-2-

Deux cadavres découverts dans un appartement à Plainstreet

Ce matin alors qu'elle se rendait vers son lieu de travail, Elizabeth Doe, femme de ménage, trouve les corps de ses employeurs dans leur domicile à Plainstreet. Les deux corps appartiendraient à Megan et Connor Shaw, un jeune couple marié depuis seulement un an.

Selon le témoignage de mademoiselle Doe, la porte de l'appartement aurait été verrouillée lors de son arrivée le matin même. "Monsieur et madame Shaw ont pour habitude de partir au travail tôt" a-t-elle déclaré. "C'est pour cela que je possède un double des clés. En leur absence, personne d'autre ne rentre dans l'appartement". C'est en pénétrant dans le domicile qu'elle fit la découverte macabre.

Une enquête fut immédiatement ouverte, et la police est actuellement à l'affût de preuves. Aucune ne mène, pour le moment, au coupable, faisant d'Elizabeth Doe la suspecte principale de l'investigation.

Mais avons-nous affaire à un double meurtre, ou s'agit-il de suicide? C'est la question qui se pose alors que les corps sont inspectés. Seuls des détails minimes au sujet de leur état ont été divulgués, mais il est évident qu'il s'agit d'une scène de crime complexe.

Alors que la police tente de reconstituer les faits, la toile s'enflamme. "Gloomy Sunday!" crient les différentes plateformes du net et les médias. Difficile de ne pas y penser alors qu'aujourd'hui se trouve être un dimanche. Mais personne ne connaît vraiment l'état des proies du Gloomy Sunday – information sensible et gardée sous scellé. Les Shaw seraient-ils les nouvelles victimes de la chanson maudite du dimanche? La police ne souhaite rien divulguer à ce sujet, mais les rumeurs qui courent affirment que c'est bel et bien le cas.

Aucune mort semblable n'a été observée dans les locaux auparavant. La malédiction aurait-elle gagné le continent?

Afin de poursuivre les recherches, les corps des victimes ont été déplacés à l'instant vers l'hôpital pour une autopsie médico-légale. La cause de la mort semble évidente pour les deux victimes, nous disent nos informateurs, mais un examen complet pourrait davantage éclaircir les circonstances de cette mort suspecte.

Aucune autre information n'a encore été communiquée.

S O M B R E S   S O N T   C E S  J O U R N É E S où Theodore est forcé d'être le témoin d'abomination. C'est son métier après tout et, hélas, il se retrouve bien souvent confronté à de belles atrocités.

Aujourd'hui ne fait pas exception.

Lorsque Theodore a quitté son agence plus tôt, il ne s'imaginait pas quelle tournure l'affaire s'apprêtait à prendre. Son seul souci à été d'avancer dans la rue sans se faire bousculer. Ce qu'il n'a pas réussi à éviter, cependant, c'est les salutations de presque tout le monde sur son chemin. Theodore n'aime pas ça – en particulier quand il ne souhaite voir personne – mais sa notoriété de détective le rattrape souvent – même s'il n'en a clairement pas le look. Pas d'imper, de loupe ou de pipe. Sherlock Holmes et autres Hercule Poirot avaient peut-être du style, mais Theodore, lui, est un détective... Theodoresque. À savoir un homme dégingandé, au physique aussi attirant que celui d'une chouette. Mais en même temps, à quoi lui servirait une belle apparence ? Elle ne lui serait d'aucun usage dans sa profession – à moins de tout plaquer et opter pour une carrière de top model. Quant à sa vie privée, eh bien... Qui voudrait d'un homme marié, fatigué et totalement absorbé par son travail ? La séduction et l'amour sont des jeux de jeunes ; lui, avec la quarantaine passée, il n'est pas sûr d'en faire partie.

Il ignore encore que ce n'est pas tout à fait le cas.

En même temps, comment pourrait-il penser à une telle chose alors qu'il est en train d'assister à ça? Quelques minutes plus tôt, quand Theodore est arrivé sur les lieux du crime, il n'a pas compris pourquoi tout le monde avait le visage décomposé. Mais à présent... Immobile, il continue à être témoin en silence, avant que l'horreur ne se fasse bien trop grande pour qu'il réussisse à ne pas fermer les yeux.

