« Pour l'équipe »

Mme Foudy se pinça les lèvres quand elle appuya sur le bouton de rembobinage pour la millionième fois, ses yeux rétrécis traduisant l'intensité de sa concentration.

Christen et moi étions situées de l'autre côté de la classe, aux mêmes pupitres où nous étions assises l'année dernière.
Nous avions l'habitude de passer notre temps ici à faire des blagues stupides et à discuter du dernier titre de la Ligue des Champions jusqu'à ce que Foudy se lassait de nos bavardages incessants et nous ordonnait de faire attention. Elle le faisait toujours avec un sourire narquois qui nous empêchait de la prendre trop au sérieux. En plus de négliger nos conversations en surnombre, elle nous avait permis de grignoter lors de ses cours, malgré la règle du « non-grignotage » inscrite au tableau blanc.

L'éducatrice aimait particulièrement les étudiants qui jouaient au football, car elle dominait le terrain quand elle fréquentait Diamond Bar High dans les années quatre-vingt-dix. Foudy n'avait pas expliqué ouvertement à quel point elle était formidable lorsqu'elle était adolescente. Elle avait menée son équipe à un championnat de ligue lors de sa première année, ainsi qu'à un championnat nationale lors de sa dernière année.
Mes amies et moi serions inconscientes de ses réalisations si ma mère ne s'était pas assise derrière elle au cours de biologie il y a plus de vingt ans. Selon ma mère, elle était la merveille incarnée ; elle avait beaucoup d'amis, des notes impeccables et un talent sportif indéniable. Elle avait réussi à atterrir à l'Université de Stanford, où elle avait joué au football jusqu'à sa deuxième année, quand une LCA déchirée avait envoyé son rêve de jouer pour l'équipe nationale au purgatoire.
Aujourd'hui, je ne savais toujours pas pourquoi elle avait interprétée la blessure comme un signe qu'elle devait poursuivre des études en éducation, mais j'étais heureuse qu'elle l'ait fait.

Et qui vous a envoyé ça ?

Christen et moi nous regardions avant de me répondre avec hésitation.

Nous ne savons pas vraiment...

Vous ne savez pas ?

Nous lui avons expliqué que trois adolescentes sans aucune connaissance technologique étaient incapables de retracer un message jusqu'à l'expéditeur. Elle grogna.

Celui qui a inventé le téléphone portable a vraiment ouvert la boîte de Pandore. Bon, je suis heureuse que vous ayez décidé de partager ça avec moi. Je suis sûre que la décision n'a pas été facile à prendre.

Christen me regarda et je ne dis rien.

Le professeur passa ses doigts dans ses cheveux, une action indicatrice de stress et d'incertitude. J'ai commencé à me demander si Kelley n'avait pas raison. Peut-être que venir ici n'était pas une bonne idée. Si Foudy ne pouvait pas nous aider, alors l'impliquer dans cette situation compliquée aurait été complètement inutile. Tobin ne pourra toujours pas jouer pour les trois prochains matchs et nous risquerions de perdre le titre de champion et de ne pas nous qualifier pour le championnat national. Servando ne sera jamais puni pour nous avoir bousillé l'équipe et moi, ce qui m'énervait encore plus que les effets réels de son méfait.

Nous ferions mieux de commencer à penser à un plan de sauvegarde, dis-je, mais Christen me donna un coup de coude, agacée.

Donne-lui une minute pour réfléchir.

J'ai passé les prochaines minutes à étudier les poèmes agrafés au mur à côté de nous. Certains étaient de l'année dernière, tandis que d'autres affichaient les noms des personnes qui n'étaient plus inscrites à la classe de Mme Foudy.
Je me souvenais encore de la façon dont Kelley avait râlé lorsque la tâche nous avait été confiée, réticente à se lancer dans une activité aussi sentimentale que la poésie.
Aucun des poèmes n'était particulièrement bien écrit. En fait, certains étaient très mauvais, mais j'ai supposé que mes compétences en écriture n'étaient pas si glorieuses aussi lorsque j'étais dans la classe de Foudy. Un des poèmes les plus courts réussit à susciter mon intérêt et je me suis levée pour regarder de plus près.

