Chapitre 9.1

Le soleil se levait à peine, commençant doucement à chasser la pénombre. La troupe de gladiateurs, déjà en marche, trépignait d'impatience : les latifundas n'étaient plus très loin. De leur position, ils pouvaient déjà voir l'ombre des travailleurs qui s'agitaient depuis l'aube.

Aniketos, lui, ne parvenait pas à se réjouir d'avoir atteint la destination, le lieu où des hommes agrandiraient leurs rangs pour leur permettre de former une armée -enfin, un début de compagnie -, venger Sparte et enfin, repartir. C'était tout ce qu'il désirait. Et pourtant, il gardait un air renfrogné. Il enrageait toujours de la scène à laquelle il avait assisté la veille.

Aelia dans les bras de Spartacus.

Il ne pouvait s'empêcher de haïr son ami pour cela. Il se sentait trahi.

Spartacus qui caressait les cheveux d'Aelia.

La colère prenait possession de son esprit, vicieuse, pernicieuse. Elle grimpait dans sa tête et s'emparait du contrôle de ses membres également.

Aelia réconfortée par Spartacus.

Il sentait ses poings se serrer tout seul dans une tentative vaine d'évacuer sa rage. Une de ses mains broyait la poignée de son bouclier et l'autre se refermait sur...

-Aniketos, couina Aelia, tu me fais mal.

Le guerrier sursauta, baissa la tête vers elle et lui lâcha la main en bredouillant des excuses. Il se sentit immédiatement honteux. Pourquoi une telle colère l'habitait alors que l'esclave finissait toujours par revenir vers lui ? Pourquoi se sentir délaissé alors qu'ils marchaient côte à côte, main dans la main ?

Il s'ébroua et se reconcentra sur l'instant présent. Aussitôt, ses oreilles repérèrent des bruissements qui lui parvenaient de l'arrière. Derrière lui.

Pourtant, Aniketos fermait la marche...

Il se retourna, surpris, et n'eût que le temps de lever son bouclier pour parer une attaque. L'épée s'abatit contre sa protection, il encaissa le coup. Le bruit alerta tous les gladiateurs et le combat commença.

De son bras libre, Aniketos attrapa Aelia et la plaqua brutalement contre son torse. L'autre main soulevait le bouclier pour les protéger tous les deux.

Incapable de faire quoi que ce soit d'autre, Aelia se laissa entraîner dans le sillon du guerrier. Il la serrait tellement fort, qu'elle suffoquait et le bouclier qui lui cachait la vue l'oppressait terriblement.

Un coup puissant les frappa. La protection trembla. Résista. Les oreilles d'Aelia bourdonnèrent. Aniketos releva son arme pour l'abattre sur son assaillant. Il écrasa le casque du Romain à coups de bouclier, frappa, encore et encore. Des coups puissants, enragés.

Il ne se contrôlait plus.

Il asséna un dernier coup à son adversaire déjà mort puis ramena l'arme contre Aelia. Comme si de rien était.

Le sang.

Aelia le sentait contre sa joue, gluant et froid. Elle ne disait rien. Elle se laissait emporter par la force d'Aniketos. Avec ce sang contre elle. Cette odeur répugnante dans les narines. Ce vacarme autour d'elle, les cris, les épées qui s'entrechoquaient, les hommes qui hurlaient. Tout était lointain et si perçant à la fois.

Elle assistait au combat sans vraiment y prendre part, alors qu'elle était au cœur de celui-ci.

Chaque coup que parait Aniketos la faisait trembler. Chaque homme qu'il tuait de son bouclier la couvrait de sang. Chaque attaque dégageait sa vue pour lui offrir morts, grimaces de douleur, haine, armes.

Soudain, elle remarqua qu'ils reculaient. Pas tous les fugitifs, juste eux deux. Le Grec n'attaquait plus, ne défendait plus, il marchait à reculons. Aelia s'affola. S'il battait en retraite, cela signifiait qu'ils étaient en mauvaise posture ! Elle n'arrivait plus à respirer. Le bras d'Aniketos lui comprimait la poitrine, le bouclier la privait d'air, la panique la rendait haletante.

Et personne ne le remarquait.

Elle ne pouvait rien faire. Elle craignait de distraire son protecteur en lui faisant un signe, ce qui leur coûterait la vie, assurément.

Inspirer. Doucement.

Avoir confiance en lui.

Expirer. Lentement.

Elle n'y arrivait pas. Elle avait confiance en lui mais elle peinait à respirer calmement. Elle n'y arrivait pas ! Elle ne pouvait pas !

Se concentrer sur autre chose.

Ne plus penser à ma respiration.

Pense à quelque chose de rassurant !

Calme-toi !

Mais comment faire pour se calmer quand tout autour de soi n'était que violence ? Quand la personne qui aurait dû prendre soin de vous était en train de vous tuer, lentement, inconsciemment, mais de vous tuer quand-même.

