Chapitre 11
Spartacus ouvrait la marche, aux côtés d'Œnomaüs. Derrière lui, plusieurs centaines de personnes avançaient ensemble, apportant avec elles des réserves de nourritures et des boucliers artisanaux. Les vraies armes, très rares, brillaient à la lumière du soleil et les éclairaient de leur éclat salvateur.
Les rebelles se dirigeaient vers le Vésuve, suite aux discussions menées entre les dirigeants. Ils avaient décrété qu'il était bien trop dangereux de rester au milieu des champs où les attaques pouvaient survenir de n'importe quel côté. Le mont, quant à lui, ne possédait qu'un seul chemin pour accéder à ses hauteurs. Le sommet de la montagne paraissait donc bien plus défendable comme position.
L'ascension fut éprouvante pour Aniketos. Le collier noir, marque imposée par Lentulus Batiatus, entourait toujours son cou alors qu'il rêvait de l'arracher. Il avait passé la soirée à contempler avec envie les esclaves se défaire de leurs contraintes. Il brûlait d'envie de faire de même et cette présence oppressante pesait plus lourd sur son âme que toutes les charges qu'il portait sur lui. Un bouclier pendait dans son dos tandis que ses bras tremblants transportaient un panier rempli d'orge cultivé dans les latifundia. Il trébuchait sans cesse, incapable de poser son regard azur sur le sol semé d'embûches.
Plus pesant encore que le collier et l'orge : Aelia qui marchait à quelques pas seulement derrière lui. Il avait tenté de ralentir légèrement le rythme pour qu'elle le rattrape et qu'ils puissent finir la montée ensemble. Mais à peine avait-il tenté de l'attendre, que Spartacus avait tiré sur la corde reliée à son collier. Il était sans pitié.
Aniketos ne savait plus que penser de lui. Il savait que le Thrace tenait ses engagements. Il avait juré de lui rendre sa liberté, il le ferait. Mais n'était-il pas en train de venger Maximus en le maintenant au rang d'esclave ? N'y avait-il pas des intentions cachées derrière son plan ?
Il devenait fou, à force d'imaginer les complots qui se mettaient en place autour de lui.
Contre lui.
L'incertitude quant aux véritables desseins de Spartacus le tourmentait plus encore que sa solitude de prisonnier. Il n'oubliait pas non plus que ce dernier aimait Aelia.
Il tourna légèrement la tête et vit qu'Aelia l'observait. Elle détourna les yeux, rouge de honte, et tenta de dissimuler le fait que son attention était dirigée vers lui en engageant la discussion avec une femme âgée qui marchait à ses côtés. Les deux anciennes esclaves portaient des sandales et Aniketos fut soulagé de voir que Spartacus - qui d'autre ? - prenait soin de son confort. Avec un sourire en coin, ravi d'avoir troublé Aelia et constaté qu'elle ne l'avait pas encore oublié, le Grec se concentra à nouveau sur ce qu'il faisait.
La pente escarpée ne pardonnait aucune distraction. Le chemin, bordé de végétation en sa base, était à cet endroit uniquement entouré de rochers. L'environnement hostile n'effrayait pas Aniketos qui se sentait étrangement bien à chaque souffle de vent qui caressait son visage. Plus il prenait de la hauteur, plus sa confiance grandissait. Ils s'approchaient toujours plus des dieux, au plus haut qu'ils le pouvaient, au plus près de leur protection. Au plus loin de leurs ennemis. Loin de tout. Loin de toute contrainte.
Loin de toute source d'approvisionnement également.
Soudain, le sentier devint moins abrupt, il était presque plat. Spartacus et Œnomaüs échangèrent un regard et décidèrent de s'installer là, peu avant d'atteindre le sommet qui serait assurément inhabitable. L'endroit plut aussitôt à Aniketos. Il aurait dit une grande plaine, comme posée au milieu de cette montagne par intervention divine. D'un côté de l'étendue s'entassèrent bien vite les réserves de nourriture tandis que de l'autre furent entreposées les armes. Au centre, la horde se rassemblait, dans l'attente de consignes.
Des ordres fusèrent. La nuit n'allait pas tarder à tomber. Ils organisèrent la soirée en étalant sur le sol les longs manteaux de laine, volés aux gardes, qui pouvaient servir de couverture. Et très vite, ils décidèrent d'allumer des feux également.
***
Tandis que le campement de fortune prenait forme en hauteur, les troupes de Caius Claudius Glaber avançaient. Le préteur avait rassemblé à la hâte, presque au hasard, trois mille miliciens, sur ordre sénatorial. Quand il avait appris qu'il devait arrêter les agissements de vulgaires gladiateurs, il en avait ri. En quoi quelques esclaves pourraient leur causer du tort ?
