Chapitre 4.2

L'arène resta silencieuse durant tout le temps qu'il fallut à Aniketos pour arriver. Lorsqu'il se présenta dans celle-ci, Tertulla avait eu le temps de détailler tous les gladiateurs présents, de juger qu'ils étaient pour la plupart très repoussants. Elle avait demandé le prénom de ceux qu'elle trouvait charmants, mimant de s'intéresser à leur discipline. Si elle savait que son mari la trompait avec une certaine Licinnia, elle ne lui en voulait pas, aucun homme ne restait fidèle à sa femme, surtout lors d'un mariage aussi peu désiré que le leur ! Mais elle se demandait si elle, avait le droit de faire de même avec l'un de ces ravissants combattants. Elle avait retenu les prénoms de Maximus, Spartacus et surtout de deux frères gaulois extrêmement séduisants : Aedd et Mabyon.

Or, alors que le nouveau gladiateur saluait son mari, la femme en oublia tous les autres. Ce grec avait dans sa démarche quelque chose de supérieur, une façon de marcher raffinée et toute en force à la fois. Une tête haute, différente de l'attitude soumise de son corps légèrement courbé. Le mélange parfait entre l'obéissance et l'éclat de la révolte semblait l'illuminer. Si son regard d'un bleu limpide avait d'abord charmé Tertulla, il semblait ensuite empli d'une telle froideur qu'il en devenait juste fascinant. La glace de la haine et le feu de la bienveillance y dansaient. Tertulla s'y perdait. Il sourit à la jeune femme sans même sembler réellement la voir et alla se poster un peu en retrait de Lentulus, juste en face de Marcus.

Lorsqu'il fut dos à elle, Tertulla étouffa un petit cri. Qu'avait donc bien pu faire cet homme pour mériter cela ? Leur hôte d'un soir n'avait-il donc aucune pitié ? Ce que les yeux de la femme voyaient n'était plus un corps finement sculpté, des hanches plus fines contrastées avec de larges épaules. Ce qu'elle voyait étaient des cicatrices rouges, fraîches. Elles recouvraient presque l'entièreté du dos d'Aniketos et semblaient sur le point de se déchirer à chaque mouvement qu'il effectuait.

-Ainsi c'est toi, le Grec qui a fait pencher mon choix sur cette école. Pourquoi cette punition ? demanda Crassus en scrutant Aniketos de ses petits yeux verts.

Aniketos se tourna vers Lentulus qui inclina la tête en avant, le laissant ainsi prendre la parole.

-J'ai désobéi aux ordres de maître Batiatus, répondit simplement le Grec.

Marcus sourit en se tournant vers Lentulus.

-Il semble plutôt docile, peu bavard et en bonne santé. Enfin à l'exception de son dos je suppose. Tourne-toi, ordonna le prêteur.

Aniketos s'empressa d'obéir et se retrouva face à Tertulla. Son opulence le dégoûtait, il méprisait le simple fait de porter sur elle autant d'objets de valeur : boucles d'oreille, bagues serties d'émeraude, châle neuf recouvrant une robe jaune d'or. Elle portait le tout avec le maintien des femmes riches, l'élégance de celles dont l'éducation avait été raffinée et sévère.

L'homme fut tout de même forcé d'admettre que les traits fins de son visage ne le laissaient pas indifférent. Son nez gracile était parsemé de légères tâches de rousseur, ressorties avec le soleil et s'harmonisait avec un menton délicat, des pommettes hautes et des yeux d'un brun sombre à en faire suer le gladiateur. Elle avait recouvert ses cheveux d'un pan de son châle et n'en dépassait qu'une mèche brune, rebelle et bouclée. Aniketos ne tentait pas de cacher le fait qu'il l'observait, la détaillait et admirait son charme tout en haïssant ses parures ; et elle ne se cachait pas non plus de parcourir du regard ses jambes puissantes, remonter vers ses hanches plus étroites recouvertes d'un pagne noir, laisser glisser son regard le long de son torse athlétique où s'étirait une unique trace rouge et enfin, dévier lentement jusqu'à son cou enserré d'un collier de cuir noir qui mettait en valeur ses yeux clairs et ses mèches châtain.

Il fit volte-face sur ordre de son maître. Son échange silencieux avec Tertulla l'avait déstabilisé : il ne savait pas que les Romaines se permettaient autant de libertés devant leur mari. Il les pensait soumises au rôle d'accessoire et pourtant, cette Tertulla l'avait regardé avec une telle intensité...

