se distançant de sa main tendue. Tobin, je vais chercher de l'aide, je vais l'avoir, je le jure.
— Maman...
— Je sais, je sais que j'ai déjà dit ça, mais je le pense vraiment cette fois, mon bébé, je le pense vraiment.
— Maman, s'il te plaît...
— Je t'aime tellement, mon petit bébé, je t'aime.
— Je t'aime aussi, maman, mais je...
— Alors reste. Reste si tu m'aimes, reste et aies confiance en moi, sois confiante dans le fait que je puisse aller mieux, elle agrippa la main de Tobin et la tint contre sa poitrine. C'est tout ce dont j'ai besoin. Tout ce dont j'ai besoin, c'est que tu aies foi en moi.
Tobin fit un autre faible pas en arrière, loin de Mme Heath et vers la voiture qui la mènera loin d'ici. Elle se couvrit la bouche d'une main tremblante.
— Je ne peux pas faire ça, maman. Je suis désolée. Je suis vraiment désolée.
Mme. Heath attrapa les vêtements de sa fille, désespérée.
— Tobin, tu es tout ce que j'ai. Tu es tout ce qu'il me reste de lui.
Tobin se détacha de sa mère et commença à reculer plus rapidement.
— J'ai confiance en toi, maman. Mais je ne peux pas rester ici.
Sans se retenir sa fille, Mme Hearh tomba sur ses genoux, ses mains levées dans les airs, à la recherche de mains qui ne la cherchaient pas, qui ne la cherchaient plus.
— Je suis désolée, maman. Je suis désolée, tellement désolée.
Et puis Tobin était devant moi.
Je lui ai enlevé ses sacs et je les ai fourré dans le coffre, mes mouvements rapides et négligents. J'ai sauté dans le siège du conducteur et je m'en suis allée sans regarder en arrière, mes mains agrippant le volant si fort que mes jointures commençaient à blanchir.
Ce ne fut que lorsque nous avons atteint un panneau stop que je me suis détendue et que j'ai regardé Tobin pour voir comment elle allait. Je m'attendais à ce que son visage soit caché dans ses mains parce qu'elle pleurait, mais elle n'essayais même pas de masquer ses émotions. Elle appuyait son front contre la fenêtre et laissait les sanglots la frapper comme des vagues, avançant et reculant sans cesse. Les sons venant de sa poitrine me donnaient envie de protéger mes oreilles.
Il n'y avait rien de plus horrible que les sons de quelqu'un que vous aimez quand il souffrait.
Le trajet a été long. La maison de Foudy n'était pas bien loin, mais une convention d'affaires se tenait à proximité. Les rues étaient remplies de berlines conduites par des personnes qui ne connaissaient pas bien les routes de la ville.
Les bouchons me donnaient mal à la tête et envie de renverser tous les conducteurs impuissants et léthargiques autour de moi, mais je me contrôlais jusqu'à ce que nous atteignions notre destination.
Le soleil se couchait lorsque nous sommes enfin entrées dans l'allée de notre professeure préférée. Elle nous attendait avec son fidèle golden retriever assis à ses pieds. Je suis sortie de la voiture pour lui parler.
— Hey.
— Alex, elle regarda Tobin, qui appuyait toujours son front contre la fenêtre. Comment ça s'est passé ?
Mon milieu de terrain préféré ne pleurait plus, toutes ses émotions lui ont échappé sous forme de larmes indescriptibles et de cris gutturaux.
— Pas génial, mais elle ira bien.
Tobin ne dit pas grand chose alors que nous nous dirigions vers l'intérieur et montions les escaliers menant à la pièce dans laquelle la fille de Foudy était restée avant d'emménager avec son petit ami. Il y avait une photo de famille sur la table de chevet à côté du lit, mais il n’y avait aucune autre touche personnelle dans la pièce. Les murs étaient blancs et nus, et la couette et l'oreiller du lit étaient d'une nuance de gris neutre.
J'ai regardé autour de moi et n'ai vu aucun autre meuble, alors je ne suis assise sur le lit. Tobin était assise à côté de moi et regardait autour d'elle aussi.
— Je devrais mettre des posters ou quelque chose comme ça.
— Nous en prendrons demain.
— Peut-être que nous pourrions faire une soirée pyjama... ?
