Chapitre 7

L'attrape-rêve avait dû glisser de l'une de ses mèches. C'était la seule solution que Morgal trouva lorsqu'il se retrouva encore plongé dans un songe prémonitoire. Comme préconisé par Djinévix, il tenta de comprendre et de prendre en main les événements irréels. Mais encore une fois, il se trouvait uniquement passager de son propre corps. Il détestait être ainsi à la merci de son lui du futur. À chaque instant, il craignait un accident ou un dérapage.

En l'occurrence, il se tenait à côté d'un gnome brun à la peau caramélisée. Clairement, l'intelligence ne se reflétait pas vraiment dans le regard de l'esclave. En même temps, c'était un gnome, fallait pas trop lui en demander.

S'il avait été responsable de ses mouvements, l'elfe aurait froncé les sourcils ; le semi-homme portait un uniforme peu conventionnel qu'il n'avait jamais vu dans aucune maison de Calca. Et vues les teintes orangées qui imprégnaient les appartements, ils ne devaient pas résider sur ses royaumes. Le mobilier et les arômes rappelaient immédiatement Fanyarë, ce qui expliquait peut-être la tenue incongrue du gnome.

— Vous oubliez tous les services que je vous rends en permanence, Majesté, râla irrespectueusement ce dernier.

— Si je t'ai rappelé ce n'est pas pour que tu perdes ton temps dans les bordels de la capitale.

— Tout de suite les grands mots...

Morgal sentit qu'il était énervé bien qu'il en ignorât la raison : l'attitude de son esclave ? Où de l'échec d'une mission ?

— Binou, je ne te paie pas pour...

— Non, vous ne me payez pas du tout, même. Ceci-dit nous pouvons convenir d'un salaire...

Il s'arrêta de parler lorsque le dessous de sa manche s'illumina et que l'air quitta ses poumons.

— Rappelle-toi une minute la marque que tu as, stupide créature. Maintenant réponds-moi.

Le dénommé Binou grommela un instant avant de s'affaler sur un pouf :

— Le parlement astral ne laissera pas tomber aussi facilement son roi. Je doute que vous réussissiez à le rallier à la cause qui vous intéresse.

— Je vois. Il faudrait trouver un moyen d'incriminer leur souverain. Nous pourrons enfin nous débarrasser de lui.

Quel genre de machination s'était-il encore trouvé ? Et de quel roi parlait-il ? De Nilcalar ou du roi d'Arminassë, disparu depuis plusieurs siècles ?

Le gnome avait attrapé une panière à fruit qu'il commençait à vider sans la moindre gêne. Il avait sans doute un rôle d'espion. Ou peut-être était-ce son gnome particulier ?

L'elfe s'assit à son tour dans un fauteuil, non loin d'une cheminée où crépitait un feu joyeux. Il semblait s'abîmer dans de nombreuses réflexions. En tout cas, ses vêtements ne changeaient pas vraiment de l'habitude : toujours d'un noir d'encre avec des broderies dorées. Il tenait une coupe entre ses doigts bagués, probablement du sang ou de l'alcool.

— Nim vous mettra des bâtons dans les roues, fit remarquer énigmatiquement l'esclave.

— Comme toujours.

— Surtout qu'elle lui fait presque plus confiance qu'à vous !

— Binou... Tu es mon gnome personnel pas mon conseiller.

— Pas la peine de me tirer cette tête parce que votre femme en tient une sacrée couche. Et puis quoi que vous disiez, je reste votre premier confident maintenant qu'Arquen vous déteste.

— Mêle-toi de ce qui te regarde, le gnome.

Binou allait répliquer lorsque des petits pas se firent entendre. Ses yeux se décalèrent de son maître à la nouvelle arrivante. Morgal trépigna intérieurement, demandant implicitement à son homologue du futur d'arrêter de regarder les flammes danser dans le foyer.

Malgré son incapacité à commander son corps, il sentit bien la main se poser sur son épaule :

— Qu'est-ce que vous manigancez encore, vous deux ? demanda une voix féminine et mélodieuse.

L'elfe se contenta de garder le silence ce qui ne fut pas le cas de son gnome :

— Nous allons prochainement incendier la Dimension et tout réduire en cendres, décréta-t-il en se donnant un air sérieux.

— Ton maître ne l'a pas déjà fait ? gloussa-t-elle, n'est-ce pas Morgal ? Tu as toujours tendance à tout vouloir détruire.

— Mmh...

Enfin, l'inconnue se déplaça devant lui de manière à ce qu'il puisse la voir. Malheureusement, sa tenue aurait empêché tout indice quant à son statut social puisqu'elle portait une longue robe de nuit blanche, parsemée de dentelles. Sa longue chevelure d'un noir un peu trop récurrent fit intérieurement grincer Morgal. C'était la même femme qu'il avait caressé sur le bateau. Et il n'avait pas dû s'arrêter en si bon chemin si on considérait son état de grossesse avancé.

— Merde...

Il espérait sincèrement n'y être pour rien dans cette affaire. Sinon cela signifiait que d'un, il s'était uni avec une non-elfe et que de deux, Djinévix parvenait à ses fins en l'impliquant dans ses plans sulfureux. Comme pourrait-il oublier toute cette histoire ? Avait-il eu la mémoire si courte en forniquant avec une créature à la race douteuse ?

Ça le rendait fou.

Aussi ne fut-il pas mécontent de se réveiller. Allongé dans son grand lit princier, il soupira un long moment avant de se redresser. Ce futur hypothétique ne devait absolument pas se produire. En fait, il n'avait qu'à, en pleine connaissance de cause, s'amouracher d'une jolie elfe, non brune si possible.