La palissade
Je ne peux pas la surmonter.

Et c'était tout. Un titre et une déclaration comportant moins de dix mots. Les informations relatives à l'auteur dans le coin du papier avaient été recouvertes avec du correcteur. C'était le seul poème au mur avec un A pourpre écrit dessus.

Foudy regagna mon attention en se raclant la gorge avant que je ne puisse demander qui avait écrit cette pièce si particulière.

Avez-vous envisagé de montrer ça à la mère de Tobin ? Elle est l'une des meilleures avocates de Diamond Bar. Je suis presque sûre qu'elle sera capable de convaincre notre cher principal de déclarer Tobin complètement innocente, à moins qu'il ne veuille aller en justice.

Cette pensée m'avait traversé l'esprit quelques jours auparavant, mais elle l'avait fait de manière fugace. Je ne pensais pas que je serais capable de passer plus d'une minute dans la même pièce que la mère de Tobin sans frapper cette ignoble femme. En outre, j'étais presque certaine que la matrone homophobe hésiterait à dialoguer avec la fille qui sortait avec la sienne. Christen fronça les sourcils.

Je ne pense pas avoir rencontré Mme Heath. Je ne savais pas qu'elle était avocate.

Cela n'a pas d'importance, j'étais impatiente d'éliminer le problème de la discussion. Elle n'a pas besoin d'être impliquée.

Elle a été surprise par mon aversion.

Pourquoi pas ? C'est sa fille qui se fait mettre au banc.

Si Tobin voulait lui dire, alors elle l'aurait déjà fait.

Tobin pensait que la vidéo était perdue. Peut-être voudra-t-elle s'ouvrir à sa mère, maintenant que nous avons des preuves.

J'ai trop tardé à répondre, et Christen identifia à tort la source de ma réticence comme de la honte.

Alex, je sais que tu es inquiète que la vidéo puisse fuiter. Je comprends ça complètement. Mais les avocats travaillent avec des affaires sensibles tout le temps. La mère de Tobin saura comment s'assurer que les images restent confidentielles.

Pour le moment, je ne m'inquiétais pas de la fuite de la vidéo. Mon esprit était conquis par les pensées de la mère de Tobin qui l'attrapait par l'avant-bras et la jetait contre un mur, puis lui donnait des coups de pied dans le ventre une fois qu'elle s'effondra.
Quelques jours après la rumeur de la relation entre Tobin et moi, qui se répandait à travers Diamond Bar, mon milieu de terrain préféré s'était présentée à l'école avec une ecchymose au visage.
Je ne pouvais pas demander l'aide de la mère de Tobin lorsque son vil sentiment envers la relation entre Tobin et moi pouvait la motiver à agir avec violence. Comment se sentirait-elle si Tobin se battait pour moi ? Voudrait-elle toujours défendre les actions de sa fille ? Commencerait-elle à attaquer Tobin dès leur retour chez elles, la porte d'entrée solide de la maison étant verrouillée ?

Foudy me surveillait de près, son expression illisible. C'était comme si elle attendait que je dise quelque chose qui confirmerait une suspicion pressante.

Nous ne pouvons simplement pas lui dire, d'accord ?

Christen regarda ses genoux, frustée. J'étais celle sur la vidéo, donc j'etais celle qui prenait la décision finale et elle le respectait sans condition. Je ne me délectais pas de mon autorité ; avoir le destin de l'équipe entre mes mains était plus stressant qu'agréable. Je ne reprochais pas à Christen d'être mécontente, car elle aimait bien contrôler les choses et elle était actuellement incapable d'avoir une influence sur le succès de l'équipe.

Christen, peux-tu nous laisser seules quelques minutes, s'il te plaît ?

L'attaquante saisit l'occasion pour sortir dans la salle et se vider la tête. La prof m'invita à son bureau avec une pincée de doigt volontaire. Une fois que je me suis assise, elle ferma son ordinateur portable et posa ses mains à plat sur la table. Pour les moments les plus éphémères, je me sentais à nouveau comme l'élève que j'étais l'année passée, sur le point de discuter de mon sport préféré avec ma professeure préférée.
J'ai presque ri de voir à quel point mes problèmes étaient insignifiants l'année dernière par rapport à tout ce à quoi je faisais face en ce moment.

