Chapitre 4.1

Marcus Licinius Crassus respirait la cupidité et l'arrogance. Aussi, son statut de simple prêteur ne lui suffisait plus, ce qui justifiait sa visite dans l'état de Capoue en ce jour ensoleillé. Il désirait entamer une campagne politique, gagner plus de soutien que Pompée et déjà placer ses pions dans l'éventualité d'un poste de consul. Prévoyance, ruse et argent lui conféraient une importance non-négligeable. Et aujourd'hui, il désirait acquérir le soutien du peuple de Capoue en leur offrant des spectacles de gladiateurs.

De plus, il ne pouvait nier le fait que cela l'enchantait également, il commençait à s'ennuyer à Rome. Toutes ses affaires étaient gérées d'une main de maître par ses hommes de confiance, il ne servait qu'à les financer, et sa femme ne le distrayait plus convenablement. Leur mariage avait servi à donner naissance à deux fils, Publius et Marcus, qu'il ne portait pas spécialement dans son cœur, présents uniquement pour lui assurer une descendance, comme cela était l'usage. Depuis, son épouse, Tertulla, avait passé le plus clair de son temps à s'occuper des deux garçons.

Il les avait laissés à Rome, peu désireux de les voir durant ce voyage qui servait à lui offrir le divertissement qu'il souhaitait et le soutien qu'il espérait remporter. Seule sa femme l'accompagnait, ayant su trouver les bons arguments pour faire partie du voyage. Ainsi, sous une chaleur suffocante, le couple voyageait dans la carpentum de luxe tirée par deux chevaux. Le confort satisfaisait les deux époux très exigeants en la matière et cinq jours suffisaient à les conduire de Rome à Capoue à raison d'une vingtaine de milles par jour. À cette allure, ils se permettraient même d'arriver deux jours à l'avance afin de rendre visite à l'école de Lentulus Batiatus et vérifier par la même occasion la qualité des spectacles qu'ils allaient offrir aux habitants de la région.

Tertulla commençait à trouver le temps long lorsque leurs chevaux s'arrêtèrent. Elle en aurait pleuré de soulagement si son éducation ne lui avait pas enseigné la retenue. L'ambiance entre elle et son mari était chargée de tension, elle ne le supportait plus. Ni l'atmosphère, ni l'homme qu'elle accompagnait. Elle espérait se changer les idées en profitant de ce séjour ici pour rencontrer de nouvelles personnes, de nouveaux lieux. En sortant de leur carpentum, elle fut d'abord frappée par l'aspect tant différent de Rome. Au lieu des rues parfaitement ordonnées de la capitale, elle se tenait dans une ruelle sinueuse pavée avec bien moins de précaution que ce à quoi elle avait été habituée. Devant elle, se dressait une gigantesque bâtisse de pierres qu'elle jugeait à la hauteur de ses attentes et, après une légère hésitation, elle emboîta le pas à Marcus.

Devant l'entrée de ce qu'elle devina être l'école de Lentulus, deux hommes faisaient office de gardes tandis qu'un troisième habillé d'une toge relativement simple semblait être le maître des lieux. Tertulla le devina grâce à ses sandales d'un rouge éclatant qui n'étaient visiblement pas très usées. Elle remarqua tout d'abord la qualité de ses vêtements avant de remonter son regard jusqu'à son visage. Elle ne fut pas surprise de rencontrer les yeux d'un homme dans la force de l'âge. La riche patricienne lui donna une quarantaine d'années en vue de son air sévère et de ses cheveux grisonnants. Elle n'apprécia pas ce qui s'offrait à sa vue : un nez trop long, des oreilles trop décollées, des sourcils trop froncés et des yeux d'un brun trop prononcé. Il empestait l'hypocrisie des hommes riches désirant trouver les bons alliés pour s'enrichir plus encore.

Ce fut donc grâce à l'habitude qu'elle parvint à lui offrir son plus grand sourire. L'homme les salua avec courtoisie et complimenta l'élégance du châle bleu pâle de la femme. Après les politesses d'usage, le maître des lieux les invita à pénétrer l'enceinte de son école. Il ne put s'empêcher de trembler de fierté en évoquant le nombre de gladiateurs qu'il possédait : quatre cents combattants. Marcus afficha une mine intéressée, impatient de voir de ses yeux les qualités et potentiels de tous ces hommes qui détermineraient de la réussite de son projet.

Lorsqu'ils entrèrent dans la cour de l'école de Lentulus, tout avait été mis en place pour impressionner un des hommes les plus riches de Rome. Une allée composée de l'ensemble des esclaves de Lentulus avait été formée avec minutie. Les rangées d'hommes semblaient interminables, constituées de visages fermés, de torse nus et couverts de sueur, barrés pour la plupart de cicatrices d'un rouge terni par le temps. Une mare de muscles accueillit le prêteur et sa femme. Le couple fut malgré lui impressionné par la discipline et l'ordre qui régnaient ici.