Ses pensées se focalisèrent sur Lalith.

Il voulait la revoir. Avait-il encore des sentiments pour elle ? Pendant ces cinq ans, il avait pensé plusieurs fois à la jolie elfe timide. Mais elle ne lui appartenait pas ; elle allait se marier d'ici peu.

Cette perspective agaça le prince. Il détestait que les choses lui échappent. Mais il était désormais inutile de se morfondre sur son sort. Il avait plus urgent à faire comme se débarrasser de sa tutelle.





Elaglar n'avait montré aucune objection à ce que son fils quitte la capitale. Tant qu'il demeurait discret sur son royaume, peu lui importait. Le souverain avait compris que son rejeton rebelle ne quitterait pas le territoire et qu'il resterait encore un bon moment sous sa coupe. Si tenté que le vampire accepte encore le moindre maître...

Quoiqu'il en soit, Morgal avait prétexté un séjour sur les terres des Falaises Venteuses pour s'éloigner d'une ville aussi lourde en souvenirs négatifs. Le roi l'avait même encouragé dans cette initiative puisque le prince devrait apprendre à connaitre son futur domaine.

Assis sur la selle d'Alaxos, le jeune homme scrutait les vagues s'éclater contre la falaise abrupte.

— Quel vacarme ! cria-t-il à son grand frère pour couvrir le déferlement de l'océan.

— La mer ne se calme jamais, assura Falarön sur son destrier gris, une véritable barrière pour nos ennemis lumbars. Leurs bateaux ne pourraient jamais accoster et se feraient broyer comme des fétus de paille !

Les deux cavaliers s'éloignèrent pour retrouver un semblant de calme. La terre de cette contrée nordique ne semblait guère propice pour l'agriculture et demeurait d'une aridité consternante. Un vent sec balayait le plateau pour s'engouffrer dans les bois les plus proches.

— Combien de villes ?

— Tu en auras dix tout au plus à gérer en t'installant.

— Seulement dix ?

— C'est déjà assez pour toi.

Morgal grommela ; Falarön n'avait jamais manqué une occasion de le rabaisser, lui et Magal. Il continuait même après ces cinq années d'absence.

— Et qu'est-ce qui pousse dans ces sympathiques landes ? demanda le jeune prince caustique.

— Pousser ? ricana l'ainé, ce n'est pas le grenier à blé de Calca, ici, c'est le moins que l'on puisse dire !

— Donc pas d'exportation alimentaire ?

— Très peu. Par contre, en creusant, tu peux peut-être trouver du minerai intéressant.

— J'ai la tête d'un nain ?

— Va falloir te triturer les méninges pour exploiter ces terres, enfin, si c'est de ton ressort...

— Il n'y avait pas un territoire pire encore à me refourguer ?

— Soit content de ce que tu as, c'est déjà pas mal que tu sois responsable d'une contrée avec la tare que tu as.

Le vampire vit rouge. Son grand frère méritait une belle raclée mais il se retint de toute violence ; cela ne ferait qu'empirer leur relation déjà tendue. Pire, ça conforterait Falarön dans son jugement.

— Attends un peu avant que je te fasse bouffer tes longs cheveux filasses, grommela-t-il.

— Tu as une idée où construire ta cité ?

— Ici, ça me parait très bien.

Son ainé manqua de s'étrangler :

— Là ?! T'es au courant que tu ne pourras jamais construire une ville princière à flanc de falaise !

— La roche des Falaises Venteuses résiste à la pression des vagues. Il sera impossible d'attaquer la cité du haut de cette muraille naturelle.

— Personne ne supporterait un tel climat toute l'année.

— Cela tombe bien, je ne compte pas voir vos sales gueules à longueur de journée...

Falarön leva les yeux au ciel :

— Le caractère, il est hérité de ton syndrome, aussi ?

— Non, de mon entourage.

Il secoua la tête et talonna sa monture, décidé à rejoindre le groupe armé qui les attendait plus bas dans la plaine. Morgal suivit sans mot dire, peu pressé de rejoindre Currunas et ses discours préventifs.

— Il y a encore une chose, conclut Falarön à son frère alors qu'ils reprenaient tous le chemin de la propriété la plus proche, à une après-midi de la capitale, tu trouveras une île. Il n'y a strictement rien dessus mais je te la laisse. Elle nécessite que peu d'entretien mais tu peux en faire une base militaire où un port marchand.

— J'y réfléchirais.




Le pavillon s'insérait dans la végétation comme un petit bijou. Falarön devrait le léguer à son cadet lorsqu'il lui laisserait le territoire. C'était sans doute son seul regret...

Sa femme, Sylvia, vint à leur devant. Sa longue chevelure aux reflets violets avait toujours fasciné les cours et sa taille élancée faisait des envieuses.

Le second de famille fronça un sourcil devant sa tenue de fêtes.

— Où vas-tu ?

— Une invitation du Croissant-Noir. Tu m'accompagnes ?

Son mari serra la mâchoire :

— Non, j'ai du travail. Je dois m'occuper du lègue pour Morgal.

— Bien, déclara-t-elle avec déception, nous nous retrouvons demain, dans ce cas.

Morgal intervint :

— Je me joins à toi, Sylvia.

— Toi ? Mais tu n'as pas l'autorisation de te montrer.

— Je ferai une légère entorse ; je ne compte pas apparaitre devant tout le monde.

La jolie elfe haussa les épaules :

— Si tu y tiens...

Oui, le jeune prince tenait à retrouver Ruinax du Croissant Noir, son ami d'Ur-Nabal. Mais avant tout, c'était Lalith qu'il souhaitait voir. Il ne raterait pas son mariage, tout de même !

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