Foudy franchit la porte ouverte, portant un sac en plastique à flèches jaunes.
— Je ne sais pas à ce sujet. Mais tiens, je me suis arrêtée chez In-N-Out sur le chemin du retour.
Tobin prit avec gratitude la nourriture et la plaça sur la table de nuit à côté de son lit.
— Je vous remercie.
— Ne me remercie pas. Je serai dans le salon en bas si vous avez besoin de quoi que ce soit. Et vous pouvez me tutoyer.
J'ai aidé Tobin à défaire ses affaires, ce qui n'a pas pris longtemps. Sa valise contenait assez de vêtements pour durer une semaine, une petite boîte contenant ce que je supposais être la lettre de son père et un album photo relatant toute sa vie. Son sac de sport était rempli par ses équipements de football, et Tobin avait tout à fait raison de les avoir pris.
Nous nous sommes allongées sur le lit une fois que tout fut rangé et je suis restée avec elle jusqu'à ce que j'ai commencé à ressentir la somnolence me tirer les paupières. J'étais réticente à l'idée de partir, mais je savais que passer la nuit ici n'était pas une option. Dépasser mon accueil serait irrespectueux et Foudy m'avait fait peur pour une raison dont je ne pouvais pas mettre le doigt dessus.
Le trajet jusqu'à ma maison se déroula sans encombre, et l’atmosphère tranquille à l’intérieur m'a donné l’occasion de réfléchir. Ces dernières semaines avaient été épuisantes sur le plan émotionnel, mais les choses semblaient finalement s'arranger.
—————
Les gouttelettes tombant du ciel s'explosaient sur moi comme des roches. Le météorologue avait prédit qu'il pleuvrait ce soir, mais il n'avait donné aucune indication sur le fait que l'averse serait si intense. Ce qui avait commencé en léger vent s'était transformé en rafale avec d'énormes nuages noirs seulement quelques minutes après le coup d'envoi, incitant les arbitres à téléphoner au siège de la CIF.
Mes coéquipiers et moi avons supposé que le match serait reporté et avons commencé à démonter prématurément les poteaux de but. Quand il a été annoncé que le jeu allait continuer, nous les avons rapidement remis et sommes revenues à nos positions désignées sur le terrain.
Il ne pleuvait pas souvent à Diamond Bar, mais quand il pleuvait, il pleuvait vraiment beaucoup.
À la fin du match, mon uniforme était trempé, le tissu respirant adhérait à ma peau. Le gazon était complètement inondé et mes cales glissaient de temps en temps sur l'herbe artificielle lorsque je sprintais.
Seuls quelques parapluies pouvaient être aperçus dans les gradins, la plupart des personnes venues soutenir l’équipe avaient décidé de rentrer chez eux puisque le mauvais temps était devenu un inconvénient excessif.
Je me suis penchée et j'ai posé mes mains sur mes genoux, respirant fort et priant pour que le sifflet final sonne dans quelques secondes. Comme mes coéquipières, j'étais totalement épuisée et mes jambes me faisaient sentir comme si elles avaient été poncées.
Le tableau des scores indiquait que nous menions d'un seul point, mais ça pouvait changer à tout moment. Un coup d’œil vers les joueuses de Huntington autour de moi montrait que nos adversaires étaient aussi fatiguées que nous, mais elles avaient une détermination dans les yeux qui pouvait être considérée comme un avantage.
J'entendais Jill crier que nous devions relever le défi, que le jeu n'était pas terminé, mais le simple fait de me tenir droite me donnait envie de vomir.
Lorsque le son du coup de sifflet final me parvint, le fait de nous rendre compte que nous avions surmonté le plus grand obstacle qui nous séparait du championnat de la ligue me sortit de ma stupeur. Remplie de soulagement, je me suis dirigée vers la ligne de côté, où Tobin m'attendait avec un parka. Jill l'a retirée du jeu à dix minutes de la fin, afin de donner un peu de temps à l'une des élèves de la sous-classe.
C'était un geste risqué, car Huntington aurait pu utiliser l'inexpérience de Rose contre nous, mais la novice s'était plutôt bien débrouillée.
J'ai enroulé la veste surdimensionnée autour de moi et ai passé sous le E-Z UP, où mes coéquipières et le personnel se bousculaient comme des manchots.
