« Elle est manifestement dangereuse »

Après avoir refusé de dire à Kelley pourquoi j'étais dans un tel état, elle avait accepté de me ramener à la maison. Elle essayait de me réconforter à chaque feu rouge où nous devions nous arrêter, mais j'étais restée très réservée. Pendant tout le trajet, mes genoux étaient calés contre ma poitrine alors que je me tournais de façon à être face à la fenêtre, trop gênée et honteuse pour lui faire face.

Je pouvais encore sentir ses doigts se serrer fermement sur mon bras et ses lèvres se poser brutalement contre les miennes.
Je ressentais le besoin de prendre une longue et chaude douche avant de fréquenter le reste du monde à nouveau.

La voiture de ma mère était introuvable lorsque Kelley était entrée dans l'allée et je me suis dit qu'elle était déjà partie au travail. Kelley a proposé de rester jusqu'au lendemain matin, mais je lui ai dit poliment que tout irait bien. Ma foot-partout était réticente à l'idée de me laisser partir, mais elle n'a pas essayé de me suivre à l'intérieur. Je savais qu'elle essayait seulement de m'aider, mais j'avais hâte d'être seule avec mes problèmes. Elle m'avait déjà vu pleurer une fois ce soir et je savais que si elle restait, elle le reverrait plusieurs fois.
Mes mains tremblaient tellement qu'il m'a fallu une minute pour déverrouiller la porte d'entrée.

Cette nuit a été dure. J'ai passé une heure sous la douche, en pleurant et en essayant de débarrasser ma peau de son contact. Je me suis brossé les dents de manière robotique avant de tirer le rideau de douche et de poser les pieds sur les carreaux gelés. Ma réflexion dans le miroir était maussade et abattue et j'ai dû me détourner pour m'empêcher de redevenir émotive. Bien que je n'étais pas trop différente, j'avais l'impression de regarder une personne complètement différente. Ma poitrine était anormalement lourde, à tel point que j'ai dû prendre une profonde respiration et fermer les yeux jusqu'à ce que le sentiment disparaisse.

Après avoir mis un sweat-shirt et une culotte, je me suis couchée et j'ai serré un oreiller contre mon corps. La pièce était chaude, je me sentais froide à l'intérieur. J'ai même tiré une couverture sur moi. Quand j'ai fermé les yeux, la première chose que j'ai vu a été l'expression dévastée et déchirée de Tobin. Ses mots ont commencé à résonner dans toute ma conscience, devenant de plus en plus forts à chaque secondes qui passaient.

Le simple fait de savoir que je lui avais causé tant de peine me donnait envie de tomber en poussière. J'essayais de repousser ce souvenir douloureux, mais il restait persistant jusqu'à ce que je sois obligée de faire quelque chose, n'importe quoi pour l'arrêter.
J'ai attrapé mon téléphone sous mon oreiller, désespérée et pressée de lui parler.

Tobin ?
On peut parler s'il te plaît ?
Je peux tout expliquer, Tobin, s'il te plaît, ne m'ignore pas...
Il n'y a rien entre lui et moi, tu dois le savoir.
S'il te plaît, Tobin...

Les messages étaient marqués comme lus cinq minutes plus tard, mais aucune réponse ne vint jamais.

—————

J'ai passé le reste du week-end dans mon lit, à regarder Stranger Things sur Netflix et à refuser de quitter ma chambre. La mère se doutait bien que quelque chose n'allait pas : je n'avais jamais été aussi antisociale. Je lui ai dit que je me sentais un peu malade et, même si elle savait que je mentais, elle a fait semblant de me croire.

Kelley avait appelé plusieurs fois et je regardais sa photo de contact jusqu'à ce que la sonnerie cesse. Je voulais lui parler, je le voulais vraiment ; je ne savais tout simplement pas ce que je lui dirais quand elle demanderait l'inévitable.

Que s'est-il passé vendredi soir, Alex ?

Il y avait deux façons de répondre à cette question. La première consistait à mentir et à inventer une histoire triste sur le décès de mon inexistante grand-tante Helen. Ma deuxième option était de lui dire la vérité.