Le salon, pourtant si charmant auparavant, est devenu la scène d'une réelle tragédie. Les meubles et les tapisseries coûteuses n'importent plus; tout ce que l'œil peut percevoir en l'occurrence est... le rouge. Du rouge, partout. Notamment aux pieds de la dame accrochée au lustre. Mais ce n'est pas le seul endroit où s'amasse la couleur, non; la dame elle-même en est couverte. Entièrement couverte. Si bien qu'à première vue, seul l'écarlate nous saute aux yeux, dissimulant le trou béant dans sa poitrine.

Trou béant exposant une cavité étrangement vide. Normal, se dit alors Theodore; il vient de remarquer que ce qui manque à la dame est déposé sur la table à proximité, présenté de manière très sophistiquée dans une assiette auprès de couverts ensanglantés.

Son cœur.

Le cœur de la victime, accrochée au lustre par le cou, à été arraché et transformé en mets. Les yeux de Theodore suivent les traces de sang qui vont de l'assiette vers la seconde victime.

Lui, semble avoir moins souffert. Physiquement, du moins, puisqu'aucune blessure ne recouvre son corps mais... Qu'en est-il de l'expression sur son visage? Theodore ne se souvient pas avoir déjà vu une telle terreur déformer les traits de quelqu'un. Mais ce n'est pas le seul élément déroutant à son sujet.

L'homme est assis à table, juste en face du festin. Ses mains et ses vêtements sont couverts de cette couleur si caractéristique; ses yeux exorbités accentuent la peur qui hante sa figure inanimée. Le plus choquant, cependant, est sa bouche. Ses lèvres, grandes ouvertes, laissent deviner la présence de quelque chose dans sa mâchoire.

Un morceau... de chaire?

Un bout de muscle, rougissant le contour de la bouche et le menton de sang dégoulinant. Un morceau qui semble étrangement bien aller avec ce qui reste dans l'assiette. Malheureusement, il n'a pas pu en venir à bout: le trou dans sa tempe gauche indique qu'il a été interrompu.

Theodore – ainsi que toutes les personnes présentes dans la pièce – auraient préféré ne pas comprendre, mais, en dépit de leur souhait, la mise en scène est claire: corps numéro deux, ayant assassiné corps numéro un, l'a accroché au lustre puis l'a vidé en prenant soin de récupérer le cœur et de délicatement le servir en guise de repas. À mi-chemin de son diner, corps numéro deux est mort à son tour d'une balle dans la tête.

Theodore rouvre les yeux mais se détourne immédiatement, réussissant à retenir de justesse un haut le cœur – ce qui n'est pas le cas d'un ou deux officiers qui finissent par vider le contenu de leur estomac au sol. Argh, grogne mentalement Theodore. C'est assez dégueulasse comme ça, n'en rajoutez pas avec votre petit-déj' en bouillie.

Theodore referme les yeux, se tient l'arête du nez et soupire.

— Hobbs?

L'intéressé aurait accouru si son pas n'était pas aussi lourd.

— Tu as parlé de suicide. Qu'est-ce que c'est que ça?

— Je ne pouvais pas expliquer au téléphone.

Ça se comprend, pense Theodore. Il est sûr qu'il n'aurait pas cru Hobbs s'il avait tenté de lui décrire ce qu'il a à l'instant sous les yeux.

— Et bien?

Hobbs fait signe à Theodore de se rapprocher, ce qu'il fait malgré lui.

— Megan Shaw. Morte en premier.

— Ne va pas me dire qu'elle s'est suicidée, dit Theodore en regardant le corps de plus près.

— En effet, il ne s'agit pas de suicide, intervient Dockson.

Le médecin, accroupi pour observer les tâches de sang aux pieds de la victime, se remet debout pour faire face à Theodore et à Hobbs.

— Je pense qu'il est évident que c'est cette blessure au niveau de la cage thoracique qui lui a été fatale.

Blessure? pense Theodore. Cette pauvre femme s'est littéralement fait arracher le cœur!

— Traces de lutte? Demande Hobbs.

— Oui. La victime a clairement tenté de se défendre – voyez ces lésions au niveau du cou et des bras, ainsi que les bleus vraisemblablement engendré par des coups portés.

Theodore remarque au même moment les meubles renversés et le verre brisé.

— J'ai aussi relevé de la peau sous ses ongles. Avec un peu de chance, ça nous mènera vers son agresseur.

