« C'est juste un bleu »
Mes paupières s'ouvrirent lentement, révélant une pièce si lumineuse que j'ai dû les refermer instantanément. Une fois que ma vision s’est adaptée à mon environnement, j'ai pu distinguer un défibrillateur accroché sur le mur blanc devant moi et une carte de l’anatomie humaine à côté. Une table en métal était à gauche de moi avec dessus un petit bol contenant des échantillons de sang. Deux paires argentées de ce qui ressemblaient à des pincettes et une aiguille se trouvaient à côté, leurs pointes teintées de rouge. Un stéthoscope et quelques autres outils brillants reposaient sur une étagère dans le coin de la pièce.
La réalisation que je me trouvais à l'hôpital m'avait frappé comme une tonne de briques.
Puis tout m'était revenu d'un coup. La vue d'un camion sur le point de m'écraser, la sensation du corps de Tobin contre le mien, le son des sirènes qui fanfaronnaient alors que j'étais blessée dans une rue que j'avais traversée des centaines de fois auparavant.
J'aurais dû me retrouver dans une morgue, mais l'univers m’avait conduit ici à la place. J'avais pris une grande inspiration, sèche et tremblante, et j'avais senti quelque chose de dur entourer ma bouche. J'avais paniquée immédiatement et avais tendu la main pour arracher l'objet de mon visage, mais une sensation de brûlure m'avait touché au coude intérieur et me fit me stopper. En jurant et en me forçant à rester calme, j'avais baissé les yeux sur mon bras pour découvrir que j'avais accidentellement arraché mon IV. En baissant les yeux, le masque à oxygène que j'avais senti sur mon visage était tombé, avait rebondi sur les draps bleus du lit avant de basculer sur le sol. Il s'était brisé directement, des morceaux se répandaient sur le sol, exactement comme mes tripes l'auraient fait sur cette route si je n'avais pas été sauvée.
— Je m'en fiche que tu ne veuilles pas être ici, maman !
Je n'avais pas remarqué que la porte de la pièce dans laquelle je restais était ouverte juste assez pour que je puisse voir le couloir. J'avais été surprise d'apercevoir Tobin à travers la petite fente, semblant plus en colère que je ne l'aie jamais vue auparavant. Une femme portant un blazer bleu et une jupe à rayures assortie se tenait face à elle, les bras croisés et les yeux froids. Elle secoua la tête comme si elle était déçue, faisant trembloter légèrement son petit chignon. Bien que son style diffèrait beaucoup de celui de Tobin, leurs caractéristiques physiques étaient tellement similaires qu'il était évident qu'elles provenaient du même pôle génétique.
Sa mère lui cria dessus.
— N'ose pas me parler comme ça !
Tobin ne recula pas.
— Alors arrête de faire comme si tout ça te concernait toi !
— J'ai dû quitter le travail parce que tu as appelé en disant qu'il y avait une urgence ! J'ai roulé pendant plus d'une heure avant de rentrer à la maison et de te voir assise sur tes fesses, parfaitement bien !
— Parfaitement bien ? J'ai failli être renversée par un putain de camion, maman ! Je tremblais comme pas possible quand tu es rentrée !
Sa mère avait, contre toute attente, rigolé.
— Et tu t'attendais à ce que je me sente mal pour toi alors que tu es celle qui s'est volontairement jetée devant un camion ?
Tobin avait l'air aussi choquée que moi devant la cruauté de ce qu'elle avait entendu.
— J'ai sauvé la vie d'Alex ! Je ne pouvais pas la laisser se faire tuer !
— Oh mon dieu, s'il te plaît, ne recommence pas à parler de cette Alex. Tu peux me faire une faveur ? Ne me parle plus d'elle quand je te le demande.
Ce commentaire blessa visiblement Tobin et le vue de ses yeux qui commençaient à larmoyer m'avait brisé le cœur en un milliard de minuscules fragments.