-J'apprécie la minutie des coups qui lui ont été donnés. Ce que je n'aime pas en revanche ces sont les hommes qui ne tiennent pas leurs engagements. Arrange-toi pour qu'il combatte.

-Il s'est rendu à l'entraînement hier, s'écria Lentulus avec empressement. Il parvient à soulever bouclier et épée, je peux l'offrir en tant que provocator ou thrace.

-Je le veux comme archer. Tu as été le premier à me proposer un archer, je désire voir ce combat qui promet d'être original et passionnant.

-J'ai d'autres archers, répéta Lentulus, désespéré par l'entêtement du prêteur.

-Tu m'avais promis un Grec. Je suis certain qu'il parviendrait à tirer si on lui offrait la motivation nécessaire. Mariage ou liberté devraient le satisfaire.

Les deux hommes s'affrontèrent du regard et Lentulus finit par baisser les yeux. Il se tourna vers Aniketos et ordonna :

-Prends un arc. Offrons ce qui a été demandé. Tâche de ne pas me décevoir à nouveau.

Le spartiate accepta et se dirigea vers l'arme qu'on lui tendait. Il s'en saisit, frémissant à l'avance en repensant à la crispation éprouvée lorsqu'il avait en vain tenté de tirer à l'entraînement. Il savait qu'il ne gagnerait pas sa liberté, son maître à lui n'avait rien proposé. Mais la peur de décevoir Lentulus le força à encocher une flèche malgré tout. Il banda son arc, ses plaies se réouvrirent par la même occasion. Il n'avait pas encore déterminé sa cible. Il pointa la flèche vers l'extrémité inoccupée de la salle, n'y trouva pas d'endroit où tirer. Il dut maintenir son effort jusqu'à ce que Lentulus lui ordonnât de tirer sur les poteaux d'entraînement. Cela semblait être une cible trop large pour prouver sa dextérité ; il avait une certaine fierté personnelle à satisfaire. Il hésita quelques secondes encore, puis, pressé par l'élancement douloureux qui parcourait son dos, il se décida enfin.

Il se concentra, visa et expira en lâchant la flèche. Elle traversa la salle dans un sifflement vif et vint se planter dans la fine bande vide qui trônait au milieu d'un casque supposé couvrir toute une tête ne laissant apparaître que les yeux. Plusieurs casques de la sorte étaient entreposés dans un coin de l'arène et la pointe de la flèche s'était engouffrée dans l'un des trous.

Il ne parvint pas à se réjouir de la précision du tir, trop engourdi par les douleurs qu'il venait de réveiller derrière lui.

-Ah les esclaves, s'exclamait joyeusement Marcus, promettez-leur la liberté et ils deviennent aussi performants que désiré. Bien, Lentulus je crois que le problème est réglé. J'approuve ta sélection d'hommes. Montre-nous l'endroit où nous allons dormir avec ma femme, je souhaite m'y reposer un instant. Tu n'y verras pas d'inconvénients, je suppose.

Lentulus expirait de soulagement et approuvait sans même réfléchir tout ce que lui disait le prêteur. Il ne songeait qu'à une chose : la coquette somme d'argent qu'il allait bientôt empocher. Il s'empressa de mener le couple à son étage où ils logeraient, abandonnant les esclaves choisis pour combattre aux mains de Gaïus.

Ce dernier les félicita tous et les envoya se reposer avant l'entraînement intensif qu'il souhaitait leur imposer le lendemain. Ses yeux brillaient de la fierté d'avoir su rendre ces hommes aussi doués, qu'ils soient volontaires ou esclaves, tous faisaient preuve d'une technique qu'il se félicitait de leur avoir apprise. Il demanda à Aniketos de faire un détour par l'infirmerie afin de lui donner des mélanges censés apaiser sa douleur et lui permettre de bien dormir cette nuit.

Spartacus marcha aux côtés d'Aniketos afin de s'assurer qu'il exécutait les ordres, il connaissait le caractère têtu de son ami et craignait que celui-ci ne se rende pas auprès des guérisseuses. Le grec eut un éclair de lucidité en se retrouvant seul avec le thrace et lui glissa :

-Vous avez été dénoncés.

Il ne chercha pas à prendre des détours pour anéantir les rêves de Spartacus. Il ne pensait pas les briser en cet instant mais au contraire, renforcer la détermination du second. Lorsqu'il avait appris cette trahison, l'envie de vaincre, de se venger avait balayé sa peur et à présent, il comptait sur le thrace pour en faire de même, tel un commandant, un chef.