Vendredi soir, j'ai perdu mon monde.
C'était du moins comme ça que je l'avais ressenti.

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Lundi, je suis entrée à l'école en me disant que je me promenais plutôt à travers l'Enfer. Mais au moins, je n'aurais pas à affronter tous mes problèmes dans cet Enfer.

La rumeur sur Tobin et moi s'était un peu calmée depuis la semaine dernière, mais l'idée de deux lesbiennes, en chair et en os, attirait toujours beaucoup l'attention. Les droits des homosexuels étant enfin reconnus comme des droits fondamentaux dans tout le pays, les gens étaient impatients de montrer qu'ils soutenaient deux filles sortant ensemble.
En plus de cela, rien de grand n’était vraiment arrivé à Diamond Bar, alors deux des meilleures joueuses de football de l’état qui étaient dans une relation ensemble était devenu le meilleur potin de l’école depuis de longues années. Les gens n'étaient tout simplement pas habitués à voir des couples homosexuels, ce qui allait bientôt changer.

Une partie de moi aimait la façon dont les gens me regardaient pendant que je traversais la cour ; cela signifiait qu'ils pensaient que Tobin et moi étions plus que des amies. Une autre partie de moi était peinée quand je les ai vues et j'ai été obligée de me rappeler que pour la première fois, Tobin et moi n'étions pas en bons termes.

La cloche pour aller à la première heure de cours sonna, et c'était le pire son que j'ai jamais entendu. La place de Tobin était inoccupée quand je suis entrée en Physique et je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir un peu soulagée. J'avais imaginé que si elle était là, elle m'aurait tiré un regard noir, ou pire, aurait complètement ignoré ma présence.
J'ai alors attendu anxieusement son arrivée, prête à la forcer à me parler ou même à lui transmettre des petites notes que j'avais l'habitude de faire depuis la quatrième s'il le fallait.
Cinq minutes plus tard, au début de la leçon, elle ne s'était toujours pas présentée.

Mon professeur ferma la porte et commença l'introduction de son exposé sur les lois de Newton pour la milliardième de fois. Je regardais la pendule et m'inclinais sur ma chaise, confuse et un peu surprise par son absence. Voulait-elle vraiment m'éviter autant ? Elle ne manquait jamais les cours.

À ce moment précis, j'entendis des cris désordonnés venant du couloir. Le regard troublé sur le visage de mon professeur révéla qu'il les entendait aussi, et il arrêta rapidement sa leçon pour composer le numéro de sécurité. Les regards indiscrets de mes camarades de classe se dirigeaient vers la porte scellée qui les séparait d'un drame intéressant. Même mon intérêt était attiré, car, comme je l’ai déjà fait remarqué, rien n’arrivait vraiment à Diamond Bar. Les cris de l'extérieur commençaient à augmenter et je ne distinguais que deux mots distincts.

Baston et Servando.

Les étudiants autour de moi sont sortis de leurs places en quelques millisecondes et se disputaient la porte pour sortir. Mon prof ayant terminé son appel, leva la voix et leur dit de retourner immédiatement à leur place. Son ordre passa totalement inaperçu. La moitié de sa classe était déjà dehors et la situation était maintenant hors de contrôle.
Je les suivis rapidement dans le couloir et j'ai commencé à me faufiler et à me frayer un chemin à travers la foule. Je ne voulais pas rater l'occasion de voir Servando se faire botter le cul.

Quand j'atteingnis le lieu de l'incident, le longboard de Tobin vint rouler vers moi avec désinvolture et heurta ma chaussure.

J'étais abasourdie par la scène devant mes yeux.

Le visage ensanglanté de Servando était au sol et je ne savais pas si c'était parce qu'il a été coupé ou parce que son nez saignait beaucoup. Ses mains étaient en l'air pour bloquer les coups, mais il était tellement désorienté qu'il ne pouvait pas déterminer avec précision la direction dans laquelle ils venaient.
Tobin était assise sur lui, son genou posé avec force sur son ventre pour le maintenir au sol alors qu'elle le frappait à plusieurs reprises. Son tee-shirt blanc était parsemé de taches rouges, correspondant à celles qui décoraient dès à présent les carreaux blancs situés sous elle.
Elle passa ses doigts dans ses cheveux pour enlever les mèches qui lui bloquait la vision, me laissant entrevoir son expression enragée avant qu'elle ne recommence à le frapper sauvagement.