Mais Marcus Crassus avait tant et si bien insisté auprès du sénat, arguant que leur réputation à tous souffrait de cette terrible humiliation, qu'il avait été contraint de l'écouter. Quelques sénateurs, qui possédaient des propriétés en Campanie, s'étaient immédiatement rangés derrière l'avis de Crassus. D'autant plus que personne ne se serait risqué à lui dire non, au vu de son état de colère. Jamais ses proches ne l'avaient vu dans une telle rage que lorsqu'il était revenu de son séjour à Capoue. Il ne se remettait pas du désastre qu'avait été sa visite et il n'en resterait pas là. Il avait ordonné à Glaber de lui ramener une poignée de gladiateurs vivants pour leur faire subir son courroux.
Le châtiment qu'il leur réservait serait terrible.
Caius ne voyait pas en quoi quelques pillages leur portaient atteinte. Mais en exterminant les vermines qui les commettaient, il gagnerait assurément le soutien politique des riches propriétaires de domaines en Campanie, ceux-là même qui s'étaient plaints auprès du sénat.
Il chevauchait donc vers la baie de Naples, sans crainte, aucune.
Inconscient de la menace que représentaient les insurgés ou trop confiant pour l'admettre. Trop jeune pour se souvenir de la deuxième guerre servile qui avait secoué le sénat une trentaine d'années auparavant.
Après deux jours de chevauchée à un rythme tranquille, la milice atteignit la baie de Naples, où les premiers raids avaient eu lieu. Quelques citoyens leur apprirent que les troupes s'étaient réfugiées sur les pentes du mont Vésuve. Satisfait, le préteur décida d'assiéger la montagne.
- Ces chiens sont plus idiots encore que nous le pensions, ricana-t-il en s'adressant à ses hommes de confiance. Nous bloquerons le seul accès qui mène à la montagne et attendrons que la faim les oblige à se rendre.
Quelques brèves protestations accueillirent ses dires, les miliciens voulaient se battre pour en finir au plus vite. Un siège était long, platonique et ennuyeux. D'autant plus qu'avec l'avantage du nombre et de la surprise, ils remporteraient l'affrontement avec des pertes minimes.
- Nous ne leur ferons pas l'honneur de les considérer comme des ennemis. Nous n'irons pas les combattre, ils n'en valent pas la peine. Laissons-les donc mourir de faim en haut de leur montagne, ils redescendront bien vite nous supplier de les épargner.
- Général, s'inclinèrent ses soldats avant de disparaître pour transmettre les ordres au reste de la troupe.
Ils montèrent le campement et une longue attente commença.
***
Aniketos repéra Aelia en train de s'éloigner de sa couche. Silhouette furtive, elle évitait silencieusement les corps endormis et ne fut bientôt plus éclairée par les flammes des feux.
Il se redressa, intrigué. À ses côtés, Spartacus dormait d'un sommeil profond. Aniketos n'hésita pas plus longtemps, il devait suivre la jeune femme. Il s'agirait d'une occasion parfaite pour lui avouer qu'il l'aimait et lui demander pardon pour tout le mal qu'il avait pu lui faire inconsciemment. Si elle accepte de m'écouter, s'inquiétait-il en silence.
Il se releva tout doucement pour ne pas réveiller le Thrace et s'élança derrière elle. Les gardes du camp le regardèrent partir sans poser plus de questions. Après tout, il fallait empêcher les attaques, pas maintenir les hommes prisonniers au sein de leur troupe.
Aniketos voyait toujours l'ombre d'Aelia. Il la suivait sans même tenter de se faire discret : aucune végétation ne pouvait lui offrir de couverture. Elle finit par s'arrêter et se retourner vers lui, elle l'attendait.
Aniketos la rejoignit, la lueur des feux de camp n'était plus visible de leur position, un pan de la montagne leur offrait un abri relatif. Le guerrier n'osait pas parler. Sa bouche était sèche, ses pensées incapables de formuler une phrase cohérente à prononcer.
À quelques pas de lui à peine, Aelia ne savait plus non plus par où commencer. En quittant le campement, elle avait espéré qu'il la suive ici pour pouvoir déverser sa rage et lui hurler qu'elle le haïssait. Mais elle avait compté sur le fait qu'il serait énervé également et lancerait les hostilités en premier en lui reprochant de ne pas lui avoir fait assez confiance pour le libérer. Elle n'aurait pas pu prévoir qu'il se tiendrait devant elle avec l'air paniqué. Que la lune éclairerait un visage doux, dépourvu de toute rancœur. Que ses yeux bleus brilleraient dans le noir sous les rayons de Luna et la détailleraient avec avidité comme si elle était une déesse.
Il la déstabilisait complètement. Elle ferma les paupières pour ne plus le voir et inspira profondément.
Aniketos attendait toujours, silencieux. Il ne vit pas venir la main d'Aelia qui frappa sa joue avec violence. Il encaissa le choc, plus surpris qu'autre chose.
- Ça, avertit Aelia d'une voix tremblante, c'est parce que je te déteste.
Elle le gifla à nouveau. Sa main la faisait certainement souffrir plus qu'Aniketos qui restait impassible face à ses assauts.
- Je te déteste, continua-t-elle, parce que j'arrive pas à te détester ! Même quand je veux te haïr, je... Je ne peux pas ! Et t'oublier m'est impossible.