— Ok, écoutez bien ! Jill devait crier pour que nous puissions l'entendre. Cette tempête ne fera qu'empirer ! Ne vous inquiétez pas pour l'équipement, nous le rangerons demain ! Rentrez chez vous !
Elle n'avait pas besoin de nous le dire deux fois. Nous nous sommes dépêché de rentrer dans les vestiaires et avons commencé à enlever nos uniformes mouillés, nos dents qui claquaient lorsque nous enfilions nos leggings et nos pulls molletonnés.
Tobin me prit la main pour attirer mon attention.
— Quand est-ce que ta mère vient te chercher ?
— Elle travaille cette nuit. Je suis venue en voiture toute seule.
— Tu veux venir chez Foudy et regarder un film ? Je lui ai déjà demandé. Elle a dit que ça allait, tant que tu dors dans la chambre d'amis.
— Okay, je dis, ma mère n'y verrait pas d'inconvénient et je m'attendais à devoir ramener Tobin chez elle de toute façon. Ouais, j'aimerais bien. Tu veux partir maintenant ?
Elle a levé son index, fouillé dans son sac de sport et en sortit un paquet de clés.
— Foudy a oublié son ordinateur portable dans sa classe. Elle m'a demandé si je pouvais le prendre avant notre départ.
— Bien. Je viens avec toi.
— Tu n'es pas obligée, elle releva sa capuche. Sa classe n'est pas très loin, alors ça ne devrait pas me prendre longtemps. Je te retrouve à la voiture.
Ma milieu préférée embrassa ma joue avant de partir. Et une fois partie, Kelley vint derrière moi et passa son bras autour de mes épaules, me serrant contre elle.
— Donc, OST a été un succès ?
J'ai levé les yeux au ciel et l'ai repoussée gentiment.
— Oui. Étonnamment.
La marche jusqu'à ma voiture était assez intense. C'était l'une des plus grosses tempêtes à traverser Diamond Bar depuis des années. Un éclair illumina le ciel au-dessus des collines sur ma gauche et un énorme bruit de tonnerre tomba sur le parking quelques secondes plus tard.
Je suis montée dans la voiture, j'ai allumé la clim et j'ai attendu que Tobin revienne.
Quinze minutes étaient passées, mais je me disais de ne pas m'inquiéter. Elle pouvait prendre soin d'elle-même et m'envoyait un texto si quelque chose n'allait pas.
Le pare-brise ressemblait à quelque chose que Van Gogh peindrait, j'ai allumé distraitement les essuie-glaces, transformant ainsi un peu de réalisme.
Il y avait un camion garé directement devant moi, l'arrière face à l'avant de ma voiture. J'ai plissé les yeux pour voir la plaque d'immatriculation.
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Ma prise sur le volant se resserra. J'ai regardé l'autocollant sur la fenêtre arrière.
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— Merde ! Non, non, non, non.
J'ai appelé Tobin avant de paniquer entièrement. Ma plus grande crainte était que son téléphone sonne, et resonne, jusqu'à ce qu'une voix automatique me demande de laisser un message vocal.
Au lieu de cela, il n'y avait même pas eu de sonnerie ; une voix automatisée m'atteignit immédiatement l'oreille.
Le numéro que vous essayez de joindre a été temporairement déconnecté. Veuillez réessayer plus tard-.
— Merde ! Putain, putain, putain !
J'ai sauté hors de la voiture et claqué la porte derrière moi.
La passerelle qui menait à la cours était si sombre que je pouvais à peine voir où je me dirigeais. J'ai mis la main dans ma poche pour sortir mon téléphone, seulement pour réaliser que j'avais laissé l'appareil dans le porte-gobelet de ma voiture. J'ai songé à le récupérer un instant, mais décidé que j'avais besoin de trouver Tobin le plus vite possible et j'ai continué de me diriger vers l'aile A.
Si je ne la trouvais pas, je reviendrais et j'utiliserais mon téléphone pour appeler quelqu'un qui pourrait m'aider.
Toute l'école était éteinte. Les points lumineux dans la cours n'étaient que des obstacles à éviter, et les fenêtres des bâtiments étaient juste des carrés noirs. J'ai réussi à me rendre dans le bâtiment A et à retirer mon sac dès que j'ai été sous l'auvent placé au-dessus de l'entrée.