Cela me ramena à la réalité. Je me suis précipitée vers elle et j'ai passé mes bras autour de son torse, l'éloignant de lui. Par inadvertance, elle m'a donné un coup de coude dans les côtes en tentant de se libérer de mon emprise, mais je ne la lâchais pas. Je la serrais contre moi et répétais son nom pour la calmer

Tobin, c'est moi ! C'est Alex !

Elle se débattut un autre moment avant de digérer mes mots. Je la sentis se raidir alors qu'elle força un mot fragile à sortir de sa gorge.

Lex ? elle se retourna lentement et je lui ai serré les joues avec mes mains pour lui faire savoir que j'étais bien réelle.

Oui, ma belle, c'est moi. Tout va bien. Tout va bien.

Ses yeux étaient innocents et doux de nouveau, mais je pouvais voir la panique les envahir en quelques secondes. Elle regarda autour d'elle avec frénésie, comme si elle ne se souvenait plus où elle était ni comment elle était arrivée ici. Elle vit le sang sur ses mains, sur ses vêtements, sur le sol, sur lui et elle commença à reculer pour se distancer des dégâts qu'elle avait causé.
Ce fut seulement maintenant que j'ai remarqué une traînée rouge sur sa mâchoire qu'elle frotta avec ses doigts pour l'enlever.
J'ai pris son visage dans mes mains et je la forçais à se concentre sur moi.

Tobin, écoute moi. C'est bon, c'est fini.

La réalisation de ce qu'elle avait fait la submerga.

Oh putain Alex, je suis désolée. Je suis vraiment désolée...

Je l'ai serré contre moi et j'ai parlé délicatement contre son front.

Tobin, chut, tu n'as rien à expliquer pour l'instant. C'est bon, je te le promets.

Par-dessus l'épaule de Tobin, deux gardes de sécurité passèrent le coin du couloir.
L'un d'eux se précipita vers Servando, qui était toujours dans un état pitoyable sur le sol, et commença à lui verser de l'eau sur le visage. Servando devait être vidé d'énergie, car, mis à part la montée et la chute de sa poitrine, il restait complètement immobile pendant que l'homme travaillait.
L'autre agent de sécurité retira son chapeau et laissa échapper une profonde inspiration. Ses yeux tombèrent sur Tobin et moi, et je le regardais se rendre compte que cette fille d'à peine cinquante-cinq kilos avait fait cela à un gars qui faisait presque deux fois sa taille. Il a aboyé un ordre pour que les étudiants autour de nous aillent trouver un autre endroit où aller. Ils se dispersèrent au moment où apparaissaient le directeur et Mme Foudy.

Je cajolais Tobin du creux de mon cou et elle retrouva rapidement son calme lorsqu'elle vit Mme Foudy devant elle. Notre professeure préfèrée se pinça les lèvres quand elle nous a vues, déçue que nous ayons quelque chose à voir avec cette horrible scène.
Tobin fit un pas en avant.

Mme Foudy, je...

Nous en reparlerons plus tard, Tobin, son ton était contradictoire, comme si elle avait du mal à parler. Pas pour le moment. Nous devons établir immédiatement certaines choses.

Tobin me regarda avec anxiété avant qu'elle ne demande :

Est-ce que vous allez appeler ma mère ?

Mme Foudy ressentit une certaine sympathie, mais elle n'eut pas la chance de réconforter Tobin puisque notre principal s'est interposé.

Vous avez de la chance que nous n'appelions pas la police de l'école, il regarda l'agent de sécurité qui ne nettoyait pas les blessures de Servando. N'est-ce pas le protocole de base de menotter les étudiants qui commettent des actes d'agression contre leurs compères ? Je crois que cela est indiqué quelque part dans le manuel que le district nous a fourni.

L'agent de sécurité regarda Tobin avec méfiance, qui avait commencé à regarder le sol.