Une larme silencieuse coula sur sa joue. D'autres suivirent. Les pleurs se mêlèrent au sang. L'eau se colora de rouge et dansa le long du corps de la jeune femme. Elle coula le long de son cou avant de descendre contre sa poitrine. Là, elle roula sur le bras d'Aniketos et y prolongea sa course. Elle glissa contre la peau du gladiateur et s'écrasa au sol.

Aniketos sursauta au contact du liquide contre sa peau. Instinctivement, il relâcha la pression qu'il exerçait contre la jeune femme. Elle respira enfin.

Le duo continua à reculer, à un rythme de plus en plus rapide. Aniketos les entraînait vers les latifundas pour les sortir de la mêlée. Il ne désirait que deux choses : mettre Aelia à l'abri et massacrer les Romains.

Bientôt, ils furent hors de danger. Plus aucune épée ne s'abattait sur eux, plus aucun adversaire ne leur bloquait la route. Le Grec s'arrêta et libéra Aelia de son étreinte.

Il remarqua que ses joues étaient mouillées, son visage couvert de sang et ses yeux brillants de peur. Son cœur se serra à cette vue et il oublia tout le reste. Le combat à peine entamé disparut de ses pensées. Il ne restait que le souvenir du corps d'Aelia plaqué contre le sien, créant une tension presque douloureuse dans tous ses membres.

Il s'approcha d'elle, avec lenteur pour ne pas l'effrayer, comme si elle était un oiseau prêt à s'enfuir au moindre faux pas. Il était inexorablement attiré par cette femme. Il l'avait toujours été. Elle était telle une enchanteresse qui prenait le contrôle de ses envies.

Leurs visages étaient si proches à cet instant, qu'il pouvait sentir le souffle chaud d'Aelia contre son cou. Il avait envie, besoin, de la toucher. De la sentir contre lui à nouveau. D'être chatouillé par ses longs cheveux bruns. Il se pencha tout doucement vers le visage d'Aelia. Elle retint sa respiration, se hissa sur la pointe des pieds pour s'approcher encore un peu de lui, le cœur battant à tout rompre. Leurs respirations haletantes se croisaient, se répondaient, s'emmêlaient. Aniketos ne contrôlait plus ses membres, ses lèvres étaient attirées vers Aelia. Alors, avec délicatesse, il déposa un baiser tendre sur son front.

Il l'avait à peine effleurée.

S'il avait prolongé le contact, il n'aurait jamais eu la force de s'en défaire. Il se recula brusquement, comme si rester trop longtemps près d'Aelia le mettait en danger.

-Va maintenant, souffla-t-il. Tu trouveras refuge auprès des travailleurs.

Le retour à la réalité était douloureux. Violent. Brutal. Aelia aurait voulu que les lèvres chaudes du guerrier ne quittent jamais sa peau. Mais il était avant tout un combattant, un homme excité à l'idée de faire couler le sang de ses ennemis.

Elle hocha la tête avec regret. Sa gorge était serrée.

-Fais attention à toi, s'étrangla-t-elle.

Il ne ferait pas attention. Elle le savait. Il ferait tout pour que le plus de Romains périssent par sa main, quitte à mettre sa propre vie en danger.

Il ne répondit pas. Il se contenta de la fixer de ses yeux bleus impossibles à déchiffrer. Il la poussa doucement vers le chemin qui menait aux champs et sans prévenir, il fit volte-face. Il avait repris le contrôle de ses émotions : il était prêt à retourner se battre.

Il ne jeta pas même un regard en arrière, seul restait son deuxième objectif à présent qu'Aelia était en sécurité. Il chassa toutes les interrogations qui habitaient dans son esprit et espéra qu'Arès serait de son côté.

Il rejoignit ses compagnons au pas de course. Il s'était quelque peu éloigné avant de laisser partir la jeune femme pour être sûr que personne ne la prendrait par surprise. À présent, il parcourait le chemin inverse dans les bois et cette traversée lui permettait de se reconcentrer et chasser toute distraction de son esprit. Il ne pouvait pas se permettre de se rendre sur un champ de bataille en pensant à une femme ! Il prit également le temps d'adresser une brève prière à l'attention du dieu de la guerre, pour s'assurer de son soutien.

Lorsque les combats furent à sa portée, ses yeux se posèrent immédiatement sur Aedd qui était aux prises avec deux gardes. Le gaulois, déchaîné, n'avait certainement pas besoin d'aide. Une épée dans chaque main, il parait et attaquait sans aucun signe de faiblesse. Chacun de ses coups déstabilisait les gardes et il prendrait vite l'avantage.

Mais Aedd n'était pas le seul à se battre seul contre deux. Aniketos remarqua en une fraction de seconde que le nombre d'anciens gladiateurs était nettement inférieur à celui des gardes.

Il se jeta dans la mêlée.

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> Le recap historique sera sur la partie 2

>J'espère que cette première partie vous a plu (n'hésitez pas à me faire part de vos impressions)

Puissent les dieux veiller sur vos pas,
Dream

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