Je sais que la mère de Tobin est violente.

C'était comme si elle avait éclaboussé mon visage d'eau froide. Et puis m'a assumée avec le seau lui-même.

Vous... Je... je ne... pas... Comment avez-vous... ?

Je soupçonnais que quelque chose n'allait pas quand elle s'est présentée en classe avec des lunettes de soleil et a refusé de les enlever. Pour la troisième fois.

Je m'en souvenais, ça c'était produit plusieurs fois, et je n'avais jamais eu le courage de tendre la main pour lui arracher l'accessoire du visage.

J'ai commencé une nouvelle tendance, Alex.
Et j'avais cru en ces paroles, évidemment.

J'étais toujours incapable de parler sans avoir l'air d'une idiote, malgré mes efforts pour retrouver mon calme.

Et bien, quand... avez-vous... Tobin est au courant ?

Je pense que oui, mais je ne peux pas en être sûre. Je suis légalement tenue de signaler toute possibilité de maltraitance à l'enfant, alors j'ai averti l'administration le jour même. Les services de protection de l'enfance sont venus à l'école cet après-midi-là et ont parlé à Tobin. Mais pour autant que je sache, aucune accusation n'a jamais été déposée contre Mme Heath.

Quoi ? Mais pourquoi ? ma frustration soudaine était si forte qu'elle m'obligea presque à me mettre debout. Ils auraient pu la sortir de cette maison !

Elle prit une profonde respiration, une action qui montrait que la différence d'âge entre nous semblait tangible.

Alex, je ne pense pas que Tobin leur ait dit la vérité quand ils l'ont interrogée sur sa relation avec sa mère.

Quand je n'ai rien dit, elle continua prudemment.

Je sais que ce n'est pas facile à comprendre. En tant que spectatrices, nous pouvons voir comment Tobin peut échapper à la situation dans laquelle elle s'est retrouvée. Mais pour Tobin, il n'y a pas de solution facile. Soit elle continue à subir des sévices, soit elle envoie la seule famille qu'elle ait jamais connue en prison. Je suis sûre qu'elle n'adore pas sa mère, mais je crois qu'une force émotionnelle l'empêche de se rebeller contre la femme qui la blesse.

Les parents de Tobin avaient quitté le New Jersey pour la Californie après leur mariage, laissant derrière eux amis et parents afin de satisfaire leur esprit aventureux.
M. Heath était engagé dans la marine et, à la naissance de Tobn, il était coincé sur un navire au milieu de l'océan Pacifique. Mme Heath lui avait envoyé une lettre avec des photos de leur nouvelle-née, Tobin, emmaillotée dans des couvertures bleu azur. Tobin n'avait pas divulgué les détails de la lettre qu'il avait renvoyée deux semaines plus tard - qu'elle gardait dans une boîte sous son lit -, mais j'avais compris qu'elle exprimait le désir de rentrer chez lui bientôt.
Un missile avait touché le navire sur lequel il se trouvait alors qu'il revenait sur le continent. Certains hommes qui étaient sur ce bateau avaient survécu et étaient rentrés chez eux dans leur famille, le courant électrique traversant leur esprit traumatisé. À la consternation de Mme Heath, son mari n'était pas l'un d'eux.

Je me suis soudainement rendu compte que la mère de Tobin, la femme qui dirigeait sa colère contre ce qu'elle était censée aimer plus que tout au monde, était l'une des personnes les plus précieuses de sa vie.

S'il vous plaît, dites-moi que vous avez un plan. Je veux - non, j'ai besoin d'aider Tobin, j'ai l'impression que quelqu'un serrait lentement sa main autour de ma trachée. Pour l'équipe.

Foudy secoua la tête.

Parce que tu l'aimes, Alex. Tu as besoin de l'aider parce que tu l'aimes.

Elle ouvrit à nouveau son ordinateur et regarda l'écran stoïquement, essayant de penser à une résolution. Puis, un sourire contrôlé vint se poser sur son visage.