J'étais sur le point d'entrer lorsque j'ai aperçu quelque chose de petit et de noir à côté de ma chaussure, qui reposait dans une flaque d'eau peu profonde.
Une partie de moi ne voulait pas se pencher et ramasser l'objet, mais je le fis tout de même. Je me sentais comme dans un film. Peut-être un thriller, peut-être un film d'horreur ; dans tous les cas, je ne m'amusais pas beaucoup.
C'était un Iphone X. Le téléphone que Tobin s'était acheté pour elle-même en utilisant l'argent qu'elle avait gagné en travaillant au complexe pendant l'été.
J'ouvris la porte, et je me suis senti légèrement soulagée de l'avoir déverrouillée. Ça signifiait qu'elle avait été au moins capable d'utiliser les clés pour entrer. Elle avait peut-être trouvé un endroit où se cacher.
Il n'a fallu qu'une seconde à mes yeux pour s'adapter à l'obscurité, pour distinguer où se trouvaient les casiers et quand j'allais devoir tourner dans un coin. Mes pas étaient prudents, mais le bas de mes chaussures de course était humide et émettait un léger grincement lors de la connexion avec le sol.
J'ai passé une minute à essayer de bouger si doucement pour que le bruit ennuyeux soit imperceptible, mais mes efforts étaient infructueux. Frustée, je me suis abaissée pour dénouer les lacets de mes chaussures afin de pouvoir les enlever.
Le son de quelqu'un qui approchait rapidement m'a fait me redresser automatiquement. Avant que je puisse comprendre ce qui se passait, les mains de quelqu'un me saisissèrent par les épaules, me poussant vers la porte.
— Alex. Alex, il faut que tu partes.
— Tobin, je devais la regarder pour m'assurer qu'elle allait bien. Tobin, que se passe-t-il ?
Ses yeux étaient pris de panique.
— Tu dois appeler quelqu'un, je ne vais pas y arriver.
— Qu'est-ce que tu veux dire, tu ne vas pas y arriver ?
J'ai baissé les yeux et constaté qu'un seul de ses pieds touchait le sol. L'autre planait dans les airs, mollement.
— Qu'est ce qu'il t'a fait ?
Elle continuait d'essayer de me repousser vers l'entrée du bâtiment.
— J'ai fait ça, Alex. J'ai glissé et je suis tombée sur ma cheville. Allez, Alex, s'il te plaît.
— Non. Non, je vais te porter...
— Il est trop rapide, Alex...
Une porte se ferma quelque part dans le bâtiment. Les pas qui suivirent étaient distants, non pressés, mais ils devenaient de plus en plus forts à chaque seconde qui passait.
— Tu dois y aller, maintenant.
— Je ne te laisse pas avec lui.
— Je ne sais pas ce qu'il va te faire, Alex. Tu dois partir.
Une silhouette apparaissant derrière elle me paralysa. Elle arrêta d'essayer de me pousser dehors quand elle se retourna et découvrit qu'il était trop tard. Il nous avait déjà trouvées.
— Tu n'es pas très bonne pour rester silencieuse, Al.
Je me suis tournée vers Tobin, qui était incapable de faire beaucoup pour m'arrêter avec sa cheville blessée, puis j'ai reporté mon attention sur lui. Ses yeux étaient fixés sur moi, sa tête légèrement inclinée. Il nous aborda lentement, comme s'il disposait de tout le temps nécessaire pour exécuter son plan sadique.
— Pourquoi es-tu ici ?
— Je voulais te parler, il avait des cernes noirs sous les yeux. À propos de ce qui s'est passé au match de football.
— Il n'y a rien à en dire.
Il secoua la tête.
— Mais c'est le problème. Tu n'as peut-être pas grand chose à en dire, mais moi si.
La prise de Tobin sur mon bras se resserra. Pour chaque pas que nous faisions en arrière, il faisait un pas en avant.