— Je voulais seulement que tu m'emmènes ici pour que je puisse m'assurer qu'elle aille bien. Ce n’était pas beaucoup demander de ma part.
Sa mère roula des yeux, agacée par la détresse de Tobin.
— Tout ce que tu as fait, ça a été d'aller là-bas et de la regarder dormir pendant dix minutes comme la fille désespérée que tu es. Ne fais pas comme si ça ne nous faisait pas perdre notre temps.
À ce stade, j'étais très consciente que la situation qui se présentait à moi était grave. La manière dont Tobin et sa mère interagissaient entre elles était différente, il y avait quelque chose qui n'allait pas. Ma mère et moi-même ne nous étions jamais hurlé dessus de cette façon, et j'espérais que nous ne le ferions jamais. L'atmosphère autour de la mère et de la fille n'était pas chaleureuse et affectueuse, mais intense et inconfortable. C'était comme si elles étaient sur le point d'exploser, leur seul but étant de causer le plus de mal possible à l'autre.
— Va à la maison alors. Mais je ne pars pas avant son réveil !
Sa mère lui attrapa brutalement le bras, sa voix tombant dangereusement bas.
— Toi et moi, nous partons, maintenant. Fin de la conversation, lui dit-elle alors que Tobin se reculait et se défit de son emprise.
— Non.
— Non ?
Quand sa fille resecoua la tête avec défi, elle lui dit :
— Arrête d'agir comme une salope et va attendre dehors, le ton menaçant de sa voix ne fit pas changer sa fille d'avis.
— Ça semble ironique venant de toi.
La mère de Tobin avait explosé en premier. Elle avait levé la main derrière elle et gifla Tobin si fort que même si je n'avais pas regardé, j'aurais su ce qui était arrivé à cause du son. Sa fille s'était éloignée d'elle en titubant et en serrant sa joue, choquée du coup inattendu. Quand elle ne fut plus sonnée, elle abaissa sa main, et j'avais pu voir que sa peau était déjà en train de passer à une légère nuance de violet. Tobin fixait le visage de sa mère avec la mâchoire serrée, perturbée par le fait que la situation ait dégénéré si rapidement.
— Tu viens juste de...
— Pas un mot de plus, Tobin.
Je m'attendais à ce qu'elle déclenche une dispute avec cette femme, mais Tobin n'avait fait que hocher la tête en regardant le sol. Quand sa mère s'était retournée et s'en était allée, elle s'était accrochée un peu au mur près de la porte et s'était frotté l'endroit où elle avait été frappée.
Elle avait levé les yeux et jeté un coup d'œil rapide dans ma chambre, ses yeux humides s'écarquillant lorsqu'elle m'avait vu la regarder. J'étais sur le point de me lever et de la serrer dans mes bras quand j'ai entendu sa mère l'appeler de quelque part, disant à Tobin de se dépêcher. Elle m'avait fait le sourire le plus triste que j'ai jamais vu et elle était partie hors du vue avant que je puisse faire quelque chose pour la réconforter.
—————
Ma mère était revenue de la cafétéria seulement quelques minutes après l'incident, mais je n'avais pas pu me résoudre à lui dire ce qui s'était passé. J'étais tellement bouleversée quand je l'ai vue que j'ai commencé à pleurer et j'étais incapable de dire quoi que ce soit.
Après tout ce temps, je n'avais toujours pas avoué ce que j'avais vu à qui que ce soit, à l'exception de Kappa, le chat errant qui errait dans mon quartier. Peut-être que j'avais peur que les services de protection de l'enfance puissent séparer Tobin de sa famille et qu'elle soit tellement en colère contre moi qu'elle ne me parlerait plus jamais. À quelques reprises, j'en avais presque parlé à un conseiller de l'école, mais je m'empêchais toujours de le faire.