J'ai peut-être une idée. Mais tu vas devoir m'aider à faire Tobin monter à bord.

—————

Le lendemain, le retour de Tobin à Diamond Bar High attira l'attention de tous les étudiants, même les plus inintéressés par les commérages.
En cours de Physique, après que Tobin préféré ait de nouveau placé un muffin au milieu de mon bureau, nos camarades de classe continuaient de nous regarder de manière prononcée. Lorsque notre professeur quitta la salle pour attraper un analyseur de spectre (quoi que ce soit), Tobin se pencha au-dessus de son bureau pour me parler.

Je pense qu'ils sont jaloux.

J'ai extrait le muffin aux myrtilles qu'elle m'avait acheté d'un sac Starbuck.

De quoi ?

Elle attrapa la petite pâtisserie, prit une bouchée et la remit dans ma main.

De moi, bien sûr.

Nous étions également le centre d'attention pendant le déjeuner, mais Tobin était trop occupée, aidant Rose à faire ses devoirs de trigonométrie, pour le remarquer. Je la regardais graver rapidement des équations sur un morceau de papier millimétré, ses yeux plissés se lançant de temps en temps vers le manuel que Rose soulevait. Elle avait oublié de mettre ses lunettes dans son sac à dos ce matin.
Je l'admirais depuis la table où j'étais assis avec Kelley et Christen. Il y avait quelque chose de beau dans son intelligence, quelque chose qui manquait à la plupart des intellos malheureusement.

Tu dois commencer par remplacer h par x. Parfois, la valeur sera indéfinie, comme dans ce cas, nous devons donc factoriser l'équation originale et essayer de substituer h dans la forme alternative.

Plus de gribouillis.

Alors h est annulé. Tu peux maintenant insérer la valeur que x approche dans l'équation pour trouver la limite. Compris ?

Rose, n'ayant manqué aucune des exploitations, répondit franchement :

Nan.

J'ai remarqué qu'une fille assise à une table derrière elles regardait aussi la session de tutorat avortée. Nos regards se croisèrent, une corde raide invisible reliant nos yeux au-dessus de la silhouette affalée de Tobin. Elle se retourna rapidement et entama une conversation avec son amie, mais pas avant que je la reconnaisse comme étant la fille qui avait pris ma commande au match de football vendredi dernier. L'étrangère qui connaissait mon nom.

Hey, j'ai tapoté l'épaule de Christen et lui ai montré la fille du doigt. Qui c'est ?

Elle ? Hum... je ne sais pas. Je la vois tout le temps, mais je ne lui ai jamais vraiment parlé.

Ashlyn, qui écoutait nos échanges depuis la table derrière nous, passa soudainement la tête entre Christen et moi, nous prenant par surprise. Ma compatriote s'étouffa presque avec un morceau de pomme, faisant rire Kelley si fort qu'elle manqua elle aussi de s'étouffer avec son eau.

Ce petit insecte là-bas ? C'est Mallory Pugh. Elle est étudiante en première année.

J'ai levé les sourcils.

Tu la connais ?

Pas vraiment. Nous avons atelier de menuiserie ensemble l'après-midi, mais elle me parle à peine. Je veux dire, elle m'a draguée une fois, mais ce n'est pas habituel.

Elle ne t'a pas draguée, Ali se retourna et se pencha vers nous. Elle t'a demandé un tournevis.

Ashlyn embrassa la joue de se défenseuse préférée.

Merci de ne pas avoir été jalouse, babe.

Ali roula des yeux affectueusement avant de m'en informer plus sur l'identité de la fille du snack-bar.

Mallory voulait venir aux essais pour entrer dans l'équipe cette année, mais son genou est un peu foutu actuellement. Son médecin craint qu'un mauvais tacle puisse lui causer des dommages permanents. C'est vraiment dommage. Je l'ai vue jouer au complexe pendant l'été, et elle a vraiment du potentiel.

J'ai regardé la silhouette tonique de Mallory et j'ai essayé de l'identifier comme un personnage caché dans mes souvenirs, mais je ne me souvenais vraiment pas de l'avoir rencontrée avant vendredi soir.