— Autre chose?

Le médecin secoue la tête.

— Difficile à dire. Le corps est considérablement endommagé; je me vois en l'occurrence dans l'incapacité de porter un jugement fiable au sujet de la mort. Les marques, les coupures, même ses os cassés et son cœur délogé; tout ceci peut être lié à plusieurs hypothèses.

Theodore, qui se contente de garder son rôle d'observateur, fait de son mieux pour ne pas prendre ses jambes à son cou. Quand Dockson et Hobbs passent à la victime suivante, il les suit. Les indices sont marqués par des numéros, et des clichés sont pris dans chaque recoin de la pièce. Ainsi, Theodore s'efforce-t-il à avancer sans trébucher.

Le corps est nettement en meilleur état. Les yeux de Theodore atterrissent immédiatement sur la bouche grande ouverte de Connor Shaw. Le morceau du cœur de sa femme pend légèrement. Shaw a-t-il délibérément voulu déguster l'organe, ou ce dernier a-t-il été forcé dans sa gorge?

Le médecin se penche prudemment sur le corps.

— Si l'on met de côté les blessures minimes – certainement causées par une lutte avec la première victime – une seule injure subsiste: le trou dans la tempe gauche engendré par une balle de calibre 15.

— L'arme est par terre, note Hobbs.

— Tout à fait, poursuit Dockson. Ce qui laisse à croire qu'elle a glissé de sa main après qu'il se soit tiré la balle dans la tête.

— Ou alors, prononce Theodore pour la première fois, que quelqu'un d'extérieur l'a tué puis disposé l'arme pour faire croire à un suicide.

Dockson et Hobbs se tournent vers lui, approuvant d'un hochement de tête la probabilité de cette seconde hypothèse.

— Il me faudra opérer une autopsie si l'on veut plus de détails.

À ce moment, un policier débarque et tente de s'adresser discrètement à Hobbs. Le médecin retourné à ses observations, il n'y a que Theodore pour entendre l'échange.

— Chef?

— Oui?

— Une nouvelle pièce à conviction.

Theodore se tourne vers le jeune policier, qui tend la trouvaille à son supérieur.

— Où? Demande Hobbs.

— Elle a été trouvée dans la main de la victime, chef. Les doigts de Connor Shaw étaient refermés dessus.

Hobbs hoche la tête, et le policier lui rend le geste avant de se retirer. Se mettant plus à la lumière, Hobbs jette un coup d'œil à ce qu'on vient de lui apporter. Il s'agit d'une feuille de papier, petite et froissée. Theodore peut dire qu'il y a quatre lignes inscrites dessus, même s'il ne voit pas les mots de là où il est. C'est quand Hobbs se tourne vers lui, le sourcil relevé, qu'il tilte.

Theodore saisit la pochette plastique scellée et regarde le bout de papier de plus près.

Dimanche est mélancolie

Mes heures sont insomnie

Les chères ombres avec lesquelles je vis

Sont infinies

C'est tout. Theodore retourne le sac plastique, mais il n'y a rien dans le dos de la feuille. Rien que ces quatre lignes, juste cette poignée de mots. Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire?

— Tu te souviens de l'article que je t'ai envoyé? Demande Hobbs.

Gloomy Sunday.

Dimanche est mélancolie.

Theodore lève les yeux vers Hobbs mais ne dit rien. Il est évident qu'il n'en croit rien; Hobbs le sait, il n'a même pas à lui demander son avis à ce sujet. Sur plusieurs affaires passées, le paranormal à semblé s'inviter; sauf que Theodore n'y a jamais cru – pas une seconde – et il a toujours réussi à prouver que ce n'étaient que des foutaises en attrapant le réel coupable.

Cette affaire n'est en rien différente.

Les corps sont sur le point d'être emmenés. Hobbs se met un peu à l'écart, entraînant Theodore avec lui.

— Premières impressions, Harris?

Theodore demeure un instant immobile, et quand il parle enfin, c'est d'un ton calme. Un calme en contraste avec le chaos ambiant.

— Tout ce que j'ai à dire, c'est que quelqu'un essaie de nous mener en bateau.

Vous aimez ce que vous lisez? 

N'oubliez pas de voter, de laisser un commentaire et, pourquoi pas, de partager avec vos amis!

Merci, personne random qui lis ceci :D

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top