Je m'attendais à ce que Tobin en parle lors de notre rencontre au magasin de crème glacée local l'été suivant, mais elle ne l'avait pas fait. Elle avait agi comme si ça ne s'était jamais passé alors que nous étions assises et avions essayé de terminer nos sundaes avant que le chaud soleil ne les fasse fondre.
J'ai pris cela comme sa façon de dire qu'elle voulait que j'oublie totalement l'incident, et ce fut exactement ce que j'ai prétendu faire. Tobin a fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter de parler de la femme qui l'avait élevée et je n'ai pas essayé de la forcer à affronter le sujet. Elle disait continuellement des mensonges et avait des excuses pour l'équipe pour expliquer pourquoi aucune d'entre nous ne pouvait venir chez elle, pourquoi sa famille ne s'était jamais rendue à aucun de ses matchs de football.
Alors que je conduisais à l'école, j'ai essayé de penser à ce qui aurait pu motiver la mère de Tobin à venir voir jouer. Le journal local louait constamment sa fille comme étant la meilleure joueuse de la Californie, mais cela ne l'avait pas empêchée de rester chez elle auparavant. Tobin avait remporté une coupe nationale et des tournois de ligue sans avoir besoin ou sans vouloir que sa mère soit là pour la soutenir. Il était donc peu probable qu'elle ait été invitée à y assister.
Je n'arrivais tout simplement pas à comprendre ce qui l'avait finalement amenée à se soucier suffisamment pour s'arrêter sur le terrain hier soir.
Ensuite, je me suis souvenu que toute la jeunesse de Diamond Bar répandait l'idée que Tobin et moi étions ensemble.
Dès que j'ai garé ma voiture dans le parking réservé aux étudiants, j'ai saisi mon sac sur le siège du passager et me suis précipitée vers la cour. L’ensemble de l’équipe était rassemblé à l’extérieur de la bibliothèque comme chaque matin avant le début des cours, mais Tobin n’en faisait pas partie. Kelley et Christen m'ont dit qu'elles n'ont plus eu de ses nouvelles depuis hier, ce qui m'a rendu encore plus inquiète pour elle que je ne l'étais déjà.
Ce n'a été que lorsque la cloche a sonné pour aller en Physique que je l'ai vu marcher dans le couloir, portant ce maudit longboard. Elle m'a lancé un sourire qui aurait dû me donner des papillons déchaînés dans le ventre, mais la seule chose que je ressentais quand je l'ai regardé, ça a été la compassion et la peine. Elle est passée juste devant moi avant d'entrer en classe.
— Hey, Lex.
J'ai saisi l'une des sangles de son sac à dos et je l'ai tirée vers moi avant qu'elle ne puisse passer la porte.
Ses yeux se sont élargis de la taille de la lune alors que je prenais doucement son visage dans mes mains et le rapprochais lentement du mien pour l'examiner. J'étais trop concentrée sur ses blessures pour m'attarder sur la beauté de sa réaction à mon contact innocent. Une ecchymose sombre couvrait sa pommette et s'étendait jusqu'à la peau juste sous son œil droit. J'ai légèrement frotté mes doigts sur la zone endolorie, la faisant grimacer et s'éloigner de moi.
— Qu'est-ce que c'est ?
Elle a soupiré et a commencé à malaxer l'arrière de sa tête.
— Ne sois pas si inquiète. C'est juste un bleu.
J'aurais voulu la questionner davantage, mais elle s'est détournée de moi et s'est dirigé vers la classe avant que je ne puisse dire un autre mot. La façon dont elle m'a repoussée m'a frustrée autant que le fait que j'ai agi illogiquement en la voyant. La saisir et étudier la tache pourpre sur sa peau comme si elle était une sorte de spécimen n'était probablement pas la meilleure approche que j'aurais pu prendre.
La prochaine fois, j'aurais la chance de lui parler en privé. Tout ce que je pouvais faire, c'était d'être plus prudente et espérer que je ne lui ferais plus peur.