Pour quels clubs elle a joué ?

Aucun aux alentours. Elle vient de s'installer à Diamond Bar en juillet, elle était au Colorado avant.

Ses mollets musclés et sa silhouette tonique révèlaient son athlétisme, mais sans l'explication d'Ali, je n'aurais eu aucune idée qu'elle jouait au football.
La cloche du déjeuner sonna et j'attendais qu'elle se retourne pour vérifier si je la surveillais toujours.
Une possibilité se fraya un chemin dans mes pensées, dissipant tous les doutes qui entravaient sa progression. Elle me lança un regard nerveux avant de quitter la cafétéria et les doutes qui jalonnaient ma théorie abandonnèrent leurs lances, vaincues. Une partie intégrale du puzzle décrivant ma vie chaotique se mit en place, et l'exubérance qui en découla me mit à genoux.

Mes amis me regardèrent, perplexité et inquiétude se mêlant à leurs visages. Cristen a été la première à parler.

Bon Dieu, tout va bien, Alex ?

J'ai saisis le col du t-shirt de l'attaquante avec mes mains et l'ai secouée, trop adrénée par ma découverte pour être consciente de ma force.

C'est elle ! C'est logique, Christen, c'est elle !

Ses yeux n'étaient plus que deux grosses lunes pleines.

Babyhorse, combien de joints as-tu fumé ?

Je l'ai lâché et j'ai regardé les portes menant à la cour, celles que la fille qui avait sauvé l'équipe avait utilisé pour s'échapper. J'ai sorti mon sac à dos de sous la table et ai fouillé dans celui-ci à la recherche du document décrivant notre plan.
Mes amis ne savaient toujours pas pourquoi je me comportais comme une folle, mais elles se mordaient la langue pendant qu'elles me regardaient.
À ce stade, Tobin avait remarqué le tumulte et avait abandonnée Rose pour rechercher la cause de mon exaltation. Elle me demanda ce qui s'était passé et analysa les mots jaillissant de la pointe du crayon placé entre mes mains.

Je sais qui nous a envoyé cette vidéo.

Au bas de la page, j'écris :

Phase 3 - Fin de partie (Endgame)

Et sous cela, dans une police de caractères bombastiques :

Mallory Pugh

—————

Heureuse de te revoir à l'entraînement, Toby.

Kelley lança le ballon qu'elle tenait à l'arrière de la tête de Tobin et le rattrapa quand il rebondit vers elle. Le milieu de terrain se frotta le dos du crâne.

C'était inutile !

Je ne crois pas à ta définition d'inutile.

Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ?

Tu penses que les chaussures sont inutiles !

Mais elles le sont !

Nous nous sommes assises toutes les trois sur le banc à côté du terrain et avons commencé à glisser nos protège-tibias sous nos chaussettes et nos cales. Le reste de l'équipe avait déjà commencé à s'étirer au milieu du terrain et nous comptions les rejoindre une fois que nous aurons fini de manipuler notre équipement.

L'entraînement n'était pas trop difficile, mais je m'abstiendrai de dire que c'était facile. Nous avons commencé par de la cardio avant de passer aux exercices suicides, qui craignaient toujours autant.
Tobin semblait plus musclée que nous toutes, et elle laissa échapper un soupir de soulagement lorsque nous commencions à intensifier et travailler nos compétences techniques.
Nous sommes passé aux tirs au but jusqu'à ce que Jill nous dise enfin que nous pouvions rentrer chez nous.

Habituellement, je ne gardais pas trace du temps qui passait au cours des entraînements, du temps que nous passions à une tâche avant de plonger dans un exercice différent, mais ces derniers jours mouvementés m'ont laissé un besoin urgent de sieste.

Hey, Lex, tu peux me ramener chez moi ?

La réponse était déjà réfléchie.

Ouaip, tu n'as même plus besoin de demander.