— As-tu une idée de ce que tu fais, Al ? Toute ma vie va être ruinée par cette vidéo que tu as dénichée. Ma famille va devoir déménager parce que je ne pourrais pas fréquenter d’écoles dans le district et parce qu’ils ne supporteront pas d'être entourés par des gens qui savent que leur fils est un échec. Ma saison se termine plus tôt. Chaque université me surveillant va découvrir que j'ai été expulsé. Toutes mes bourses vont être retirées. J'aurais pu aller à USC, Davis ou Stanford. Mes notes ne sont pas parfaites, mais elles ne sont pas horribles. Elles ne m'empêchaient pas d'être recruté.
J'ai senti la poignée de la porte se presser contre mon dos. Je pouvais le pousser et courir jusqu'à ma voiture pour sortir d'ici. Je pouvais le distancer, je savais que je pouvais. Mais Tobin ne pouvait pas, et tenter de s'échapper en la soutenant me ralentirait tellement que Servando nous rattraperait facilement.
— J'aurais pu être quelqu'un de génial. Même si je n'aurais pas pu me rendre à l'USMNT, jouer à l'université m'aurait permis de me faire un nom, d'être quelqu'un de respecté, quelqu'un que l'on aimerait.
J'ai regardé autour. Il y avait une alarme incendie sur le mur à ma droite et un chariot rempli de manuels à ma gauche.
J'avais une idée. Je devais juste attendre qu'il se rapproche un peu plus.
— Je ne sais pas ce que tu veux que je te dise, Servando. Je ne sais pas ce que tu veux que je fasse.
— Je veux que tu dises à tout le monde que je ne t'ai pas agressée. Je veux dire, allez quoi, c'était juste un baiser. Ça fait beaucoup de drame pour quelque chose d'aussi petit qu'un baiser.
Encore quelques pas.
— Tu savais que je ne le voulais pas.
— Ce n'est pas vrai ! il semblait aussi surpris que moi par le volume de sa voix, et il tenta rapidement de se reprendre. Ce n'est pas vrai. Tu... tu savais que je m'intéressais à toi et tu m'as laissé faire. Tu es venue au jeu, tu... Tu voulais que je fasse quelque chose.
J'ai secoué la tête à mon tour.
— Non, je ne le voulais pas.
Il y a eu un murmure dans mon oreille.
— Alex, va-t'en. S'il te plaît.
— Tu le voulais, je sais que tu le voulais, insista-t-il.
— Je ne le voulais pas.
— Dis-leur simplement que tu le voulais, Al.
J'ai répondu, les dents serrées.
— Ne m'appelle pas comme ça.
— Alors, dis que tu le voulais !
Il était assez proche maintenant. J'ai attrapé le chariot et j'ai utilisé toute ma force pour le pousser vers son corps. Il se l'est pris au niveau de la taille et il trébucha en arrière avant de tomber. Ses cris de douleur aigus résonnèrent dans tout le bâtiment.
Je ne perdis pas de temps à le regarder. J'ai tiré l'alarme incendie et je suis sortie dehors, le bras de Tobin drapé sur mes épaules.
Il pleuvait toujours très fort. Le son de l'alarme incendie rivalisait avec le son des gouttelettes d'eau frappant le trottoir. Des lumières rouges illuminaient l'environnement toutes les deux trois secondes, me permettant de traverser la cour sans me cogner contre l’un des nombreux bancs ou lampadaires enracinés dans l’herbe.
Tobin n'était pas lourde, mais sa blessure rendait les mouvements lents et difficiles. Elle faisait de son mieux pour avancer rapidement, mais c'était difficile à faire quand un seul pied est autorisé à toucher le sol.
— Alex, on avance trop lentement. Il va nous rattraper. Il ne va pas rester à terre.
Elle avait raison. J'ai encore regardé autour de moi et j'ai décidé qu'au lieu de passer par la passerelle pour retourner au parking, nous allions traverser l'un des bâtiments pour rester à l'abri des regards.
— Tu as toujours les clés de Foudy ? elle hocha la tête et les tira de sa poche. D'accord. Allez.
J'ai pointé en travers de la cour, vers le bâtiment qui était relié au parking.
— Garde les clés. On peut passer par l’aile E pour nous rendre à la voiture.
— On ne va pas y arriver.
— Mais on va essayer.
Tobin marchait quand même sur sa cheville blessée pour nous donner une meilleure chance de pénétrer à l'intérieur avant que Servando ne puisse nous retrouver. Des injures s'échappaient de ses lèvres lorsque la douleur devenait particulièrement dure à gérer.