J'ai à contrecœur suivie Tobin à nos tables et me suis promis de ne pas rester assise là à ne rien faire et la regarder souffrir. Pas cette fois.
—————
Tobin m'a envoyé un texto juste avant le déjeuner pour m'expliquer qu'elle était occupée à aider des étudiants de première année à faire leurs devoirs de maths et qu'elle ne pourrait pas se rendre à la cafétéria. Ce n'était pas la pire excuse, mais Je savais qu'elle mentait juste pour ne pas voir le reste de l’équipe. Elle savait qu'elles penseraient que quelqu'un l'a frappée et risqueraient cette personne jusqu'au bout du monde.
J'ai pensé à aller la chercher puisqu'elle ne faisait probablement que passer du temps dans sa classe de calcul, mais j'ai finalement décidé de la laisser un peu seule. Elle ne voulait manifestement pas que quelqu'un lui pose des questions en ce moment, et je ne voulais pas la déranger avec l'une des miennes.
— Est-ce que l'une de vous commence à penser à avoir un travail ? demanda Christen, faisant rire Kelley.
— Quelle belle façon de nous dire que nous devons nous bouger le cul, Christen.
Christen lui tapa le bras.
— Ce n'est pas pourquoi je demande. Mon patron cherche à obtenir de l’aide supplémentaire depuis un moment, mais peu de gens ont postulé.
— Vraiment ? Tu pensais qu'une tonne de personnes sauterait sur l'occasion de travailler dans une librairie ?
— C'est ce que je pensais, oui. La paye est excellente et le travail en lui-même est plutôt reposant. Je lui ai dit hier que je pourrais facilement trouver quelqu'un qui serait prêt à venir pour un entretien d'embauche.
Kelley secoua la tête.
— J'a-do-re-rais, mais l'école et le sport me stressent déjà suffisamment. C'est déjà trop pour moi.
— C'est compréhensible.
Christen haussa les épaules et me regarda avec espoir.
— Qu'en est-il de...
Notre conversation est interrompue par un rocher qui s'écrasa sauvagement sur notre table, renversant un distributeur de serviettes et nous faisant toutes les trois crier. Un petit morceau de papier était collé à cette pierre, plié pour le faire ressembler à un cœur. C'était raté et moche.
J'ai regardé autour de la salle aussi vite que possible et j'ai aperçu un groupe de joueurs de football qui couraient à toute vitesse, écartant tous les obstacles qui se trouvaient sur leur chemin.
Kelley s'est levée comme si elle était sur le point de les pourchasser, mais je lui ai attrapé l'épaule et je l'ai fait se rasseoir avant qu'elle ne le puisse. Même si elle réussissait à les rattraper grâce à sa vitesse, ils étaient beaucoup plus nombreux et je ne voulais pas qu'elle se mette en danger.
J'ai ramassé ce qui avait été jeté sur notre table.
— Qu'est-ce que c'est que ça ?
Christen leva les sourcils.
— Quoi que ce soit, ça ne peut pas être bon. Pas quand ces gars ont quelque chose à voir avec ça.
Kelley était presque en train de fulminer quand elle a tendu la main et arracha la note de la pierre.
— Je jure devant Dieu, si je vais au match de vendredi, ce sera juste pour pouvoir défoncer tous ces...
Je devenais de plus en plus confuse lorsqu'elle s'était arrêtée de parler après avoir déchiffré le message qui nous avait été si grossièrement envoyé, la couleur s'écoulant de son visage d'idiote.
— Qu'est-ce qu'il y a, Kelley ? Qu'est-ce qui ne va pas ?
— Hum...
Elle me tendit lentement le papier que je lui pris des mains douteusement.
— Je pense que c'est pour toi.
« J'ai compris pourquoi tu as refusé mon invitation. J'ai toujours ce billet supplémentaire avec ton nom dessus. Je te suggère de l'utiliser si tu ne veux pas que quelque chose arrive à ta chère petite amie. »
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