Tobin et moi nous sommes éloignées du reste des filles avec nos petits doigts entrelacés, ignorant leurs plaisanteries affectueuses lorsque nous quittions le stade et nous dirigions vers le parking. Elles étaient heureuses de constater qu'après des années d'adhérence involontaire à une relation platonique, Tobin et moi sortions enfin ensemble. J'ai feint d'être contrariée en entendant leurs cris, mais un sentiment d'accomplissement résidait dans mon cœur. Chaque raillerie bienveillante confirmait que le petit doigt autour du mien était bel et bien réel.

J'ai jeté nos sacs sur la banquette arrière de ma voiture et me suis placée derrière le volant. La somnolence me vidait de vitalité, mais je ne pouvais pas me permettre de passer les dix prochaines minutes à décrire combien je voulais m'endormir sur une chaise de mon salon.

Afin de protéger Tobin, je devais la convaincre de coopérer avec Mme Foudy. J'ai pris un moment pour réprimer l'anxiété qui s'infiltrait dans mon cerveau et un silence tendu envahit le véhicule. C'était comme si l'univers regardait à travers la fenêtre en retenant son souffle, attendant que j'ai assez de courage pour parler. Tobin tendit la main vers la radio pour mettre de la musique, mais je lui ai attrapé doucement le poignet avant qu'elle ne puisse allumer l'appareil.

Je dois te parler de quelque chose.

Elle se rétracta et se redressa un peu plus droitement, reconnaissant le ton grave que prenait ma voix.

Qu'est-ce qui ne va pas ?

Les mots ressemblaient à des pierres coincées dans mes cordes vocales. Les articuler était aussi douloureux que de tendre la main dans ma gorge et de les extraire individuellement.

La mère de Tobin était peut-être l'incarnation de l'animus, mais le lien entre sa fille et elle était suffisamment fortifié. Bien qu'elle éprouvait du ressentiment envers cette violente femme, elle se sentait également obligée de rester loyale envers celle qui l'avait élevée. C'était elle qui avait changé toutes ses couches quand Tobin était un bébé et avait placé un pansement sur toutes les blessures que son enfant avait approchées.

J'essayais d'imaginer ce que je ferais si ma mère, qui gardait les gens sains pour survivre, rentrait à la maison et me jeterait à terre.
Est-ce que j'appellerais la police ? Est-ce que je voudrais que ma mère soit emmenée ?
La réponse, bien que peu pratique, était claire et indéniable, et cela me donnait une idée du titanique sacrifice que je demandais à Tobin de faire.

Non.

Je sais que ta mère te fait mal. Et je sais que tu as peur d'elle. Mais que tu as également peur de la perdre.

Je me suis concentrée sur le tableau de bord alors que les mots quittaient ma bouche, puis j'ai regardé Tobin pour voir sa réaction. Elle prit une profonde respiration et s'installa plus profondément dans le siège passager, à la recherche d'un soutien physique. Elle serra sa mâchoire, et j'ai supprimé l'envie de frôler mon pouce par-dessus cet endroit afin de maîtriser son appréhension.

Ce n'est pas grave. J'irai à la fac dans un peu plus d'un an et je n'aurai plus jamais à faire avec elle.

J'ai fait l'erreur de laisser la pitié s'infiltrer dans ma voix.

Tobin, je pense pouvoir t'aider à t'enfuir...

Je n'ai pas besoin d'aide, Alex, les larmes lui donnaient un éclat dans les yeux. Je vais aller en Caroline du Nord, et je vais faire partie de l'équipe nationale, et je vais être trop occupée à voler autour du monde pour lui rendre visite ou l'appeler ou même penser à elle.

Tobin...

Et je t'épouserai, Alex, et je lui enverrai une invitation de mariage juste pour la faire chier, et nous aurons une belle maison sur la plage, et nous aurons des enfants qu'elle ne sera jamais autorisée à voir, et je ne l'inviterai jamais pour Thanksgiving ou Noël, ni même reconnaître son existence, car elle détesterait voir que je peux être heureuse et elle passera le reste de sa stupide vie seule dans cette maison stupide avec tout son argent stupide, et elle se sentira coupable de ce qu'elle m'a fait pour le reste de sa vie, je le jure.

Je suis désolée...

Je n'ai pas besoin que tu te sentes désolée pour moi !

J'ai bronché par inadvertance, et elle reprit rapidement le contrôle de ses émotions.