— Laisse-moi te porter.
— Non. Non, je peux le faire.
— Ta fierté travaille contre nous, là, je me suis placée derrière elle pour que je puisse la prendre. On ira plus vite vers le bâtiment si je te porte. Il y a des marches et il te faudra un peu de temps pour les monter, même si tu t'appuis sur moi.
Elle me regarda, puis les escaliers, puis la porte du bâtiment dans lequel nous avons laissé Servando. La porte était toujours fermée ; soit il se remetait du coup du chariot, soit nous ne l'avions pas vu quitter le bâtiment.
— D'accord. D'accord, vas-y.
Elle n'a pas eu à me le dire deux fois. Je l'ai soulevée avec aisance et j'ai monté l'escalier en vitesse, ne la déposant que lorsque nous étions devant la porte de l'aile E.
Elle fouilla le trousseau de clés, cherchant celle avec un E gravé sur la proue. Je la voyais cligner des yeux chaque fois que les lumières rouges montées sur les murs s'illuminaient.
— Je ne peux pas les voir, elle me tendit les objets en métal. Je n'ai pas mes lunettes.
J'ai commencé à les retourner avec des doigts tremblants. Et je commençais à sentir les nerfs s'emballer dans tout mon corps.
Nous devons sortir d'ici.
Les clés étaient dans l’ordre: A, B, C, D-.
Elles me glissèrent des mains. Je me suis penchée pour les ramasser immédiatement, exactement au moment où Tobin prononça mon nom, la voix alarmée et l'effroi papable. Une main saisit les clés avant que je ne le puisse, et j'ai sursauté automatiquement en arrière, tendant un bras pour garder Tobin derrière moi.
— Tu es plus rapide sur le terrain de football, Al.
Sa position n'était pas naturelle. Le chariot avait dû heurter sa hanche, car son corps semblait être asymétrique à gauche. Son expression sans émotion se révélait chaque fois que les lumières sur les murs s'allumaient.
— Laisse-nous, Carrasco, mon esprit était agité, essayant de trouver un moyen de mettre Tobin en sécurité. Nous ne pouvons pas t'aider.
— Tu te trompes, il secoua la tête. Tu es la seule qui peut m'aider.
Il défit le bouton du haut de son polo et une terreur pure et non raffinée me traversa. Tobin me saisit par le bras, sa prise serrée, et je me suis préparée à la retenir si elle essayait de se placer devant moi. Il tendit la main sous le col de sa chemise pour en tirer un petit appareil à l'air libre.
— Est-ce que c'est un enregistreur ? Tu portes un enregistreur sur toi ?
— Admets que tu me voulais, Al.
Ma réponse resta la même.
— Non.
Il se rapprocha et la sensation de son souffle chaud qui me frappait au visage quand il parlait me renvoya derrière ces gradins.
— Et si je menaçais à nouveau ta petite-amie ? Ça a semblé bien marcher la dernière fois.
— Tu ne la touches pas !
Il la regarda par-dessus mon épaule, puis se pencha pour me murmurer quelque chose à l'oreille. Il y avait une veine étrangement prononcée sur son cou.
— Regarde-moi faire !
Puis il me souleva et avant que je puisse tendre un membre pour le frapper, il me laissa tomber sur le trottoir. Je ne me suis pas posée sur les pieds ; j'ai atterri sur le dos et l’impact jeta l’air hors de mes poumons.
— Alex !
Le monde tournait alors que j'essayais désespérément de récupérer de l'oxygène dans mon corps, me cambrant le dos.
Je voyais la silhouette floue de Tobin qui tentait de venir vers moi, seulement pour être repoussée contre le mur par la forme monstrueuse de Servando. Ses mains s'agrippaient à ses coudes, la maintenaient en place, et il pressa le reste de son corps contre elle après qu'elle ait tenté de le frapper avec sa jambe indemne.
— Arrête...
Servando me regarda, allongée sur le sol, ses yeux vides me terrifiant plus que tout ce que j'ai pu voir.
— Dis que tu me voulais.
— Ne le fais pas, Alex !
Il redirigea son attention vers elle et utilisa son pied pour piétiner sa cheville endommagée. Elle se mit à pleurer et appuya sa tête contre la porte, incapable de faire quoi que ce soit à propos de la douleur, à part de la ressentir.