Elle secoua la tête. Ce n'était pas ce qu'elle était censée dire. Elle devait lui en vouloir de l'avoir abandonnée face aux moqueries des hommes lui reprochant de faire trop de bruit, de lui faire peur avec sa violence, de... Elle ne savait plus. Enragée contre elle-même, elle donna un nouveau coup au Grec.
- Je te déteste parce que j'ai peur de toi et de ce que tu es capable de faire. (Elle marqua une pause, étouffa un sanglot et reprit en tremblotant.) Et en même temps, je ne me suis jamais sentie plus en sécurité que lorsque je cherchais refuge auprès de toi. Je ne me sens bien que dans tes bras.
Elle hoqueta et porta sa main à sa bouche. Elle ne pouvait pas lui avoir dit ça !
Aniketos écarquilla les yeux, surpris par les mots d'Aelia. Il fit un pas vers elle pour l'attraper. Il voulait la serrer contre lui, murmurer qu'elle était en sécurité.
Elle le repoussa et le frappa avec ses poings. Elle donnait des coups contre son torse, les larmes roulaient sur ses joues. Elle continuait à parler en sanglotant, même en sachant pertinemment que cela n'avait plus aucun sens. Elle le martelait de coups pour se libérer de tout ce qu'elle avait sur le cœur.
- Je te déteste parce que quand je t'ai ouvert mon cœur, tu ne m'as pas ouvert le tien. Tu m'as laissée croire que je me trompais et que...
Il se saisit de ses mains serrées qui allaient et venaient contre son torse. Cela interrompit son flot de parole, elle releva la tête vers lui. Son ombre imposante cachait toute source de lumière mais son odeur enivrante lui chatouillait le nez et l'attirait vers lui.
Plus un mot n'était échangé. Mais le bruit de deux respirations saccadées et de deux cœurs qui tressautaient à une allure folle voulait tout dire. Aelia n'avait plus aucune volonté de lui cracher une haine qui n'était que parade. Lui ne voulait répondre de rien, si ce n'était de son besoin urgent de la toucher, de la presser contre lui.
Il relâcha les poignets fins d'Aelia et porta ses deux mains à son visage. Ses paumes fraîches, posées contre les joues rouges de la jeune femme, la firent frémir. Elle n'arrivait plus à esquisser le moindre mouvement, respirer devenait laborieux.
Elle posa sa main contre celle d'Aniketos pour la serrer fort et lui demander pardon pour les coups qu'elle lui avait portés. Cela n'importait plus. Il ne restait que deux êtres brûlants de désir et leur envie d'embrasser l'autre.
Aniketos céda à ses pulsions en premier. Ses lèvres chaudes se posèrent avec toute la délicatesse dont il était capable sur celles de la jeune femme.
Aelia n'avait jamais connu de baiser aussi doux et divin.
Le premier contact, presque hésitant, se transforma en un échange passionné et enflammé. Aelia s'abandonnait complètement, se livrait sans crainte à l'assaut fougueux du guerrier. Toute la colère qu'elle avait projetée sur lui se transformait en une passion ardente.
Elle se sentait renaître. Il n'y avait plus de peine, de souffrance et d'humiliation en elle ; rien que le vide, un vide qui n'aspirait qu'à fleurir à nouveau. Un vide qui se remplissait de l'amour d'un être aimé, du contact d'un homme qui la respectait et la vénérait presque.
Ils se séparèrent, haletants. Mais leurs âmes venaient de s'unir et plus rien ne semblait pouvoir les séparer.
Il n'y avait plus besoin de mots. Tout avait été effacé, la rancœur et la haine, les craintes et les peines. Aniketos souriait. Il n'avait jamais affiché son bonheur de manière aussi directe, mais peut-être n'avait-il jamais été aussi heureux.
- Aelia, chuchota-t-il au creux de son oreille.
Son cœur battait plus fort qu'un tambour de guerre en cet instant. Et dans un souffle presque inaudible, il avoua enfin :
- Je t'aime.
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Récapitulatif historique :
-
La troupe de Spartacus s'était bel et bien réfugiée sur les pentes du mont Vésuve (et non, on ne savait pas encore que c'était un volcan ! L'éruption a lieu un siècle plus tard.)
-Glaber a bien rassemblé une milice et pas une légion ! La différence ? Une légion est un corps de l'armée bien organisé et "constant" alors qu'une milice est une troupe de combattants rassemblés dans des cas spécifiques.
Appien précise que Glaber les a rassemblés à la hâte car les Romains pensaient qu'il s'agissait de simples actes de brigandage. Ils ne considéraient pas ça comme une menace sérieuse. Des esclaves sont des adversaires indignes.
Illustration : Florus, dans ses témoignages, écrit "... Les ennemis -je rougis de leur donner ce nom-..."
Des gladiateurs, des esclaves et des paysans ne sont pas dignes de plus d'attention.
***
J'avais prévenu que ce serait autant une romance qu'une fiction historique...
J'espère que ce chapitre vous a plu :)
Puissent les dieux veiller sur vos pas,
Dream
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