Je n'ai pas besoin que tu te sentes désolée pour moi. Parce que quand elle sera vieille et seule, elle voudra mon pardon. Et je ne le lui donnerai pas. Et ça va la blesser plus qu'elle ne m'a jamais blessée.

Je me demandais depuis combien de temps Tobin gardait ces pensées emprisonnées dans les recoins obscurs de son esprit. Je n'essayais pas de la pacifier ; elle avait tous les droits d'être en colère.

Tobin, tu n'as pas besoin de passer une autre année à avoir peur d'exister.

Elle commença à secouer la tête et se cacha la figure entre ses mains.

Tu peux sortir de cette maison. Tu peux aller quelque part où quelqu'un s'assurera que tu es en sécurité. Mme Foudy a dit que tu pouvais...

Elle leva soudainement la tête, des gouttelettes d'eau coulant de ses yeux rouges.

Tu l'as dit à Foudy ?

Tobin, elle soupçonnait déjà...

Et tu l'as confirmé, hein ? Pas vrai ?

Je le devais...

Alex, comment as-tu pu...

Parce que tu as trop peur de t'aider toi-même, Tobin ! Parce que tu sais qu'il y a un moyen de sortir de cette maison, mais elle t'a tellement lavé le cerveau que tu agis comme si tu étais piégée, comme si tu étais impuissante !

Ma conscience me disait de me calmer, que crier ne ferait que fâcher davantage Tobin, mais régner dans l'agitation, c'était comme arrêter l'éruption d'un volcan. À ce stade, tout ce qui entrait dans ma tête finira par sortir de ma bouche.

Tu penses que j'aime me faire battre ? Tu penses que j'aime que ma putain de mère me punisse parce que je suis gay ? Pour vouloir jouer au football ? Pour avoir ruiné ses rêves de me voir épouser un type, travailler dans un bureau et vivre dans une maison ennuyeuse entourée d'une clôture de sécurité ?

Non, tu détestes ça. Tu détestes qu'elle veuille que tu sois quelqu'un que tu n'es pas. Mais tu ne détestes pas ta mère, même si tu le voulais, même si elle le mérite. Ton cœur n'est pas capable d'avoir de la haine envers quiconque à l'intérieur.

La façon dont elle me regardait, comme si je venais de révéler ses secrets les plus profonds au monde entier, révélait que j'avais raison. Sa mâchoire se détendit enfin et ses lèvres restèrent légèrement écartées, incapables de répondre à ma déclaration.

Tu ne lui dois rien, Tobin. Tu mérites d'être heureuse, et parfois ça signifie renoncer à ce qui te fait mal.

Elle fit une pause pendant un long moment, son regard triste dirigé sur ses genoux.

Où est-ce que j'irai ? Je n'ai pas de famille ici.

Foudy a dit que tu pouvais vivre avec elle.

J'ai pensé aux cours de maître-nageur que j'ai suivis au centre aquatique l'été dernier. Notre instructeur nous avait informés que lorsqu'une personne se noyait, elle allait probablement paniquer et tenter de combattre quiconque viendrait à son secours. Ses chances de survie dépendaient de sa capacité à réaliser la présence d'une aide et à l'accepter.

Tobin commençait à hocher la tête lentement puis de manière plus convaincante. Les larmes coulaient de son menton maintenant, et j'ai pris son visage dans mes mains et l'ai embrassé encore et encore. Elle passa ses bras autour de mon torse et enfouit son visage dans le creux de mon cou, agrippant désespérément le dos de mon t-shirt.

Ça va aller, Tobin. Je te le promets.

Malgré la sombre scène qui se déroulait actuellement, je pensais ce que j'ai dit. Pour Tobin et moi, l'avenir était caractérisé par la luminosité. Chaque événement que nous avons subi au cours de la semaine écoulée nous avait finalement permis de devenir ce que nous étions censées être.
Toute cette merde que nous traversions ne constituait qu'un petit segment d'un long volume, quelques chapitres de notre histoire. Les meilleures expériences étaient déjà écrites et n'attendaient que d'être découvertes.

Je le promets.

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