Euh... je ne pense pas que ce sera nécessaire. Elle semble très disposée à se conformer à nos instructions, dit-il alors que notre principal se grattait la tête.

Je ne sais pas si c'est le moment de faire des exceptions aux règles. Elle est manifestement dangereuse.

Mme Foudy prit la parole avant que je puisse lui dire d'arrêter d'être un tel abruti.

Sa mère est une avocate, monsieur. Je ne pense pas que la menotter serait dans l'intérêt de l'école.

La logique de son argument l'agaça visiblement, mais il dut reconnaître à contrecœur qu'elle avait raison.

Je suppose qu'un procès est la dernière chose qu'une école aussi prestigieuse que la mienne ait besoin. Tobin Heath, suivez-moi, s'il vous plaît.

Elle me regarda avec des yeux écarquillés avant de commencer à se traîner derrière le directeur. J'ai commencé à me déplacer pour les suivre, mais Mme Foudy posa une main douce sur mon épaule pour m'arrêter.

Nous allons aller dans ma classe, Alex. J'aimerais avoir une petite conversation avec toi.

Mais qu'en est-il de...

Elle ira bien, me rassura-t-elle. Je vais m'assurer que sa punition ne soit pas trop sévère.

J'ai secoué la tête.

Il va la suspendre ou demander à Jill de la mettre sur le banc pour le reste de la saison. Je ne serais pas surprise s'il choisissait de faire les deux.

Elle leva la main pour me calmer et murmura :

Je vais avoir besoin de toi pour me faire confiance ici, Alex. Tobin mérite d'être punie pour ses actions, mais je sais que ce n'est pas une personne violente. Je ferais de mon mieux pour que cet inccident ne nuise pas à son dossier.

J'étais un peu hésitante à croire qu'elle veuille vraiment aider une élève qui venait tout juste de frapper plusieurs fois un autre élève au visage, mais j'ai accepté néanmoins de la suivre dans sa classe.
Lorsque nous sommes sorties de l'immeuble, nous sommes passées devant Servando et des deux gardes de sécurité. J'ai remarqué que l'infirmière de l'école avait rejoint leurs rangs. Elle devait être arrivée pendant que le principale nous parlait.
Servando était toujours à terre, mais il n'avait pas l'air aussi faible qu'il l'avait été quelques minutes auparavant. Maintenant qu'ils avaient nettoyé le sang de son visage, il était facile de voir que ses seules blessures étaient une entaille sous l'œil et une lèvre ouverte. Son nez ne saignait plus et il semblait parfaitement conscient de son entourage. Il paraissait irrité quand l'infirmière lui toucha le visage avec des mains gantées.
Il me surprit en train de le regarder et j'ai immédiatement détourné le regard de ces mêmes yeux sombres qui étaient à quelques centimètres de moi il y a à peine deux jours et demi.

J'étais en proie à des questions intérieures alors que nous nous dirigions vers le bâtiment A. De quoi Mme Foudy voulait-elle me parler ? Et pourquoi semblait-t-elle si disposée à aider Tobin ?

Mme Foudy était une personne très gentille et elle avait une place spéciale dans son cœur pour l'équipe de football féminine, mais elle restait toujours une enseignante.
Tout enseignant régulier se soucierait davantage du bien-être de Servando que de Tobin dans cette situation. Ils la qualifieraient de perpétrateur qui mériterait une punition adaptée, et Servando serait considéré comme la victime qui ne voulait pas frapper une fille.

C'était comme si Foudy pouvait sentir qu'il y avait plus dans cette histoire que Tobin qui se démarquait et enfreignait les règles.

Pourquoi Tobin se disputerait-elle avec Servando ? Peut-être avait-elle en quelque sorte compris qu'il m'avait embrassé sans mon consentement, ce qui expliquerait pourquoi elle ne semblait pas fâchée contre moi lorsque je l'avais retirée de lui. Peut-être qu'elle était juste en colère qu'il m'ait embrassé tout court et ne savait toujours pas que je ne l'avais pas voulu.
Les deux options étaient tout à fait plausibles, mais je priais pour que la première soit la vérité.

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