Chapitre 8.2

Elle leva la tête vers la mêlée d'hommes, cherchant Aniketos du regard. Elle trouva sans peine les yeux bleus du guerrier. Il tremblait de rage. Même lui, semblait lui en vouloir d'avoir été assez stupide pour hurler alors qu'ils étaient en fuite, au vu de sa colère. Elle sanglota de plus belle, honteuse. Pas lui. Elle ne pouvait pas l'avoir déçu lui aussi. Ils avaient pourtant réussi à se rapprocher énormément ces derniers jours...

Une main se posa soudainement sur son épaule, la faisant sursauter. Elle tourna la tête et reconnut Spartacus.

-Vous me faites pitié, tous. À vous battre pour un morceau de viande alors qu'aucun, je dis bien aucun, de vous n'a souffert de la faim depuis notre fuite. À insulter une femme qui est la seule ici à être raisonnable et voir que vous vous faites du mal pour rien, abrutis que vous êtes. Tout le monde se calme et retourne à sa place.

Plus que de la colère, c'était du dédain qui se cachait dans la voix de Spartacus. Il se détourna des hommes et enserra Aelia contre lui. Il passa une main réconfortante dans ses cheveux pour apaiser ses pleurs. Elle se laissa aller contre son torse et pleura, longtemps. Personne ne leur prêtait attention, beaucoup étaient effectivement retournés manger en silence. Personne, sauf un guerrier qui les fixait avec une rage meurtrière. Des yeux bleus étincelant de colère les surveillaient. Le binôme n'avait pas bougé, Aelia se laissant bercer par Spartacus, profitant du seul rempart qui s'était offert à elle.

-C'est toi qui me fais pitié, retentit alors la voix d'Aniketos.

Spartacus redressa la tête et put distinguer très clairement le guerrier grec éclairé par un des feux qui avaient été allumés et les derniers rayons d'un soleil couchant.

-Ah bon ? s'enquit alors simplement le thrace, très posément.

-Abuser du désespoir d'une jeune femme pour la mettre dans ton lit, ça me fait pitié, cracha-t-il. C'est ce que tu es en train de faire, non ? Tu passes pour un héros à ses yeux et après tu profites d'elle c'est ça ? Chien !

-Tu es jaloux, Aniketos, jaloux parce que toi tu es trop peureux pour oser la défendre ! Toi, tu es trop faible pour défier ce que dit Maximus... mais tu as raison, j'espère qu'Aelia se rendra compte que tu es un lâche et finira par compter sur moi et plus sur toi. Oui Aniketos, tu as raison, j'espère qu'elle finira dans mon lit. Parce que je l'aime. Et je veux qu'elle m'appartienne.

Aelia eut un hoquet de stupeur. Jamais elle n'avait entendu quelqu'un dire qu'il l'aimait. Jamais. Elle s'éloigna de quelques pas de Spartacus, pour le regarder. Elle avait besoin de vérifier qu'il disait vrai, voir son visage lorsqu'il répéterait qu'il l'aimait.

Tout ce qu'elle put voir fut une masse floue se précipiter sur le meneur. Aniketos avait bondi sur le thrace, ne supportant pas ce qu'il avait entendu. Il donna un coup de poing si violent à Spartacus, que son nez émit un son affreux et qu'il se mit à saigner. Le Grec se recula aussitôt, comme effrayé par sa propre violence.

-Pardonnez-moi, murmura-t-il rapidement à l'attention des dieux.

Spartacus ne riposta pas. Il avait encaissé le coup presque sans broncher, à l'exception d'un gémissement de douleur.

-Qu'est-ce que vous avez, tous, ce soir ? demanda-t-il en haussant la voix pour que tout le monde l'entende. Dites le moi, il n'y a jamais eu de problèmes jusqu'à aujourd'hui. Dites moi ce qui ne va pas qu'on règle ça maintenant et qu'on n'en parle plus.

Il ne supportait pas voir sa troupe aussi divisée et il se doutait que son ami ne lui aurait pas cassé le nez juste parce qu'il l'avait provoqué en lui disant qu'il était lâche. Il balaya le campement du regard et ne vit que des hommes sur les nerfs, épuisés et énervés.

-Répondez ! J'ai besoin de comprendre ! hurla-t-il déboussolé.

Il supplia Aniketos du regard. Ce dernier hocha la tête et ouvrit enfin la bouche :

-Je ne sais plus pourquoi on avance, Spartacus. Ça ne mène à rien, ce groupe... Pourquoi continuer à marcher vers Pompéi ?

-Pour être libre ! Ce n'est pas ce que vous vouliez, tous, en me suivant ? En fuyant avec moi ? Redevenir des hommes, des vrais, pas des possessions, des divertissements !

Des murmures traversèrent les groupes d'hommes. D'après ce que Spartacus pouvait entendre, il ressortait globalement que oui, la liberté était ce qui les avait motivés à partir. Oui, ils avaient haï leur condition de propriété, ils avaient haï être utilisés. Oui, ils n'avaient plus supporté la captivité. Il disait vrai.