— Ferme-la, il me regarda à nouveau. Je la laisserai partir si tu le dis, Al. Tout ça peut se finir si tu avoues simplement que ce qui s’est passé lors du match n’était pas ce à quoi ça ressemblait.
— Tu ne dois pas le fai...
Il lui piétina à nouveau la cheville, plus fort cette fois, et le cri de douleur de Tobin fut encore plus atroce que le dernier.
Je me suis relevée tant bien que mal, trébuchant avant de me tenir entièrement debout. Je ne savais pas ce que j'allais faire. Je savais juste que je ne pouvais pas le laisser faire du mal à Tobin.
— Dis-le.
Quand je suis restée silencieuce, il s'avança vers moi et me souleva du sol une deuxième fois. Je lui ai donné un coup de genoux dans le ventre aussi fort que je le pouvais, et bien qu'il tressailla, l'effet global de l'attaque sur lui fut minime. Il me jeta de nouveau à terre et, cette fois-ci, j'ai atterri sur mon épaule. Un craquement aigu se fit entendre dans l'air et j'ai eu l'impression que quelqu'un m'avait arraché tout le bras. J'ai laissé échapper un cri de douleur alors que je me retournais sur le dos en serrant les dents.
J'ai vu Servando se retourner pour faire face à Tobin, qui espérait se faufiler derrière lui alors qu'il était concentré sur moi.
— Tu aurais dû être plus rapide que ça.
— Plus rapide que...
Elle ne finit même pas sa phrase que son poing se connecta avec sa joue, et j'entrevis les clés argentées entre les espaces de ses doigts.
Des gouttes de sang traversèrent la pluie et tombèrent sur le ciment, se mélangeant à l'eau qui tombait et disparaissèrent. Le coup l'éloigna de nous, serrant sa joue ensanglantée avec sa main et lâchant un flot de gros mots.
Tobin n'attendit pas qu'il revienne à elle : elle se rapprocha de lui et dès qu'il releva la tête, elle le frappa à nouveau.
J'ai utilisé mon bon bras pour m'aider à me lever, en essayant d'ignorer la douleur intense de mon épaule et j'ai marché vers eux
Il était à quatre pattes maintenant, toussant et crachant du sang, il semblait totalement impuissant. Je lui ai asséné un coup de pied dans la mâchoire. Il resta dans la même position pendant quelques instants, trop hébété pour réagir. Puis, il a tenté imprudemment de se relever, pour retomber ensuite en avant et se retrouver à plat ventre sur le sol. Je me suis préparée à le frapper de nouveau, mais Tobin attrapa mon bras valide avant que je ne le puisse.
— Alex, arrête, elle tenait les clés. C'est notre chance, maintenant.
Nous ne la gaspillions pas.
Avec Tobin, on a pu s'appuyer l'une sur l'autre pendant que nous traversions la courte distance qui nous ramenait vers la porte de l'aile E, et une fois que nous y sommes arrivées, nous l'avons fermée à clé derrière nous. Un rapide coup d'œil par la fenêtre révéla que Servando était toujours allongé sur le sol, inconscient ou bien trop stupéfait pour bouger.
J'ai regardé Tobin pour m'assurer qu'elle allait bien et je lui ai touché le visage, juste pour vérifier qu'elle était vraiment devant moi, qu'elle était vraiment en sécurité. Elle tourna la tête dans ma main et embrassa ma paume, puis me tira contre elle et me tint là, au chaud, dans ses bras.
Je ne me suis éloignée que lorsqu'on a commencé à entendre des sirènes. Le son d'un camion de pompier qui se rapprochait de plus en plus et semblait être à l'extérieur du bâtiment.
Nous regardions dans le couloir, vers la porte qui menait au parking. Des éclats de lumière rouge, blanche et bleue pénétraient dans celui-ci à travers la fenêtre et j'ai su que nous étions en sécurité.
L'alarme incendie.
La caserne des pompiers était avertie lorsque quelqu'un tirait l'alarme.
Tobin me regarda, le coin de ses lèvres se levant pour former un sourire soulagé.
— On l'a fait.
— Ouais, je pris sa main dans la mienne. On l'a fait.
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