-Qui ? demanda Spartacus, sa voix ne trahissant aucun émotion.

-Maximus, chuchota Aniketos.

Les deux hommes marchaient côte à côte sans afficher la moindre émotion, semblant tenir une discussion banale et dénuée d'intérêt.

-Impossible, Crixus lui voue une confiance aveugle.

-Je l'ai vu et entendu moi-même, protesta le Grec.

-Crixus est mon allié le plus fidèle, il ne me trahirait jamais. Maximus est un allié de Crixus et par conséquent le mien. Mets ta rancune de côté, Aniketos. Tu lui en veux à cause de votre dispute, c'est tout. Maximus désire autant que nous partir d'ici, je peux te l'assurer.

Spartacus avait gardé son calme et sa voix neutre, pour la plus grande colère d'Aniketos. Ce dernier accéléra le pas et avertit rapidement le thrace qu'il n'avait pas besoin qu'on l'accompagne. Vexé d'avoir ainsi été ignoré, vexé que Maximus ait plus la confiance de celui qu'il croyait être son ami, il désirait rester seul. Il trouverait un moyen pour décrédibiliser Maximus aux yeux des autres. Pour qu'il cesse d'être perçu à la fois comme un guerrier redoutable et un allié. Il le montrerait sous son vrai jour aux yeux de tous.

Cependant il allait devoir continuer ses plans seul à présent. Il était reconnaissant envers Spartacus de l'avoir mis au courant de l'idée de révolte mais celle-ci étant vouée à l'échec, il devenait trop risqué de faire partie de la rébellion. Il ferait chemin seul, comme il l'avait toujours fait et gagnerait dans deux jours sa liberté, nul besoin de l'intervention de Crixus et Spartacus. Il trouverait un moyen d'être affranchi grâce à Marcus Crassus en l'impressionnant dans l'arène.

Il s'engouffra dans l'infirmerie, but d'une seule gorgée la mixture que lui tendait une esclave et retourna à sa chambre. Deux femmes l'y attendaient.

Que faisaient-elles là, avec leurs airs de furie, s'assassinant l'une et l'autre du regard ?

Tertulla découvrait ses cheveux en alternant un regard meurtrier vers l'autre femme et un regard doux vers le guerrier. Aelia respirait la jalousie et la haine lorsqu'elle fixait Tertulla et la passion tandis qu'elle regardait Aniketos.

Le guerrier se figea devant les deux femmes, passant des yeux bruns de la patricienne à ceux émeraude de l'esclave et se demanda ce qu'elles pouvaient bien lui vouloir.

-Que... ? commença Aniketos.

Il fut interrompu par Aelia qui répondit avant même d'attendre la fin de la question :

-J'étais venue voir comment tu allais et te parler d'une rumeur que j'ai entendue. Tu pourras te marier si tu gagnes ton combat, m'a-t-on dit et je...

Le guerrier n'eut pas même le temps d'être surpris ou de commencer à formuler une réponse que Tertulla s'exprimait à son tour :

-Je suis venue te parler d'une chose bien plus importante qu'une histoire de mariage.

Elle capta ainsi toute l'attention du gladiateur qui se détourna brusquement d'Aelia.

-Ton maître s'est excusé auprès de mon mari de devoir prendre des mesures peu agréables concernant des esclaves rebelles. Je n'ai pas pu entendre la suite... mais si tu fais partie de ces hommes, tu devrais faire attention à toi.

Aniketos en perdit contenance, sous l'effet de la surprise : Tertulla s'était déplacée afin de le mettre en garde.

-Et pourquoi ton sort l'intéresserait-elle ? demanda Aelia à Aniketos, blessée de recevoir aussi peu d'attention.

-Les femmes sont parfois aussi mal considérées que des esclaves, même les plus riches d'entre-elles. Entre Lentulus et Aniketos, mon cœur n'hésite pas une seule seconde. Il préfère le gladiateur. Et il se trouve que le gladiateur en question est en danger...

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Le chapitre a été scindé en deux dû à son nombre de mots trop important pour un format wattpad.
En voici donc son récapitulatif historique !

Récapitulatif historique
-Marcus Crassus est un personnage historique, il est dit de lui qu'il était l'homme le plus riche de Rome.

-"Prêteur" est un titre politique, c'est un rôle pour lequel les candidats étaient élus pour une durée d'un an afin d'alléger les tâches des consuls.

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