-C'est vrai Spartacus, admit un certain Aulus, mais nous sommes déjà libres. Je crois que si nous continuons vers Pompéi, on risquera justement d'être faits prisonniers alors que là, nous pouvons chacun rentrer chez-nous.

Aniketos approuvait ce message, comme beaucoup d'autres. Ce petit Aulus avait trouvé les mots justes pour exprimer un sentiment général. Spartacus se sentit trahi. Abandonné. Délaissé. Ça faisait mal, terriblement mal d'entendre que toutes ces personnes, qu'il avait sauvées, désiraient le laisser seul pour retrouver leur petit confort d'autrefois. Comme si rien ne s'était passé entre temps, que personne ne les avait utilisés et brisés.

-Alors c'est donc ça, murmura-t-il avant de reprendre à haute voix, c'est ça que vous voulez ? Allez-y alors, partez, rien ne vous retient. Retournez dans vos petites maisons, laissez ceux qui vous ont fait souffrir impunis, oubliez que des centaines d'hommes se sont sacrifiés pour nous permettre d'en arriver là. Allez-y, partez !

Il marqua une pause, dévisageant tous les hommes d'un regard de braise.

-Mais sachez que ceux qui resteront avec moi ont bien plus que leur liberté égoïste à gagner, ils ont des esclaves à libérer de leurs chaînes, des combats à mener pour venger tous les opprimés. Ils iront peut-être au devant d'une mort cruelle ou d'un châtiment terrible, mais ils s'y rendront dignes, la tête haute, en hommes libres et insoumis, en guerriers invaincus !

Il s'arrêta là, essoufflé par son discours, exalté et revigoré par ses propres mots. Il avait réveillé en lui-même une soif de vengeance, une envie pressante de rallier d'autres personnes à sa cause. Fier de lui, il tourna la tête vers Aulus qui baissa les yeux et se détourna. Il fut étonné de voir que de nombreux hommes hésitaient. Il croyait les avoir tous convaincus qu'il y avait un objectif au delà de l'envie de retrouver leurs proches.

Aniketos était partagé. Il avait envie de soutenir Spartacus, son ami, qui se dressait devant eux ensanglanté et les yeux brillants d'excitation, pour se faire pardonner son agressivité. Il voulait le soutenir pour signifier sa gratitude, Spartacus l'ayant sauvé de sa condition. Et en même temps, il rêvait de Sparte. Il rêvait de revoir sa mère et retrouver les siens. Retrouver sa terre natale.

-Mon ami, souffla Spartacus à ses côtés. Mon ami, je t'en prie ! Oublie notre différent et reste avec moi. Avec... Aelia !

Aniketos se tourna vers le thrace qui lui chuchotait ces paroles à l'oreille. Il osait se servir de l'affection d'Aniketos pour Aelia, lui qui plus tôt déclarait qu'il l'aimait !

-Ne parle pas d'elle, répliqua Aniketos les dents serrées. Si tu l'aimes, tu devrais être content que je parte.

-Je l'aime. Mais je ne veux pas d'une femme qui ne veut pas de moi. Si elle te préfère, je comprendrai. Reste, supplia-t-il une ultime fois, pour faire honneur à ta ville et te montrer digne de tes origines ! Ne sens-tu pas que nous devons donner une bonne leçon aux Romains ?

Ce fut le bon argument. Aniketos se persuada que Sparte aurait voulu qu'il rende hommage aux vies perdues pour lui offrir sa liberté. Il sentait à présent que Sparte avait été déshonorée qu'un de ses citoyens soit le jouet des Romains et qu'il devait réparer cela les humiliant à leur tour. Plus que les humilier, il allait leur faire mal, les faire souffrir.

Il resta. Une quinzaine d'hommes seulement disparut. Spartacus et Crixus furent soulagés qu'autant d'hommes soient restés à leurs côtés. Ils marchèrent, quelques jours encore, plus soudés que jamais.

Le mont Vesuve et les latifundas se dressèrent enfin devant eux. La vengeance allait pouvoir commencer.

Mais tapis dans l'ombre, les gardes régionaux envoyés par la ville de Capoue aussi se dresseraient bientôt devant eux.

Le sang allait couler.

*******

Et voilà que se termine le chapitre 8 et avec ça, vient le récapitulatif historique !

Récapitulatif historique :

-Toutes les sources s'accordent à dire que la troupe s'est dirigée vers Pompei, ce qui a permis à d'autres personnes de le rejoindre.

-Rien n'indique que des tensions ont séparé les hommes et que certains ont décidé de partir. Mais il me semblait bizarre que 70 hommes parviennent à rester unis et soudés dans un moment pareil. C'est donc romancé.

Et voilà, j'espère que ce chapitre un peu plus "calme" vous a plu... Les choses sérieuses vont enfin pouvoir commencer !
N'hésitez pas à me laisser vos avis.

Puissent les dieux veiller sur vos pas,
Dream

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