Lentulus promit de faire découvrir la propriété le lendemain, jugeant préférable de présenter les hommes qu'il avait sélectionnés aujourd'hui afin de leur accorder un entraînement plus spécifique le jour suivant. Il invita donc le couple à le suivre dans une arène de combats où une trentaine de gladiateurs attendaient en silence. À première vue, ils se ressemblaient tous : grands, musclés et un visage ne trahissant aucune émotion. Mais à mieux y regarder, Marcus, un connaisseur, repéra certains plus trapus que les autres, d'autres forgés pour l'attaque, quelques uns semblant plus à l'aise en position défensive. Il devinait d'abord leur rôle grâce à leur posture et leur corps, puis confirmait aisément ses suppositions : les combattants étaient trahis également par leurs armes. Il hocha la tête et demanda à ce que commence la démonstration.

Trois duos combattaient simultanément, tandis que Tertulla, Marcus et Lentulus déambulaient entre-eux et que Gaïus donnait ses derniers conseils. Parades et enchaînements défilèrent sous les yeux appréciateurs du riche prêteur qui observait le tout d'un œil attentif. Il regardait rapidement leurs techniques sans pour autant trop s'attarder sur les détails, de peur de se gâcher le spectacle. Il osait espérer d'eux de l'originalité après s'être assuré de leur maîtrise des armes.

— Et voici un de mes meilleurs éléments, annonça alors Lentulus. Spartacus, approche.

Le thrace s'exécuta et inclina respectueusement la tête devant Crassus qu'il jugea horriblement détestable à l'instant même où il l'aperçut. Les yeux verts et brillants du gladiateur trahissaient quelque peu sa haine mais pas assez pour interpeller les deux hommes. Tertulla, elle, ne put s'empêcher de le trouver séduisant, bien plus que son mari. Elle regretta une fois de plus ce mariage et offrit un sourire qu'elle voulait charmeur au thrace. Il n'y répondit que par politesse, semblant ne pas voir les atouts physiques de la femme. Il semblait aveugle à son charme et ses bijoux de luxe. Concentré sur sa haine, uniquement sa haine pour se conforter dans son besoin de fuir.

— Il fait partie des surprises que je t'ai promises, aussi ne combattra-t-il pas aujourd'hui.

— Tu as respecté tes engagements jusqu'à présent me semble-t-il, approuva Marcus. Je te fais également confiance sur ce choix.

Il marqua une pause puis reprit, le visage plus sévère :

— Mais tu ne m'as toujours pas présenté l'élément que tu m'avais promis, ton archer surdoué. Où est-il ?

Lentulus se figea. Il ne pensait pas que son interlocuteur s'en serait souvenu, il avait vaguement évoqué Aniketos lorsque Marcus était en pleine hésitation sur la personne à qui il accordait la plus grosse somme d'argent. Évidemment, les gladiateurs de Lentulus affronteraient d'autres élèves d'écoles différentes, mais le prêteur ne passait que dans une école, celle en qui il plaçait sa confiance. Lentulus avait dévoilé tous ses atouts, soucieux de plaire au second, attiré par le montant qu'offrait le prêteur au propriétaire de son choix.

— Il n'est pas en état de combattre, répondit Lentulus évasif. Mais j'ai d'autres archers presque aussi talentueux que je peux te montrer.

— Pas en état ? s'enquit Marcus désappointé. Tu m'avais promis ton Grec pourtant.

— J'en suis désolé... Il se trouve que j'ai fait fouetter le grec en question il y a de ça trois, quatre jours, s'expliqua nerveusement Lentulus.

Il s'en voulait de contrarier le prêteur. Et il en voulait à ce dernier de vouloir absolument Aniketos, ainsi que de lui infliger cette honte devant ses hommes. Il avait l'air d'un enfant surpris en train de commettre une bêtise alors qu'il n'était plus un enfant. Non. Il était Lentulus Batiatus, le seul et l'unique, le propriétaire de la plus grande école de gladiateurs de Capoue.

— Deux jours nous séparent des jeux, il lui en reste encore un demain pour se reposer, je veux le voir.

Il s'agissait là d'un ordre. Marcus Crassus n'était pas homme à qui l'on disait non. Ses envies devenaient des ordres et étaient exécutées dès qu'il sortait son argent. Argent qu'il n'avait pas encore donné à Lentulus, ce qu'il n'omit pas de préciser.

— Si tel est ton désir, finit alors par s'incliner le maître. Toi, fais chercher Aniketos.

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